Revirement prospectif pour la motivation des peines contraventionnelles
La juridiction qui prononce une peine d’amende de police doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. Toutefois, l’objectif à valeur constitutionnelle d’une bonne administration de la justice commande que cette obligation nouvelle résultant d’un revirement de jurisprudence ne produise pas d’effet rétroactif. En toute hypothèse, le prévenu ne peut exciper de l’exigence de motivation de la peine dès lors qu’il a été condamné à la peine minimale prévue par la loi.
Cass. crim., 30 mai 2018, no 16-85777, FP–PBI
Plus d’un an après l’avènement de l’obligation prétorienne de motivation des peines correctionnelles, puis sa consécration récente par le Conseil constitutionnel en matière criminelle, la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence en jugeant que l’obligation de motivation des peines s’impose en matière contraventionnelle.
En l’espèce, un véhicule a été intercepté à proximité d’un rond-point et son conducteur a fait l’objet d’un procès-verbal de contravention pour conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances. Le conducteur a formé une requête en exonération de l’amende forfaitaire qui lui avait été notifiée. L’officier du ministère public l’a alors poursuivi devant la juridiction de proximité. La juridiction de proximité a déclaré le prévenu coupable de défaut de maîtrise et l’a condamné à une amende de police de 135 €.
Le condamné a formé un pourvoi en cassation contre le jugement. Le premier moyen, qui reprochait essentiellement au juge de ne pas avoir déterminé la vitesse avec précision, est rejeté car la juridiction avait caractérisé les circonstances visées par le paragraphe II de l’article R. 413-17 du Code de la route permettant de dire que la vitesse était excessive. Le second moyen reprochait à la juridiction de proximité d’avoir condamné le prévenu à une peine de 135 € d’amende sans motiver sa décision, notamment au regard de ses ressources et de ses charges.
Le prononcé d’une peine de police doit-il être motivé ?
Dans son arrêt du 30 mai 2018, la Cour de cassation pose « qu’en application des articles 132-1 et 132-20 du Code pénal, 485, 543 et 593 du Code de procédure pénale et des principes constitutionnels tels que dégagés dans la décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018, la juridiction qui prononce une peine d’amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. Que cette obligation de motivation s’applique en matière contraventionnelle ». La solution était attendue car l’exigence de motivation de la peine était acquise en matière correctionnelle et criminelle, mais pas encore en matière contraventionnelle. C’est chose faite ! L’obligation de motiver les peines est générale. Toutefois, la Cour de cassation limite immédiatement la portée temporelle du principe posé en considérant que « s’agissant de textes de procédure, l’objectif, reconnu par le Conseil constitutionnel, d’une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation qui en est donnée n’ait pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt ». La Cour de cassation ne s’arrête pas en si bon chemin et pose une exception à l’exigence de motivation des peines en précisant que « le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que le jugement attaqué ne contient aucun motif relatif à l’amende de 135 € prononcée, dès lors que celle-ci correspond à l’amende forfaitaire qui aurait été due si l’intéressé n’avait pas formulé de requête en exonération et ne pouvait, en application de l’article 530-1 du Code de procédure pénale, être inférieure ». L’exigence de motivation des peines cède donc en présence d’une peine plancher.
L’arrêt du 30 mai 2018 offre l’occasion de rappeler comment la motivation des peines est devenue un principe général (I) et d’envisager les exceptions au principe (II).
I – Le principe général de la motivation des peines
Ni la loi, ni la jurisprudence n’ont un beau jour décidé que toute juridiction pénale était tenue de motiver les peines qu’elle prononce. Cette obligation de motivation des peines a été consacrée à petits pas (A). L’arrêt du 30 mai 2018 apparaît comme l’aboutissement de cette évolution en exigeant la motivation des peines contraventionnelles (B).
