Affaire Fillon : « Un brûlot à charge, un roman, une enquête folle »

Publié le 12/03/2020

Au dernier jour du procès Fillon, les six avocats de la défense ont plaidé la relaxe durant sept heures. Antonin Lévy, l’avocat de François Fillon a dénoncé une enquête folle, et n’a vu dans l’ordonnance de renvoi qu’un « brûlot à charge ».  

Cette journée de plaidoirie a débuté mezza-voce avec la jeune associée de Pierre Cornut-Gentille, Pauline Lambouroud, en défense de Penelope Fillon. On lui avait confié l’exercice délicat de plaider la jurisprudence Kerviel en réponse à la demande d’indemnisation de l’Assemblée nationale. Celle-ci réclame en effet, à supposer que le tribunal reconnaisse la culpabilité des prévenus,  la somme de 1 081 000 euros, soit la totalité des salaires versés à Penelope Fillon, charges salariales et patronales comprises. 

La faute de l’assemblée nationale

Dans l’affaire Kerviel, rappelle l’avocate,  la cour d’appel de Versailles a ramené les dommages intérêts dus par le trader de 4,9 milliards d’euros à un million, soit 0,02% du montant du préjudice. Motif ? En ne surveillant pas son tracer, la banque avait concouru à la réalisation de son préjudice, ce qui réduisait d’autant son droit à indemnisation. Mais, souligne Me Lambouroud,  la Société Générale n’avait failli que sur une année, quand l’assemblée s’est abstenue de tout contrôle sur l’ensemble de la période de prévention. Par ailleurs, Jérôme Kerviel avait dissimulé ses actes, ce qui n’est pas le cas des époux Fillon dont la situation était parfaitement connue et transparente. Elle a donc  demandé au tribunal de « limiter intégralement le droit à réparation de l’assemblée nationale ».

Affaire Fillon : « Un brûlot à charge, un roman, une enquête folle »
Francois Fillon arrive au tribunal le 2 mars. (Photo : ©P. Cluzeau)

Les faits sont prescrits

C’est précisément, en raison de cette  même absence de dissimulation que Joris Monin de Flaugergues, collaborateur d’Antonin Levy, a plaidé ensuite la prescription. Pour le parquet, le détournement de fonds publics et l’ABS constituant des délits dissimulés, la prescription ne court qu’à compter de leur découverte, soit le 25 janvier 2017, jour de la parution de l’article du Canard Enchaine. Pas du tout rétorque l’avocat tout feu tout flamme, car il ne suffit pas que l’infraction soit dissimulée il faut encore démontrer l’existence de manoeuvres caractérisées de dissimulation. Or, en l’espèce, tout était parfaitement transparent et déclaré. A supposer même que l’on suive les procureurs sur le caractère dissimulé de l’infraction, en tout état de cause le parquet a été mis en état d’agir lors de la parution en 2007 de l’interview au Sunday Telegraph  tant reprochée à Penelope Fillon dans laquelle celle-ci minimise son rôle auprès de son mari. De deux choses l’une, plaide l’avocat, soit son travail est effectivement fictif et c’est ce jour-là que l’infraction est apparue, soit elle ne l’est pas, et la relaxe s’impose. 

Elle ne supporte plus son prénom, devenu synonyme de scandale

Avec Pierre Cornut-Gentillle débute la défense de fond. Pas de mouvement de manches ni de coup d’éclats. L’avocat, toute en retenue, avance méthodiquement dans sa démonstration. Ce qui ne l’empêche pas de nourrir une colère sourde à l’encontre du parquet. Depuis le début du procès, il gronde sur son banc à chaque fois que les procureurs font mine d’avoir pitié de Penelope Fillon. Alors quand vient son tour de plaider, ses premiers mots sont destinés à dénoncer  la « violence inouïe » faite à sa cliente par les accusations.  Puis, il fustige les poursuites sur des faits très anciens – la prévention débute en 1998, mais on est remonté jusqu’en 1981 – qui engendre  « l’écrasement de la chronologie » et « l’abus de représentativité d’un fait ». Ces deux idées sont issues d’un article paru en 1999 dans Le Monde dans lequel Jean-Noël Jeanneney dénonçait l’anachronisme, ce monstre du prétoire,  à l’occasion du procès du sang contaminé. Après avoir longuement illustré la réalité du travail de Penelope Fillon et ruiné l’accusation de complicité dans l’affaire de la Revue des Deux Mondes en soulignant qu’elle n’avait rien demandé, ni rien négocié, il a conclu sur l’état psychologique de sa cliente. « Elle ne souhaite pas que je m’étende trop longuement sur ce qu’elle a vécu depuis trois ans, elle ne sait pas se mettre en avant, mais ne souhaite pas non plus faire étalage de ses souffrances ». L’avocat explique qu’elle ne supporte plus son prénom, devenu source de scandale, qu’elle a le sentiment d’être devenue paranoïaque, qu’elle s’est « recroquevillée ». « C’est son identité sa personnalité qui est mise en cause, tonne l’avocat. A chaque fois qu’on lui pose une question c’est pour dénier sa compétence, ce n’est pas admissible. Comment se défendre de ne pas être une femme différente de celle que l’on est ? » et de conclure  sobrement : « en la relaxant, vous ne lui rendrez pas son honneur mais vous lui rendrez justice ». 

