Cette semaine chez les Surligneurs : les membres de la CMP sur les retraites sont-ils légitimes ?
La sénatrice EELV Mélanie Vogel a-t-elle raison de dénoncer l’absence de mandat des sept députés qui participent à la commission mixte paritaire (CMP) sur la réforme des retraites ? Les Surligneurs vous répondent. Les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur l’idée de Jordan Bardella (RN) de réserver les aides sociales aux familles françaises. Enfin, ils nous éclairent sur la question des compétences en matière de ramassage d’ordures à Paris.
Pour la sénatrice Mélanie Vogel (EELV), les sept députés qui participent à la commission mixte paritaire à propos de la réforme des retraites « n’ont pas de mandat »
Mélanie Vogel, sénatrice EELV, s’est exprimée sur les modalités d’adoption de la “réforme des retraites”, le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS). Après son passage mouvementé à l’Assemblée nationale et son adoption par le Sénat, le texte va être négocié en commission mixte paritaire réunissant des représentants des deux assemblées. La sénatrice critique cette procédure, estimant que les députés qui participeront à cette commission « n’ont pas de mandat », faute d’accord obtenu à l’Assemblée nationale. Or, aucun “mandat” ne se trouve dans la Constitution.
Le PLFSS fait l’objet d’une procédure législative propre aux lois de financement de la sécurité sociale. Voyant les débats s’éterniser à l’Assemblée nationale, le gouvernement a fait usage de l’article 47-1 de la Constitution : si l’Assemblée ne statue pas dans un délai de vingt jours – ce qui a été le cas – alors le texte est renvoyé devant le Sénat. Les sénateurs ont ensuite adopté le texte.
Mais la procédure d’adoption du projet n’est pas terminée. Le PLFSS n’ayant pas été adopté en des termes identiques par l’Assemblée et le Sénat, une « commission mixte paritaire » doit se réunir et tomber d’accord sur un texte final, qui sera ensuite soumis de nouveau au vote des chambres. Cette commission réunit sept députés et sept sénateurs. C’est à ce stade que se situe la critique de Mélanie Vogel.
Ce qu’elle dénonce se comprend : les sept députés qui vont siéger en commission mixte paritaire arriveront face aux sénateurs sans position prédéfinie à défendre, et devront, en quelque sorte, décider à la place de l’Assemblée du sort de la réforme. Cela peut en effet choquer, d’autant que, selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la composition de la commission reflète la configuration politique des assemblées. Ainsi, une majorité de députés Renaissance et de sénateurs Les Républicains, favorables au projet de réforme, pourra s’y dessiner.
Reste que la procédure suivie actuellement est conforme à la Constitution, qui ne prévoit aucun « mandat » spécifique pour participer à la commission mixte paritaire. Cette participation fait partie des missions des parlementaires : le mandat que les députés ont reçu des électeurs vaut aussi pour exercer leurs fonctions au sein de cette commission s’il y a un désaccord entre les deux chambres. Ils n’ont donc pas besoin d’un mandat supplémentaire qui viendrait d’une sorte de désignation ou de vote interne à l’Assemblée, et qu’aucun texte ne prévoit.
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Jordan Bardella : “Les aides sociales doivent être réservées aux familles françaises, croyez-moi on va faire beaucoup d’économies”
Le nouveau président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella reprend une idée bien établie au sein de son parti. Pour lui, “les aides sociales doivent être réservées aux familles françaises, croyez-moi on va faire beaucoup d’économies”.
Tout d’abord, les allocations familiales sont des allocations contributives. C’est-à-dire qu’elles sont versées en contrepartie d’une cotisation du bénéficiaire. La proposition de Bardella serait inconstitutionnelle et illogique car elle contreviendrait au principe constitutionnel d’égalité en revenant à obliger des personnes à financer un système dont elles ne bénéficieraient pas.
Quant aux allocations non contributives, celles-ci relèvent d’un mécanisme de solidarité et pas d’assurance. Elles ne sont pas conditionnées à une cotisation préalable du bénéficiaire. On peut donc imaginer que les étrangers ne soient pas traités de la même manière, mais le Conseil constitutionnel veille à ce que les étrangers ne soient pas écartés au seul motif qu’ils sont étrangers, dans le respect du principe d’égalité (Décision n°89-269). Tout n’est pas permis : il faut une raison objective pour justifier la différence de traitement, qui ne repose pas sur la seule nationalité.
