Prison : le scandale des détenus privés des funérailles de leurs proches par manque de moyens

Publié le 16/02/2021

En principe, une personne détenue a le droit de demander à sortir quelques heures pour assister à l’enterrement d’un proche. Mais faute de personnel ces permissions, pourtant accordées par un juge, demeurent bien souvent lettre morte. Explications. 

Prison : le scandale des détenus privés des funérailles de leurs proches par manque de moyens
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

 C’est un tweet qui claque au milieu des millions de messages échangés sur Twitter.

https://twitter.com/DesDetenus/status/1357737894757212172?s=20

 

Ce que raconte  le syndicat des détenus de France dans ce message posté le 5 février dernier reflète une fois de plus le manque de moyens dont souffre la justice. A lire les nombreux commentaires d’avocats sous le tweet, on comprend que cet exemple est loin d’être isolé.

« L’escorte n’est jamais venue »

Régulièrement, les pénalistes dénoncent la situation sur les réseaux sociaux. Loïc Cabioch, avocat au barreau de Nantes, a plusieurs exemples à son actif. Le premier est celui d’un homme placé en détention provisoire dans une affaire d’homicide. Sa compagne est enceinte, on sait à quelle date elle doit accoucher car on va la déclencher. « Sur ma demande, le magistrat instructeur avait donné l’autorisation, mais j’avais prévenu mon client que c’était sous réserve de la disponibilité d’une escorte. Elle n’est jamais venue. En janvier dernier, c’est un homme appartenant à la communauté des gens du voyage qui demande à sortir pour les funérailles d’un grand-parent. On sait à quel point ces personnes entretiennent des liens familiaux puissants. Le juge donne son feu vert, pas d’escorte. Le troisième client était poursuivi pour avoir secoué son bébé, il avait avoué, il voulait se recueillir sur la tombe de l’enfant le jour de l’anniversaire de celui-ci, là encore, l’escorte n’est jamais venue ».

Ce n’est pas faute pour les avocats de se battre. Me Julia Katlama, avocat eau barreau de Paris,  en a gros sur le cœur lorsqu’elle raconte le dernier cas en date auquel elle a été confrontée. Nous sommes à Bobigny, un vendredi tard dans la soirée. Son client a été arrêté pour association de malfaiteurs. Le juge hésite à le placer en détention provisoire en raison tant de son profil (un seul mandat de dépôt en raison d’une révocation de sursis pour du petit trafic de stupéfiants) que de sa participation aux faits. Par ailleurs, il présente de solides garanties de représentation : il est de nationalité française, il vit chez sa famille, dispose d’un emploi sur les marchés. Il sera finalement placé sous écrou provisoire compte tenu de l’importance de l’enquête qui démarre, partant, du nombre de mis en cause dans le dossier.  Lundi matin, l’avocate reçoit un appel de la sœur du  détenu. « Elle est en larmes, elle m’annonce que leur père, un sexagénaire pourtant en bonne santé, est mort dans la nuit d’un arrêt cardiaque, par ailleurs très affecté par le choc du placement en détention de leur fils ». Le jeune homme âgé d’une vingtaine d’année est l’ainé, il a deux petites sœurs. « Ce sont des algériens, musulmans, la levée du corps doit intervenir vite et en plus ils ont décidé de l’enterrer en Algérie, or en raison de la pandémie, le nombre de vols est réduit » précise l’avocate. Manque de chance, la juge d’instruction est en reconstitution, donc injoignable toute la journée. Mais Julia Katlama convainc le greffier de l’aider. Elle appelle aussi l’établissement pénitentiaire, les prévient, son client devra sortir mercredi dans la matinée, l’autorisation du juge n’est qu’une question d’heures.

