Chez les Surligneurs : Y. Braun-Pivet a-t-elle raison de pointer un risque de shutdown en France ?

Publié le 06/10/2023

Yaël Braun-Pivet invoque, au soutien du recours au 49.3 s’agissant de la loi de programmation des finances publiques, la volonté d’éviter un shutdown, autrement dit une interruption immédiate du financement des services publics. Les Surligneurs estiment qu’un tel phénomène ne peut pas se produire en France. Cette semaine, les spécialistes du legal checking se penchent aussi sur la possibilité ou non de bloquer les prix, l’usage domestique des eaux de pluie et le processus « zéro artificialisation nette ».  

Chez les Surligneurs : Y. Braun-Pivet a-t-elle raison de pointer un risque de shutdown en France ?

Pour Yaël Braun-Pivet : « Le 49.3 nous permet d’éviter » un risque de shutdown comme aux États-Unis

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, voit en l’article 49 alinéa 3 de la Constitution un rempart juridique et politique contre un blocage du financement des services publics, s’appuyant sur l’image du shutdown américain. Sauf qu’en France, le shutdown n’est pas possible.

Aux États-Unis, le shutdown est la situation dans laquelle les deux chambres parlementaires ne se mettent pas d’accord avant le 1er octobre sur le vote de la loi de financement de l’administration fédérale. Le financement des services publics et le paiement des agents ne sont plus autorisés, et les activités gouvernementales non essentielles sont suspendues. Cette année, les États-Unis ont failli connaître un nouveau shutdown.

En France, le Parlement devait débattre de la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Ces débats n’ont pas duré puisque la Première ministre a utilisé l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter le texte. Pour rappel, sur le fondement de cet article, le gouvernement fait adopter un projet ou une proposition de loi par l’Assemblée nationale, sans le vote des députés. En contrepartie, le gouvernement engage sa responsabilité et doit démissionner si une motion de censure est adoptée par les députés. Dans ce cas, le projet de loi n’est finalement pas adopté.

Cependant, si l’article 49 alinéa 3 n’existait pas et si le gouvernement n’obtenait pas de majorité pour adopter son projet de LPFP, les services publics ne seraient donc pas bloqués. La LPFP ne fait en effet que fixer les orientations budgétaires pour les années à venir, dans l’esprit d’une planification pluriannuelle des dépenses (article 34 de la Constitution). Elle n’est pas contraignante et n’engage pas de dépenses ou de recettes publiques, au contraire de la loi de finances votée en fin d’année civile, qui fixe le montant et l’affectation des charges et des recettes publiques pour l’année à venir, et sans laquelle le gouvernement ne peut plus encaisser ni décaisser de fonds.

Et quand bien même, un projet de loi de finances qui ne serait pas adopté par le Parlement dans les temps ne conduirait pas à l’arrêt des services publics. Si le Parlement ne légifère pas, le gouvernement peut appliquer son budget par ordonnance dès le 1er janvier (article 47 de la Constitution).

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Emmanuel Macron : « ça marche pas le blocage des prix »

Le président de la République a affirmé, face aux journalistes, que le blocage des prix ne pouvait pas fonctionner, car en France « les prix ne sont plus administrés ». C’est vrai. Depuis une ordonnance du 1er décembre 1986, le principe de liberté des prix a été posé, inscrit depuis dans le Code de commerce : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant (…) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence » (article L. 410-2). Les prix en France résultent donc de la confrontation de l’offre et de la demande.

Auparavant, des prix aussi divers que ceux du pain, de l’essence, des transports ferroviaires, du tabac, de l’alcool, de certains loyers ou encore de certaines assurances étaient dits administrés, c’est-à-dire fixés par l’État, avec plus ou moins de marge. Il ne reste que quelques prix administrés, comme celui du livre, celui des médicaments remboursés par la sécurité sociale, ou encore les émoluments des notaires lorsqu’ils accompagnent une vente immobilière ou une succession.

Problème : en dehors de ces cas particuliers, les prix ne peuvent être fixés, et encore moins bloqués, sans risquer d’enfreindre le droit de l’Union européenne. La cour de justice de l’Union (CJUE) a jugé que les blocages de prix peuvent être contraires au principe de libre circulation des marchandises si les prix fixés aboutissent à handicaper les importations en provenance de l’Union (CJCE, 18 octobre 1979). De plus, le prix de blocage doit tenir compte d’une moyenne européenne, et ne pas se baser uniquement sur les coûts de production français (CJCE, 29 janvier 1985). Or, l’inflation dans les autres États de l’Union étant plus forte, un blocage en France pourrait être perçu comme une mesure protectionniste et incompatible avec les traités européens, sauf si la France parvenait à justifier d’un impératif d’intérêt général, concernant par exemple le blocage de certains produits de première nécessité.

La loi actuelle permet à l’État de fixer les prix de manière exceptionnelle « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement » (article L. 410-2 du code de commerce). La France s’est trouvée dans cette situation lors de la pandémie de covid et administré par décrets le prix des solutions hydroalcooliques et des masques (décret du 4 avril 2020 et décret du 10 juillet 2020).

Le gouvernement peut également prendre « des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé », « contre des hausses ou des baisses excessives de prix ».

En définitive, bloquer ponctuellement certains prix bien déterminés (comme le gaz), pour une période courte renouvelable et sans pénaliser les entreprises européennes est possible sans modifier la loi. Bloquer les prix de façon plus étendue, en englobant une large palette de produits de première nécessité, au seul motif qu’ils augmentent trop, supposerait de modifier la loi en accord avec la Commission européenne, mais rien ne garantit que cela “fonctionne”.

