Simplification de la procédure pénale : expertiser l’expertise ?

Publié le 06/03/2023

Dans le cadre du plan d’action pour la justice issu des États généraux, Valérie-Odile Dervieux, déléguée régionale Unité Magistrats SNM FO, a des suggestions à faire au comité scientifique en charge de la simplification de la procédure pénale.

Après un premier volet consacré  aux nullités, un deuxième portant sur la maîtrise des délais, et un troisième relatif à la prescription, la magistrate se penche cette semaine sur l’expertise. 

Simplification de la procédure pénale : expertiser l'expertise ?
Photo : ©AdobeStock/Patpitchaya

 

Malgré l’absence de définition légale de l’expertise en droit pénal [1], on peut définir l’expertise comme une mesure d’investigation technique/scientifique sur une question de fait, confiée par le magistrat à un professionnel.

L’expertise est partout dans la procédure pénale

De l’enquête initiale à l’exécution des peines [2] (art 60, 77-1, 156 à 169-1, 434, 442-2, 536 et 312 CPP), qu’elle soit laissée à l’appréciation des juges (sur demandes éventuelles des parties) ou rendue obligatoire par le législateur (art 706-47-1, 712-21, 712-5 à 712-7 CPP), l’expertise irrigue la procédure pénale.

Elle obéit à des règles communes aux expertises judiciaires et à des règles spécifiques qui s’expliquent, en grande partie, par le caractère inquisitorial de la procédure pénale sous réserve du principe du contradictoire et des droits de la défense (Décision n° 2018-765 QPC du 15 février 2019).

L’expertise pénale a déjà connu des modifications substantielles, notamment avec la loi du 5 mars 2007 – dans les suites de la commission d’enquête OUTREAU- qui a introduit du contradictoire en permettant aux parties de discuter le choix de l’expert, le contenu de la mission, de formuler des observations sur le rapport provisoire et de se voir notifier les conclusions voire l’expertise en son entier.

Elle continue d’évoluer, parfois, comme on le verra, à bas bruit.

L’expertise pénale est partout dans le débat public

L’affaire HALIMI [3], le meurtre dramatique d’une professeure d’espagnol à Saint Jean de Luz, les contentieux très pointus des pôles « SPACE » [4] (santé publique, accident collectif, environnement) de Paris et Marseille interrogent les contenus, modalités, coût des expertises en matière pénale et les délais de procédure induits.

Le sujet « expertise » suscite également travaux et rapports car la situation actuelle ne paraît convenir à personne [5] : les préconisations précises et récurrentes qui en sont issues montrent les marges de progression :

*S’agissant des experts : formation, disponibilité [6] recrutement, choix, rémunération [7], statut, déontologie, conflits d’intérêts, objectivité ;

*S’agissant des expertises : teneur /lissage des missions [8], modalités d’exécution (date, temps d’analyse, durée), coût, qualité des rapports (complétude, pédagogie) ;

*S’agissant des process : constitution/accessibilité du dossier unique de personnalité civil/pénal par mis en cause, dose de contradictoire et délais (lutte contre les manœuvres dilatoires, voies de recours).

Parallèlement les évolutions législatives modifient, à bas bruit, la valeur juridique de l’expertise et interrogent le rôle toujours plus important de l’expert :

Deux illustrations récentes :

*Le nouvel article préliminaire du Code de procédure pénale issu de la loi du 22décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, impose, depuis le 31 décembre 2021, que l’expert notifie le droit au silence à la personne expertisée ;

*Le nouvel alinéa 2 de l’art 706-120 al 2 CPP issu de la loi du 24 janvier 2022 sur la responsabilité pénale impose au juge d’instruction une voie procédurale inédite (l’audience intermédiaire de jugement de l’irresponsabilité pénale) en cas de divergences entre les conclusions d’expertises psychiatriques du mis en examen [9].

