Chez les Surligneurs : la France est-elle un régime présidentiel, comme l’affirme A. Bergé ?

Publié le 02/02/2024

Contrairement à ce qu’a déclaré Aurore Bergé, la France n’est pas un régime présidentiel. Les Surligneurs vous expliquent pourquoi. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur l’affaire de la sextape qui secoue la ville de Saint-Etienne, la dispense de visa pour les Kosovars qui irrite Marion Maréchal et les quotas migratoires souhaités par Valérie Pécresse. 

Chez les Surligneurs : la France est-elle un régime présidentiel, comme l'affirme A. Bergé ?

Pour Aurore Bergé : « On est dans un régime présidentiel »

Interrogée sur France Inter après la conférence de presse du président de la République, Aurore Bergé déclare que la Ve République est un « régime présidentiel », dans lequel le gouvernement « déploie la feuille de route » et le Parlement est là « pour contester, débattre, améliorer ou renforcer. » Sauf que si on voit bien ce qu’elle a voulu dire politiquement, la République française n’est juridiquement pas un régime présidentiel à l’instar des États-Unis. Ce système institutionnel prévoit une séparation stricte des pouvoirs, de sorte que le Président ne peut dissoudre la chambre basse du Congrès, à savoir la Chambre des représentants. Réciproquement, cette Chambre ne peut pas renverser le Président et son cabinet (l’équivalent du gouvernement). Ainsi, l’exécutif n’est pas responsable devant le pouvoir législatif.

En France, il n’existe pas de séparation stricte des pouvoirs. La chambre basse du Parlement, l’Assemblée nationale, peut renverser le gouvernement par l’adoption d’une motion de censure (article 49 al 2 de la Constitution) car il est responsable devant elle. En contrepartie, l’exécutif, en la personne du président de la République, peut dissoudre l’Assemblée nationale (article 12). Ce sont ces moyens de pression réciproques qui caractérisent le régime parlementaire. Par conséquent, notre Constitution a bien un fonctionnement parlementaire.

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Gaël Perdriau (maire de Saint-Étienne), chantage à la sextape et demande de révocation : « Ma grande force, c’est mon innocence »

Gaël Perdriau est maire de Saint-Étienne. Plusieurs fois mis en examen dans une affaire de chantage à la sextape contre son premier adjoint qui secoue la ville depuis quelques mois, il rejette les appels à la démission qui fusent. Les élus d’opposition en sont donc venus, ce lundi 29 janvier, à adresser une lettre au Premier ministre afin qu’il déclenche une procédure de suspension ou de révocation du maire. Ce dernier tient bon : « ma grande force, c’est mon innocence« . Peut-être, mais s’agissant de la procédure de suspension ou de révocation par le gouvernement, cela ne suffit pas.

Alors que l’article 1er de la Constitution dispose que l’organisation d’État est décentralisée, l’article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que le maire et les adjoints « peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres« . Cette sanction ne peut être prononcée qu’après avoir entendu ou invité les intéressés à « fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés« . Cet article, sur lequel se sont basés les élus municipaux d’opposition pour demander au gouvernement de révoquer le maire, n’a pas été considéré comme contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales (article 72 de la Constitution).

Toutefois, l’article L. 2122-16 n’est pas de nature pénale. Il n’a pas vocation à sanctionner un maire ou un adjoint en raison d’une infraction qu’ils auraient commise, mais d’assurer la continuité de la gestion municipale lorsqu’elle est entravée par un dysfonctionnement dû à ce maire ou à cet adjoint.
C’est pourquoi la présomption d’innocence d’un maire par ailleurs mis en examen n’est en rien une garantie contre sa suspension ou sa révocation. Cela précisé, Gaël Perdriau n’est pas condamné mais seulement mis en examen. Cela n’empêche pas le gouvernement d’agir, si la gestion municipale est fortement entravée, mais ce n’est pas le cas en l’occurrence. Suspendre ou révoquer au seul stade de la mise en examen reviendrait indirectement à préjuger de la culpabilité de l’intéressé, alors qu’aucun juge n’a statué. Dans ces conditions, la demande des élus d’opposition n’a pratiquement pas de chances d’aboutir. Et de son côté le juge peut annuler une révocation ou une suspension injustifiée, mais il ne peut pas contraindre le gouvernement à la prononcer.

