Cette semaine chez les Surligneurs : Zelenski a-t-il raison d’évoquer de possibles crimes de guerre ?

Publié le 14/04/2022

Peut-on parler de crimes de guerre, voire de génocide en Ukraine ? Les Surligneurs, spécialistes de legal checking, reviennent cette semaine sur la définition de ces deux notions. Du côté de la campagne, Emmanuel Macron risque d’avoir du mal à automatiser les OQTF (obligations de quitter le territoire français). Quant à Marine Le Pen, elle se trompe lorsqu’elle accuse la législation européenne du travail des militaires d’entraver la disponibilité des soldats français en temps de guerre. 

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Le 4 avril 2022, le président de l’Ukraine Volodymyr Zelensky dénonce les “crimes de guerre” qui auraient eu lieu à Boutcha.

Si les scènes diffusées ont tout l’air de montrer un crime de guerre, celui-ci doit être démontré pour être qualifié comme tel, puis éventuellement sanctionné. L’association Human Rights Watch a entamé le travail, désormais épaulée par diverses autorités, y compris juridictionnelles. Il faut donc d’abord rappeler ce qu’est un crime de guerre en droit.

L’article 6(b) du Statut du Tribunal de Nuremberg (1945), élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour juger de hauts responsables nazis, définit les crimes de guerres comme étant des “violations des lois et coutumes de la guerre”, autrement dit des violations du droit international humanitaire. La consécration de l’existence de certains crimes internationaux à la suite des atrocités de l’Holocauste a ainsi permis l’engagement d’une responsabilité internationale des individus mêmes, alors qu’à l’origine seuls les États pouvaient se voir imputer une violation du droit international. Cette responsabilité de l’individu peut désormais être recherchée pour crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression (articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).

Ainsi donc, certaines méthodes de guerre sont interdites. Les personnes qui ne participent pas (civils, personnels humanitaires) ou plus (prisonniers, blessés) aux combats sont protégées. Ce sont les exactions commises contre la population civile – laquelle, par définition, ne prend pas part aux combats – qui sont à l’origine des accusations de crimes de guerre émises à l’encontre de la Russie. Le droit international humanitaire proscrit les “actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur au sein de la population civile”. Mentionnons la quatrième Convention de Genève (1949) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, ou encore, l’article 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui énonce, parmi les faits constitutifs de crimes de guerre, le “fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile”.

Reste à préciser la différence entre crime de guerre, un crime contre l’humanité et crime de génocide.  Le génocide est un concept très étroit. Il relève d’actes “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux” (article 6 du Statut de Rome et article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide). Peu importe qu’il se produise en temps de guerre ou en temps de paix. Le génocide est difficile à prouver, car en plus de l’élément matériel (meurtres de masse, entravement des naissances par exemple), il existe un élément psychologique : il faut démontrer l’intention spéciale de détruire le groupe en cause. Les génocides internationalement reconnus à ce jour sont le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman (1915-1916), le génocide des Juifs commis par les nazis (1941 à 1945) et le génocide des Tutsis au Rwanda (1994).

Le crime contre l’humanité suppose quant à lui des actes commis “dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque” (article 7 du Statut de Rome).

Qu’en est-il en conséquence des exactions constatées à Boutcha ? Les attaques perpétrées contre les civils pourraient relever de la qualification de crime contre l’humanité. Pour cela, les preuves que la communauté internationale est en train de recueillir en Ukraine devraient démontrer le caractère général, systématique et intentionnel de ces attaques. Mais si la qualification de  crime de guerre paraît la plus susceptible d’être retenue en raison d’une définition juridique plus large, rien n’exclut à ce jour une qualification de génocide.

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Emmanuel macron veut automatiser les obligations de quitter le territoire pour les déboutés de l’asile

Conférence de presse du 17 mars 2022 (1:19)

L’obligation de quitter le territoire est définie comme l’obligation pour un étranger de quitter le territoire français lorsque l’administration le lui demande. Mais cette obligation n’est pas automatique concernant les déboutés de l’asile, c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas réussi à obtenir une protection en France. En effet, un étranger n’est pas nécessairement éloignable du territoire, même après que sa demande d’asile a été rejetée, puisqu’il peut parfois prétendre à un autre titre de séjour et peut aussi bénéficier du principe de non-refoulement.

En somme, la demande d’asile est instruite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Si elle est rejetée, le demandeur peut exercer un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile. En cas de rejet, elle peut demander un autre titre de séjour que celui accordé par le statut de réfugié ou par la protection subsidiaire.

De plus, la vulnérabilité des mineurs étrangers interdit de les éloigner et les dispense de titre de séjour. Il en va de même pour une personne qui a des attaches familiales avec la France, tel l’étranger marié depuis au moins trois ans avec un(e) français(e). Un dernier exemple est celui des étrangers qui nécessitent une prise en charge médicale particulière : entre 4 000 et  5 000 par an bénéficient du droit de se maintenir en France du fait de leur état de santé.

Mentionnons enfin le principe de non-refoulement consacré dans la Convention de Genève de 1951, qui interdit d’expulser un étranger vers un État où existeraient des risques pour sa vie ou ses libertés (arrestation, torture, guerre).

