Tribunal de Pontoise : « Ça ne les dérange pas que les jeunes aillent en prison »

Publié le 03/05/2023

Rayan, 19 ans, est interpellé à Saint-Ouen dans une cité connue pour abriter un trafic de drogue. C’est la troisième fois en trois mois. Et là, Rayan va partir en prison.

Tribunal de Pontoise : « Ça ne les dérange pas que les jeunes aillent en prison »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Les policiers sont positionnés aux abords de la cité des Brouillards, rue des Séquoias, à Saint-Ouen-L’aumône. Ils surveillent les allées et venues de personnes étrangères à la cité, des clients. Ils observent les mouvements de gamins placés à des endroits stratégiques – des choufs (guetteurs). Ce jour-là, ils cherchent à coincer des revendeurs et à saisir le produit – du cannabis.

Ils repèrent un jeune homme au 10e étage de l’immeuble, dans les parties communes. Ils reconnaissent immédiatement Rayan, qu’ils ont interpellé il n’y a pas deux semaines. Quand les policiers lui tombent dessus, il présente son sac à dos et indique qu’il contient de la drogue. Les fonctionnaires pèseront 464 grammes de résine et 74 grammes d’herbe.

C’était le 5 avril 2023, le jour de ses 19 ans. Une fois dans le box des comparutions immédiates de Pontoise, Rayan, dépité mais lucide, admet qu’il n’a pas vraiment d’excuse. La présidente : « Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette position ?

— Le propriétaire, même si ça paraît, voilà quoi, il m’a demandé de garder le sac parce que c’est l’heure de couper le jeûne (du ramadan, ndlr).

— Pourquoi vous avez accepté ?

— Parce que c’est mon ami.

— Il sait que vous avez été interpellé peu de temps avant, il vous confie un sac et vous acceptez. C’est vraiment un ami ?

— Une mauvaise fréquentation. »

Jugé trois fois en trois mois pour des faits identiques

L’assesseure de droite : « C’est étonnant, parce qu’en janvier 2023, c’était moi qui présidait l’audience au cours de laquelle vous avez été jugé, et c’était déjà exactement les mêmes explications. Un ami vous avait confié un sac.

— Mais cette fois-ci, c’était moi qui vendais, et j’ai assumé.

— Vous avez été rémunéré ? interroge l’assesseur de droite.

— Non.

— Vous n’avez pas l’impression de vous être fait avoir ?

— Non, c’était pour une dizaine de minutes.

— Vous savez pourquoi vous avez été choisi ?

— Parce que j’avais déjà vendu.

— Non, parce que vous êtes jeune. Ça ne les dérange pas que les jeunes aillent en prison. »

Sur les bancs du public, les parents de Rayan, assis à quelques mètres de distance car ils ne s’entendent pas, ont la mine grave. Rayan vit avec son père dans cette cité. Il ne peut pas aller s’exiler chez sa mère loin du trafic, car il est en conflit avec elle, explique-t-il.

Son casier porte la trace d’une condamnation, mais deux n’y sont pas encore inscrites, précise le procureur. L’une date du 21 mars. Trafic de stupéfiant. Rayan a eu quelques petits boulots (restauration, hôtellerie), et s’apprêtait à faire un stage dans un label de musique. Raté. « Il va falloir se calmer, se renfrogne la présidente. Janvier, mars, avril. C’est quoi votre projet pour l’avenir ? » Rayan ne sait pas. Il précise qu’il cherche à réunir de l’argent pour payer diverses amendes, pour un total de 1500 euros.

« On met le pied dans l’engrenage »

Le procureur ne sait pas non plus, mais il a une idée pour son avenir proche : quatorze mois de prison avec mandat de dépôt, voici ce qu’il requiert. Il a l’air consterné. « Même profil, même mode opératoire, même excuse que le précédent prévenu. » Rayan serait aussi persona non grata chez les trafiquants, pour être soupçonné d’avoir éventuellement parlé aux policiers. « ‘Ils ne veulent plus que je travaille là-bas’, dites-vous ; on aurait aimé qu’il comprenne que nous aussi on voulait qu’il n’y travaille plus. »

Rayan est défendu par le même avocat que le précédent prévenu, Yohan, condamné à 8 mois pour un trafic similaire (notre article ici). « Il se retrouve à Saint-Ouen-L’Aumône sans pouvoir en partir, suite à un conflit familial. Il traîne et on l’alpague. On met le pied dans l’engrenage et une fois que c’est fait, c’est extrêmement compliqué de s’en sortir. » L’avocat demande que la peine ne dépasse pas quatre mois, car sinon la juge d’application des peines, qui doit le recevoir bientôt, ne pourra pas aménager la peine de huit mois à laquelle il a été condamné le 21 mars.

Les juges emportent cet argument dans leur délibéré, mais ne l’entendent pas. Rayan est condamné à huit mois de prison, le tribunal décerne mandat de dépôt. Rayan et ses parents ne se regardent même pas. Ces derniers paraissent défaits et honteux. Ils s’en vont tête basse.

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