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Marion Maréchal et la dispense de visa pour les Kosovars pour entrer dans l’espace Schengen : « STOP à l’élargissement de l’UE ! »

Selon Marion Maréchal, « Le Kosovo est le premier pays « européen » pourvoyeur de jihadistes par habitant. La Commission européenne a décidé que les Kosovars n’ont plus besoin de visa pour voyager dans l’espace Schengen ». Elle en conclut : « STOP à l’élargissement de l’UE ! »

Premièrement, le projet d’exemption de visa en faveur du Kosovo est en discussion depuis plusieurs années au sein du Conseil de l’UE (composé de représentants des États membres). Ces discussions ont conduit à l’exemption, entrée en vigueur au 1er janvier 2024 après avoir été votée en mars 2023. Depuis, les Kosovars peuvent entrer dans l’espace Schengen sans passeport ni visa pour des périodes allant jusqu’à 90 jours sur une période totale de 180 jours. L’Union européenne applique d’ailleurs déjà ce régime à 61 États non-membres de l’Union européenne (règlement 539/21).

Aux termes du règlement 810/2009 “code des visas”, la Commission peut proposer d’entamer le processus d’exemption de visa en soumettant au Conseil de l’UE (donc les États membres) un projet d’inclure un pays tiers dans la liste des pays bénéficiant de l’exemption de visa. Cette proposition est censée se fonder sur une évaluation approfondie de critères comme la situation économique du pays et sa gestion des frontières. Afin qu’un accord soit voté, le Conseil de l’UE décide ou non d’accorder l’exemption, le cas échéant, qui est approuvée par le Parlement européen.

Deuxièmement, la corrélation entre l’exemption de visas en faveur des ressortissants du Kosovo pour entrer dans l’espace Schengen, et l’élargissement de l’UE est fausse. Bien que ces deux démarches soient liées, l’exemption de visas ne signifie pas une adhésion de facto au sein de l’Union européenne.

Rien à voir donc avec l’Union européenne et son élargissement : pour y adhérer, un État doit respecter des conditions politiques et économiques bien plus strictes, fixées par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, et ce processus dure plusieurs années.

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Valérie Pécresse souhaite instaurer des quotas migratoires

Peu avant la décision du Conseil constitutionnel sur la Loi immigration, Valérie Pécresse a reformulé un souhait, celui d’instaurer des quotas d’immigration. Une mesure contenue dans la loi, mais qui a été censurée par le Conseil.

Il est difficile d’instaurer des quotas notamment car il faut les faire respecter et y mettre des moyens. Ces moyens doivent être évalués à l’avance. Il faut donc, au moment du vote de la loi imposant des quotas, en évaluer les conséquences, notamment sur l’emploi public. D’autant que l’ineffectivité des quotas a déjà été prouvée dans un rapport remis au ministère de l’Intérieur en 2008.

De plus, de nombreuses conditions d’entrée en France existent déjà dans la loi.

Enfin, il est juridiquement impossible de fixer des quotas dans certains cas. Doivent en effet être respectés : 1/ le principe de libre circulation dans l’Union européenne (plus les pays de l’AELE) ; 2/ le droit d’asile prévu par la Constitution et les conventions internationales ; 3/ le droit au regroupement familial, reconnu par l’Union européenne, la Convention européenne des droits de l’Homme (art. 8), et le juge français.

Le souhait de Valérie Pécresse est donc bien trop vague. Elle devra préciser quelles catégories d’immigrants elle vise ; comment elle compte limiter le regroupement familial ; et surtout, comment elle fera respecter ces quotas, pour éviter d’ajouter des lois ineffectives aux nombreuses lois ineffectives existant déjà.

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