Cette semaine chez les Surligneurs : l’erreur de calcul de G. Darmanin en matière d’expulsions

Publié le 08/11/2022

Est-il vrai qu’un étranger peut exercer douze recours contre une décision d’expulsion, comme l’affirme Gérald Darmanin ? Faux, répondent Les Surligneurs qui mettent en lumière l’artifice de raisonnement utilisé par le ministre de l’Intérieur. Cette semaine, les spécialistes du légal checking partent aussi à la recherche du mystérieux article 100 de la Constitution invoqué par un ancien magistrat chez Cyril Hanouna, nous expliquent le fonctionnement du « droit de tirage » à l’Assemblée nationale et s’interrogent sur l’instabilité politique grandissante au Royaume-Uni.  

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Selon Gérald Darmanin un étranger en situation irrégulière peut former jusqu’à 12 recours contre une décision d’expulsion

Gérald Darmanin, le Ministre de l’Intérieur, a déclaré qu’il était difficile d’expulser une personne étrangère en situation irrégulière car elle peut former une douzaine de recours administratifs et judiciaires. Or, on est loin du compte. Le ministre cumule les recours existants, alors qu’un étranger n’est jamais en mesure de les exercer tous. Il y a autant de recours que de situations, et donc chaque individu ne peut exercer que le recours lié à sa situation.

Il y a d’abord le cas du refus de titre de séjour et de visa, ou de retrait de ces titres. Les deux recours possibles sont le recours pour excès de pouvoir et le référé. Les délais applicables sont ceux de droit commun, soit deux mois. Cela fait deux recours. Vient ensuite le cas des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Les OQTF simples peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Les OQTF accompagnées d’un placement en centre de rétention administrative (CRA) peuvent faire l’objet de deux recours : contre l’OQTF même, comme précédemment, et contre le placement en CRA, devant le juge des libertés et de la détention. Le placement en CRA peut accompagner d’autres mesures d’éloignement que l’OQTF, et chacune de ces décisions peut faire l’objet d’un recours individuel (en plus de celui contre l’OQTF). Cela revient donc à un ou deux recours par étranger. Pas douze.

L’étranger peut également former un recours contre la décision qui fixe le pays de renvoi. La procédure est différente selon que cette décision soit prise en même temps que l’OQTF ou après. Si l’OQTF mentionne le pays de renvoi, un seul recours est possible comme précédemment. Mais si la fixation du pays de renvoi intervient après, cela donne lieu à un recours qui s’ajoute aux précédents. Cela se produit parce que le préfet émet des OQTF sans pays de destination, et fixe ce pays plus tard : cela fait deux décisions, et donc forcément deux recours. Mais on est donc encore loin des douze recours par personne.

Il est donc faux juridiquement d’additionner les recours, car s’il en existe bien une douzaine, ils ne sont en rien cumulables par un seul étranger. Quant aux appels ou recours en cassation, ils font partie des droits fondamentaux et ne sauraient être supprimés, ni même comptés parmi les douze recours.

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Jean-Philippe Tanguy (RN) veut créer une commission d’enquête parlementaire sur les agents d’influence de l’étranger 

Le Rassemblement National a, par la bouche de Jean-Philippe Tanguy, annoncé vouloir exercer son droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête sur les “ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères […] visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français”.

Fixée aux articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée (RAN), la procédure normale de création commence par une proposition faite par un ou plusieurs députés, envoyée à la présidence de l’Assemblée. Cette demande est traitée par une commission permanente de l’Assemblée qui tranche en droit, mais aussi en opportunité. Si la commission permanente entérine la création, alors la demande est soumise au vote de tous les députés. En pratique, cette procédure ne permet pas aux groupes d’opposition de créer des commissions d’enquête, en raison du blocage des députés de la majorité.

Pour contrer cette domination de la majorité oblitérant toute possibilité d’investigation des groupes d’opposition, un “droit de tirage” a été créé, qui permet aux groupes d’opposition et/ou minoritaires de créer une commission d’enquête indépendamment de l’avis de la majorité. Il peut être actionné à tout moment par le président de groupe, dans la limite d’une fois par session ordinaire.

