Tribunal de Pontoise : « Je ne vois pas du tout ce qu’il y a d’aberrant dans cette histoire »

Publié le 15/09/2022

Trois jeunes prévenus sont jugés en comparution immédiate par le tribunal de Pontoise, mercredi 17 août, pour recel de voiture. Ils jurent ne pas savoir qu’ils avaient été embarqués dans une voiture volée, ce que le tribunal semble avoir peine à croire.

Tribunal de Pontoise : « Je ne vois pas du tout ce qu’il y a d’aberrant dans cette histoire »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Mercredi 17 août, Fabrice est assis au premier rang du tribunal correctionnel de Pontoise, mais le 30 juillet, il était étalé sur le pavé, devant la gare de Cergy le Haut, victime d’une violente agression et du vol de sa banane. Fabrice est hospitalisé et lorsqu’il rentre chez lui, il découvre que sa voiture a été volée. C’est une petite Toyota dont les clefs se trouvaient dans la banane dérobée, avec ses papiers d’identité sur lesquels figuraient son adresse. Heureusement pour lui, ses agresseurs n’ont pas osé cambrioler son domicile.

Dans la nuit du 15 au 16 août, les policiers de Cergy ont retrouvé la Toyota de Fabrice, qui ne l’a pas encore récupérée, car il reste quelques pénibles démarches administratives à effectuer. Mais il a été convoqué au procès non pas de ses agresseurs, mais de ceux qui étaient assis dans sa voiture au moment où les policiers ont procédé à un contrôle, dans un quartier résidentiel de Cergy, à 2h30 du matin.

Ils sont trois, ils sont jeunes, ils sont prévenus de recel de vol de voiture et ils laissent le tribunal perplexe. Fabrice également. Le président imperturbable cherche la vérité dans le récit des trois prévenus, tandis que son assesseuse de gauche semble ulcérée par ce qu’elle a tout l’air de considérer comme des bobards éhontés. Les petits sourires espiègles qu’ils arborent, probablement contre leur volonté, leur confèrent une attitude qui déplait à la magistrate si l’on en croit la façon dont elle lève les yeux au ciel quand ils s’expriment.

Modibo, 19 ans,  somnolait au volant au moment du contrôle. Il raconte : « on marchait et on est tombé sur cette femme qui nous a proposé de monter. » Quelle femme ? se demande le tribunal. Modibo évoque une « connaissance », sans autre détail. Ils roulent 5 minutes avant que la conductrice ne s’arrête et leur dise : « je reviens tout de suite. » Modibo ne voit pas où elle part. Il est défoncé au protoxyde d’azote. A ce moment là, il vient tout juste d’inhaler un ballon, il est donc hilare et file se mettre au volant. Il aime bien les voitures, Modibo, il rigole puis s’assoupit. C’est la patrouille de police qui le réveille brutalement en lui collant ses phares en plein visage. Patrouille qui, le président a tenu à le rappeler en début d’audience, tournait dans le quartier car de nombreux vols de tondeuses, ces derniers temps, affolaient le voisinage.

« Elle vous plante au milieu de nulle part pour faire ses courses ? »

L’assesseuse ne comprend strictement rien au récit. « Vous pouvez me raconter la chronologie, comme si on regardait un film ? » Modibo raconte. La juge poursuit elle-même : « Elle est venue avec la voiture, elle vous a dit ‘montez les gars’, et puis après elle vous laisse la voiture ‘allez salut les gars, à la revoyure’ ? – C’est exactement cela », dit Modibo. Il confesse : « j’étais un peu bourré, j’ai du mal à bien me souvenir.

– Il est 2h30 et elle vous plante au milieu de nulle part pour faire ses courses ?

– Mais je n’étais pas dans mon état normal.

– Et cette histoire, à jeun, elle vous paraît crédible ?