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Pour Marine Le Pen, la Cour de justice de l’Union européenne entrave la disponibilité de nos soldats en temps de guerre

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle, soutient dans son programme (p.7) que la Cour européenne impose aux États membres d’aménager le temps de travail des militaires selon une directive européenne, qu’importe les circonstances. L’arrêt en question dit tout le contraire. La Cour n’a pas entendu porter atteinte aux intérêts nationaux des États membres, mais concilier l’intérêt de la nation et le droit, en l’occurrence, des salariés. Car les soldats professionnels sont aussi des salariés.

Marine Le Pen vise une décision de 2021 de la Cour de justice de l’Union européenne qui interprète une directive européenne sur l’aménagement du temps de travail. Or, la Cour a bien distingué le travail des soldats en période « normale » et en période « exceptionnelle », de même qu’elle a mentionné l’article 4§2 du Traité sur l’Union européenne, qui prévoit que l’Union respecte les fonctions essentielles des États membres, et notamment la sécurité nationale.

Il reste donc évident qu’en temps de guerre, les militaires sont à l’entière disposition de l’État. L’inverse signifierait qu’après 39 heures le soldat doit se reposer, où qu’il soit, et il aurait aussi le droit à 11 heures de repos entre deux périodes travaillées par exemple ! Cela n’aurait aucun sens. La Cour de justice de l’Union européenne n’a jamais prétendu cela.

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Adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne : les 12 travaux d’Hercule

Depuis que l’Ukraine a déposé officiellement une demande d’adhésion à l’Union européenne le 28 février dernier, la Moldavie et la Géorgie lui ont emboîté le pas, mettant une pression sur les Européens qui, pour l’heure, n’envisagent aucune procédure accélérée. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en visite à Kiev le 8 avril dernier, a néanmoins assuré le président ukrainien de sa volonté d’aller vite pour acter sa candidature… mais pas son adhésion. Intégrer l’Union européenne exige de respecter quantité d’obligations s’apparentant à un parcours d’obstacles, qui rendent une adhésion rapide très improbable.

Il faut d’abord respecter ce qu’on appelle les “critères de Copenhague”. Depuis le traité de Lisbonne n’importe quel État peut adhérer à l’Union européenne dès lors qu’il est “européen”, c’est-à-dire qu’il se situe géographiquement en Europe, et s’il respecte les valeurs de l’Union précisées dans l’article 2 du Traité sur l’Union européenne telles que le respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme.

En somme, être candidat officiel ne garantit en rien l’adhésion. À l’heure actuelle, cinq États ont le statut de candidat officiel : la Turquie, la Macédoine du Nord, l’Albanie, le Monténégro et la Serbie. L’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont signé une demande officielle d’adhésion mais ne se sont pas encore vu attribuer le statut de candidat officiel. La Présidente de la Commission européenne a seulement promis au président ukrainien de soumettre un avis favorable au Conseil de l’Union européenne, qui pourrait reconnaître la candidature de l’Ukraine dès cet été.

Une fois que ce statut est accordé, la phase de préadhésion s’ouvre, c’est-à-dire que les États membres vont négocier une éventuelle adhésion de l’État candidat. L’Union européenne vérifie si l’État candidat remplit les critères établis par le traité. Le premier critère est d’ordre politique : l’État doit justifier d’un système démocratique stable, respecter les droits de l’homme ainsi que l’État de droit. Le deuxième critère est d’ordre économique : les États membres évaluent si l’économie du pays candidat est suffisamment stable et viable et s’il pourra faire face à la concurrence à l’intérieur de l’Union notamment au sein du marché intérieur. L’objectif n’est pas que de grandes entreprises européennes pillent les ressources du pays candidat. Le troisième critère repose sur les obligations liées à l’adhésion : le candidat, une fois admis, doit pouvoir assumer toutes les obligations qui découlent du fait d’être membre de l’Union. Ces obligations se traduisent par la reprise de ce qu’on appelle “l’acquis communautaire”, c’est-à-dire que l’État candidat doit intégrer, dans sa législation nationale, toutes les exigences imposées par le droit de l’Union européenne, notamment la législation agricole, sur la protection de l’environnement, sur la protection des consommateurs, sur les contrôles douaniers, sur la politique sociale, sur le droit de vote aux élections locales, etc. Cela représente des milliers de lois européennes et autres réglementations diverses. Le quatrième et dernier critère concerne la capacité d’absorption par l’Union européenne, avec un budget suffisant et la garantie de bonnes conditions économiques.

Il est donc difficile de prédire à l’avance le temps que vont prendre ces négociations. D’autant que l’Ukraine est loin de remplir ces critères.

Une fois l’adhésion acquise, un traité d’adhésion est rédigé et signé par tous les États, qui doivent le ratifier (en passant par leur parlement). Le Parlement européen doit aussi donner son accord. Une seule défaillance, et l’adhésion ne peut avoir lieu, l’unanimité étant requise.

Un État déclaré officiellement candidat est donc loin de voir sa demande d’adhésion aboutir. L’illustration la plus flagrante reste la Turquie, encore loin de l’adhésion, qui a déposé sa candidature en 1987 et qui est officiellement candidate depuis… 1999.

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