Procès des attentats du 13 novembre : « La justice est à la hauteur ! » confie le président de 13Onze15

Publié le 02/05/2022

Alors que le procès des attentats du 13 novembre entre dans sa phase finale, nous avons rencontré Philippe Duperron, président de l’association de victimes 13Onze15 Fraternité-Vérité. Il perdu un fils, Thomas, 30 ans, au Bataclan. Pour lui, la justice est à la hauteur du caractère exceptionnel des événements qu’elle a à juger et ce procès constitue, pour les victimes, une étape importante sur le chemin de la résilience. 

Procès des attentats du 13 novembre : "La justice est à la hauteur ! " confie le président de 13Onze15
Entrée du palais de justice de Paris rue de Harlay (Photo : ©O.Dufour)

Actu-Juridique : Alors que le procès entre dans son neuvième mois et touche à sa fin, quel regard portez-vous sur son organisation et notamment la place que la justice a réservée aux victimes ?

Philippe Duperron : En ce qui concerne l’intendance, tout est parfait. Les deux associations de victimes ont été associées très en amont à l’organisation. Par exemple sur le choix du lieu. Le nombre de personnes, 1800 parties civiles constituées, entre 300 et 400 avocats et autant de journalistes, pouvait orienter vers une salle de type Palais des Congrès. Mais nous avons unanimement réclamé de la solennité, et très vite l’idée du palais de justice historique s’est imposée : pour sa solennité, son histoire, et parce qu’il est situé au cœur de Paris, ce qui crée un lien fort entre l’événement et le lieu. On nous a aussi associé à la construction de la salle, puis aux questions de diffusion des débats. Au départ, il était envisagé de créer une web TV et puis très vite nous avons compris en discutant avec le président de la Cour d’appel de Paris, Jean-Michel Hayat, et la procureure générale, Catherine Champrenault, que la diffusion d’images faisait courir des risques importants notamment de récupération et de détournement, de sorte que la web radio nous est apparue comme un compromis satisfaisant. Depuis le début du procès, un magistrat assure la liaison en permanence avec nous. Autre point non négligeable, les frais des victimes sont pris en charge afin que toutes celles qui veulent venir même de loin le puissent. Il est prévu une indemnité de comparution pour chaque jour d’audience, ainsi que la prise en charge des frais de transport et d’hébergement sur justificatifs.  Le remboursement intervient non pas en fin de procès, compte-tenu de sa longueur, mais au fil du déroulé des débats. Cela n’a pas très bien fonctionné au départ, mais nous sommes intervenus et ça va mieux.

Actu-Juridique : La création d’une web radio est l’une des grandes innovations de ce procès hors normes. Certains craignaient de laisser des victimes seules face à des moments d’audience douloureux. Ces craintes se sont-elles réalisées ?

Ph. D : Le bilan est très largement positif. Avec un bémol cependant lié au fait que la diffusion était impossible hors de l’hexagone, ni à l’étranger, ni dans les DOM-TOM, pour des raisons de sécurité, semble-t-il. Mais cette difficulté est en voie de traitement et devrait être réglée pour le procès de Nice. Mis à part ce problème, la web radio a permis à chacun de suivre les débats, qu’il s’agisse des actifs dans l’impossibilité de mettre leur vie entre parenthèses pendant plusieurs mois ou des victimes qui ne souhaitaient pas être présentes dans la salle d’audience. Il est vrai qu’il y a un risque de se trouver confronté à des situations éprouvantes justifiant un soutien, sans le secours que l’on pourrait trouver auprès d’autres personnes dans la salle d’audience, mais précisément un dispositif est prévu qui permet d’avoir l’assistance d’un psychologue par téléphone. Il n’y a pas de doute sur le fait qu’on va dans le bon sens. Ici c’est très pertinent au vu de ce procès et cela fait l’unanimité.

Actu-Juridique : Estimez-vous à ce stade que le procès répond à vos attentes ?

Ph. D. : Les attentes des victimes sont très diverses. Je ne puis sur ce sujet que m’exprimer en mon nom propre. J’attendais que le procès ait lieu parce qu’il représente pour moi une étape importante du processus de résilience. Sa tenue en soi est déjà la réponse à une attente. Ensuite, les débats donnent la parole aux accusés. On espère nécessairement que l’accusé va reconnaitre sa culpabilité à l’audience, mais au fond il n’y a pas de raison pour que ce soit le cas, et ce n’est d’ailleurs pas ce qui se produit. On est toujours tenté aussi d’obtenir des éclaircissements. Mais l’instruction a été longue et minutieuse et par conséquent tout ce qu’on pouvait attendre des accusés semble avoir été dit, excepté s’agissant de Salah Abdeslam qui a choisi de se taire durant six ans. J’étais à Bruxelles en 2018 lorsqu’il a été jugé pour tentative d’assassinat contre des policiers lors de son arrestation. Il s’est simplement plaint de ses conditions de détention puis il s’est tu de sorte que le procès a été écourté.

