Les rapports patrimoniaux des couples internationaux enregistrés : nouveau mode d’emploi à compter du 29 janvier 2019

Publié le 21/12/2018

Le droit international privé communautaire s’est enrichi de deux règlements le 24 juin 2016, l’un en matière de régimes matrimoniaux qui reprend certaines des solutions déjà développées dans la convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux et qui comble ses lacunes en ce qui concerne le volet compétence internationale ; et l’autre en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés qui innove dans un domaine où les États membres n’ont pas encore de position commune et ne reconnaissent pas tous l’union enregistrée hors mariage.

La France participe à ces deux règlements qui vont affecter notre droit international privé. Surtout en matière de partenariat car jusqu’à présent, nous n’avions qu’une simple règle de conflit de lois.

Dans la mesure où le règlement sera applicable à compter du 29 janvier prochain, il est temps de faire le point sur les changements qui vont suivre.

L’union des couples en dehors du mariage n’est plus une exception. La plupart des législateurs nationaux ont jugé opportun que le droit appréhende la vie des couples non mariés à raison de leur cohabitation stable et prolongée. Actuellement, au sein de l’Union européenne, seuls six États ne connaissent pas le partenariat enregistré1.

Or l’augmentation de la mobilité internationale, et la mixité des couples qui en résulte rendaient nécessaires des règles de droit international privé afin qu’un partenariat créé dans un État puisse produire ses effets dans un autre État.

La convention de Munich du 5 septembre 2007 sur la reconnaissance des partenariats enregistrés élaborée par la Commission internationale de l’état civil règle la question de la reconnaissance de la validité du partenariat, de sa dissolution ou de son annulation et des effets qui en découlent en matière d’état civil2. Mais outre qu’elle n’est pas encore en vigueur faute de ratification suffisante, elle occulte toute la dimension des conflits de lois et de juridictions.

En fait, à l’échelle européenne, en 2004, le conseil a adopté le programme de La Haye pour renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne3, lequel soulignait la nécessité d’adopter un instrument dans le domaine des conflits de lois, de la compétence juridictionnelle et de la reconnaissance en matière de régimes matrimoniaux. Mais la Commission européenne s’est également intéressée aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés. C’est ainsi que le 16 mars 2011, elle a adopté deux propositions de règlement relatives à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés pour l’une, et en matière de régimes matrimoniaux pour l’autre4.

Toutefois, les États membres ont abandonné les négociations lors du conseil « justice et affaires intérieures » du 3 décembre 2015 à raison de profondes divergences sur les formes d’unions au sein des États membres, notamment entre ceux qui reconnaissent les unions homosexuelles et ceux qui s’y opposent.

En définitive, 18 États membres ont souhaité établir une coopération renforcée. Celle-ci a été autorisée le 9 juin 20165, ce qui a conduit à l’adoption de deux règlements en date du 24 juin 20166 liant ces 18 États membres7.

Ces règlements entreront en application le 29 janvier 2019. C’est une étape supplémentaire dans l’unification du droit international privé de la famille à l’échelle européenne, amorcée en matière de divorce8, d’obligations alimentaires9, et de successions10. L’objectif ainsi poursuivi est la sécurité juridique et la prévisibilité pour éviter des situations boiteuses exacerbées par la mobilité croissante des couples auxquels il faut assurer la pérennité de leur statut et de leurs droits.

Notre étude se concentrera sur les partenariats enregistrés car, en ce domaine, l’objectif est d’autant plus difficile à atteindre que plusieurs États de l’Union ne connaissent pas le partenariat enregistré11 et que le règlement n’a pas vocation à imposer à ces États de légiférer en vue d’introduire cette institution dans leur droit national12.