A – La motivation des peines à petits pas
1 – La motivation en matière correctionnelle
Traditionnellement, la Cour de cassation jugeait que, « hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix de la sanction qu’ils appliquent dans les limites légales »1. Une fois la déclaration de culpabilité motivée, les juridictions de jugement étaient dégagées de toute exigence de motivation de nature à permettre au juge de cassation d’exercer un contrôle sur la justification de la peine2. La Cour de cassation a mis fin à cet état du droit en consacrant une double exigence de motivation d’abord quant à la proportionnalité de la peine puis quant à son individualisation. Sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation impose aux juges du fond de procéder à un contrôle de proportionnalité de la peine prononcée, c’est-à-dire de vérifier si la peine prononcée ne porte pas une atteinte excessive à un droit fondamental au regard des circonstances3.
Puis, la Cour de cassation a décidé qu’« en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle »4. Le principe est fondé sur les articles 132-1 du Code pénal5 et 485 du Code pénal6. L’article 132-20, alinéa 2, du Code pénal ajoute que « le montant de l’amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction », ce qui contraint le juge correctionnel à motiver d’autant la condamnation à une peine d’amende7.
2 – La motivation en matière criminelle
Au visa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation a jugé qu’« en cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé » et « qu’en l’absence d’autres dispositions légales le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 du même code »8. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 365-1, le Conseil constitutionnel a jugé que celle-ci n’était pas nouvelle en raison d’un changement de circonstances résultant, d’une part, de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’article 365-1 interdit à la cour d’assises de motiver la peine qu’elle prononce en cas de condamnation, et, d’autre part, de la modification de l’article 362 par la loi du 15 août 2014 qui prévoit qu’en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président de la cour d’assises donne lecture aux jurés des articles 130-1 et 132-1 du Code pénal, qui rappellent les finalités de la peine et la nécessité d’individualiser celle-ci9. Dans sa décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel va poser qu’« en n’imposant pas à la cour d’assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ». Est ainsi consacrée l’obligation constitutionnelle de motivation des peines. Cette obligation, consacrée par la Cour de cassation pour la seule matière correctionnelle, est désormais étendue à la matière criminelle et se voit revêtue d’une valeur constitutionnelle. En outre, telle qu’elle est formulée, l’obligation de motivation est générale et s’applique à toutes les peines. L’arrêt du 30 mai 2018 vient confirmer la généralité de l’exigence de motivation des peines en l’étendant à la matière contraventionnelle.
B – L’extension de la motivation aux peines de police
Dès le revirement opéré par les arrêts du 1er février 2017, il a été remarqué que rien ne justifiait que l’obligation de motivation soit limitée à la matière correctionnelle10. En effet, les articles 132-1 et 132-20 imposent l’individualisation des peines sans distinction entre les matières criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle. De surcroît, l’exigence de la motivation des jugements du tribunal correctionnel s’impose au tribunal de police puisque l’article 543 du Code de procédure pénale renvoie à l’article 485 du même code. C’est dire qu’il était peu cohérent de faire échapper les peines de police à l’exigence de motivation. C’est pourtant ce qu’a choisi dans un premier temps la Cour de cassation en jugeant, à deux reprises, que « les juges, en prononçant une peine d’amende pour une contravention, ont fait usage d’une faculté qu’ils tiennent de la loi »11. La haute juridiction confirmait ainsi qu’en ne visant que la matière correctionnelle dans ses arrêts du 1er février 2017, elle excluait la matière contraventionnelle de l’obligation de motiver les peines. C’est la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2018 qui va contraindre la Cour de cassation à modifier sa jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a décidé que le principe constitutionnel d’individualisation des peines impose « la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ». Non seulement l’exigence de motivation des peines est générale mais elle est constitutionnelle. Dans ces conditions, ce n’est plus à la Cour de cassation de décider d’autorité dans quelles matières l’obligation de motiver les peines est applicable. Certes, la décision du Conseil constitutionnel ne précise pas expressément que la motivation des peines de police est obligatoire. Pour autant, la Cour de cassation n’a manifestement pas souhaité prendre le risque d’être contredite par le Conseil constitutionnel12. Et elle précise que son revirement de jurisprudence n’est pas seulement fondé sur les dispositions légales imposant l’individualisation des peines et la motivation des jugements, mais également sur les principes constitutionnels tels que dégagés dans la décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018. Dorénavant, toute juridiction qui prononce une peine d’amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. Mais, faudrait-il préciser, à condition toutefois que le juge dispose d’éléments pour apprécier les ressources et les charges du prévenu. Ainsi, le tribunal n’est pas tenu de justifier l’amende prononcée au regard des charges assumées par un prévenu lorsque ce dernier se contente de produire ses avis d’imposition, sans évoquer ses charges ni les établir13.