Il existe toutefois des conditions (Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, appliquant l’article 51-2 de la Constitution). Aucune commission d’enquête ne doit avoir déjà travaillé sur le même champ d’investigation dans les douze derniers mois. L’objet de la Commission ne doit pas empiéter sur une enquête judiciaire en cours afin de respecter la séparation des pouvoirs. Enfin, la demande de création doit déterminer “avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion”. Or l’objet de la proposition de commission d’enquête du RN ne porte sur aucun fait précis. Reste que cette exigence de précision est toute relative, comme en atteste cette commission créée pour « établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France”.

Enfin, bien que demandées par un groupe, ces commissions sont constituées proportionnellement à la composition politique de l’Assemblée tout entière. Le RN ne contrôlerait donc pas cette commission car il y serait minoritaire. Il est donc possible que les conclusions de cette commission se retournent contre lui.

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L’instabilité gouvernementale au Royaume-Uni est-elle inédite ? 

Lizz Truss aura quitté Downing Street après 49 jours au pouvoir seulement, sous le regard atterré des commentateurs politiques du monde entier. Avec trois Premiers ministres en quatre mois, le Royaume-Uni connaît une instabilité qui a souvent été présentée comme inédite dans l’histoire. Plusieurs évolutions constatées ces dernières années laissent penser qu’il pourrait être plus fréquent de voir les gouvernements se succéder à des intervalles brefs. Le bipartisme britannique s’est fracturé, au point qu’aucun des deux grands partis n’arrive à gouverner sans l’aide d’un parti tiers, comme les libéraux-démocrates, ou encore l’UKIP (formation anti-Union européenne). Il faut en outre compter avec les nationalistes du Scottish National Party qui n’ont cessé d’asseoir leur emprise, devenant la troisième force politique à Westminster. Or ce parti n’a vocation à s’allier ou apporter son soutien à aucun gouvernement, que ce soit à droite ou à gauche.

En outre, le parti Tory est devenu un parti attrape-tout en réalisant une espèce de synthèse de ses oppositions internes, à même de préserver une unité de façade. C’est ce qui avait réussi à Boris Johnson, avant que son comportement personnel n’eût raison d’une période de stabilité relative. Tout comme pour Liz Truss, c’est le non-respect de quelques principes essentiels du droit constitutionnel britannique qui a précipité leur chute. Boris Johnson a dû se retirer parce qu’il avait enfreint à plusieurs reprises les règles que son propre gouvernement avait édictées pour lutter contre la pandémie de Covid-19, sapant le principe de rule of law. Quant à Liz Truss, elle a directement violé un usage d’éthique politique qui veut que le gouvernement soit lié par les promesses que le parti dont il est issu a faites aux électeurs dans le manifesto.

Cette instabilité pourrait bien avoir un fort impact sur les institutions britanniques : progrès de la décentralisation, émergence d’une forme de fédéralisme avec l’Écosse, transformation d’institutions comme la Chambre des Lords, et surtout formalisation de certaines règles constitutionnelles en vue de clarifier les rapports entre les pouvoirs et de les moderniser.

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Selon l’ancien magistrat Claude Butin, « la liberté d’expression est garantie par l’article 100 de la Constitution »

Claude Butin, ancien magistrat, défendait la liberté d’expression de l’animateur Cyril Hanouna en direct dans l’émission Touche pas à mon poste, en mentionnant un supposé article 100 de la Constitution française alors que cette dernière ne contient que 89 articles. Il y a bien un article 100 qui protège la liberté d’expression… mais dans la Constitution Lettone !

De plus, depuis la Révolution de 1789, la liberté d’expression est certes consacrée juridiquement, mais pas par la loi, ni dans les 89 articles de la Constitution de 1958. C’est la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789 qui consacre la liberté d’expression en son article 11, comme “l’un des droits les plus précieux de l’Homme”, et qui a valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971.

En outre, si les propos de Cyril Hanouna ne sont pas en cause, l’ancien magistrat aurait pu signaler que cette liberté n’est pas absolue et qu’elle s’exerce “sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi” (DDHC, art. 11). La liberté d’expression doit en effet être conciliée avec d’autres libertés, comme le respect de la dignité humaine, de la vie privée, ou à la sécurité publique par exemple. Aussi protégée soit elle, la liberté d’expression ne doit pas permettre des appels à la haine, à la violence ou encore à l’intolérance.

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