En outre, en droit international privé français, la loi du 12 mai 200913 avait introduit, à l’article 515-7-1 du Code civil, une règle de conflit de lois en matière de partenariats enregistrés dont il convient d’envisager la conciliation avec le règlement du 24 juin 2016. En effet, ce dernier n’a pas vocation à se substituer totalement au droit international privé des États membres participants en matière de partenariats enregistrés. Son champ d’application se limite aux aspects patrimoniaux des partenariats et de leur dissolution14. Sont donc exclus les effets personnels du partenariat comme la question du devoir de secours entre partenaires ainsi que les questions préalables tenant à l’existence, la validité ou la reconnaissance du partenariat15. Parallèlement, d’autres aspects patrimoniaux des partenariats sont exclus, il s’agit principalement des aspects successoraux et alimentaires, ce qui se justifie puisque des règles spécifiques sont prévues par le règlement Successions de 2012 et le règlement Aliments de 2008.

Ainsi, si l’on envisage la loi applicable aux partenariats enregistrés dans un contexte international à compter du 29 janvier 2019 on peut s’interroger sur la sécurité juridique et la prévisibilité apportées par le règlement par rapport au système antérieur (I).

Parallèlement, à la différence du droit international privé français, le nouveau règlement Partenariats prévoit des règles de compétence qui laissent augurer davantage de cohérence que le système actuel (II).

I – La loi applicable aux partenariats enregistrés

Jusqu’à présent, en application de l’article 515-7-1 du Code civil, « les conditions de formation et les effets d’un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l’État de l’autorité qui a procédé à son enregistrement ». Pour tous les partenariats enregistrés après le 29 janvier 2019, à défaut de choix, la loi applicable aux effets patrimoniaux du partenariat enregistré est la loi de l’État selon la loi duquel le partenariat enregistré a été créé.

À première vue, cela ne devrait pas bouleverser les solutions du droit international privé français. Mais cette affirmation doit être largement nuancée car le règlement introduit une nouveauté remarquable : la possibilité de choisir la loi applicable ce qui, paradoxalement, risque de ne pas toujours permettre un niveau maximum de sécurité juridique et de cohérence.

A – La loi objectivement applicable

À compter du 29 janvier 2019, lorsque les partenaires n’auront rien prévu, en application de l’article 26, paragraphe 1 du règlement sur les partenariats enregistrés, il faudra appliquer la loi de la source aux effets patrimoniaux du partenariat enregistré. Cela implique que si un couple belge a fait enregistrer son partenariat auprès d’une ambassade française à l’étranger, ce n’est pas la loi étrangère qui s’applique aux effets patrimoniaux de leur partenariat mais bien la loi française. Quant aux effets personnels de leur union, ils seront soumis d’après la règle de conflit de lois française à la loi de l’État de l’autorité qui a enregistré le partenariat, ce qui désigne aussi la loi française.

Il n’y a donc aucun changement notable par rapport à la situation actuelle, d’autant plus que tant la règle française de conflit de lois que le règlement excluent le renvoi. En effet, s’agissant de l’article 515-7-1 du Code civil, il fait référence aux dispositions matérielles de la loi applicable. Quant au règlement, l’article 32 exclut expressément le renvoi. Il faut aussi noter que tout dépeçage entre biens meubles et immeubles est exclu16. C’est un élément de sécurité juridique car cela évite que l’actif du patrimoine des partenaires soit soumis à des régimes différents selon le lieu de situation des biens du couple et qu’un même bien soit considéré comme un bien commun selon la lex rei sitae et un bien propre selon la loi de la source du partenariat.

Toutefois, grâce à une clause d’exception prévue à l’article 26, paragraphe 2, les partenaires pourront se voir appliquer la loi de leur dernière résidence commune. Mais cette exception ne peut être soulevée que devant une autorité judiciaire et ne doit pas porter atteinte aux droits des tiers17.

En réalité, il s’agit de respecter les prévisions des couples dans un contexte de mobilité internationale. Ainsi, ceux qui ont enregistré un partenariat dans un État puis s’installent durablement dans un autre État, et qui démontrent qu’ils se sont fiés à la loi de cet État pour planifier leurs rapports patrimoniaux, pourront se voir appliquer cette loi. Cela semble cependant limité à l’hypothèse dans laquelle le partenariat est rompu puisque le texte fait référence à la « dernière résidence habituelle commune » des partenaires, ce qui sous-entend qu’ils ne résident plus ensemble, et partant, on peut imaginer l’hypothèse d’une rupture, ou d’un décès.

