Emmanuel Macron veut renforcer le régime disciplinaire des magistrats

Publié le 23/02/2021

Le président de la République vient de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’une demande d’avis sur la responsabilité des magistrats. S’appuyant sur le faible nombre de décisions disciplinaires rendues chaque année, il souhaite recevoir des propositions de réforme  sur ce sujet,  mais réclame également une réflexion sur la manière de mieux protéger les magistrats lorsqu’ils sont victimes de faits graves. 

Magistrat tenant sa toque
Photo : ©P. Cluzeau

Si cet épisode s’inscrivait dans une série télévisée à succès, on pourrait le titrer « un peu plus d’huile sur le feu ». Alors que les tensions entre l’institution judiciaire et le garde des sceaux ont atteint une dimension telle que les deux principaux syndicats de magistrats ont déposé plainte contre leur ministre, le Président de la République a décidé de mettre le sujet de la responsabilité sur la table. Certes, il a annoncé son intérêt pour cette question dès le début de son mandat. Sa saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur le sujet, par lettre du 17 février dernier,  n’est donc pas une surprise (Télécharger la Saisine CSM). Elle l’est si peu que le CSM travaille déjà sur la question depuis quelques temps, histoire de ne pas être pris de court.

La démarche présidentielle n’en suscite pas moins la vigilance des organisations syndicales. « La question devait s’inscrire théoriquement dans une réforme plus vaste du statut de la magistrature dont la perspective devient de plus en plus incertaine, regrette Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature. On n’entend plus parler de l’indépendance  de la justice, seulement de responsabilité, dans un contexte marqué par un respect très relatif du principe de séparation des pouvoirs par l’exécutif, peu propice à des débats sereins ». 

Dans sa lettre à  la présidente du CSM, Chantal Arens, le président de la République s’appuie sur les chiffres des derniers rapports annuels : en 2019, 5 saisines (siège et parquet), 6 décision et avis rendus, en 2020, 6 saisines (siège et parquet), 7 décisions et avis. Toutes moins une seule viennent du garde des sceaux. Une plainte de justiciable a débouché sur une procédure disciplinaire. En revanche, aucune chef de cour ou de juridiction n’a saisi le CSM alors qu’ils en ont le pouvoir. Il y a trois explications possibles  : soit les magistrats ne commettent pas de plus de fautes que ce qu’examine le CSM, soit les définitions de la faute sont à revoir, soit encore ce sont les autorités de saisines qui accomplissent mal leur mission.

Emmanuel Macron demande au CSM de lui donner son avis sur trois sujets.

Améliorer la saisine des justiciables

Le premier concerne l’amélioration de la procédure de saisine des justiciables. Mise en oeuvre par la loi organique du 22 juillet 2010 dans le prolongement de la réforme constitutionnelle de 2008, celle-ci ouvre aux citoyens le droit de saisir le CSM s’ils s’estiment victimes d’une faute disciplinaire de la part d’un magistrat. A l’époque, beaucoup craignaient que s’opère une confusion  entre recours à l’encontre d’une décision insatisfaisante et plainte disciplinaire. C’est effectivement ce qu’il s’est produit. D’où un très faible nombre chaque année de plaintes jugées recevables et un nombre encore plus faible de dossiers effectivement adressés aux formations disciplinaires. Ainsi, en 2019, sur les 324 plaintes enregistrées, seules 11 ont été déclarées recevables, parmi lesquelles 9 ont été rejetées.  Une seule plainte a été renvoyée devant la formation disciplinaire.

Le CSM s’interdit à l’heure actuelle de porter une appréciation sur l’acte juridictionnel d’un juge, estimant que celui-ci ne peut être apprécié que par un autre juge dans le cadre d’un recours juridictionnel. Emmanuel Macron lui demande d’envisager l’hypothèse où l’acte n’est juridictionnel qu’en apparence : décision rendue pour un autre motif que celui qui devait la fonder, erreur d’appréciation grossière, violation grave et délibérée de la procédure…  Il s’agit donc de « mieux appréhender l’insuffisance professionnelle du magistrat » et de rendre plus efficace le dispositif de plaintes. Le premier point inquiète les magistrats, dès lors que le Président de la République n’exclut pas de l’appliquer au champ de l’activité juridictionnelle.  Sur le second point en revanche, ils admettent que la procédure gagnerait à être améliorée. « A l’heure actuelle, la commission d’admission des requêtes ne dispose de quasiment aucun pouvoir d’investigation. Elle n’a donc le choix qu’entre le classement et l’arme lourde que constitue le renvoi devant l’instance disciplinaire. Il serait donc utile de faire évoluer cet aspect de la procédure » confirme Katia Dubreuil. Du côté des avocats, Me Olivier Morice qui a déposé plusieurs plaintes devant le CSM  confiait à Actu-Juridique au mois de janvier dernier les réformes qui lui paraissaient nécessaires : améliorer l’ information du plaignant sur les suites données à sa plainte, prévoir la possibilité qu’il soit entendu, créer un recours contre les décisions de la commission d’admission des requêtes. (Lire à ce sujet : « Il faut faire évoluer la procédure des plaintes devant le CSM »).