L’instruction pulvérisée

Changement de style au retour du déjeuner. C’est au tour d’Antonin Lévy de prendre la parole. L’épitoge herminée de sa robe signale le secrétaire de la conférence. L’avocat a visiblement décidé de pulvériser l’instruction et il le fait avec flamme. Le voici qui commence par s’attaquer aux fuites dans la presse qui ont caractérisé toute la procédure. La veille le parquet a soutenu en comparant les PV d’auditions de Pénélope Fillon et de François Fillon lors de l’enquête préliminaire avec l’article paru dans Le Monde le 6 février 2017 sous les plumes de Gérard Davet et Fabrice Lhomme que ceux-ci n’avaient pas eu les PV puisque qu’ils ne les reproduisaient pas fidèlement.

Affaire Fillon : « Un brûlot à charge, un roman, une enquête folle »
Photo : ©O. Dufour

Antonin Levy brandit le tableau comparatif qu’il a réalisé dans la nuit entre l’article et les PV : si, ils ont eu le PV, et ce ne sont pas quelques mots manquants qui prouvent le contraire, tant les similitudes sont nettement plus nombreuses. L’avocat se garde bien d’accuser le parquet d’être à l’origine de la fuite, seulement comme l’enquête préliminaire est une boite noire, il faut bien trouver une explication.

Contre les termes de l’ordonnance de renvoi, il n’a pas de mots assez durs : c’est « un brulot à charge »,  un « roman » . La veille, le parquet assénait que malgré 9 perquisitions, 42 réquisitions, 43 auditions, 15 transports, les juges n’avaient pas réussi à trouver de preuves du travail effectif de Penelope Fillon. Dénonçant une « enquête folle » Antonin Levy explique pourquoi on n’a rien trouvé : parce qu’on n’a pas cherché autre chose que des preuves du caractère fictif de son emploi. Lorsque l’avocat produit des mails ou des documents à titre d’exemple de ce que les enquêteurs pourraient trouver en retournant à l’assemblée nationale ou en saisissant des boites mails, ils y vont, saisissent, mettent sous scellés, mais l’instruction ne verse au dossier  que les éléments produits par l’avocat, sans exploiter davantage les saisies.

Entièrement à charge

Quand les enquêteurs se déplacent à la Mairie de Sablé-sur-Sarthe, ils examinent 78 boites à archives, en trois heures. Or, Antonin Levy a fait le calcul : sachant que chaque boite peut contenir selon le fabricant 1000 pages, cela signifie que les enquêteurs ont examiné 416 pages par minute, et même plus, si l’on tient compte du temps nécessaire pour faire les trous et passer la corde aux fins de constituer les scellés. La salle rit. Antonin Levy a compris que s’il voulait dénoncer une instruction à charge, il valait mieux la tourner en dérision en pointant ses dérapages que de crier à l’injustice. Et ça marche. On entend 44 personnes, certes, mais uniquement celles qui veulent dire que Penelope Fillon ne faisait rien. Par exemple, l’ordonnance de renvoi accorde une page entière au témoignage d’un ancien camarade de classe de François Fillon devenu membre des renseignements généraux qui affirme que la fiche aux RG de l’intéressé ne fait pas allusion à son épouse et que lui-même ne l’a jamais vue nulle part. Or, non seulement il viole le secret professionnel, mais en plus  il révèle l’indigence de son service. En réalité, la présidente elle-même a écarté ce témoignage lors des débats, estimant qu’il était contredit par plusieurs préfets.

Affaire Fillon : « Un brûlot à charge, un roman, une enquête folle »
François et Penelope Fillon arrivent au Tribunal

Le tailleur de chez Berluti en vedette

On entend aussi  l’adversaire historique de François Fillon à Sablé, un élu Front de gauche du conseil municipal qu’il a battu 9 fois. En revanche, la voisine d’en face qui atteste tous les dires de Penelope Fillon, ne sera jamais auditionnée. Pour économiser l’argent public, interroge l’avocat ? Pas du tout, elle est témoin lors d’une perquisition, il était très facile de recueillir son témoignage à ce moment-là. En revanche, le dossier contient un PV de onze pages. C’est celui du tailleur de la maison Berluti. On y apprend, ironise l’avocat, qu’un costume nécessite 80 heures de travail, que le mètre carré vaut entre 150 et 200 euros et qu’il en faut 4.  La salle rit encore. Puis elle écoute religieusement l’avocat rappeler tous les éléments qui démontrent le caractère effectif du travail de Penelope Fillon. Et elle rit de nouveau quand il aborde la séparation des pouvoirs. « Hier soir, j’ai viré de mon cabinet toutes les personnes qui ne partageaient pas mes opinions politiques, ça ne posera évidemment aucun problème en droit du travail ». Antonin Levy souligne ainsi la spécificité du contrat de collaborateur parlementaire dont le règlement de l’assemblée nationale précise qu’il s’appuie sur la confiance et suppose une communauté de vue politique. Ce qui lui permet d’affirmer contrairement à la position du parquet « qu’apprécier la valeur du travail de l’attachée parlementaire », et notamment l’utilité d’aller ou non au dîner des anciens, « ne relève pas de la compétence du juge judiciaire ».  

« J’ai souvent entendu dire que vous ne pourriez pas ne pas condamner car cela voudrait dire que l’élection a été confisquée au peuple français, a conclu l’avocat. Il n’y a aucune raison de vous faire cette injure, vous jugerez en droit et en fait et pour cette raison vous relaxerez ». Délibéré le 29 juin à 13h30. 

Olivia Dufour

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