À cet égard il faut rappeler que les effets successoraux d’un partenariat enregistré sont exclus du champ d’application du règlement, il faudra donc appliquer le règlement Successions qui désigne la loi de la dernière résidence habituelle du défunt18, ce qui correspondra souvent à la dernière résidence habituelle commune du couple. La liquidation du partenariat et la liquidation de la succession du partenaire décédé seront donc soumises à une même loi, mais à la condition évoquée plus haut que la question soit tranchée par un juge. On peut regretter que les notaires ne puissent pas appliquer l’article 26, § 2 dans de telles circonstances. Au contraire, ils devront appliquer la loi nationale de l’autorité d’enregistrement à la liquidation du partenariat et la loi de la dernière résidence habituelle du défunt aux aspects successoraux à l’égard du partenaire survivant. Cette dualité regrettable est également de rigueur aujourd’hui. Effectivement, une réponse ministérielle19 relative au champ d’application de l’article 515-7-1 du Code civil a pointé le fait que cette règle de conflit de lois, de portée générale, ne s’applique toutefois pas aux conditions ou aux effets soumis à des règles de droit international privé spécifiques conventionnelles ou non. Or il en est ainsi en matière successorale.

Un autre aspect mérite notre attention, celui de l’opposabilité de la loi applicable aux tiers. De fait, des partenaires résidant dans un État ont pu enregistrer leur partenariat devant les autorités d’un autre État. Dans une telle hypothèse il est important que le tiers avec lequel un partenaire a passé un contrat soit informé de la loi applicable aux effets patrimoniaux du partenariat car cette loi régit, entre autres, « les incidences des effets patrimoniaux des partenariats enregistrés sur un rapport juridique entre un partenaire et un tiers »20.

Certes, dès qu’un notaire intervient, il sera sans doute vigilant et attirera l’attention des parties sur ce point. Mais dans les autres hypothèses ou à défaut de précision particulière dans l’acte, l’article 28 du règlement prévoit des présomptions de connaissance par le tiers, de la loi applicable aux effets patrimoniaux du partenariat. Ce sera le cas lorsque cette loi est :

  • celle de l’État dont la loi est applicable à la convention liant le tiers et le partenaire ;

  • celle de l’État où les deux parties ont leur résidence habituelle ;

  • celle du lieu de situation de l’immeuble dans le cadre d’une convention portant sur un bien immeuble.

Ce sera aussi le cas, bien que ce soit moins évident, lorsque les obligations de publicité des effets patrimoniaux du partenariat ont été effectuées conformément à l’une de ces trois lois.

Lorsque l’on ne pourra pas établir la connaissance par le tiers de la loi applicable aux effets patrimoniaux du partenariat, c’est la loi applicable au contrat ou la loi du lieu de situation de l’immeuble objet de la convention qui s’applique. De cette manière le tiers est protégé. Cette solution rappelle la jurisprudence Lizardi21 qui aurait sans doute trouvé à s’appliquer en dehors du règlement.

Ces règles nouvelles n’introduisent donc pas de grands changements dans notre droit international privé. Il en va autrement de la possibilité de choisir la loi applicable.

B – La loi choisie par les partenaires

Le règlement de 2016 donne une place primordiale à l’autonomie de la volonté. Cela devrait donc assurer aux couples enregistrés une grande prévisibilité quant aux effets patrimoniaux de leur partenariat.

Certes on pourrait critiquer la liberté ainsi accordée aux partenaires car on pourrait y voir une incitation au law shopping. Les intéressés pourraient choisir la loi qui leur sied le mieux. Toutefois, même avant l’entrée en application du règlement, il était possible aux couples de choisir l’autorité d’enregistrement et bénéficier de la mêmefaçon d’une législation plus favorable. En effet, en Allemagne, il est possible de faire enregistrer un partenariat sans condition de nationalité ou de résidence22, d’autres États posent des conditions très souples comme le Royaume-Uni, qui exige seulement une résidence de sept jours avant de pouvoir notifier le partenariat à l’autorité d’enregistrement.

