Attentats de janvier 2015 : les avocats d’Ali Riza Polat plaident l’acquittement
Mardi 8 décembre après-midi les plaidoiries de la défense ont débuté avec Me Isabelle Coutant-Peyre et Me Antoine Van Rie pour Ali Riza Polat. Le parquet venait de requérir le matin à son encontre la perpétuité, sa défense réclame l’acquittement.
Il est celui contre lequel pèse la charge la plus lourde, celle de complicité. Il est aussi l’accusé à cause duquel le procès n’en finit plus. Ali Riza Polat a en effet attrapé le COVID (comme deux autres accusés), ce qui s’est traduit chez lui par des troubles digestifs invalidants ; la cour a été forcée de suspendre les débats. Il est encore l’homme pour lequel, dit-on, le gouvernement aurait taillé sur mesure une possibilité légale d’étendre l’usage de la visioconférence aux assises *. Il est enfin et peut-être surtout celui qui a passé son temps à haranguer les uns et les autres. La grande gueule, l’accusé qui veut bien assumer son profil de voyou et l’affiche même fièrement, mais refuse toute responsabilité dans des attentats terroristes. Durant ces trois mois, Ali Riza Polat n’a cessé ainsi de rappeler que sa seule passion dans la vie, c’était l’argent. Son but, son obsession ? En gagner toujours plus pour, par exemple, faire le tour de l’Ecosse en 4×4 avec une « bobo » parisienne.
« Les fascistes ont servi à fournir les armes »
Quand Me Coutant-Peyre prend la parole en premier, on s’attend à quelques unes de ces provocations dont elle a le secret. Au fil des audiences elle a par exemple protesté au nom de la laïcité quand les parties civiles interrogeaient les prévenus sur leur rapport à la religion ou bien encore désigné la police comme la vraie responsable des attentats puisqu’elle n’avait pas su les empêcher. Brune, maigre et comme brûlée vive par ce qui ressemble à colère intérieure inextinguible, elle s’en tient en réalité à faire le procès du procès sur un ton assez technique : les vrais coupables, ceux qui ont vendu les armes, sont absents du boxe. Elle évoque le fameux Claude Hermant. C’est une figure de l’extrême-droite lilloise, marchand d’armes et ancien indicateur de la gendarmerie et des douanes. Les armes dont s’est servi Amedy Coulibaly, c’est lui qui les a importées. Mais il a été condamné en 2017 dans le cadre d’un procès séparé de celui-ci. S’il a été entendu dans cette affaire c’est uniquement comme témoin le 1er octobre dernier.
« Les fascistes ont servi à fournir les armes. C’est indiscutable et contesté par personne » constate l’avocate, estimant que Claude Hermant devait être protégé puisqu’il n’est pas dans le box. Pour elle, ce volet de l’affaire aurait du donner lieu à une demande de rapatriement de la part des juges parisiens en charge des attentats de janvier 2015. C’est parce que cela n’a pas été fait que son client se retrouve seul poursuivi pour complicité en raison du fait qu’il a fourni les armes quand les autres « fournisseurs » n’ont été condamnés que pour trafic.
« On a gonflé le dossier »
C’est au tour de Me Antoine Van Rie de prendre la parole. Le jeune avocat entend démonter trois séries de charges contre son client. Il y a d’abord la téléphonie qui témoigne de relations soutenues entre Ali Riza Polat et Amedy Coulibaly dans les semaines précédent les attentats : 475 échanges, soit 4 sms par jour. « Pour des trentenaires, ce n’est rien ! » assure l’avocat qui souligne : « une seule chose est sûre : on ne sait pas ce que les deux hommes se sont dit, car ils se dissimulent et comme ils dissimulent c’est donc illégal ». Un raisonnement symptomatique à ses yeux « d’une forme de travail de la police qui revient à faire parler les indices dans un sens dirigé ». Un numéro qui n’a jamais été le sien, un portable qu’il n’utilisait plus, une conversation de 44 secondes, tout semble bon pour « gonfler le dossier ». Il aurait même rencontré les frères Koauchi à Paris le 25 novembre, mais c’est faux « il n’a jamais rencontré de près ou de loin les frères Kouachi. Comment pourrait-il être complice de personnes qu’il ne connait pas ? » Et l’avocat de dénoncer : « On a gonflé le dossier pour le faire passer pour le bras droit, le logisticien en chef, le cerveau, le super-tacticien ». Seulement voilà, ceux qui savaient se sont enfuis avant les attentats explique-t-il, faisant allusion aux trois accusés absents. Polat, lui, est parti après, puis rentré à Paris le 25 janvier et ce n’est que 60 jours plus tard qu’on l’a arrêté. « Avant le 9 janvier, Polat c’est James Bond, après c’est les pieds-nickelés », lance l’avocat, empruntant la formule à son client qui l’a sortie au début du procès.
