L’humanoïde autonome arrive plus tôt que prévu sur la scène juridique

Publié le 27/09/2021

Alors que l’arrivée du robot humanoïde autonome est annoncée pour l’an prochain, Xavier Labbée, professeur des universités et avocat au barreau de Lille, s’interroge sur ce que cela signifie au regard du droit mais aussi de la  justice. Faudra-t-il donner la personnalité juridique à un objet ? Si oui, alors qu’adviendra-t-il de la distinction entre les personnes et les choses qui fonde la civilisation ? 

L'humanoïde autonome arrive plus tôt que prévu sur la scène juridique
Photo : Adobestock/Sdecoret

Dans la course engagée contre la mort de l’humanité, les chercheurs en tout genre rivalisent d’imagination pour arriver en tête : comment offrir aux humains un ultime moyen de survivre à l’apocalypse qui – dit-on – les attend à plus ou moins longue échéance ? Pour beaucoup, la venue d’un robot créé à l’image de l’homme pourrait constituer la solution. Cette nouvelle créature pourrait donc saisir le relai que lui tend l’humain avant de disparaître. S’ouvrirait alors la post-humanité.

Un robot d’un mètre soixante-treize et cinquante-sept kilos

L’actualité récente nous interpelle : le robot humanoïde autonome est annoncé  sur la scène juridique… dès l’an prochain !  (V° par ex Claude Fourquet « Elon Musk présente un robot humanoïde qui utilisera la technologie de Tesla » 20 Aout 2021 lesechos.fr). Son inventeur l’a présenté : 1,73 m, 57 kilos, capable de marcher à 8 Km/heure et de courir à 44 Km/h ; il est autonome – comme la voiture du même nom – et pourra accomplir toutes les tâches « ennuyeuses » que ne voudra plus faire l’humain. Il pourra par exemple se rendre au supermarché pour faire les courses…  et peut-être aller en faculté pour donner ou suivre un cours… Son destin est fixé non par la providence mais par l’intelligence artificielle : c’est plus sûr.  Ce robot évoque irrésistiblement le personnage de la série télévisée EMMA que TF1 avait présenté il y a quelques années. (V° Pascale Vergereau « Emma le flic robot de TF1» 7 Octobre 2016 ouest-France.fr).  La série n’a malheureusement pas eu de succès : c’était sans doute trop tôt.

Plus intelligent que l’homme et androgyne

Le choix de l’humanoïde autonome comme sauveur de l’humanité peut paraître a priori judicieux car il  ne mange pas, ne boit pas, ne respire pas, n’est pas malade et est indifférent aux variations climatiques. Il est donc insensible aux virus, au réchauffement planétaire et aux pénuries alimentaires qui nous menacent. Il est beaucoup plus intelligent que l’homme et connaît tout sur tout. On observe par ailleurs que le robot Tesla est « androgyne » ce qui est aujourd’hui une grande qualité : pourquoi vouloir créer un robot homme ou femme à l’heure où la loi, sous couvert de l’égalité absolue, gomme toutes les différences entre les humains ? Les robots sexuels qui existent déjà (mais ne sont pas autonomes) vont-ils former une « sous-catégorie » de robots évoquant celle des esclaves ? (Xavier Labbee « épouser une femme robot » gaz Pal 17-12-2014 ; « le robot sexuel, le viol et la pédophilie » Gaz Pal 26.09.2017 N°32 p.14). Pourquoi la femme robot, qui n’est pas autonome, ne voudrait-elle pas le devenir? Quand la libérera-t-on en lui donnant l’autonomie à laquelle elle peut aspirer ?

Personnalité électronique ?

Car sur le terrain du droit, la question de la personnification de ce nouvel objet va inévitablement revenir sur le tapis : le Parlement européen avait suggéré en 2017 d’attribuer purement et simplement la qualité de sujet de droits, synonyme de personnalité juridique, à une catégorie particulière de robots autonomes (qui pourtant n’étaient pas humanoïdes) (Résolution du 16 Février 2017 contenant « des recommandations à la commission concernant les règles de droit civil sur la robotique »).  Un tel robot aurait été responsable sur son propre patrimoine des dommages qu’il est susceptible de causer. On a parlé sérieusement  de « personnalité électronique ». Certains auteurs ont pu se réjouir d’une telle proposition, y voyant un progrès (V° par exemple Alain et Bensoussan « droit des robots » Larcier) Mais les gardiens du temple ont immédiatement réagi en criant à juste titre à l’hérésie : on ne peut pas personnifier une chose. (V° par exemple : Jean René Binet, « personnalité juridique des robots, une voie à ne pas suivre » Dr Fam 2017 repère 6,  Xavier Labbée « personnifier la voiture autonome » Dalloz 19 sept.2019 n°31). On ne peut pas porter atteinte à la distinction millénaire des personnes et des choses sur laquelle s’est bâtie la civilisation. Et un robot, fut-il humanoïde, n’est qu’une « chose » dépendant du droit des biens. Il ne doit pas être rattaché au droit des personnes. Que dire ?