Actu-Juridique : Finalement, Salah Abdeslam qui était demeuré silencieux tout au long de l’instruction  a choisi de parler au procès, que vous inspirent ses déclarations ?

Ph. D. : Salah Abdeslam est un personnage complexe. On constate au fil des débats qu’il est manipulateur, il distribue la parole, choisit à qui il répond, se laisse séduire par un avocat, parle, puis se tait…  On ressent aussi son besoin de s’exposer et de tout ramener à lui, dans une forme de starification dont nous sommes tous complices. Nous les victimes qui affluons dans la salle avec l’espoir qu’il parle, les médias aussi, même si bien sûr ils sont dans leur rôle d’information. Mais le résultat, c’est que nous contribuons à faire  « monter la mayonnaise ». Lors de son dernier interrogatoire, deux moments importants m’ont marqué. Mercredi 20 avril au terme de l’audience, le président a proposé de suspendre les débats car il était tard, Salah Abdeslam a saisi l’occasion de plaisanter « aujourd’hui je parle, mais qui sait si je le ferai demain ? ». Le lendemain, il récidive en lançant à la Cour, le sourire aux lèvres, « vous voyez, je ne cesse de surprendre ».

Actu-Juridique : Sur le fond, il a livré une nouvelle version de la soirée, il aurait renoncé par « humanité » à faire sauter sa ceinture dans un bar du 18e arrondissement, puis rejoint Montrouge en taxi avant de jeter la ceinture désamorcée….

Ph. D : Cette version intervient à la fin des interrogatoires, quand tous les autres accusé ont livré leur propre récit. Comme l’a fait remarquer un avocat général : c’est facile de s’exprimer maintenant, quand tout a été dit et qu’il devient possible d’adapter sa version. Le fait qu’il ait été missionné pour un acte de kamikaze dans un bar du 18e arrondissement colle avec le communiqué de revendication qui évoque précisément un tel lieu, mais c’est assez improbable qu’on l’envoie seul dans un bar dont d’ailleurs il a oublié le nom, alors que les autres étaient en commando. A la lumière de ce qui a été dit, je pense qu’il a renoncé non pas pour épargner des vies, comme il l’a prétendu à l’audience, mais pour sauver sa propre vie. De la même façon, prendre un taxi et lui dire de rouler vers le sud alors qu’il veut repartir en Belgique n’est pas cohérent. En revanche, quand il raconte qu’ils sont arrivés en retard au Stade de France, je le crois car cette fois cela explique pourquoi les terroristes n’avaient pas de billets. Je comprends de son récit que leur projet était en réalité de se faire sauter dans les files d’attentes.  Finalement, quand ils sont arrivés, tous les spectateurs étaient déjà entrés, ils ont alors tenté de pénétrer dans le stade en vain et se sont fait sauter dans les conditions que l’on sait.

Actu-Juridique : Il y a même eu un moment où il a pleuré…

Ph. D. : Je n’ai pas de doute sur la sincérité de ses larmes, mais elles sont intervenues lorsqu’il parlait de sa mère, j’ai le sentiment qu’elles sont pour lui, pas pour les victimes. La veille, il a demandé à revoir sa famille, une des victimes a crié dans la salle « Jamais ! ». Je ne sais pas s’il se rend compte que ses propos sont parfois pertinents mais inaudibles pour les victimes. Quand il cite l’adîth qui incite à détester modérément ses ennemis car ils pourraient devenir des amis, ou encore lorsqu’il dit aux victimes qu’il admire la force qu’elles ont su trouver et que c’est lui désormais le faible, tout ceci est porteur de sens, parfois juste, mais insupportable.  Quant au pardon qu’il réclame, une fois de plus en ramenant tout à lui, on peut imaginer lui pardonner pour se libérer, mais cela signifie aussi le libérer lui de sa faute. Qui en est capable ? Qui en a seulement envie ? Le fait qu’il parle soulève une autre difficulté, celle de la sincérité. Faut-il le croire ? C’est ce qui explique d’ailleurs le choix d’un autre accusé de se taire. Il justifie son silence en expliquant que quoiqu’il dise dans ce prétoire, on le soupçonnera toujours de mensonge. La grande question de ce procès, c’est comment des êtres humains peuvent faire ça à d’autres êtres humains ? Au fil des débats, on commence à comprendre qui ils sont.