« On le fait pour rien…ça ne marchera pas »

« Tout se passe correctement au niveau de la détention, le chef de détention est un peu réticent mais je finis par le convaincre, on me dit qu’on va tout faire pour prévoir une escorte ». L’avocate attend toute la journée du mardi  un appel de la juge. En vain. Finalement elle parvient à joindre.  « Elle me dit « ça ne sert à rien, il n’y aura pas d’escorte », sa résignation me met en colère, elle finit par signer, le mardi en fin d’après-midi, en me répétant : « Mais Maître je le fais mais vous savez qu’on le fait pour rien… ça ne marchera pas ». Vers 19 heures, j’ai la pénitentiaire, ils me disent qu’ils sont en réunion, que mon cas a été évoqué, que je dois cesser de les « harceler ». Finalement un mail mardi à 22 heures m’informe que ne sera pas possible ». L’avocate s’est battue durant 48 heures, en vain. Pourtant un article du code de procédure pénale prévoit le droit pour son client de rendre un dernier hommage à son père et un juge a donné son autorisation. Mais on ne peut rien contre l’administration quand elle dit qu’elle ne peut pas. « Ce qui m’a le plus choquée je crois, c’est de voir que tout le monde baisse les bras. En détention, j’ai compris que ce qui les intéressait n’était pas de faire sortir mon client mais simplement de savoir qu’il avait un problème et risquait de se suicider, c’est tout ce qu’ils ont retenu de ce que je leur disais ! ». Julia Katlama est aussi révoltée qu’inquiète. « Ce qu’il faut comprendre c’est que nos clients savent quand ils ont fait quelque chose de mal. La sanction, ils l’acceptent. Mais la maltraitance non, à force d’accumuler refus et brimades, on fabrique des gens anti-système qui, quand ils ressortiront, au lieu de se réinsérer auront la rage contre l’Etat ».

Charge indue

Le problème ne s’est pas toujours posé avec autant d’acuité. Il y a quelques années encore, les extractions, autrement dit les transports de détenus depuis leur centre de détention, par exemple jusqu’au palais de justice pour une audition à l’instruction ou pour un jugement, étaient assurées par la police et la gendarmerie. Et puis un jour, le ministère de l’intérieur a dit « stop », c’est une charge « indue », police et gendarmerie ont autre chose à faire. Alors, c’est l’administration pénitentiaire (relevant du ministère de la justice) qui a hérité de la mission. Le transfert a été décidé le 30 septembre 2010. Seulement voilà, il a fallu créer de postes, exercice ô combien délicat dans une administration sous-budgétée depuis plus d’un siècle.

« Non seulement la justice manque de crédit, mais au cas particulier de l’administration pénitentiaire, on manque de candidats. C’est pourtant, rappelle Matthieu Quinquis, avocat au barreau de Paris, membre de l’A3D (association des Avocats pour La Défense des Droits des Détenus)  l’administration qui est la plus facile à intégrer, on ne demande que le brevet, mais c’est aussi celle qui ne parvient jamais à attirer autant de candidats que de postes à pourvoir. Au point que les syndicats s’inquiètent car cela conduit à accepter à l’examen des personnes très en-dessous de la moyenne ». Bref, on manque de personnel. A tel point qu’une circulaire du 28 septembre 2017, faisant suite à un audit sur la difficulté de l’administration à remplir sa mission, a décidé de réorganiser tout cela. Parmi les solutions proposées, il y a le recours massif à la visioconférence pour éviter les extractions, mais aussi un classement du niveau de priorité des demandes. Ainsi, on a créé les réquisitions d’extraction à enjeu procédural majeur ou (EPM), en clair, quand il y a un délai à respecter. Les autres seront satisfaites ensuite….s’il reste des équipes disponibles. Ce qui, bien entendu, est rarement le cas.

Quand l’administration n’y arrive pas, elle déclare une IDF autrement dit une « impossibilité de faire ». En octobre 2019,  l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire modéré) alertait déjà sur le fait que la moyenne des Impossibilités de faire s’établissait à 10% au niveau national, tout en précisant que ce taux peut atteindre 50 % à certains endroits. Ou même 100% : à Mâcon et Villefranche sur Saône, toutes les réquisitions des juges d’instruction font l’objet d’une IDF,  dénonce alors  l’USM.Faute d’effectifs en nombre suffisant, les EPM finissent par être les seules exécutées.  « L’ordre des interrogatoires des mis en examen n’est plus déterminé par le juge d’instruction en fonction de sa stratégie et des éléments du dossier mais au gré des aléas des possibilités d’extraction », déplore à l’époque le syndicat. Résultat, les magistrats s’auotocensurent et ne réclament plus que les extractions parfaitement indispensables. Parfois même, ils choisissent de remettre un détenu en liberté et de le convoquer car c’est la seule façon d’espérer parvenir à le faire venir dans leur bureau. D’autre fois, les délais étant dépassés, il faut remettre les personnes en liberté.

