Bruno Blanquer : « Dans un État de droit, le citoyen doit avoir un libre accès aux tribunaux »
Rendu public le 8 juillet dernier, le rapport Sauvé qui tire les conclusions des États généraux de la justice, fait l’objet depuis lundi de consultations à la Chancellerie. Les avocats seront reçus ce vendredi. Bruno Blanquer, président de la Conférence des bâtonniers, estime que des améliorations rapides pourraient être obtenues en supprimant les chausse-trappes procédurales qui éloignent le justiciable de son juge.
Actu-Juridique : La Cour de cassation a rendu le 8 juillet dernier un avis qui confirme que la déclaration d’appel peut être accompagnée d’une annexe même en l’absence d’empêchement technique et que c’est applicable aux instances en cours. En quoi est-ce une bonne nouvelle pour la profession ?
Bruno Blanquer : Il faut réduire au maximum les chausse-trappes procédurales en faisant prévaloir le droit à un procès. Cette décision va donc dans le bon sens. Le 13 janvier dernier, la Cour de cassation a validé une décision de cour d’appel qui avait considéré n’être saisie d’aucune demande dès lors que le chef du jugement critiqué ne figurait pas dans la déclaration d’appel mais en annexe. Face à l’émotion suscitée dans la profession, le gouvernement a pris un décret et un arrêté le 25 février 2022. Ce sont ces textes que la cour interprète dans un sens favorable à la simplification.
« La mission du juge consiste à trancher les litiges au fond, pas à vérifier le nombre de caractères des déclarations d’appel »
Nous espérons que d’autres améliorations vont suivre car le principe en matière de procédure civile est simple : une saisine doit donner lieu à une décision au fond. Or, jusqu’à aujourd’hui tout avait été fait tout pour compliquer la procédure afin d’éloigner le justiciable de son juge. Nous disposons de données objectives pour le démontrer. Par exemple l’augmentation spectaculaire du nombre de sinistres annuels en matière judiciaire. Nous sommes passés de 100 à 120 dossiers par an sur la période 2010/2011 à près de 700 en 2021, soit une multiplication par plus de 5 en dix ans. Cela signifie concrètement que des centaines de justiciables ont été privés de décision au fond pour une simple question de formalisme. Cette sinistralité folle est la conséquence directe des multiples réformes qui ont prétendu accélérer les délais de traitement. On parle souvent à juste titre de recentrer le juge sur sa mission, or sa mission consiste à trancher les litiges au fond pas à vérifier, par exemple, le nombre de caractères des déclarations d’appel pour savoir si elles doivent se trouver dans l’acte d’appel électronique ou si elles peuvent être dans un PDF annexé, ou encore que les parties ont bien conclu dans les trois mois et pas trois mois et un jour… La France a été condamnée le 9 juin dernier par la Cour européenne des droits de l’homme pour formalisme excessif, il faut que le juge national s’approprie cette jurisprudence pour écarter les textes actuels qui privent les justiciables de leur droit à un recours effectif.
Actu-Juridique : Vous serez reçus vendredi avec la bâtonnière de Paris Julie Couturier et le président du Conseil national des Barreaux Jérôme Gavaudan à la Chancellerie pour évoquer le rapport Sauvé. S’il n’était possible d’appliquer qu’une seule réforme, laquelle choisiriez-vous ?
BB : Supprimer toutes les chausse-trappes procédurales, autrement dit essentiellement les décrets Magendie, pour rendre notre droit conforme à la recommandation de la CEPEJ du 17 juin 2021 qui incite les états à « réduire les contraintes formelles au strict nécessaire et assurer un droit de régularisation des actes viciés en fixant aux parties un bref délai pour déposer un acte de procédure régularisé ou pour fournir les informations requises ou bien remplir les conditions manquantes ». Je pense qu’il faut également revenir sur le décret du 11 décembre 2019 qui a généralisé l’exécution provisoire.
« On peut procéder à des améliorations rapides en supprimant les décrets Magendie et l’exécution provisoire de droit »
Le rapport Sauvé constate que les décisions de première instance ne sont pas satisfaisantes, loin de là. Dans ces conditions, il n’est pas raisonnable de continuer de les assortir automatiquement de l’exécution provisoire. C’est tout à l’honneur de nos gouvernants d’avoir lancé ce chantier qui nous a permis de dresser cet état des lieux objectif de la situation très dégradée de l’institution judiciaire. Maintenant il faut en tirer les conséquences budgétaires et d’organisation, ce qui prendra du temps. Mais on peut aussi procéder à des améliorations rapides en supprimant les décrets Magendie et l’exécution provisoire de droit.