En outre, le règlement encadre la faculté de choix des partenaires pour éviter de choisir une loi sans lien avec la situation concrète et assurer la pleine efficacité de ce choix, pour une sécurité juridique accrue.

Ainsi, les partenaires peuvent choisir entre la loi de l’État dans lequel l’un d’eux au moins a sa résidence, ou dont l’un d’eux a la nationalité au moment du choix, ou bien encore la loi de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé.

Concernant les deux premières options, peu importe que les intéressés aient résidé dans un État ou aient la nationalité d’un État qui soit un État membre participant ou un État non participant à la coopération renforcée ou même un État tiers, car le règlement a une vocation universelle s’agissant de la loi applicable.

En revanche, il faudra qu’il s’agisse d’un État qui reconnaisse des effets patrimoniaux à l’institution du partenariat enregistré. Le choix d’une loi qui ne connaît pas le partenariat, telle la loi slovaque, s’avère impossible et sans effet. Si les partenaires recourent à un notaire, celui-ci devra attirer leur attention sur ce point. Toutefois, le recours à un notaire n’est pas systématique. En France notamment, l’article 515-3 du Code civil offre une alternative aux couples. Ceux-ci peuvent en effet rédiger leur convention partenariale et s’adresser à un officier de l’état civil qui enregistre le pacs. Si à cette occasion ils conviennent de la loi applicable à leur partenariat, l’article 23 du règlement n’impose pas d’autre formalité qu’un écrit daté et signé par les deux partenaires sauf à ce que la loi de l’État membre dans lequel le couple réside au moment de la convention n’exige d’autres formes. Dès lors, si un couple roumain se pacse devant l’officier d’état civil et indique choisir la loi roumaine, reviendra-t-il à l’officier de l’état civil d’avertir les intéressés que leur loi nationale ne connaît pas le partenariat enregistré ? Les partenaires seront sans doute surpris si un litige survient ultérieurement, car le choix n’étant pas valable, on appliquera la loi de l’autorité qui a procédé à l’enregistrement soit, dans notre exemple, la loi française.

Évidemment, on serait tenté de penser que le mieux reste sans doute de choisir la loi de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé car cette loi connaît nécessairement l’institution et lui attache des effets, et si les partenaires veulent changer par la suite pour opter pour une loi plus favorable, cette possibilité est reconnue par l’article 22, § 2 du règlement23.

Parallèlement on peut s’interroger sur l’effectivité du choix. En effet, à la réserve traditionnelle de l’ordre public24 s’ajoute celle de l’application des lois de police. Les prévisions des parties peuvent être bouleversées lorsque, en cas de contentieux, la loi du for contient une loi de police. Effectivement, l’article 30 du règlement réserve l’application des lois de police du for. À cet égard, si une juridiction française est saisie d’un litige relatif à la contribution aux dettes de partenaires soumis à une loi étrangère, fera-t-elle application de l’article 515-4 du Code civil ?

De fait, ce texte, qui prévoit les règles de solidarité des partenaires à l’égard des tiers pour les dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante, est la copie conforme de l’article 220 du Code civil. Or ce texte, partie intégrante du régime primaire résultant du mariage est considéré comme une loi de police25, et par analogie, on pourrait aussi considérer que l’article 515-4 du Code civil s’applique à tous les partenaires enregistrés, quelle que soit la loi applicable à leur partenariat, dès lors qu’ils résident habituellement en France26.

En outre, il sera parfois opportun de penser également à choisir la loi applicable à sa succession pour éviter des déceptions et protéger le partenaire survivant. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer deux Italiens qui se pacsent en France où ils résident habituellement. Ils peuvent penser à choisir la loi de leur nationalité aux effets patrimoniaux de leur union mais bien que le droit italien reconnaisse une vocation successorale aux partenaires, en cas de décès, le survivant ne sera pas protégé car la loi applicable à la succession de l’un d’eux sera la loi française, laquelle ne reconnaît aucun droit successoral au partenaire survivant.