« Le jour de l’audience, il est resté dans sa cellule »

Les personnes en détention ne sont même pas assurées de pouvoir être extraites pour assister à leur procès. C’est arrivé à un client de Me Matthieu Quinquis. Condamné aux assises, l’homme devait comparaitre en correctionnelle dans une affaire pour laquelle il n’était pas détenu. Comme il arrivait en fin de peine, je l’avais convaincu qu’il valait mieux qu’il soit jugé rapidement pour ne pas devoir sortir et entrer de nouveau en prison. Mais nous espérions aussi que ce soit assez tôt pour qu’il puisse bénéficier d’un aménagement de peine dans les derniers mois. Il était détenu à Chateaudun, le procès se déroulait à Auxerre, je venais de Paris et ma consoeur pour une co-prévenue de Besançon. A 13h30 le greffier me dit que le prévenu n’est pas arrivé, et là le procureur m’indique que le pôle régional l’a prévenu trois jours avant qu’il ne pourrait pas assurer l’extraction ! ». Résultat, l’affaire a été renvoyée au 28 mai 2020 alors qu’il devait sortir le lendemain. « Le jour de l’audience, il est resté dans sa cellule, personne n’a même pris la peine de lui expliquer qu’il ne comparaitrait pas à son audience » confie l’avocat, révolté.

Dans un contexte aussi tendu en termes de moyens, comment s’étonner que les demandes de sorties de détenus pour événement familial passent à la trappe même s’ils ont obtenu la précieuse autorisation du juge ?  Le plus souvent il s’agit de la demande d’une personne placée en détention provisoire et non encore jugée – donc présumée innocente – d’assister aux derniers instants d’un proche, à des funérailles, plus rarement   à la naissance d’un enfant. Dans ces circonstances exceptionnelles, le juge d’instruction généralement donne son autorisation, en application de l’article 158-5 du code de procédure pénale, aux termes duquel : « En toute matière et en tout état de la procédure, toute personne placée en détention provisoire peut, à titre exceptionnel, faire l’objet d’une autorisation de sortie sous escorte selon des modalités prévues par décret. Les décisions accordant ou refusant ces autorisations peuvent faire l’objet du recours prévu au dernier alinéa de l’article 145-4-2 ». Le fait  que ces autorisations puissent ne pas être exécutées étonne d’autant plus que  la circulaire prend soin de rappeler que les désirs des juges sont des ordres : « Il convient de rappeler que toute réquisition de l’autorité judiciaire adressée à la force publique, qu’il s’agisse de l’administration pénitentiaire ou des forces de sécurité intérieure, lui tient lieu d’ordre en vertu de la loi ».

La peur du guet-apens

Du côté des établissements pénitentiaires on est conscient du problème. S’il n’existe pas de statistiques, on estime que le taux de satisfaction des demandes est compris selon les établissements entre 30 et 70%,  voire  90% sur la direction interrégionale de Marseille (source SNDP).  Evidemment, le manque de moyens est mis en avant pour expliquer les taux inégaux de satisfaction. Il faut en effet, selon le niveau de dangerosité de la personne, mobiliser entre 3 et 5 surveillants pour encadrer ce type de sortie. « Ce sont les PREJ (pôles de rattachement des extractions judiciaires) qui sont saisis, mais s’ils ne peuvent pas, les établissements ont la possibilité de constituer une escorte, on va chercher les équipes hospitalières armées ou les équipes locales de sécurité  » explique Jean-Michel Dejenne, conseiller national du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP). A Strasbourg par exemple, les PREJ ne prennent pas ces missions en charge, c’est donc les établissements qui les assurent. C’est ainsi que la directrice d’un établissement de la région a monté une escorte pour accompagner un détenu au chevet d’un parent mourant à Paris.