II – Les exceptions au principe de la motivation des peines
En décidant qu’il ne peut être reproché à la juridiction de jugement de ne pas avoir motivé la condamnation à une peine d’amende d’un montant égal à l’amende minimale prévue par l’article 530-1 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation énonce une exception à l’exigence de motivation en présence d’une peine obligatoire (A). Par ailleurs, et de façon plus inattendue, la Cour de cassation décide que son revirement de jurisprudence ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées après l’arrêt du 30 mai 2018 (B).
A – L’exception des peines obligatoires
1 – La peine plancher en matière d’amende forfaitaire
Le tribunal de police, saisi à la suite d’une requête en exonération ou d’une réclamation, doit en cas de condamnation prononcer une peine d’amende au moins égale à l’amende forfaitaire, ou à l’amende forfaitaire majorée s’il y a eu réclamation14. Si le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme implique que l’amende ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, et que son montant soit fixé en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, il ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions15. Le principe d’individualisation ne s’oppose donc pas à ce que le législateur édicte des peines planchers dès lors que celles-ci visent à assurer la répression effective des infractions16. Le législateur doit néanmoins laisser au juge un pouvoir d’individualisation, ce qui suppose que le juge puisse soit réduire, soit augmenter le quantum minimal prévu par la loi. En laissant au juge le soin de fixer la peine dans les limites, d’une part, de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée et, d’autre part, du maximum de l’amende encouru, l’article 530-1 ne méconnaît pas le principe d’individualisation17.
De toute évidence, les peines plancher n’ont pas à être motivées. Car le juge serait alors tenu de motiver une peine qu’il n’a pas le choix de prononcer. Le quantum de la peine serait déterminé avant sa motivation, ce qui n’a pas de sens, puisque la motivation doit justement contraindre le juge à s’interroger sur la peine et son individualisation.
La Cour de cassation l’a bien compris qui exclut toute motivation de la peine minimale en matière d’amende forfaitaire. C’est dire que le législateur peut déroger à l’exigence constitutionnelle de motivation des peines.
2 – Les dérogations légales à l’exigence constitutionnelle de motivation des peines
La décision du 2 mars 2018 interdit au législateur d’exclure de façon générale l’exigence de motivation des peines car il porterait alors atteinte au principe d’individualisation des peines. En revanche, dès lors qu’il est permis de tempérer l’exigence constitutionnelle d’individualisation des peines, ce tempérament vaut nécessairement pour la motivation des peines. Ce raisonnement concerne les peines plancher mais également les peines complémentaires obligatoires. Pour être conforme au principe d’individualisation des peines, la peine complémentaire obligatoire ne doit pas priver le juge de tout pouvoir d’appréciation. Ainsi, le juge n’est pas privé du pouvoir d’individualiser la peine lorsque la peine obligatoire est susceptible de faire l’objet d’une dispense ou d’un relèvement, et que le juge peut en faire varier l’importance et la durée18. La peine complémentaire obligatoire est encore conforme au principe d’individualisation dès lors que le juge a la faculté d’en moduler la durée et que la loi prévoit expressément que la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur19. La peine complémentaire obligatoire étant prédéterminée par la loi, le juge n’a pas à la motiver. Il y a présomption d’individualisation. En outre, l’obligation faite au juge de motiver le choix de ne pas prononcer la peine obligatoire implique à l’évidence que le choix de la peine n’a pas à être motivé.