Enfin, c’est l’opportunité même du choix de la loi applicable aux effets patrimoniaux du partenariat qui peut être discutable. En effet, et paradoxalement, bien que le règlement prône l’unité de la loi applicable, le morcellement est susceptible de réapparaître entre la loi applicable aux effets personnels et la loi applicable aux effets patrimoniaux sauf à choisir la loi de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé.

Mais on s’interroge sur la raison d’être de l’option qui consiste à « choisir » la loi de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé puisque c’est la solution applicable à défaut de choix. Le c) du paragraphe 1 de l’article 22 paraît donc inutile…

On aurait pu imaginer que ce choix puisse avoir un intérêt si le choix de la loi subordonnait la possibilité de convenir d’une élection de for, mais comme nous allons le voir, ce n’est pas le cas.

II – Les règles de compétence internationale en matière de partenariat enregistré

Il n’y a aucune règle de compétence internationale propre aux partenariats enregistrés en droit international privé commun. En effet, l’article 515-3 du Code civil ne pose qu’une règle de compétence de l’officier d’état civil qui enregistre le pacs et l’article 515-7 du même code établit un parallélisme en cas de dissolution. En cas de litige concernant la dissolution et plus spécialement les effets patrimoniaux de la dissolution, le juge statue, mais à défaut de texte particulier, on applique les règles de compétence internationales ordinaires issues de la jurisprudence Scheffel et Pelassa27 qui implique que le défendeur soit toujours domicilié en France.

Le règlement réalise donc une avancée non négligeable en ce qu’il établit des règles objectives de compétence internationale et permet aussi aux intéressés de convenir d’une élection de for.

A – Règles de compétence issues du règlement n° 2016/1104

Le règlement n° 2016/1104 tente une approche élargie du concept de juridiction de manière à ce que les règles de compétence qu’il édicte puissent aussi s’appliquer à certaines autorités ou professionnels du droit comme les notaires dès lors que ceux-ci exercent des fonctions juridictionnelles28. Toutefois, pour cela, il faut que leurs actes puissent faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire et qu’elles aient une force et un effet équivalents à ceux d’une décision prononcée par une autorité judiciaire29. En France, la dissolution du pacs résulte d’une déclaration de volonté qui peut n’être qu’unilatérale et le règlement des effets patrimoniaux est conventionnel, même si le notaire intervient pour authentifier la convention, ce n’est pas un titre exécutoire comme une décision judiciaire. Les règles de compétence du règlement ne devraient donc pas lier les notaires français. Elles n’interviendront qu’en aval lorsque les partenaires en désaccord saisissent un tribunal pour trancher leur différend.

Par ailleurs, elles ne s’appliquent que si le litige est d’ordre patrimonial. Elles ne permettent pas de résoudre la question de la compétence pour la dissolution du partenariat. Ainsi, lorsque la loi applicable aux effets personnels du partenariat prévoit l’intervention d’une autorité judiciaire et que les partenaires sont domiciliés en France. Les tribunaux français estimeront-ils avoir le pouvoir de prononcer la dissolution d’un partenariat ?

Si tel était le cas, l’article 5 du règlement Partenariats prévoit que les juridictions d’un État membre saisies pour prononcer la dissolution d’un partenariat sont compétentes pour statuer sur ses effets patrimoniaux si les intéressés sont d’accord.

Une solution comparable est prévue par l’article 4 en cas de décès d’un partenaire. Le for saisi d’une question relative à la succession d’un partenaire décédé est également compétent pour statuer sur les effets patrimoniaux du partenariat, mais sans qu’il soit besoin de l’accord des intéressés. Cela peut être particulièrement intéressant car dans un nombre non négligeable de cas, les partenaires pourront choisir la loi régissant les effets patrimoniaux de leur partenariat ou la loi applicable à leur succession de manière à ce qu’une seule et même loi s’applique à l’ensemble des aspects patrimoniaux de leur vie à deux. En effet, les facteurs de rattachement du règlement Successions30 (dernière résidence habituelle ou loi nationale du défunt) et ceux du règlement Partenariats enregistrés peuvent se combiner utilement. Dans de telles circonstances, on pourra alors avoir un alignement de la compétence juridictionnelle et de la loi applicable.

