Loi de sécurité globale : « Nous ne voulons pas être enfermés à ciel ouvert ! »
Jeudi 20 mai, place Colette au Palais-Royal, plusieurs délégations régionales attendaient de pied ferme la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de sécurité globale. Depuis des mois, ces groupes d’irréductibles rassemblant syndicalistes, associations et simples citoyens n’ont cessé de manifester dans plusieurs régions de France contre ce texte. Sophie Mazas, avocate au barreau de Montpellier et présidente de la Ligue des droits de l’homme de l’Hérault, livre son analyse sur la décision du Conseil constitutionnel.
Actu-Juridique : Le Conseil constitutionnel a censuré de nombreuses dispositions de la loi de sécurité globale. C’est une victoire pour les opposants au texte ?
Sophie Mazas : Nous gagnons sur plusieurs points en effet, mais ce n’est pas vraiment une surprise car le Conseil a simplement appliqué sa jurisprudence. S’agissant par exemple de l’article 24 sur l’interdiction de filmer les policiers, la censure était prévisible. A Montpellier, la relaxe a été obtenue, devant la Cour d’Appel, car une vidéo d’interpellation montrait que les prétendues violences du manifestant n’existaient pas. Une telle relaxe a également été prononcée en première instance dans le cadre des poursuites à l’encontre d’un membre d’un Observatoire de pratiques policières. La mobilisation en France et les positions adoptées par des institutions internationales, dont les experts de l’ONU, ont permis que la liberté de la presse et plus largement la liberté d’informer soient sauvegardées.
Il en va de même pour la surveillance par les drones qui posait le problème de la proportionnalité de la mesure, ainsi que de l’insuffisance d’encadrement et de garanties, y compris pour les drones de secours. Le Conseil Constitutionnel explique les limites à poser. Or, sur ce point nous suivrons les tentatives à venir du gouvernement car nous ne voulons pas être enfermés à ciel ouvert. Le Conseil Constitutionnel rappelle aussi que les polices municipales doivent être sous le contrôle de l’autorité judiciaire (au visa de l ‘article 66 de la Constitution). Ce point n’était pas gagné d’avance et nous voyons là que la matière constitutionnelle est vivante. Le Conseil a également censuré les cavaliers législatifs, en cela il est également fidèle à sa jurisprudence. L’alourdissement des sanctions concernant les squats n’avait rien à faire dans un texte sur la coordination des polices nationale et municipale. Enfin, le fait de filmer sans réserve les retenus et détenus a aussi été sanctionné. Il était évident que c’était disproportionné de filmer des gens enfermés 24h/24 dans 9m2.
Actu-Juridique : Parmi les nombreuses dispositions du texte que vous critiquiez, certaines sont-elles maintenues qui vous paraissent discutables ?
SM : Oui, l’extension des pouvoirs confiés aux sociétés privées de sécurité n’a été censurée qu’à la marge. Les agents de sécurité privée pourront effectuer des missions de surveillance sur la voie publique. Ils pourront également, sans agrément spécifique, effectuer des palpations de sécurité.
Il faut rappeler qu’il s’agit d’une privatisation d’une capacité de coercition et que, jusqu’à présent, seul l’Etat était détenteur de la violence légitime, selon l’expression de Max Weber. Désormais, il suffira de payer pour acquérir une portion de ce qui était une mission régalienne de l’Etat.
Actu-Juridique : Le barreau de Montpellier et la Conférence des bâtonniers dans leurs contributions respectives ont avancé un argument de fond sur la violation de la séparation des pouvoirs qui, en revanche, n’a pas été retenu…
SM : Il n’a pas été examiné par le Conseil, qui a préféré détourner le regard. En effet, la proposition de loi à l’origine du texte est issue d’une mission temporaire, de l’article LO 144 du code électoral, confiée aux députés Fauvergue et Thourot en 2018 sur l’articulation entre police nationale, police municipale et sociétés de sécurité privée. Le gouvernement a encadré cette mission, fixé des directives et orienté les recherches. Il en est résulté un rapport contenant 78 propositions qui forment le corps de la proposition de loi. Or le Conseil Constitutionnel a précédemment jugé que ces missions temporaires ne constituaient pas un travail parlementaire (déc. n° 89-262 DC du 7 novembre 1989, Rec. p. 90), contrairement à ce qui était indiqué dans les motifs de la proposition de loi. Ce texte aurait du suivre la voie d’un projet de loi, avec étude d’impact et avis du Conseil d’Etat, dont l’absence à pâti au texte, selon les termes mêmes des rapporteurs au Sénat, et non celle d’une proposition de loi.
Notons que le député Fauvergue a créé une société dédiée à la formation et au conseil des sociétés de sécurité privée, l’article 17 de la proposition de loi initiale imposant de nouvelles obligations de formation à ces sociétés. Cela ressemble à un conflit d’intérêts. Par ailleurs, les propositions et amendements de parlementaires sont irrecevables s’ils engendrent un alourdissement de charges de l’Etat. Or, la proposition relative aux drones peut être évaluée à 52 millions d’euros de coûts d’équipement pour le ministère de l’intérieur. Enfin, l’article 24 a été inscrit en sollicitant les députés afin qu’il sortent de l’ordre du jour le texte et le redépose une semaine après, en dehors de la procédure prévue par la Constitution …. Or la procédure d’élaboration de la loi, prévue par la Constitution n’est pas facultative.
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas saisi de ces questions. Il a donc en pratique refusé de garantir le respect du principe de séparation des pouvoirs. Lorsqu’une disposition législative passe à travers le contrôle de constitutionnalité lors de son adoption, on peut espérer ultérieurement qu’un cas concret permettra, au travers d’une QPC, de corriger la situation. Mais concernant l’élaboration de la loi, nous sommes bloqués, aucune QPC ne permettra de revenir sur ce sujet. Donc la question qui se pose est de savoir quelle juridiction désormais permettra d’assurer le respect de la séparation des pouvoirs puisque les juges de la rue de Montpensier refusent d’effectuer ce contrôle.
Référence : AJU219459