L’expertise pénale, un sujet quasiment absent des état généraux de la justice

Ainsi, si de manière classique on considère que la technicité de la matière pénale réserve une place grandissante – et onéreuse – aux opérations d’expertise judiciaires, ce qui conduirait à repenser le débat judiciaire, le rôle de ses acteurs et la gestion des budgets dédiés, d’autres facteurs d’évolution émergent :

*L’allongement des délais de prescription avec comme Acme la création d’un pôle cold case, qui font reposer, plus que jamais, le recueil d’éléments à charge et à décharge sur des expertises ;

*La multiplication des commissions d’enquête parlementaires sur des thématiques objets d’investigations pénales en cours ce qui crée, sur des sujets souvent très pointus, une sorte de « concurrence » entre experts (entendus, commis) dont on a peine en l’état à évaluer les effets ;

*Le développement des procédures « à multiples victimes » dans certains domaines « émergents (RSE, environnement, santé publique) qui challenge les moyens humains de la justice, souligne l’inadaptation des applicatifs justice et interroge une procédure peu adaptée au « sériel » et au besoin de délais raisonnables  (ex : les dossiers concernant plusieurs centaines voire milliers de victimes imposent les mêmes notifications, avis, gestion de demandes et possibilités de recours qu’un dossier à 1 partie civile).

*Et enfin les hésitations du droit positif sur la place du contradictoire dans l’expertise pénale.

De manière assez surprenante, le rapport des Etats généraux  de la justice via son atelier simplification de la procédure pénale ne s’intéresse au sujet que de manière résiduelle, avec quelques propositions ciblées :

*Recourir à la téléconsultation pour les examens et expertises médicales, psychologiques et psychiatriques des mis en cause et les victimes.

*Réduire le champ des expertises psychiatriques obligatoires, notamment dans le cas des personnes placées sous curatelle.

et une seule référence, celle du  rapport de l’Inspection générale de la justice du 18 novembre 2021 sur l’état des stocks.

Simplifier et/ou repenser ?

En la matière les propositions de simplification/action pourraient donc être de :

*Considérer les propositions précises déjà faites (v. supra, établir des méthodologies) souvent très pertinentes et adapter les process et les moyens aux procédures à victimes multiples ;

*Intégrer la réflexion « expertise pénale » dans une vision globale de la procédure pénale en cours de « refondation ».

Car la seule question qui vaut est finalement assez simple :

Comment obtenir des expertises pénales pertinentes dans un temps adapté ?

[1]  Virginie Peltier , L’expertise pénale psychologique et psychiatrique (2014)

[2] Les aménagements de peine suspendus aux expertises psychiatriques (OIP, 1er mars 23)

[3] Affaire Sarah Halimi :  le besoin de procès est là, Valérie-Odile Dervieux, Dalloz actualités, 6 mai 2021

[4] -Dieselgate, Levothyrox : dans les coulisses du pôle santé, Les Echos, 15 nov. 2017

Le Pôle de Santé Publique face à un contentieux technique et des délits « sériels, Pascal Gand

[5] Ministère de la justice Rapport de la commission de réflexion sur l’expertise (mai 2011)

Expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger Rapport d’information de MM. Jean SOL et Jean-Yves ROUX, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales n° 432 (2020-2021) – 10 mars 2021

Rapport HOUILLON-RAIMBOURG sur  l’irresponsabilité pénale   (fev 2021)

Vade-mecum de l’expert de justice (édition 2020)

[6] Trop d’expertises psychiatriques et psychologiques, pas assez d’experts, Dalloz actualités, Pierre Januel, 11 mars 2021

[7] Revalorisation des expertises psychiatriques et psychologiques à compter depuis le 1er septembre 2021.

L’expert psychologue et la femme de ménage ; , Le Monde, 25 nov.2005

[8] La responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Méthodologie de l’expertise psychiatrique Vincent Mahé ;Les Cahiers de la Justice 2021/3 (N° 3), pages 399 à 415

[9] La réforme de l’irresponsabilité pénale ; Me Edmond – Claude FRETY  et Valérie DERVIEUX

 

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