– Bah oui elle est crédible, pourquoi elle ne le serait pas ? »

L’avocate, qui défend les trois prévenus, lui demande : « c’était une connaissance de qui, la dame ? » Une petite voix fluette s’élève du box. Elle provient d’Alézia, minuscule jeune femme de 18 ans, co-prévenue : «  De moi. Mais ce n’est pas ma copine. Juste une connaissance. » Le président cherche à en savoir plus sur cette femme qui semble être la clef de l’histoire. Alézia dit : « elle traîne à la gare, elle est blanche, blonde, un peu moins jeune que moi », et c’est tout. « En fait, c’est une personne à qui on dit bonjour dans la rue, rien de plus ».

Alézia raconte à son tour : elle marchait dans la rue avec ses amis, quand elle croise sa connaissance. La femme blonde. En voiture, une voiture volée, ce que les trois jeunes ignoraient, disent-ils. L’assesseuse ne les croit pas, le procureur non plus. Il pense aussi que la femme n’existe pas. Fabrice, à qui on demande son avis, le donne : « Moi j’aimerais bien savoir qui c’est la copine, je pense qu’elle existe. » Veut-il se constituer partie civile ? « Je ne vais pas leur demander quelque chose, j’ai l’impression qu’ils n’y sont pour rien. » Mais ce n’est pas le cas de l’assesseuse, qui demande à Alézia de raconter les faits : « On marche dans la rue. Elle demande on fait quoi ? Je réponds je sais pas, on galère. Alors montez, elle me dit. » Ils roulent 5 minutes. « Je reviens, je vais juste faire un truc, elle me dit. Et là vos collègues sont arrivés. »

« Le tribunal est le juge des faits mais aussi des hommes et des femmes »

Ali, 19 ans, est le troisième à s’exprimer. Il raconte strictement la même histoire. Il n’a pas calculé grand chose, car comme ses amis il était défoncé et il regardait des vidéos sur son téléphone. Quand les policiers arrivent et découvrent sur leur fichier que le véhicule est volé, il ne comprend rien non plus. Le président tente de le faire parler : « Et vous aviez des projets pour la nuit ? – Je sais pas, on allait juste voir ce qu’il se passerait. » L’assesseuse revient sur des détails. Elle semble outrée par la légèreté des trois prévenus, qui ont vraiment l’air très jeunes et ahuris par deux mauvaises nuits en garde-à-vue et un peu trop de gaz hilarant. Leur moue badine pour ainsi dire aggrave leur cas.

« On va parler de leur personnalité, dit le président, car le tribunal est le juge des faits mais aussi des hommes et des femmes. Madame, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? – Ben, rien. » Inscrite à la mission locale, Alézia envisage de devenir coiffeuse. Elle ne s’entend pas avec sa mère et vit chez sa tante. Ali est en BTS comptabilité gestion, et Modibo travaille par intermittence comme intérimaire. Mais son casier comporte 5 mentions : vol, extorsion, violences, menaces. C’est la première fois qu’il comparaît devant un tribunal pour adultes.

C’est donc la première fois qu’il entend un procureur « pour adultes », et ce n’est pas la même musique. Déjà, leur culpabilité, à ces trois rigolos, ne fait aucun doute pour le magistrat. Il expédie cela en quelques phrases. Ils étaient dans cette voiture volée, comment pourraient-ils ne pas le savoir ? Le procureur est convaincu qu’ils mènent le tribunal en bateau. Il demande 6 mois avec sursis contre Ali et Alézia, mais contre Modibo, en récidive, la peine requise est de 12 mois ferme avec mandat de dépôt.

L’avocate reprend tranquillement le récit des trois prévenus pour lui donner la cohérence qui dans le phrasé hésitant de ses clients faisait défaut. Elle explique que dans les quartiers les choses se passent ainsi : on se balade, on croise des connaissances, on fait des trucs et on ne balance personne, pour ne pas créer de problème. Mais en l’occurrence, ils n’avaient rien fait de plus que de s’installer dans une voiture, dont ils ignoraient qu’elle était volée. Rien n’indique le contraire, elle demande donc la relaxe. Elle conclut : « Je ne vois pas du tout ce qu’il y a d’aberrant dans cette histoire ». Finalement, le tribunal non plus : relaxe pour tout le monde.

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