Procès Fillon : saison 3 ?

Publié le 29/09/2023

Quelles vont être les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel prononcée le jeudi 28 septembre dans le cadre de l’affaire Fillon ? Jusqu’à quel point les procédures pénales en cours sont-elles susceptibles d’en ressentir les effets ? On fait le point avec Valérie-Odile Dervieux, magistrate (Cour d’appel de Paris) et déléguée régionale Unité Magistrats SNM FO.

Procès Fillon : saison 3 ?
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Rappel de la procédure

Par jugement du 29 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris a, notamment, déclaré M. Fillon coupable des chefs de détournements de biens publics, complicité et recel de ce délit, complicité d’abus de biens sociaux et recel.

Devant la cour d’appel, le conseil de M. Fillon a conclu à l’annulation d’actes de procédure (réquisitoire introductif, désignation du juge d’instruction, interrogatoires et, selon la formule consacrée, de l’ensemble de la procédure subséquente), au motif que, postérieurement à l’audience du tribunal correctionnel des éléments « particulièrement graves » ont été révélés[1].

Par arrêt du 9 mai 2022, la cour d’appel a notamment condamné M. FILLON à quatre ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 euros d’amende, dix ans d’inéligibilité et, au visa du mécanisme de la purge des nullités issu de l’article 385, alinéa 1 CPP, déclaré irrecevable l’exception de nullité soulevée.

Par arrêt du 28 juin 23 (chambre criminelle, arrêt n° 986), la Cour de cassation sur pourvoi formé contre cet arrêt de la cour d’appel, a décidé de renvoyer au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les dispositions de l’article 385 du Code de procédure pénale, en ce qu’elles ne prévoient pas qu’il soit dérogé au principe de la purge des nullités de procédure prévu par l’article 179 in fine du même code s’agissant des moyens de nullité dont le prévenu ne pouvait avoir connaissance avant la clôture de l’instruction, méconnaissent-elles le principe des droits de la défense et le droit à un recours effectif garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ? ».

Une décision attendue

Le Conseil constitutionnel, par Décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023 a estimé que la combinaison de l’article 179 CPP al 1[2] et de l’article 385 al 1 CPP[3] qui prive de toute possibilité de soulever devant la juridiction de jugement un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’avait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction, a déclaré contraire à la Constitution l’article 385 al 1 du Code de procédure pénale, au visa de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789[4] pour violation du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.

Le droit positif de la purge des nullités (conditions, conséquences, forme) au cours et au terme de l’instruction préparatoire fixe en effet des règles et des exceptions afin d’assurer un équilibre entre la sécurité juridique, la maîtrise des formes et des délais procéduraux et les droits des parties.

Ainsi :

L’article 170 CPP prévoit que la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté.

Les articles 173-1 et 174 CPP soumettent à des conditions de recevabilité et de délais la possibilité de contester actes ou pièces et réservent le cas où les parties n’auraient pu connaître le moyen de nullité avant la forclusion dudit délai.

L’article 175 CPP fixe les conditions, délais et formes des requêtes en nullité pouvant être formulées à compter de l’envoi de l’avis de fin d’information et l’art 385 al 3 CPP prévoit, par dérogation à ce mécanisme de la purge des nullités, que lorsque l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction a été rendue en violation des conditions ainsi posées, les parties demeurent recevables à soulever devant le tribunal correctionnel les nullités de la procédure.

La décision d’inconstitutionnalité était donc assez prévisible.

D’ailleurs les rapport et conclusions des conseiller rapporteur et avocat général de la Cour de cassation aux fins de transmission de la QPC allaient, en creux, dans ce sens et la décision s’inscrit dans la logique de la décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021 (purge des nullités en matière criminelle) à l’origine de de l’article 269-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 22 décembre 2021.

Un contexte délicat 

 La sensibilité de l’espèce transpire des précautions rédactionnelles du communiqué de presse du Conseil Constitutionnel qui insiste « lourdement » et à trois reprises, sur l’absence de lien – pourtant juridiquement évident entre sa décision, le fond de la procédure FILLON et la pertinence du moyen de nullité soulevé.

Il est vrai que si le Conseil constitutionnel décide que l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles est reportée, sauf réforme antérieure, au 1er octobre 2024, il précise que la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction.

La balle est donc bien dans le camp de la Cour de cassation qui désormais doit se prononcer, dans l’affaire Fillon, sur la suite à donner au chef de nullité reconnu comme « constitutionnellement » recevable et qui vise à faire « tomber » lentière procédure

Une décision qui ouvre le champs des (im)possibles

QPC à venir ?

Notons que la question de la purge des nullités opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction se pose également :

*en matière contraventionnelle (art 178 al2 CPP)

*en matière criminelle

*et dans des termes plus complexes encore, en cas de passerelle vers une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (art 180-1 CPP) ou vers une convention judiciaire d’intérêt public (art 180-2 CPP).

Il est probable que ces questions fassent rapidement l’objet de prochaines QPC.

Délai raisonnable ?

Plus concrètement les juridictions vont devoir réaudiencer des procédures parfois tentaculaires.

Le délai restera-t-il « raisonnable » au regard des stocks et des difficultés d’audiencement.

Nouvelles complexités ?

 Quid en cas de chefs de nullité qui seraient apparue entre la première et la seconde instance, entre l’appel et un pourvoi en cassation, une fois la décision définitive acquise ? Un nouveau chef de recours en révision est-il envisageable ? (Article 595 CPP)

Comment assurer un double degré de juridiction pour des chefs de nullité apparus tardivement ?

Régime des purges des nullités ou régime des nullités

Enfin, au regard d’un droit positif particulièrement évolutif en matière de nullité et de délais d’audiencement particulièrement longs, délais au cours desquels des « éléments nouveaux inconnus à l’issue de l’information judiciaire » peuvent survenir, la question de la gestion de ce nouveau contentieux des nullités « nouvelles » se pose.

Les aficionados de la procédure pénale ont donc de beaux jours devant eux.

Attendons donc la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Attendons les nouvelles QPC.

Attendons le nouveau texte.

Décidément la procédure pénale reste au centre des jeux.

 

[1] Affaire Fillon : l’ex-premier ministre remporte une victoire judiciaire devant le Conseil constitutionnel, Le Monde 29/09/23 : www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/29/affaire-fillon-l-ex-premier-ministre-remporte-une-victoire-devant-le-conseil-constitutionnel_6191503_3224.html

[2] « Si le juge estime que les faits constituent un délit, il prononce, par ordonnance, le renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel »

[3] « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction. »

[4] « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

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