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Selon Florian Philippot, trois décrets vont interdire l’usage domestique de l’eau de pluie, y compris pour les potagers

Le post sur X (anciennement Twitter) du président du mouvement Les Patriotes renvoie vers une très longue vidéo, dont il tire la conclusion selon laquelle il ne sera plus possible chez soi de recueillir l’eau de pluie pour un usage domestique, ni pour les potagers (dans le cas des potagers, il ajoute un “?!”). Et de dénoncer dans le même message la “privatisation de l’eau de pluie” et la “mondialisation” dont l’eau de pluie serait victime.

Cette affirmation repose sur trois décrets dont seul le dernier concerne les eaux pluviales. Il date du 29 août 2023, et il traite notamment des “conditions d’utilisation des eaux de pluie”.

Le décret du 29 août 2023, qui applique une ordonnance du 22 décembre 2022 provenant elle-même d’une directive européenne du 16 décembre 2020, impose des critères de qualité des eaux pour éviter la propagation de maladies. Ainsi, l’utilisation des eaux usées est soumise à une autorisation administrative en raison des risques sanitaires élevés et “l’utilisation des eaux de pluie est possible sans procédure d’autorisation”. À cela s’ajoute que “tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds” (article 641 du code civil) et qu’une utilisation “efficace, économe et durable” des eaux est préconisée article L. 211-1 du code de l’environnement

Ainsi, l’utilisation domestique des eaux de pluie est au contraire encouragée, mais comme il existe des risques sanitaires, quelques restrictions sont prévues par le Code de la santé publique (article L. 1322-14). Le décret d’août 2023 prévoit que “l’utilisation des eaux (de pluie) n’est pas possible à l’intérieur” de certains locaux, dont “les locaux à usage d’habitation”, “les établissements sociaux, médico-sociaux, de santé, d’hébergement de personnes âgées”, “les crèches, les écoles maternelles et élémentaires” (article R.211-126). Est également interdite l’utilisation de l’eau de pluie à des fins alimentaires ou de lavage de vaisselle (article R. 211-127).

L’utilisation domestique des eaux de pluie est donc encadrée pour des raisons sanitaires, et ce n’est pas nouveau non plus nouveau puisqu’un arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, prévoyait déjà exactement les mêmes restrictions.

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Laurent Wauquiez : « J’ai décidé que la région se retirait du processus zéro artificialisation nette »

Le président de la région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a affirmé samedi 30 septembre vouloir sortir du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN), précisant : « Mettre sous cloche les décisions des permis de construire sur la ruralité, cela signifie qu’on s’interdit toute forme d’avenir (…) J’ai décidé que la région se retirait du processus. On le fait en lien avec les départements avec lesquels on a échangé dessus ». Cette sortie de la région est illégale. Une région ne peut pas freiner la mise en œuvre d’un objectif prévu par la loi. En plus, cette sortie serait juridiquement contre-productive.

L’objectif ZAN, issu de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 (articles 191 et suivants), vise à interdire l’artificialisation des sols à l’horizon 2050, en imposant jusqu’à cette date un calendrier de réduction de l’artificialisation des sols. À partir de 2050, toute artificialisation d’une parcelle de terrain, c’est-à-dire sa bétonisation, ne sera possible que si une surface équivalente est végétalisée.

Les régions sont tenues de mettre en œuvre l’objectif ZAN à travers les Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET, article L. 4251-1 CGCT). Le ZAN est également mis en œuvre au niveau intercommunal et communal (article 194, IV de la loi du 22 août 2021).

Il revient à la région de tirer les conséquences de la volonté du législateur en planifiant la mise en œuvre de l’objectif ZAN, et cela avant le 22 novembre 2024. Dans le même temps, les documents d’urbanisme doivent également commencer à prendre en compte cet objectif, le cas échéant en suivant les grandes orientations de la région.

La région ayant l’obligation de prendre en compte ces objectifs légaux, elle ne peut donc « se retirer du dispositif » comme le souhaite Laurent Wauquiez. Si malgré tout la région décidait de sortir du dispositif, son SRADDET serait illégal, et risquerait l’annulation par le juge administratif.

Autre conséquence majeure, les intercommunalités et communes devraient alors s’aligner directement sur l’objectif ZAN posé par la loi, car le SRADDET serait illégal. Si leurs documents d’urbanismes (SCoT et PLU) ne sont pas révisés en ce sens dans les délais imposés, alors il sera tout simplement impossible pour une commune ou une intercommunalité d’accorder des permis de construire sur des terrains qui ne seraient pas déjà urbanisés (article 194, IV, 9° de la loi de 2021). Et si elles accordaient tout de même un permis, alors celui-ci serait très probablement annulé par le tribunal administratif.

Ainsi, la décision de Laurent Wauquiez n’aura pas les effets voulus : s’il refuse de mettre en œuvre l’objectif ZAN dans sa région, ce qu’il a le pouvoir de faire mais pas le droit, cet objectif sera quand même opposable aux intercommunalités et communes, qui auront l’obligation de mettre en œuvre cet objectif par elles-mêmes, sous peine de ne plus pouvoir autoriser les constructions nouvelles bien avant 2050. Ou quand l’abstention de la région rend plus rapide l’application de l’objectif ZAN.

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