Les procureurs généraux réclament la suspension de la réforme de la police nationale

Publié le 11/10/2022

Jamais sans doute un projet de réforme n’avait à ce point suscité un rejet unanime du monde judiciaire. Même les très discrets procureurs généraux ont décidé d’exprimer publiquement leur position à l’égard du projet de réorganisation de la police nationale à l’occasion d’une conférence de presse organisée ce mardi. 

Les procureurs généraux réclament la suspension de la réforme de la police nationale
Photo : ©Gérard Bottino/AdobeStock

« On n’est pas des pétroleuses, confie à la sortie l’un des participants à la conférence générale des procureurs généraux, si on s’exprime publiquement, c’est que les enjeux sont vraiment importants ». Et en effet, les procureurs généraux n’ont guère l’habitude de prendre la parole dans les médias. C’est pourtant ce qu’ils ont décidé de faire ce mardi soir, à l’issue de la réunion de leur Conférence à Paris.

Des assurances au plus haut niveau…

L’objet de leur inquiétude ? La réforme de la police judiciaire envisagée par le gouvernement. Le projet consiste à réunir police administrative et police judiciaire, à l’échelon départemental, sous l’autorité du préfet. Et donc à soustraire la police judiciaire à l’autorité et au contrôle des procureurs généraux. À l’occasion de leur réunion à Paris les 10 et 11 octobre, les procureurs généraux ont reçu des assurances, tant du garde des Sceaux que du directeur de la police. Eric Dupond-Moretti s’est dit attentif à ce que la police judiciaire demeure sous l’autorité de la justice et que soit maintenu le libre choix par le juge des équipes avec lesquelles il travaille. L’échelon supra départemental devrait aussi être conservé. Quant à Frédéric Veaux, Directeur Général de la Police Nationale (DGPN), il les a assurés que les réflexions étaient menées en concertation avec le ministère de la Justice.

…qui ne dissipent pas les craintes

Seulement voilà, les enjeux sont tels que les procureurs généraux attendent des garanties écrites. D’ici là, ils réclament la suspension du projet de réforme de la police nationale en avançant deux critiques de fond.

D’abord la question de principe. Pour la Conférence en effet, ce projet constitue une  « remise en cause de la place accordée à l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle dans un état de droit ». Ensuite, l’enjeu pratique. Il s’agit ni plus ni moins de préserver une police très spécialisée et compétente pour continuer à lutter efficacement contre la grande délinquance. Or,  les remontées d’expérience menées dans les départements où  la réforme est testée (Pas-de-Calais, Pyrénées-Orientales et Savoie à l’origine avec une extension incluant Calvados, Hérault, Oise, Puy-de-Dôme et Haut-Rhin) sont négatives. Comme ils le craignaient, il est arrivé que l’on confie à cette police ultra-spécialisée des missions d’ordre public. Mais leur grande inquiétude relève surtout du principe des vases communicants. La police administrative manque de moyens et d’effectifs, de sorte qu’inéluctablement la réunion des deux polices sous une autorité commune aura un impact sur l’allocation des ressources. En clair, on va déshabiller la police judiciaire pour habiller une police administrative en difficulté. Et donc en quelque sorte casser un corps d’élite, le dissoudre dans une fonction de police indifférenciée et perdre l’expertise professionnelle et les moyens nécessaires à la lutte contre la grande criminalité.

La réforme figure en annexe du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieurl dont l’examen a commencé début octobre au Sénat. Les différentes études et inspections en cours sur le sujet particulier de l’organisation de la police nationale donnent à penser que rien ne sera prêt à être formalisé dans un texte avant 2023. Mais cela ne veut pas dire qu’au détour d’un article du projet de loi, il n’est pas possible d’adopter une disposition qui validerait la réforme, renvoyant ensuite à des dispositions réglementaires ultérieures l’organisation effective de sa mise en place. L’examen du projet sera donc être suivi avec attention.

 

Pour tout savoir du projet de réforme, consulter notre dossier ici.

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