En dehors de ces hypothèses, l’article 6 prévoit cinq fors de compétence hiérarchisés fondés sur la résidence habituelle du couple, leur dernière résidence habituelle si l’un des partenaires y réside encore, la résidence habituelle du défendeur ou bien encore la nationalité commune ou l’État selon le droit duquel le partenariat a été enregistré. À cet égard il paraît paradoxal que ce soit ce dernier chef de compétence, donc celui qui opère en dernier ressort, qui permette de faire coïncider la compétence juridictionnelle et législative en dehors de la volonté des partenaires.

Par ailleurs, en dehors de ce dernier chef de compétence, il se peut que la juridiction saisie ne connaisse pas l’institution du partenariat.

Pour répondre à cette difficulté, le règlement prévoit des règles de compétence de substitution à l’article 9.

En effet, la juridiction qui estime que son droit ne connaît pas le partenariat peut décliner sa compétence car le règlement n’a pas pour effet d’obliger les États membres à réformer leur droit interne. Dès lors, la solution repose sur les parties qui peuvent élire une autre juridiction ou bien on s’en remettra à la juridiction de l’État membre selon le droit duquel le partenariat a été enregistré.

Enfin, il faut signaler la volonté des rédacteurs d’étendre la compétence du for européen31. Effectivement, lorsque pour une affaire donnée, aucun for européen n’est compétent ou ne connaît pas le partenariat, deux dispositions permettent encore d’admettre la compétence d’une juridiction d’un État membre. Il s’agira d’une part d’un forum necessitatis au titre de l’article 11 qui donne compétence au for qui présente un lien « suffisant » avec l’affaire. D’autre part, lorsque les partenaires ont un immeuble dans un État membre, conformément à l’article 10, les juridictions de celui-ci seront compétentes mais à l’égard du sort de l’immeuble seulement. Cela est justifié dans la mesure où une décision étrangère en ce domaine sensible ne serait pas forcément reconnue et exécutée dans l’État en question.

Par ailleurs, dans la mesure où le règlement couvre les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, et que cela comprend non seulement les relations des partenaires entre eux mais également vis-à-vis des tiers, on peut supposer que ces règles de compétence s’appliquent tant aux conflits entre les deux partenaires qu’à ceux impliquant un partenaire et un tiers. Ainsi, en cas de litige dans le cadre d’un contrat passé par un partenaire avec un tiers qui voudrait mettre en cause la responsabilité solidaire du couple en cas d’inexécution, on peut imaginer que les règles de compétence du règlement seront mises en œuvre. Toujours est-il qu’il faudra être particulièrement vigilant et qualifier précisément la question litigieuse. Si celle-ci se rattache aux effets du contrat, on appliquera les dispositions du règlement Bruxelles 1 bis ; si au contraire elles se rattachent aux effets patrimoniaux du partenariat, il faudra se référer aux dispositions du règlement Partenariats enregistrés.

Cependant, à notre avis, les partenaires ne devraient pas pouvoir opposer une clause d’élection de for introduite dans leur convention partenariale, le tiers n’étant pas partie à cette convention.

B – Rôle de la volonté des partenaires

Les partenaires peuvent miser sur l’élection de for pour une prévisibilité assurée de leurs relations patrimoniales en cas de litige.

En définitive, le règlement prévoit deux modalités pour l’élection de for qui peut être expresse ou tacite et résulter de la comparution du défendeur.

L’article 7 prévoit dans son second paragraphe que la convention d’élection de for doit être écrite, datée et signée par les parties. Le premier paragraphe propose trois options de choix en dehors des hypothèses où le contentieux se rattache à la succession d’un partenaire ou à la rupture du partenariat et qu’une juridiction d’un État membre est compétemment saisie de ces questions. Il convient de distinguer selon que les partenaires ont choisi la loi applicable à leurs relations patrimoniales ou pas.