« Il n’est pas de l’honneur de la justice d’aller chercher un représentant pour éponger la frustration de ne pouvoir juger les vrais auteurs des attentats » lance l’avocat. Autre élément à charge, les photos de djihadistes sur sa tablette. Elles ne pèsent que quelques ko, relève Me Van Rie qui précise que cela signifie qu’elles sont tirées de la mémoire cash. Ali Riza Polat explique qu’elles proviennent d’articles qu’il a lus après les attentats. Rien ne permet de dater les photos, de sorte que sa version est plausible. « On a construit une image de Polat, on l’a imaginé en parfait terroriste » dénonce Me Van Rie.
Polat, un nouveau Dreyfus ?
Reste enfin la conversion à l’islam en octobre 2014. Il est converti oui, mais par radical. C’est le célèbre psychiatre Roland Coutanceau lui-même qui l’affirme. En substance, Polat a bien trop de personnalité pour se laisser embarquer dans un combat idéologique. Il n’a par ailleurs jamais été condamné pour des violences. Seulement voilà, certains voient dans le fait qu’il boive de l’alcool, trafique de la drogue et fréquente beaucoup de femmes, une forme élaborée de taqyia, cette technique de dissimulation utilisée par les terroristes pour masquer leurs activités. « Richard Malka (NDLR : l’avocat de Charlie Hebdo) a dit vendredi qu’il fallait faire primer le droit sur la force, donnez-lui raison, appliquez le droit, conclut l’avocat. Comme on ne peut condamner un homme sur des hypothèses et qu’il reste de nombreux doutes, vous pouvez avoir le courage de dire que vous doutez, c’est le droit et vous acquitterez Polat ».
L’avocat retourne s’asseoir tandis que Me Coutant-Peyre revient à la barre pour conclure. Elle amorce une comparaison avec Dreyfus, cite Zola, J’accuse, la fuite de l’écrivain en Angleterre. » Ce serait terrible pour la justice française qu’une telle erreur judiciaire se reproduise contre un musulman ». A ce moment là, plusieurs avocats des parties civiles dont Richard Malka et Marie-Laure Barré se lèvent sans fracas et quittent la salle tandis que l’avocate termine sa plaidoirie. La comparaison entre Polat et Dreyfus, visiblement, ne passe pas.
L’audience est levée.
Les plaidoiries de la défense vont se poursuivre jusqu’au 14 décembre. Puis les accusés auront une dernière fois la parole avant que la Cour ne se retire pour délibérer.
* Lors du référé-liberté intenté par plusieurs organisations d’avocats et de magistrats contre cette disposition, le gouvernement s’est défendu d’avoir pris ces dispositions pour ce procès en particulier. Le Conseil d’Etat a finalement ordonné la suspension du dispositif. Les explications ici.
De lourdes réquisitions
Au procès des attentats de janvier 2015, les réquisitions contre les 14 accusés (11 dans le box et 3 absents) ont duré deux jours. Deux jours durant lesquels les deux avocats généraux se sont relayés pour établir les responsabilités. A l’arrivée, les peines réclamées contre ceux que l’on qualifiait au départ de « seconds couteaux » sont sévères.
Ali Riza Polat et Mohamed Belhoucine : Perpétuité
Hayat Boumedienne : 30 ans
Mehdi Belhoucine et Nezar Pastor Alwatik : 20 ans
Willy Prevost : 18 ans
Metin Karasular, Michel Catino, Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez : de 15 à 18 ans
Amar Ramdani : 17 ans
Saïd Makhlouf : 13 ans
Mohamed Fares : 7 ans
Christophe Raumel : 5 ans
Référence : AJU116074