Cette semaine chez les Surligneurs : « De la triche, l’article 49.3 ? »

Publié le 21/10/2022

La députée LFI-NUPES Raquel Garrido estime que le recours à l’article 49.3 relève de la « triche ». Les décodeurs vous expliquent pourquoi elle se trompe. Cette semaine, les spécialistes du legal checking nous éclairent également sur le statut juridique du  tableau ivoirien de Claude Guéant, la meilleure répartition des étrangers en France voulue par E. Macron, ou encore la possibilité de choisir les personnes susceptibles d’assister à une audience à huis clos. 

Cette semaine chez les Surligneurs : "De la triche, l'article 49.3 ?"

Pour Raquel Garrido, “l’article 49.3 est une triche, une agression anti-démocratique” 

Selon la députée LFI-NUPES Raquel Garrido, l’usage de l’article 49 al. 3 de la Constitution est une “triche” et constitue une “agression anti-démocratique”. Ce n’est pas le gouvernement qu’elle critique dans ce cas, mais la Constitution elle-même.

C’est bien la Constitution qui donne la possibilité au gouvernement de s’affranchir des débats parlementaires. Cette pratique n’est donc pas contraire aux règles du jeu législatif. En contrepartie, les députés peuvent voter une motion de censure (article 49 al.2) qui, si elle est votée, entraîne la démission du gouvernement. Qualifier l’article 49 al. 3 d’antidémocratique revient à en faire autant de la Constitution. Raquel Garrido a le droit de le penser. Une chose est certaine : la Constitution de 1958 a été rédigée pour créer une prépondérance de l’exécutif (parlementarisme rationalisé).

Mais en l’état actuel il n’y a pas de “triche”, quand bien même, comme a tenu à le souligner Raquel Garrido, les amendements qui ont été votés avant le déclenchement de l’article 49 al. 3 n’auraient pas été conservés. La procédure du 49.3 aurait pu être engagée sur la base du texte tel qu’il avait été amendé par les députés, et pas sur la seule base du projet de loi initial. L’article 49.3 n’interdisait ni ne prescrivait aucune des deux solutions. Pas de « triche » là non plus juridiquement.

Il reste donc à Raquel Garrido la possibilité de proposer une modification de la Constitution dans le sens d’une abrogation de l’article 49 al. 3. Cette proposition devra être votée par les deux chambres du Parlement, puis faire l’objet d’un référendum pour être approuvée, sauf à réunir le Parlement en Congrès. À noter toutefois que le président de la République peut bloquer la procédure car c’est lui qui convoque le corps électoral ou le Congrès. « Triche » aussi ? La réponse n’est pas juridique.

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Le Conseil de l’Europe veut interdire de dire à ses enfants de filer dans leur chambre

 C’est sur la base d’un simple dépliant du Conseil de l’Europe, qu’une députée européenne a tweeté une belle contre-vérité juridique.Annika Bruna, (RN) a en effet déclaré que “Le Conseil de l’Europe s’apprête à interdire aux parents de dire à leurs enfants “file dans ta chambre” », ce qu’elle qualifie  « d’intrusion dans l’éducation des enfants ».

Une vague de protestation a immédiatement envahi certains médias à l’égard du Conseil de l’Europe, probablement confondu une fois de plus avec l’Union européenne. Cette organisation européenne ne peut rien interdire : elle ne produit pas de normes contraignantes.

C’est sur la base d’une simple brochure du Conseil de l’Europe sur le concept d’éducation positive, datant de 2008, que l’indignation est née. Les erreurs d’interprétation des positions du Conseil de l’Europe sont récurrentes, surtout lorsqu’elles concernent les enfants. En 2015, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe avait estimé que la France ne respectait pas ses engagements liés à la Charte sociale européenne, en n’interdisant pas la fessée. Une fois encore, la rumeur avait circulé, attribuant cette interdiction à l’Union européenne.

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Affaire Omar Raddad : éclairage sur la procédure de révision pénale

En 1994, l’ancien jardinier marocain Omar Raddad fut condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Ghislaine Marchal, sur la base notamment de l’inscription « Omar m’a tuer” avec le sang de la victime dans l’une des pièces de la maison.

En 1996, il obtint une grâce présidentielle partielle et fut libéré après sept ans d’incarcération. Il déposa, en 2002, une requête en révision qui fut rejetée. Une seconde demande s’appuyant sur la présence d’une empreinte génétique masculine inconnue à trente reprises dans le tracé des lettres au sang, vient d’être rejetée par la commission d’instruction.

La révision peut être demandée à l’encontre d’une décision de condamnation devenue définitive. Les conditions de recevabilité sont strictes : un fait nouveau, ou la révélation d’un élément inconnu à la date du jugement, doivent être de nature à établir l’innocence du condamné ou au moins à faire naître un doute sur sa culpabilité. Malgré une loi de 2014 simplifiant la procédure, l’annulation de condamnations reste encore exceptionnelle.

Or la grâce n’a pas le même effet : prévue par le Code pénal, elle dispense le condamné de l’exécution de sa peine, mais elle ne remet pas en cause la décision de culpabilité.

Il reste alors la procédure de réexamen prévue par le Code de procédure pénale devant la Cour de révision et de réexamen. Mais il faut d’abord que la Cour européenne des droits de l’Homme juge que la condamnation d’Omar Raddad a été prononcée en violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

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Claude Guéant et le tableau ivoirien qui lui a été offert lorsqu’il était ministre : selon lui, la valeur de ce tableau ne justifiait pas de le verser au patrimoine national 

L’émission Complément d’Enquête du 6 octobre dernier, consacrée aux disparitions suspectes d’objets du patrimoine de l’État, a déterré une affaire datant de novembre 2011 : Claude Guéant, à l’époque ministre de l’Intérieur, alors en voyage officiel en Côte d’Ivoire reçut une toile de l’artiste James Houra, qui fut vue chez lui deux ans après qu’il avait quitté ses fonctions. Presque dix ans plus tard, Claude Guéant réitère sa défense : “En tout état de cause, sa valeur ne justifie certainement pas qu’il soit revenu aux collections nationales”.