Ainsi, s’ils ont choisi la loi applicable comme l’article 22 le leur permet, ils peuvent élire le for de la loi choisie. En revanche, s’ils n’ont pas choisi la loi applicable, ils peuvent décider d’élire le for de la loi applicable à défaut de choix, soit les juridictions de l’État selon le droit duquel le partenariat a été créé. Deux remarques s’imposent. D’abord, on constate qu’en tout état de cause, la prorogation de compétence doit permettre un alignement de la compétence juridictionnelle et de la loi applicable. Ensuite, à la différence du règlement Successions, l’élection de for n’est pas réservée aux couples qui auront choisi la loi applicable32.

Parallèlement, on ne comprend pas l’intérêt de la troisième option offerte aux partenaires de choisir « les juridictions de l’État membre en vertu duquel le partenariat enregistré a été créé ». En effet, cela correspond exactement aux juridictions de l’État membre dont la loi est applicable en vertu de l’article 22 sous d) ou de l’article 26, § 1.

D’un autre côté, le choix du for compétent peut également être tacite et résulter de la comparution du défendeur, sauf dans l’hypothèse d’un contentieux successoral, conformément à l’article 8. Ce texte permet une fois encore d’aligner la compétence juridictionnelle sur la loi appliquée. En effet, lorsque le défendeur comparaît devant une juridiction d’un État membre dont la loi a été choisie par les partenaires ou dont la loi est applicable au titre de loi de la source du partenariat, et qu’il ne conteste pas la compétence de cette juridiction, celle-ci se déclare compétente. Mais avant de se déclarer compétent, afin de protéger le défendeur, le juge saisi doit préalablement l’informer de son droit de contester la compétence ainsi que des conséquences d’une comparution ou d’une absence de comparution.

Cette disposition rappelle l’article 26 du règlement Bruxelles 1 bis en matière de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale33, dont le second paragraphe réserve aussi la protection du défendeur lorsqu’il est en position de partie faible dans le rapport de droit qui l’unit au demandeur (professionnel, assureur ou employeur).

Dans le cadre des relations patrimoniales des partenaires, il semble que l’on puisse difficilement justifier ces précautions sur la position de faiblesse des partenaires l’un envers l’autre, d’autant plus que, contrairement au règlement Bruxelles 1 bis, le règlement Partenariats maintient la nécessité d’une déclaration de force exécutoire pour qu’un jugement rendu en matière d’effets patrimoniaux d’un partenariat enregistré dans un État membre puisse être exécutoire dans un autre État membre.