Redéfinir la faute disciplinaire pour sanctionner plus

Deuxième sujet de réflexion : la définition de la faute et l’échelle des peines disciplinaires. Soulignant que la justice occupe une place centrale dans la régulation sociale, le président s’inquiète de comportements souvent dénoncés dans les plaintes qui témoignent d’un manque de délicatesse et de dignité. De quoi nuire à l’image de la justice. D’où l’idée de ne plus s’en tenir à la sanction des comportements les plus graves, quitte à redéfinir la notion de faute disciplinaire.

Briser le tabou du harcèlement au sein de la magistrature

Enfin, et cela a des allures de geste de paix, Emmanuel Macron demande des propositions permettant de mieux protéger les magistrats contre les comportements de harcèlement au sein des juridictions ainsi que les attaques venant de l’extérieur. Ce-dernier point constitue un sujet de plus en plus préoccupant dans le fonctionnement des juridictions. Le manque de moyens induit en effet des comportements de harcèlement de la part de certains chefs de service ou de juridiction afin de tenir les cadences. Dans un document de février 2015 intitulé Souffrance au travail des magistrats, état des lieux, état d’alerte, l’Union syndicale des magistrats (USM) a rassemblé de nombreux témoignages de collègues au bord du burn out. On peut y lire la description de véritables phénomènes de harcèlement. Cet état de souffrance a été confirmé quatre ans plus tard par un sondage réalisé par le Syndicat de la magistrature d’où il ressort notamment que 32% des répondants s’estiment en situation de souffrance au travail.

Pour l’heure, confie-t-on chez les magistrats, les affaires de harcèlement sont systématiquement étouffées. La mise en place d’une procédure permettant de les traiter constituerait donc un progrès. « Le problème c’est que de nombreux dysfonctionnements, qu’il s’agisse des situations de harcèlement ou des actes déplacés visés par le président trouvent leur source dans l’épuisement de l’institution en raison du manque de moyens. On ne peut donc pas se limiter à traiter la question de la responsabilité sans examiner les autres évolutions nécessaires du fonctionnement de la justice. Nous défendons cependant l’idée de permettre aux magistrats de disposer, eux aussi, de moyens légaux pour réagir dès lors qu’il est porté atteinte à leur indépendance ou qu’ils sont victimes de comportements harcelants »  analyse la présidente du Syndicat de la magistrature. 

Le CSM a annoncé le 18 février une série de conférences accessibles à tous sur le thème Indépendance et responsabilité des magistrats. Le programme est consultable ici. Cette démarche témoigne d’une volonté largement répandue dans la magistrature de contribuer activement aux travaux pour ne surtout pas se voir accuser de corporatisme. De son côté l’Elysée a mis les formes tant dans le communiqué de presse que dans sa lettre au CSM pour éviter de susciter la crispation. Mais déjà un écueil se dessine : s’il advenait que le Président maintienne sa volonté d’entrer sur le terrain du contrôle du juridictionnel par le disciplinaire, cela constituerait un casus belli. A cela s’ajoute une incertitude de taille : l’Elysée ne fixe aucun délai au CSM pour rendre son avis.  Or, il ne reste plus beaucoup de temps pour mener une éventuelle réforme. On ne voit pas non plus en l’état quel texte pourrait la porter…

 

Pour aller plus loin : Parfois les procédures de saisine par les justiciables aboutissent, mais se terminent par une mise hors de cause. Le cas du juge Cornu est à cet égard exemplaire. Lire ici notre présentation de cette sulfureuse affaire Corse. A la suite d’une première condamnation, François-Marie Cornu a été définitivement blanchi le 16 décembre dernier.