3 – Motivation et quantum des peines
Il est acquis que le prononcé d’une peine plancher et d’une peine complémentaire obligatoire n’a pas à être motivé. Cependant, ces peines ne sont constitutionnelles qu’à la condition que le juge conserve un pouvoir d’individualisation. Or, si le juge met en œuvre un tel pouvoir, ne doit-il pas logiquement motiver son choix ? Dans l’arrêt du 30 mai 2018, la peine prononcée était égale au montant de l’amende forfaitaire (135 €), la juridiction s’étant contentée de prononcer la peine minimale. Mais elle aurait pu prononcer une peine d’amende supérieure, jusqu’à 750 €20. La Cour de cassation précise que le jugement n’avait pas à motiver l’amende prononcée « dès lors que celle-ci correspond à l’amende forfaitaire qui aurait été due si l’intéressé n’avait pas formulé de requête en exonération et ne pouvait, en application de l’article 530-1 du Code de procédure pénale, être inférieure ». A contrario, si le juge avait prononcé une amende supérieure à 135 €, il aurait dû motiver son choix. Plus généralement, la juridiction de jugement ne devrait-elle, à défaut de motiver le choix de la peine lorsque celle-ci est obligatoire, en motiver le quantum ? Par exemple, lorsque la peine d’inéligibilité est obligatoire21, la motivation ne devrait-elle pas, à des fins pédagogiques, préciser pourquoi le juge a choisi de prononcer un, trois, sept ou dix ans d’inéligibilité ?
En définitive, la motivation de la peine justifie son quantum, mais lorsque la motivation de la peine n’est pas exigée parce que la peine est obligatoire, la motivation ne revient-elle au galop pour exiger du juge qu’il s’explique sur le quantum ?
B – L’exception du revirement pour l’avenir
1 – Un revirement pas comme les autres
« S’agissant de textes de procédure, l’objectif, reconnu par le Conseil constitutionnel, d’une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation qui en est donnée n’ait pas d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt ». Du point de vue de la sécurité juridique, l’application que fait la Cour de cassation du revirement de jurisprudence pour l’avenir mérite d’être saluée. En effet, il ne paraît pas impératif, en matière contraventionnelle, de remettre en cause les jugements et arrêts n’ayant pas acquis autorité de la chose jugée, aux fins d’imposer la motivation des peines. En revanche, le raisonnement suivi par la Cour de cassation peut surprendre. D’emblée, il est difficile de comprendre ce qui justifie que le revirement opéré par les arrêts du 1er février 2017 soit rétroactif, alors qu’en matière contraventionnelle, la Cour de cassation fait le choix d’un revirement prospectif. À dire vrai, la Cour de cassation paraît s’être inspirée de la décision du 2 mars 2018 qui a reporté dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 365-1 du Code de procédure pénale. Selon le Conseil constitutionnel, l’abrogation de ce texte entraînerait des conséquences manifestement excessives de sorte que celle-ci doit être reportée, comme le permet l’article 62 de la Constitution, au 1er mars 2019. Cependant, le Conseil constitutionnel ajoute : « pour les arrêts de cour d’assises rendus à l’issue d’un procès ouvert après cette date, que les dispositions du deuxième alinéa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale doivent être interprétées comme imposant également à la cour d’assises d’énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments l’ayant convaincue dans le choix de la peine ». En d’autres termes, les dispositions déclarées inconstitutionnelles restent applicables jusqu’au 1er mars 2019 mais leur interprétation est dictée par le Conseil constitutionnel aux fins d’obliger la cour d’assises à motiver les peines criminelles. Le Conseil constitutionnel pose ainsi une réserve d’interprétation22. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation décident donc de concert que l’exigence de motivation ne s’appliquera qu’aux jugements et arrêts rendus après leurs décisions respectives.