« Il n’y a pas de réticence de notre part, au contraire, non seulement cela nous parait s’imposer pour des raisons humaines mais cela évite aussi les risques de suicide ou de mutinerie » précise Jean-Michel Dejenne. « Mais outre le fait qu’on n’a pas toujours les effectifs disponibles, on peut être contraint par des questions de sécurité. Presque toujours, il faut retirer du personnel d’autres missions, si en plus on craint un risque de guet-apens ça fait beaucoup, or parfois on manque d’informations précises sur l’endroit où on envoie nos équipes. Si c’est dangereux et que cela nécessite une escorte complémentaire de police ou de gendarmerie, on sait qu’on ne les obtiendra pas ». Après, c’est comme toujours aussi une question d’implication des professionnels. « A la maison d’arrêt de Nice, le gradé en charge des escortes a beaucoup de savoir-faire et parvient, en prenant attache avec les familles, en se rendant sur les lieux prévus pour les obsèques, à préparer la sortie du détenu de façon à peu près sécurisée » explique Jean-Michel Dejenne.

Tous les avocats le disent, c’était mieux avant le transfert de la mission au ministère de la justice, quand la police et la gendarmerie s’en occupaient.  « Les magistrats se soucient peu de la suite de leurs décisions, on le voit bien s’agissant de la dignité des conditions de détention. S’il s’y intéressaient davantage, le système irait mieux, il faut que tout le monde s’implique, seulement voilà, nous croulons tous sous les dossiers…. » déplore Matthieu Quinquis.

Une question d’humanité et de dialogue

L’histoire tirée du monde d’avant cette réforme, racontée par Emmanuel Le Mière, ancien bâtonnier de Coutances, est à ce sujet édifiante. « Cette affaire me touchait de près car il s’agissait du fils adoptif de l’ancienne secrétaire du cabinet. A 13 ans il avait retrouvé son père pendu dans le grenier. Il avait alors commencé à se droguer ce qui l’avait amené à cambrioler une pharmacie. On le place en détention provisoire. Sa mère, qui avait déclaré un cancer, était mourante. J’ai obtenu une autorisation de sortie du juge d’instruction, pour qu’il puisse la voir dans ses derniers instants. Mais la permission tombait durant la semaine du festival de jazz où la ville accueille 70 000 personnes.  La police estimait avoir mieux à faire. La juge a téléphoné au commissariat et leur a expliqué que la qualité de leurs relations futures dépendrait de leur capacité à exécuter sa décision. Ils ont cédé et ont été remarquables ».

Lors de l’examen du projet de réforme de la justice de Nicole Belloubet, l’article autorisant ces sorties a failli passer à la trappe. C’est Emmanuel Le Mière à l’époque qui s’en est ému justement. Il était question de renvoyer ces dispositions à un décret. « On connait la procédure, on commence par rabaisser un texte de la loi au règlement puis on le fait disparaitre » confie l’ancien bâtonnier. Finalement, le Parlement est revenu sur cette suppression qui, semble-t-il, avait pour objectif une coordination et non la suppression de cette possibilité. Mais les craintes étaient d’autant plus fondées qu’il paraissait terriblement logique de supprimer un droit qu’on n’était plus en mesure d’assurer….

Mais alors que faire ?  Faut-il se résoudre à ce que des décisions de justice demeurent lettre morte pour une question de moyens ? « Rien, il n’y a strictement rien à faire. Il est impossible de contraindre l’administration à exécuter la décision du juge dans les temps, car nous sommes confrontés à des événements rapides, on n’a pas le temps de faire des recours utiles. Quand un enterrement est passé, il ne reste plus que le recours indemnitaire » se désole Matthieu Quinquis.  Pour cet avocat, qui a consacré son mémoire de fin d’études à la « policiarisation de l’administration pénitentiaire », l’un des problèmes réside dans le fait que l’administration pénitentiaire se pense de plus en plus comme faisant partie des forces de l’ordre au point d’en oublier son autre fonction qui consiste à veiller sur les personnes pour que la détention ne soit que la privation de liberté et rien d’autre.