Actu-Juridique : De nouvelles personnes veulent témoigner et seront entendues d’ici quelques jours, pourquoi ? Est-ce le signe que la justice est parvenue à inspirer confiance aux victimes ?

Ph. D. : La justice est à la hauteur. Certains ont émis des critiques, notamment sur le séquençage du procès, je pense personnellement que c’était une tâche impossible d’organiser ces débats, pourtant cela a été fait.  Quant aux témoignages tardifs, le procès qui intervient six ans après les faits constitue l’une des dernières phases du long parcours de résilience, il a ravivé le souvenir de ce qu’il s’était passé et déclenché chez certains la prise de conscience que c’était la dernière occasion de s’exprimer, d’où des constitutions de PC tardives. C’est le cas d’un de mes fils, Nicolas, qui a demandé en effet à témoigner pour parler de son frère, de sa relation avec lui et de sa douleur. Mon autre fils, David, ne le souhaite pas, il est plus dans la colère contre les pouvoirs publics qui n’ont pas pu empêcher cela. Comme vous le voyez, chaque victime réagit différemment, y compris au sein d’une même fratrie…

Actu-Juridique : L’effet de catharsis du procès est sujet à débat dans le monde judiciaire. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Ph. D. : Pour moi il n’y a pas de doute, c’est une catharsis. Les témoignages entendus à la barre vont majoritairement en ce sens, il n’y a pas eu de haine ni de violence, un peu de colère, c’est vrai, mais surtout beaucoup de moments solaires, d’émotion et d’amour. Tant chez les parents qui pleuraient leurs enfants, que chez ceux qui avaient survécu et décrivaient la violence, les corps enjambés, les mares de sang…

Actu-Juridique : Il y a eu des moments très violents dans ce procès, les vidéos de Daech, le récit des attentats…Plusieurs fois s’est posée la question de ce qu’il fallait montrer. Quelle est votre position à ce sujet ?

Ph. D. :  Lorsqu’on a demandé à montrer les images à l’audience, j’ai été de ceux qui voyaient un risque à les montrer et par ailleurs je pensais que le témoignage des victimes était bien plus expressif que les photos. Puis s’est posée la question de la communication aux victimes et de la diffusion à l’audience des bandes-son. Là encore, je n’ai pas vu l’intérêt, la cour d’assises est composée de magistrats professionnels qui ont tous accès au dossier et connaissent ces pièces, ils ont donc une vision complète des faits à juger, ce qui ne serait pas le cas avec des jurés.  Je ne vois donc pas l’intérêt d’une diffusion à l’audience. En revanche, que l’on mette ces pièces à disposition des victimes qui souhaitent les entendre, cela me parait une bonne chose. Le risque en effet, c’est que toutes les victimes n’ont pas constitué avocat. Là comme pour les images, certains craignent des fuites qui pourraient donner lieu à des récupérations malveillantes. Ce que l’on peut comprendre.

Actu-Juridique : « La beauté sauvera le monde », écrivait Dostoïevski. On a vu en effet beaucoup de lumière du côté des victimes dans ce procès, comment l’expliquez-vous ?

Ph. D. : Parce que c’est la seule réponse possible à la barbarie : la culture et la vie. Les centaines de témoins qui se sont succédé à la barre ont presque tous délivré ce message. C’est à la culture que les terroristes se sont attaqués. C’est pourquoi nous affirmons en réponse que nous continuerons à jouer et écouter de la musique, boire des verres avec des gens qu’on aime en terrasse. Nous resterons debout, nous ne leur donnerons pas raison.  La culture se confond avec la vie. Nous continuerons d’organiser des expositions, des concerts contre l’aculture des talibans, contre la charia. C’est une vision du monde qui s’oppose à celle que l’on veut nous imposer, la joie de vivre, la légèreté, la poésie…

Actu-Juridique : Précisément, pour commémorer le cinquième anniversaire des attentats en 2020, votre association a choisi d’organiser une exposition photo…

Ph. D. : L’idée consistait à organiser un événement artistique. Nous avons opté pour la photographie et demandé aux photographes de renom qui étaient présents à Paris ce jour-là de choisir une photo prise le 13 novembre et une autre puisée dans leur œuvre que l’on a appelée la « photo du lendemain » en les invitant à lier les deux. L’exposition continue de tourner en France mais nous avons également édité un livre d’art pour laisser une trace qui fasse mémoire (1).

 

(1) Paris, le 13 novembre 2015. Du jour au lendemain, la réponse de 42 artistes. Prix de vente 25 euros. Contact : 13Onze15.