2 – Bonne administration de la justice et revirement pour l’avenir
Dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation avait déjà admis que les règles de procédure relatives au droit à la présence d’un avocat et à la notification du droit de se taire au cours de la garde à vue ne pouvaient s’appliquer immédiatement sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice, ce qui justifiait le report dans le temps du revirement de jurisprudence23. Une telle solution était contestable parce que, d’une part, elle privait le justiciable dont l’action avait permis le revirement de s’en prévaloir24, et, d’autre part, elle aboutissait à suspendre l’application de la Convention européenne pour une période transitoire25. À l’opposé, le revirement pour l’avenir décidé par l’arrêt du 30 mai 2018 n’affecte pas un droit fondamental reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de Strasbourg n’ayant pas, à ce jour, imposé la motivation des peines. En outre, la Cour de cassation ne reporte pas dans le temps l’exigence de la motivation des peines contraventionnelles, mais se limite à exclure la rétroactivité du revirement de jurisprudence. Toutefois, la Cour de cassation n’hésite pas à priver le justiciable l’ayant saisi du bénéfice de la jurisprudence nouvelle, même si, en tout état de cause, celui-ci ne pouvait faire grief de ce que le jugement attaqué ne contenait pas de motivation de la peine s’agissant d’une peine obligatoire.
Le revirement pour l’avenir est fondé sur la bonne administration de la justice applicable aux règles de procédure. La bonne administration de la justice est un objectif à valeur constitutionnelle qui autorise notamment certaines restrictions au droit à un recours juridictionnel effectif26. Le droit d’invoquer la jurisprudence nouvelle est donc restreint pour garantir la sécurité juridique et éviter la remise en cause de jugements et arrêts n’ayant pas motivé le prononcé de peines contraventionnelles. On voit mal quel autre fondement aurait pu exclure la rétroactivité du revirement de jurisprudence, dès lors que celle-ci ne portait pas atteinte à un droit fondamental27. D’autant qu’il nous semble que le revirement pour l’avenir devrait être fondé sur une norme constitutionnelle ou conventionnelle. Pour autant, était-il nécessaire de limiter la portée de l’objectif d’une bonne administration de la justice aux « textes de procédure » ? Et l’exigence de motiver/individualiser les peines n’est-elle vraiment qu’une règle de procédure ? Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation consacre un nouveau fondement, constitutionnel cette fois, au revirement prospectif, ce qui pourrait renforcer à l’avenir le recours à cette technique.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. crim., 2 déc. 2008, n° 08-83666 ; Cass. crim., 27 oct. 2015, n° 14-87571 ; Cass. crim., 17 déc. 2014, n° 13-86722 ; Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-87053 ; Cass. crim., 22 oct. 1998 : Bull. crim. n° 276.
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2.
Pichon E., « Une jurisprudence vivante : selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, si le choix de la peine prononcée par le juge en matière correctionnelle demeure libre, il doit désormais être justifié », Dr. pén. 2017, n° 3, étude 7, nos 10 et 15.
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3.
Par ex., Dadoun A., « L’intensité variable de la proportionnalité de la peine de confiscation », Dr. pén. 2017, n° 7-8.
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4.
Cass. crim., 1er févr. 2017, nos 15-84511, 15-85199 et 15-83984.
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5.
Issu de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines, l’article 132-1 prévoit, à ses alinéas 2 et 3, que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ».
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6.
« Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif ».
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7.
Cass. crim., 1er févr. 2017, n° 15-83984 ; Cass. crim., 27 mars 2018, n° 16-87585. Pour l’amende prononcée contre une personne morale : Cass. crim., 9 janv. 2018, n° 17-80200.
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8.
Cass. crim., 8 févr. 2017, nos 15-86914, 16-80389 et 16-80391 ; Cass. crim., 11 mai 2017, n° 16-83327 ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-85904. Rappelant seulement que la cour et le jury ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix d’une peine de réclusion criminelle : Cass. crim., 10 févr. 2016, n° 15-80622, ce qui permet de penser que les arrêts de 2017 avaient pour but de provoquer une réaction du législateur ou… du Conseil constitutionnel.
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9.