Or il n’existe aucun texte clair réglant le sort des cadeaux protocolaires. François Fillon, alors Premier ministre, avait émis une circulaire relative à la “gestion des cadeaux offerts aux membres du gouvernement ou à leur conjoint” : à la réception du cadeau, le ministre concerné doit faire recenser celui-ci au Mobilier National, établissement qui en assure le recensement, la conservation et la restauration au besoin. Il a ensuite le choix entre le remettre au Mobilier national pour conservation ou en disposer jusqu’à la fin de ses fonctions gouvernementales. Mais encore faut-il que le cadeau présente “un intérêt artistique, culturel, scientifique ou historique”, ce qui était à l’évidence le cas du tableau en question. Sinon d’ailleurs, pourquoi Claude Guéant l’aurait-il gardé ? Vient ensuite un autre critère, celui de la valeur du cadeau, mais la circulaire Fillon ne fournit aucun barème. De plus, cette circulaire, bien qu’impérative, ne comportait pas de sanction, autre que celle qu’un Premier ministre peut infliger à ses ministres : les recadrer ou les démettre.

François Hollande fit rédiger, en 2012, une charte de déontologie, avec le chiffre de 150 euros comme seuil de déclaration. Il imitait ainsi les usages relevés à l’étranger, comme aux États-Unis (415 dollars américains) ou au Canada (1 000 dollars canadiens). Emmanuel Macron ne l’évoque pas dans son engagement sur l’honneur d’intégrité et de moralité de mai 2017, et la circulaire Philippe de 2017 prévoit que “les cadeaux doivent être remis au service du Mobilier national”.

Quant au risque pénal, il est néant. La qualification pénale de vol ne saurait s’appliquer ici.

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Jean Philippe Deniau (association de la presse judiciaire) : le ‘’huis clos (…) doit concerner tous les journalistes présents ou aucun d’entre eux’’.

L’admission d’un seul journaliste à l’audience lors d’un procès pour des faits de viol, choisi par la victime partie civile, est certes une entrave à l’exercice de la profession de journaliste, mais c’est surtout la simple application des règles relatives au huis clos, et un droit des victimes.

Le 3 octobre 2022, le procès de Christophe Karcher s’ouvrait devant la cour d’assises du Bas-Rhin pour des crimes de viols à l’encontre de jeunes filles mineures. Les parties civiles demandèrent le prononcé du huis clos, n’acceptant toutefois qu’un seul journaliste à l’audience, et le désignant nommément. Cela a entraîné de vives protestations de la part des autres journalistes exclus de l’audience, dont celle de Jean Philippe Deniau, président de l’association de la presse judiciaire.

Or, s’il est vrai que la publicité des audiences est un principe fondamental, garant d’une justice transparente et conforté par l’article 6 § 1 Conv. EDH, il existe des exceptions, notamment pour garantir la protection de la vie privée des parties. Le Code de procédure pénale prévoit qu’en raison du caractère intime de l’infraction de viol, l’audience devant la cour d’assises peut se dérouler à huis clos, de droit si la victime partie civile le demande. Le Conseil constitutionnel a jugé ce dispositif conforme à la Constitution. Le huis clos peut être total ou partiel, c’est à la victime d’en décider, comme l’a rappelé la Cour de cassation en 2005 et en 2014*.

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Emmanuel Macron a dit souhaiter une meilleure répartition des étrangers dans les “espaces ruraux qui, eux, sont en train de perdre de la population”

Ce propos a été tenu relativement au projet de loi sur l’immigration qui sera présenté début janvier 2023. Une telle répartition des populations ne concerne, actuellement, que les demandeurs d’asile, et non les “étrangers” de façon générale. Répartir des personnes sur un territoire implique de les loger, que ce soit par des organismes publics ou par des hébergeurs privés subventionnés à cette fin. Ce dispositif de logement permet d’attendre un éventuel statut de réfugié.

La répartition des demandeurs d’asile a été pensée dès 2018 et mise en œuvre en décembre 2020 avec le “schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés”, pour la période 2021-2023. 2500 demandeurs concentrés en Île-de-France doivent être réorientés vers d’autres régions chaque mois.

On peut s’interroger sur ce que propose le Président : répartir l’ensemble des étrangers, dans une perspective de déghettoïsation de certaines banlieues de grandes villes, relève d’une politique très ambitieuse au regard du nombre de personnes concernées, et surtout au regard des libertés fondamentales, dont bénéficie toute personne résidant en France. Il faudra aussi revoir la répartition des offres d’emploi sur le territoire. Pour toutes ces raisons, on peut croire à un lapsus du Président, qui visait en réalité les seuls demandeurs d’asile.

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* NDLR : Le propos du président de l’Association de la Presse judiciaire, Jean-Philippe Deniau, se situait davantage sur le terrain des bonnes pratiques que du droit. Sélectionner un seul journaliste pour suivre un procès porte atteinte à la liberté de la presse mais aussi au droit à l’information. On imagine aisément ce qu’il adviendrait si l’usage venait à s’étendre et que les parties, avec l’accord du juge, décident quel journaliste (ami ?) a le droit de retranscrire les débats. 

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