Chez les Surligneurs : Non, M. Bompard, la clause de conscience n’entrave pas le droit à l’IVG

Publié le 08/03/2024

La clause de conscience des médecins constitue-t-elle réellement une entrave à l’effectivité du droit à l’IVG comme le soutient Manuel Bompard (LFI) ? Les Surligneurs vous répondent. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent également sur le souhait de Marine Le Pen d’instaurer un prix plancher pour certains produits agricoles et sur le refus de Christian Estrosi d’exécuter une décision du juge administratif. 

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Selon Manuel Bompard, la clause de conscience « entrave » l’effectivité du « droit [à l’IVG], qui est désormais reconnu dans la Constitution »

Après avoir obtenu l’insertion de la liberté garantie de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, Manuel Bompard (LFI, réclame la suppression de la clause de conscience, en tant qu’elle entrave cette liberté nouvellement reconnue. Or la clause de conscience a également valeur constitutionnelle.

La clause de conscience (qui est en réalité un article de loi) a été votée en même temps que la loi Veil de 1975 autorisant l’IVG. On la retrouve à l’article L. 2212-8 du code de la santé publique (CSP) : « Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». Cette clause est reprise dans le code de déontologie médicale (article R. 4127-18 du CSP).

Si cette clause de conscience ne figure que dans la loi, le Conseil constitutionnel la rattache à la liberté de conscience : « si le chef de service d’un établissement public de santé ne peut (…) s’opposer à ce que des interruptions volontaires de grossesse soient effectuées dans son service, il conserve (…) le droit de ne pas en pratiquer lui-même ; qu’est ainsi sauvegardée sa liberté, laquelle relève de sa conscience personnelle » (Cons. constit. 18 oct. 2013). Or, la liberté de conscience est elle-même constitutionnelle (Cons. constit. 23 nov. 1977), ce qui protège donc la clause de conscience de la même manière que les autres libertés rattachables à la Constitution.

Cette clause protège une liberté sans entraver les autres. Dès la loi Veil, le médecin qui refusait de pratiquer les IVG devait « informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention » (article L. 2212-8 du CSP).

Un chef de service (ou chef de pôle) ne peut interdire toute IVG dans son service ou pôle : il ne peut que refuser de la pratiquer lui-même. Seuls les établissements de santé privés peuvent refuser toute pratique d’IVG en leur sein, uniquement si “d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux ».

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Salon de l’agriculture : Marine Le Pen propose « un prix garanti par l’État »

En visite au Salon de l’agriculture, Marine Le Pen réagissait à l’annonce d’Emmanuel Macron d’instaurer un « prix plancher » pour certains produits. Elle propose de son côté « un prix garanti par l’Etat au cas où les négociations n’arrivent pas à être conclues ». La loi ne le permet pas en l’état, et même si la loi était modifiée, cela risque d’aller à l’encontre du droit de l’Union européenne.

En principe, “les prix des biens, produits et services (…) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence”, sauf exceptions (article L. 410-2 du code de commerce). Parmi ces exceptions, le même article prévoit : “dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement”, les prix peuvent être réglementés par un décret en Conseil d’État. Le secteur agricole, par la multitude des exploitations, n’est pas en situation de monopole.

Le même texte ajoute que le gouvernement peut prendre “des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé”, “contre des hausses ou des baisses excessives de prix”. A supposer que la situation du marché agricole conduise structurellement à une baisse des prix payés aux agriculteurs, seul un décret peut être pris… dont la validité « ne peut excéder six mois ». Ce n’est pas sur six mois que la situation du marché pourra se régler.

Il faut alors modifier la loi. Mais cette loi se heurterait au droit européen : des prix fixés par l’État peuvent être contraires au principe de libre circulation des marchandises s’ils aboutissent à handicaper les importations en provenance de l’Union, par exemple dans le cas où la loi fixait des prix trop bas, empêchant les importateurs de répercuter leurs coûts d’importation (CJCE, 18 octobre 1979). Ainsi, le prix fixé par l’État doit tenir compte d’une moyenne européenne, sans se baser uniquement sur les coûts de production français. Si toutes ces conditions sont respectées, un prix peut être imposé par l’État. Sinon, la France s’exposerait à des sanctions européennes, et aussi à indemniser les entreprises étrangères empêchées d’importer.

Compte tenu de ce qui précède, le législateur français ne pourrait que permettre un prix garanti en faveur du producteur français à l’égard des acheteurs français, mais pas à l’égard des acheteurs des autres pays membres. Sinon, il y aurait violation du principe de libre circulation. Le prix garanti par l’État serait purement franco-français.

La seule solution serait donc de renégocier les traités européens pour exclure l’agriculture du libre échange. Et bien entendu, les autres États membres réserveraient à leur tour leur commande publique à leurs propres agriculteurs.

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Christian Estrosi refuse de rétablir une voie à double sens, malgré une décision du Tribunal Administratif de Nice

Le Tribunal administratif de Nice a retoqué la décision de Christian Estrosi, le maire de la ville, créant une circulation à sens unique avec une large piste cyclable sur une partie des quais longeant la Méditerranée. Or ces quais sont classés “routes à grande circulation”. Le juge a donc demandé le retour de la circulation à double sens, ce que Christian Estrosi refuse. Mais il doit s’y conformer.

L’arrêté municipal en question est celui du 11 mai 2020 qui crée une circulation à sens unique et des pistes cyclables sur certains quais. Motif : “la nécessité d’élargir les voies piétonnes pour créer une meilleure distanciation entre les personnes”, en pleine crise sanitaire. Mais cet arrêté n’a pas été abrogé après la pandémie : la voie fermée est même devenue une piste cyclable, et la circulation à sens unique est restée en vigueur.

Le juge administratif a annulé cet arrêté municipal car les axes concernés avaient une qualification particulière : ce sont des « routes à grande circulation » qui permettent “d’assurer la continuité des itinéraires principaux” (article L. 110-3 du code de la route). Des règles particulières s’appliquent : le maire y exerce son pouvoir de police de la circulation comme sur les autres routes de l’agglomération, mais il doit au préalable consulter le préfet (article R. 411-8), ce que n’avait pas fait Christian Estrosi en 2020, ce qui a rendu sa décision illégale.

C’est ce qu’a jugé le Tribunal, qui en outre a “enjoint à la commune […] de procéder à la remise en état des voies de circulation dans leur état antérieur”. Or le maire de Nice refuse.

Le jugement d’un tribunal doit être exécuté. Christian Estrosi a le droit de ne pas être d’accord, mais il doit alors faire appel devant la cour administrative d’appel. Or, l’appel n’est en principe pas suspensif… ce qui implique l’exécution du jugement le temps que la cour statue. Si le maire laisse passer le délai d’appel sans se conformer au jugement, la ville pourrait se retrouver de nouveau devant le juge qui réitèrerait alors sa demande de remise en état, cette fois assortie d’astreintes. Il reste au maire la possibilité de régulariser la situation en consultant le préfet avant de prendre un nouvel arrêté. Dernière possibilité, le maire peut demander au gouvernement de déclassifier les quais en question, ce qui aurait pour effet de dispenser le maire de toute remise en état.

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