Cons. const., 2 mars 2018, n° 2018-763 DC. La constitutionnalité de l’article 365-1 avait déjà été contrôlée par une décision du 4 août 2011 (n° 2011-635 DC).
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10.
Dreyer E., « Pourquoi motiver les peines ? », D. 2018, p. 576.
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11.
Cass. crim., 30 janv. 2018, nos 16-87072 et 17-80878.
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12.
Rappelons que « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante » confère à une disposition légale : Déc. Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC ; Déc. Cons. const., 17 mai 2013, n° 2010-311 QPC ; Déc. Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC.
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13.
Cass. crim., 22 mars 2017, n° 16-80050.
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14.
CPP, art. 530-1. L’article 530-1, dernier alinéa, prévoit une majoration de 10 % lorsque l’avis de contravention a été transmis au titulaire du certificat d’immatriculation en vertu de l’article L. 121-3 du Code de la route.
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15.
Cons. const., 16 sept. 2011, n° 2011-162 QPC.
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16.
Déc. Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-636 QPC ; Cons. const., 9 août 2007, n° 2007-554 DC ; Cons. const., 17 mars 2011, n° 2010-105/106 QPC.
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17.
Cons. const. 16 sept. 2011, préc., qui ne tient toutefois pas compte de la faculté du juge de prononcer une dispense de peine. En effet, si le tribunal a l’interdiction de prononcer une peine d’amende inférieure au montant légal, les dispositions de l’article 530-1 ne sauraient faire obstacle à l’application de la dispense de peine prévue, en matière contraventionnelle, par les articles 132-59 et suivants (Cass. crim., 9 nov. 2005, n° 05-84504).
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18.
Déc. Cons. const., 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC ; Déc. Cons. const., n° 2010-41 QPC ; Déc. Cons. const., 16 oct. 2015, n° 2015-493 QPC ; v. également, Cass. crim., 25 janv. 2011, n° 10-90119. En revanche, est inconstitutionnelle la peine obligatoire dont la durée et les modalités échappent à l’appréciation du juge : Déc. Cons. const., 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC.
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19.
Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC.
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20.
C. route, art. R. 413-7.
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21.
C. pén., art. 131-36-2.
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22.
Alors que l’article 62 dispose que « le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause », le Conseil interprète cette disposition comme l’autorisant à interpréter la disposition légale pendant sa « période de validité », en cas de report dans le temps de son abrogation.
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23.
Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82306 et 10-82902 : D. 2010, p. 2809, note Dreyer E. ; AJ pénal 2010, p. 479, étude Allain E. ; Cah. Cons. const. 2011, p. 242, obs. Mayaud Y. ; RSC 2010, p. 879, chron. Gindre E.
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24.
Boré J. et L., La cassation en matière pénale, 2018/2019, Dalloz, action, n° 148.75.
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25.
Jugeant au contraire que « les États adhérents à cette convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » : Cass. ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17049 : Bull. ass. plén. ; D. 2011, p. 1080 ; D. 2011, p. 1713, obs. Bernaud V.et Gay L. ; AJ pénal 2011, p. 311, obs. Mauro C. Suivant le même raisonnement, la Cour de justice de l’Union européenne interdit aux juridictions nationales de prévoir de leur propre chef une période transitoire nécessaire à la mise en conformité de leur droit national au droit de l’Union : CJUE, 8 sept. 2010, n° C-409/06, Winner Wetten c/ Allemagne, AJDA 2010, p. 2305, obs. Aubert M., Broussy E. et Donnat F.
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26.
Cons. const., 4 mai 2018, n° 2018-704 QPC ; Cons. const., 17 janv. 2013, n° 2012-288 QPC ; Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC. L’intérêt d’une bonne administration de la justice permet également de retenir l’inconstitutionnalité d’un dispositif législatif lacunaire qui ne permet pas de prévenir des irrégularités de procédures (Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC).
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27.
Fondant le revirement pour l’avenir sur le droit à un procès équitable : Cass. ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20493 ; Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-68928.