Cette semaine chez les Surligneurs : Le service public du grand âge de Fabien Roussel est-il réalisable ?

Publié le 04/02/2022

Suite au scandale Orpéa, le candidat communiste à l’élection présidentielle Fabien Roussel propose la création d’un service public du grand âge. Les Surligneurs, spécialisés dans le legal checking,  mettent en garde : il risque de se heurter au droit de l’Union européenne ! Quant à Eric Zemmour, quand il veut sanctionner les associations d’aide aux migrants, il oublie un peu vite que c’est avec elles que le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. 

Cette semaine chez les Surligneurs : Le service public du grand âge de Fabien Roussel est-il réalisable ?

Fabien Roussel souhaite créer un service public du grand âge : coûteux, voire contraire au droit de l’Union européenne

Les conditions de vie des personnes âgées sont sur le devant de la scène avec le  scandale Orpéa”, ce qui n’a pas manqué de faire réagir les candidats à l’élection présidentielle. Fabien Roussel, candidat communiste souhaite créer un service public du grand âge, excluant toute gestion privée à but lucratif. Un projet qui pourrait se réaliser soit en les nationalisant soit créer une structure administrative gérant tous les EHPAD sous un régime de service public.

Ces deux options seraient difficiles à mettre en œuvre. La nationalisation est possible, à l’image de ce qui avait été fait en 1982 par François Mitterrand, mais coûteuse car il faut exproprier les propriétaires en rachetant autoritairement toutes les actions au prix du marché (le Conseil constitutionnel y veille justement depuis 1982). L’autre option interroge sur le terrain de la conformité avec le droit de l’Union européenne. En créant ce service public avec probablement une structure administrative unique qui gère tous les EHPAD, la tarification serait proche du coût d’exploitation, sans bénéfice. Les entreprises privées continueraient d’exister mais seraient concurrencées par le service public. Une concurrence déloyale pratiquant des prix prédateurs, contraire au droit de l’Union européenne. Par la suite, le service public pourrait entraîner un monopole, qui pourrait être à nouveau sous contrôle du droit de l’Union européenne en cas d’abus, même si la Cour de justice admet des exceptions au profit des monopoles à caractère sanitaire ou social.

Finalement, des solutions d’amélioration paraissent plus réalistes, et davantage compatibles juridiquement. Par exemple, intensifier les inspections au sein des EHPAD avec l’application de sanctions, prévues par la loi, qui peuvent aller jusqu’à la fermeture (suspension ou retrait de l’autorisation d’ouverture) de la structure. Il est également possible d’agir sur les tarifs, qui sont négociés avec la sécurité sociale lorsqu’elle en prend une partie en charge, et le pouvoir du département qui contribue également au financement. Et enfin les éventuelles poursuites pénales pour maltraitance sur personnes vulnérables ou non-dénonciation de maltraitance, la protection juridique des salariés des EHPAD dénonçant ces faits dans leur propre établissement. Les outils juridiques existent déjà, et peuvent tout de suite assurer une qualité de vie digne dans tous les EHPAD.

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Pour Eric Zemmour, il faut sanctionner les associations d’aide aux migrants et leurs responsables mais il oublie le principe de fraternité

 Pour Éric Zemmour, les associations d’aide aux migrants doivent être “traité[e]s comme des ennemi[e]s. Il n’y aura plus de subventions qui seront versées. Je les sanctionne. Cédric Herrou devrait être en prison”. Pourtant, c’est justement à l’égard des associations qui aident les migrants, et de Cédric Herrou, que le Conseil constitutionnel avait reconnu en 2018 la valeur constitutionnelle du principe de fraternité et censuré le “délit de solidarité”. Ce principe de fraternité découle de la devise républicaine, “Liberté, égalité, fraternité”, inscrite à l’article 2 de la Constitution de 1958, notamment inspirée de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1848. C’est la première et seule fois que le Conseil constitutionnel utilise la fraternité, longtemps envisagée comme une simple valeur morale.

Pour le Conseil constitutionnel en 2018, l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre l’immigration irrégulière était à mettre en balance avec le principe de fraternité, qui l’avait alors emporté, tout en précisant que cela n’implique pas pour les étrangers un droit absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Finalement, la seule solution pour réaliser l’objectif d’Eric Zemmour serait de modifier la Constitution. Il faudrait alors revoir la devise de la France pour lui supprimer la “fraternité”.

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Nicolas Dupont-Aignan veut lutter contre les “décisions aberrantes des cours européennes” en refusant l’application de leur jurisprudence, difficile à moins de modifier les traités européens

Les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme sont régulièrement remises en cause par des personnalités politiques. En l’occurrence, c’est Nicolas Dupont-Aignan, candidat à l’élection présidentielle, qui veut pouvoir refuser d’appliquer les décisions des juridictions européennes.

Le traité de fonctionnement de l’Union européenne prévoit pourtant que les Etats membres de l’Union européenne assurent l’exécution des décisions de la Cour de justice (articles 280 et 299 TFUE), tandis que l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que les Etats parties se conforment aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Pour ne plus avoir à appliquer les jurisprudences européennes, il faut donc modifier ces textes ou se retirer des deux organisations européennes. La modification de chacun des textes nécessiterait en effet l’unanimité des Etats (27 du côté de l’Union européenne et 47 pour le Conseil de l’Europe), ce qui peut paraître compliqué. Nicolas Dupont-Aignan pourrait donc privilégier un retrait de l’Union européenne (article 50 TUE), comme le Royaume-Uni et une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme (article 58 de la Convention).

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Focus sur les commissions d’enquêtes parlementaires : quel intérêt et quelles limites ?

Le Sénat a créé, fin 2021, une commission d’enquête sur la concentration des médias en France. Ces commissions permettent aux parlementaires de se saisir d’un sujet d’actualité (le procès Outreau, le Médiator, le cas Benalla, etc.) conformément au rôle du Parlement prévu dans la Constitution : il contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques publiques (article 24). Une fois constituée, sur proposition de résolution par un ou plusieurs parlementaires, la commission d’enquête dispose de six mois pour rendre son rapport.

Les commissions d’enquête peuvent forcer toute personne à venir témoigner sous serment (droit de citation), comme par exemple le 11 juin 1998 alors que des magistrats consulaires avaient solennellement refusé de prêter serment. Les personnes citées peuvent être poursuivies en cas de mensonge ou si elles refusent de répondre aux questions des membres de la commission, sauf si les questions interfèrent avec une enquête judiciaire en cours. De plus, les membres de la commission peuvent aussi contrôler sur pièce et sur place, avec accès aux documents utiles à leurs investigations (sont exclus les documents protégés relatifs à la défense, aux affaires étrangères, à la sécurité intérieure ou extérieure de l’État). Ils ne peuvent pas non plus lever le secret professionnel, comme le secret médical, dans la majorité des cas.

A ces limites dans les pouvoirs d’enquête, s’ajoutent des limites sur l’objet de leur rapport : il ne peut y avoir d’investigations sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, et un jugement déjà rendu ne peut pas être remis en cause. C’était la question qui se posait pour la commission d’enquête sur l’assassinat de Sarah Halimi. Alors que la Cour de cassation avait définitivement jugé les faits, en concluant à la démence de l’assassin, un des membres de la commission semblait remettre en cause cette analyse, ce qui fit l’objet de très vives critiques. Ainsi, le rapport des parlementaires sur cette enquête rappelle qu’il n’est pas possible de “remettre en question l’autorité de la chose jugée, comme l’impose la séparation des pouvoirs”.

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