Selon l’article L111-1 du code de la Sécurité Sociale, cette garantie accordée par la loi s’exerce par l’affiliation de chaque personne à un ou plusieurs régimes de protection sociale obligatoire. Cette solidarité n’est donc pas “nationale” au sens de “réservée aux nationaux”, mais une solidarité de la Nation à l’égard de toute personne résidant en France, face aux risques sociaux. Cette protection est doublement garantie par la Constitution (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946)
En outre, cette proposition serait aussi contraire à la jurisprudence sur les discriminations à raison de la nationalité de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Enfin, la proposition du RN aurait pour conséquence que les employeurs qui versent leur part de cotisation pourraient considérer qu’ils paient inutilement dans le cas de travailleurs étrangers, et demander à en être exemptés. Cela rendrait le coût du travail, et donc l’embauche de salariés étrangers, plus attractifs… ce qui n’est probablement pas l’objectif poursuivi par le parti.
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La gestion des déchets à Paris : mais qui fait quoi ?
Dans un contexte de mouvement social face au projet de réforme des retraites, les éboueurs de Paris faisant grève, les déchets s’entassent dans les rues de la capitale. Chacun s’en renvoie la faute. À qui incombe vraiment la responsabilité de la gestion des déchets à Paris, et qui peut, au besoin, réquisitionner les agents grévistes ?
En règle générale, la gestion des déchets est une compétence des intercommunalités. Mais la Ville de Paris est un cas particulier car c’est à elle qu’incombe cette responsabilité. Pour assumer cette tâche, elle a choisi plusieurs modalités selon les arrondissements. Ainsi c’est la ville elle-même, avec ses agents publics et ses matériels, qui assure le ramassage des déchets pour les 2e, 5e, 6e, 8e, 9e, 12e, 14e, 16e, 17e et 20e arrondissements (on parle de gestion en régie). Des sociétés prestataires privées avec des employés de droit privé se chargent des autres arrondissements. Notons que les maires d’arrondissement n’ont aucune compétence en la matière.
La situation est donc assez binaire : seuls les agents publics étant en grève, l’amoncellement des ordures ne touche que les arrondissements où le ramassage se fait en régie, épargnant les autres, et des problèmes d’ordre sanitaire ont commencé à se poser.
Indépendamment de la grève du service public et de ses conséquences sur les usagers, lorsqu’il existe un risque sanitaire, les autorités ont le devoir d’intervenir pour pallier ces risques sanitaires, il y va de l’ordre public : tout incident aboutirait à engager la responsabilité de la ville à l’égard des victimes. Cela explique que le ministre Gérald Darmanin, en charge de l’ordre public, ait demandé à la maire de Paris d’agir, au besoin en réquisitionnant les agents grévistes. Mais elle n’a pas ce pouvoir.
À la différence des autres maires de France, la maire de Paris a peu de pouvoir en matière de police administrative largement entre les mains du préfet de police. La Ville dispose toutefois d’un pouvoir de police en matière de “salubrité sur la voie publique” (art. L2512-23 CGCT). Elle peut donc prescrire les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public, par exemple en faisant intervenir ses agents en cas de problème sanitaire (quand ils ne sont pas en grève).
Mais la loi ne mentionne pas les réquisitions. Il s’agit d’entorses au droit de grève, et elles ne peuvent être décidées en dehors de la loi. Ainsi, si la loi qui énumère les pouvoirs de police de la maire de Paris ne mentionne pas les réquisitions, elle ne peut pas réquisitionner ses agents. Elle pourrait toutefois demander aux sociétés privées des arrondissements où le ramassage se fait encore, d’aller ramasser les déchets dans les arrondissements touchés par les grèves, pour des raisons d’ordre public sanitaire, à condition de limiter cette intervention à la suppression des risques les plus élevés.
Si la salubrité de la voie publique est compromise et que la mairie n’intervient pas après mise en demeure, l’article L2215-1 du code général des collectivité territoriales permet au préfet de police de se substituer au maire et de prendre les mesures nécessaires. Or la maire de Paris a bien été mise en demeure d’agir, même si curieusement c’est le ministre qui a fait la demande et semble-t-il pas le préfet de police. Le préfet peut, “en cas d’urgence, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service”. C’est dans ce cadre que le préfet de police a ordonné la réquisition des grévistes, après le refus de la maire de Paris.
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Référence : AJU357065