Actu-Juridique : Parmi les principales propositions du rapport Sauvé figurent l’augmentation des moyens et leur concentration sur un renforcement de la première instance. Qu’en pensez-vous ?
BB : Sur les moyens, il est évident que la première mesure à prendre est de renforcer les effectifs de magistrats, greffiers et personnels de greffe. Quant à la première instance, en tant qu’avocats, on ne peut qu’être favorables à son renforcement. Une chose toutefois m’a choquée dans ce chapitre : on nous dit qu’il faut cesser de considérer la première instance comme un « galop d’essai ». Si le propos s’adresse aux justiciables, parler de galop pour une procédure qui va durer une ou plusieurs années est étonnant. De plus, en 30 ans de métier, je n’ai jamais eu un seul client qui me dise, « Maître, on va s’échauffer en première instance et on plaidera sérieusement en appel ».
« Quoi qu’il fasse, le justiciable a toujours tort ! »
Chez le justiciable, le concept de galop d’essai n’existe pas. Si le propos s’adresse à la justice, on devrait plutôt dire qu’elle tente de résoudre le litige et que souvent elle déçoit pour les raisons évoquées plus haut de qualité, c’est pour cela qu’on fait appel. Et là, soit on fait valoir les mêmes arguments et on nous accuse de rejouer le match, soit la décision de première instance nous contraint, par ses manques, à revoir notre argumentation et on nous reproche de commencer à plaider sérieusement en appel. Quoi qu’il fasse, le justiciable a toujours tort ! En fait, ce qu’on lui reproche, c’est tout simplement de saisir la justice. Il faut sortir de cet état d’esprit. Dans un état de droit, le citoyen doit avoir un libre accès aux tribunaux, et si l’institution n’est pas en état de gérer, qu’on augmente son budget. La justice juridictionnelle ne coûte que 3,8 milliards d’euros chaque année, ce qui correspond seulement à 5 mois de ristournes de 18 cts sur le prix de l’essence…
Actu-Juridique : Le rapport Sauvé semble avoir compris la nécessité de garantir au justiciable l’accès à la justice puisqu’il déclare qu’il faut cesser de déjudiciariser…
BB : Justement, ce n’est pas si clair. Il faut réaffirmer que dans un état de droit, le justiciable est par définition le bienvenu devant la justice. Or, quand le rapport aborde le renforcement de la première instance, via notamment la restauration de la collégialité, ce qu’on ne peut qu’applaudir, il précise immédiatement que cela implique nécessairement de juger moins. À l’heure actuelle, les juges disent qu’ils n’ont le choix qu’entre juger vite et mal, ou juger bien dans des délais inacceptables. Il ne faudrait pas que le rapport Sauvé soit compris comme ouvrant une troisième alternative : pour juger bien, il faut juger moins.
« On n’imagine pas la médecine reprocher aux patients d’être malades ! »
On ne peut pas dire à un justiciable « je ne prends pas votre dossier pour mieux juger celui de votre voisin », c’est inacceptable. Il faudrait d’ailleurs un jour se pencher sur le lien de causalité entre les difficultés d’accès au juge aux affaires familiales et l’augmentation des violences familiales. On n’imagine pas la médecine reprocher aux patients d’être malades, la justice doit s’interdire de reprocher aux justiciables de venir lui soumettre leurs litiges ! Si l’on croit dans la capacité de la justice de pacifier la société, il faut au contraire se réjouir que les citoyens se tournent vers les tribunaux. A contrario, lorsque certains mouvements féministes incitent les femmes victimes de violences sexuelles à recourir aux médias en arguant que la justice est impuissante, les gens de justice, serviteurs de l’état de droit, doivent s’en alarmer.
Actu-Juridique : Le rapport ne touche pas vraiment à la carte judiciaire, autrement dit ne supprime pas de juridictions, mais pourrait modifier les ressorts, qu’en pensez-vous ?
BB : Tant mieux si on ne touche pas à la carte, mais je ne comprends pas pourquoi on prétend résoudre des problèmes administratifs touchant à la gestion pratique des juridictions en modifiant des ressorts judiciaires. Tel tribunal est rattaché à telle cour d’appel, c’est comme ça, on n’a pas à bouleverser la vie des justiciables et de milliers de professionnels judiciaires simplement parce qu’on ne se sent pas capable de faire bouger une ligne dans un budget d’une colonne à une autre, c’est incompréhensible.
Référence : AJU308724