Gare à la confusion des personnes et des choses

La règle de droit est souvent le reflet de la sociologie : la confusion des personnes et des choses n’est-elle pas – de fait – en marche, à l’heure où l’on parle « d’épouser une femme robot » « d’adopter » l’animal  de compagnie que beaucoup veulent personnifier (Marguenaud « la personnalité juridique des animaux » Rec Dalloz 1998 p 459) … mais où l’on réifie cependant l’embryon humain ? N’est-elle pas de fait déjà réalisée par la révolution numérique qui a imposé la présence d’un ordinateur connecté entre tous les hommes, uniformisant ainsi les rapports que les êtres humains  ont entre eux et ceux qu’ils ont sur les choses ? Par le même  ordinateur, on s’adresse indifféremment à sa voiture, à sa maison, ou à son voisin… Et l’interlocuteur répond ! L’homo numéricus, qui a succédé à l’homo sapiens, n’est-il pas déjà un robot  (Xavier Labbée « le sujet de droits sujet connecté » Gazette du Palais 31.10.2017  « le corps humain connecté » Gazette du Palais  – 6 mars Mars 2018 n°9) ? Sa destinée ne dépend-elle pas déjà de la Machine qui sait tout de lui, n’oublie rien de son passé,  attise ses rapports avec  ses semblables tout en imposant sa dictature ? Cette Machine à laquelle nous sommes contraints d’être reliés, n’est-elle pas la divinité d’une nouvelle religion, autour de laquelle s’affairent déjà les humains comme le faisaient les grenouilles décrites par  la Fontaine autour du roi soliveau ? Mais un soliveau n’est qu’un objet.

A l’ère de la post-humanité le droit et la justice disparaitront

Lorsque les personnes et les choses seront confondues, que le droit des personnes et le droit des biens seront unifiés, nous serons entrés dans la post-humanité : le post-humain n’aura plus rien d’humain et les sciences humaines et sociales (dont fait partie le droit) auront logiquement disparu. La civilisation s’est construite sur la distinction des personnes et des choses. La confusion des notions stigmatisera sa disparition. Dans la post-humanité, les rapports entre les êtres ne seront plus réglés par le droit et la justice, qui seront devenus des instruments périmés parce qu’imprécis, lents et faillibles. On les rejettera sans regret. Le code civil et le code de procédure seront placés aux côtés du silex taillé et de la hache de fer au musée de l’humanité (Xavier Labbée « la confusion des personnes et des choses : un péril mortel pour l’humanité ? » L’Harmattan 2021).

La machine ne se trompe pas

Le post-humain va peut-être remplacer l’humain mais il n’est pas son descendant. Il ne lui succède pas. Il ne fait pas partie des hominidés. Il n’est pas non plus son sauveur. Si l’on en croit les Ecritures, c’est le Christ qui seul mérite ce qualificatif, puisqu’il revient le jour de l’Apocalypse juger « les vivants et les morts » pour le « jugement dernier ». Mais il ne revient pas pour juger les robots ou les créatures qui ne sont pas signées de la main de son père…  Il ne vient pas sauver la post-humanité.

Nous comprenons plus simplement que viendra un jour où l’on fermera les portes du tribunal et qu’un dernier jugement sera rendu… parce qu’il n’y aura plus d’humains à juger et que le droit aura purement et simplement perdu sa fonction. Il nous semble qu’à l’heure de la déjudiciarisation à marche forcée que nous connaissons, conjuguée à l’apparition des plateformes numériques en tous genres qui viennent dénaturer la notion traditionnelle de droit et de justice, nous roulons à tombeau ouvert vers ce système qui réussit à conjuguer la perfection… et l’absurdité.

Les rapports entre les post-humains seront réglés par la machine qui ne se trompe pas, n’est pas syndiquée, n’est pas salariée et travaille jour et nuit ; ses décisions totalement impartiales seront incontestables car parfaites et on sera – enfin – débarrassés de ces cours d’appel où plus personne ne se hasarde à aller tant la chose est devenue dangereuse depuis la réforme Magendie. Dans un tel paysage, où l’on règle et traite les affaires sans les juger tant la notion de justice sera devenue obsolète, il sera inutile de garantir « les droits fondamentaux du post-humain » puisqu’il évoluera dans un monde parfait. (V° Xavier Labbée « traiter ou régler n’est pas juger… et c’est mieux ainsi » Gazette du Palais, 15 sept.2020)

On donnera pour conclure en chanson, la parole à Georges Brassens : face aux progrès de la Science incarnée par « le professeur Nimbus » le poète (auteur du Grand Pan) s’inquiète :

« Et l’un des derniers dieux

l’un des derniers Suprêmes

ne doit plus se sentir

tellement bien lui-même

un beau jour on va voir le Christ

descendre du calvaire en disant dans sa lippe

Merde je ne joue plus

pour tous ces pauvres types

j’ai bien peur que la fin du monde

soit bien triste ».

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