En définitive, le règlement du 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés aura le mérite dans bien des cas de faire coïncider la compétence des juridictions et la loi applicable aux différends des partenaires. Mais il ne faut pas oublier que le texte ne s’applique qu’aux relations entre États membres participant à la coopération renforcée. Et même si des combinaisons semblent possibles entre le règlement Partenariats et le règlement Successions, ou encore le règlement Aliments, mais de manière à regrouper le contentieux pour plus de simplicité, les complications vont ressurgir dans le cadre de la circulation des décisions. Si l’on imagine une décision rendue en France sur la liquidation de l’ensemble des intérêts patrimoniaux à la suite du décès d’un partenaire de nationalité danoise, dont l’exécution est sollicitée au Danemark, le juge danois appliquera seulement ses règles de droit international privé et, dans ce cas, quid de la sécurité juridique des intéressés tant prônée au sein de l’Union européenne ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il s’agit de la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie.
  • 2.
    Revillard M., Droit international privé et européen : pratique notariale, 2018, Lextenso, nos 367 et s.
  • 3.
    Adoption du programme les 4 et 5 novembre 2004 : JOUE C 53, 3 mars 2005, p. 1.
  • 4.
    Proposition de règlement du conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, COM (2011) 126 final ; Proposition de règlement du conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, COM (2011) 127 final.
  • 5.
    Déc. (UE) n° 2016/954 du Cons., 16 juin 2016 : JOUE L 159, 16 juin 2016.
  • 6.
    Règl. (UE) n° 2016/1103 du Cons., 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux : JOUE L 183, 8 juill. 2016 – Règl. (UE) n° 2016/1104 du Cons., 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés : JOUE L 183, 8 juill. 2016.
  • 7.
    Belgique, Bulgarie, Chypre, République tchèque, Allemagne, Grèce, Espagne, France, Croatie, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Autriche, Portugal, Slovénie, Finlande et Suède.
  • 8.
    Règl (UE) n° 1259/2010 du Cons., 20 déc. 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, dit Rome III : JO L 343, 29 déc. 2010, p. 10-16.
  • 9.
    Règl. (CE) n° 4/2009, dit règlement Aliments, 18 déc. 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires : JO L 7, 10 janv. 2009, p. 1 à 79.
  • 10.
    Règl. (UE) n° 650/2012 du Cons., 4 juill. 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen : JOUE L 201, 27 juill. 2012, p. 107 et s.
  • 11.
    Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie.
  • 12.
    Règl. n° 2016/1104, cons. n° 17.
  • 13.
    L. n° 2009-526, 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures : JORF n° 0110, 13 mai 2009, p. 7920, texte n° 1.
  • 14.
    Règl. n° 2016/1104, cons. n° 19.
  • 15.
    Règl. n° 2016/1104, art. 1, § 2, sous b).
  • 16.
    Règl. n° 2016/1104, cons. n° 44.
  • 17.
    Panet A., « La loi applicable aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés », Dr. famille 2017, n° 5, dossier 33.
  • 18.
    Règl. n° 650/2012, 4 juill. 2012, dit règlement Successions, art. 21, § 1.
  • 19.
    Rép. min. n° 13480 : JO Sénat Q, 23 sept. 2010, p. 2509 ; RLDC 2010/11, n° 76, obs. Chauchat-Rozier G.
  • 20.
    Règl. n° 2016/1104, art. 28.
  • 21.
    Cass. req., 16 janv. 1861 : Ancel B et Lequette Y, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd., 2006, Dalloz, n° 5.
  • 22.
    EGBGB, art. 17-b-1.
  • 23.
    Les époux pourront choisir d’appliquer rétroactivement la loi nouvelle à leur situation patrimoniale sous réserve de respecter les droits des tiers.
  • 24.
    Règl. n° 2016/1104, art. 31.
  • 25.
    Droz G., Rép. internat. Dalloz, V° Régimes matrimoniaux, 1998, nos 144 et s. ; Revillard M., JCl. Droit international, Fasc. 556 et JCl. Notarial Répertoire, V° Contrat de mariage, Fasc. 20, nos 126 et s. ; Solution retenue par Gallé P., Defrénois 30 sept. 2009, n° 38989, p. 1662 et s. ; Cass. civ., 20 oct. 1987 : Rev. crit. DIP 1988, p. 540, note Lequette Y. ; JDI 1989, p. 446, note Huet A.
  • 26.
    En ce sens, Callé P, « Introduction en droit français d’une règle de conflit propre aux partenariats enregistrés », Defrénois 30 sept. 2009, n° 38989, p. 1662 et s. ; Devers A., « L’efficacité des partenariats enregistrés à l’étranger », JCP N 2012, étude 1266.
  • 27.
    Cass. civ., 19 oct. 1959, Pelassa : Rev. crit. DIP 1960, p. 215, Loussouarn Y. – Cass. civ., 30 oct. 1962, Scheffel : Rev. crit. DIP 1963, p. 387, Francescakis P.
  • 28.
    Règl. n° 2016/1104, cons. n° 29.
  • 29.
    Règl. n° 2016/1104, art. 3, § 2.
  • 30.
    Règl. (UE) n° 650/2012, 4 juill. 2012, art. 21 et 22.
  • 31.
    En ce sens, Barrrière-Brousse I., « Union européenne, Le patrimoine des couples internationaux dans l’espace judiciaire européen », JDI 2017, n° 2, doctr. 6.
  • 32.
    Comparez avec l’article 5, § 1, du règlement Successions, selon lequel « lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession en vertu de l’article 22 est la loi d’un État membre, les parties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet État membre ont compétence exclusive pour statuer sur toute succession ».
  • 33.
    Règl. (UE) n° 1215/2012 du PE et du Cons., 12 déc. 2012 ; concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale : JOUE L 351, 20 déc. 2012.
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