Simplification de la procédure pénale : prescrire la prescription ?

Publié le 27/02/2023

Dans le cadre du plan d’action pour la justice issu des États généraux, Valérie-Odile Dervieux, déléguée régionale Unité Magistrats SNM FO, a des suggestions à faire au comité scientifique en charge de la simplification de la procédure pénale.

Après un premier volet consacré  aux nullités, et un deuxième portant sur la maîtrise des délais, la magistrate se penche cette fois sur la prescription. 

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Photo : ©AdobeStock/BrianJackson

La prescription de l’action publique (soit la possibilité temporelle de poursuivre des infractions) électrise très régulièrement le débat public.

À la lecture des articles 7 à 9-3 du Code pénal, les choses pourraient paraître simples :

– un tempo annuel « 1, 6, 10, 20, 30 ans »,

– deux exceptions :

– l’imprescriptibilité du pire : les crimes contre l’humanité (art 211-1 à 211-3 CP),

– la brièveté nécessaire du délai de prescription – 3 mois – des infractions qui répriment l’abus de liberté d’expression (art 65 loi du 29 juillet 1881).

Complexités

Mais la réalité est complexe pour deux raisons.

1. La prescription est un sujet éminemment politique.

La société interroge la pertinence et l’étendue du droit à l’oubli qui fonde le mécanisme de la prescription[1], droit dont la légitimité paraît s’effriter face à la « montée en puissance » de la figure de la victime, l’évolution de son statut en procédure pénale et la puissance des nouveaux modes de communication.

La tendance lourde est d’ailleurs, depuis la loi du 27 février 2017, à l’augmentation des délais de prescription.

Le législateur, en agissant sur les trois piliers de la prescription,

*la durée,

*le point de départ,

*le délai butoir,

se veut maitre des horloges pénales et interprète d’aspirations ancrées – vengeance, besoin de sanction pénale – qui, par la grâce, d’un livre, d’un film, d’un hashtag[2], deviennent urgence.

Le procureur de la République, réagissant à ce climax, a pu investiguer sur des faits prescrits pour ne pas « laisser certaines victimes sans réponse »[3].

En toute occurrence, depuis la loi du 21 avril 2021, pour certaines infractions commises au préjudice de mineurs, le parquet est tenu, pour envisager la mise en œuvre du mécanisme inédit de la prescription glissante[4] qui prolonge voire « rend vie » à l’action publique, d’investiguer sur des faits a priori prescrits.

2. La prescription est un sujet éminemment technique.

 La prescription de l’action publique mobilise les professionnels de terrain – magistrats, avocats, enquêteurs -, et suscite une jurisprudence foisonnante.

Pourtant le mot « prescription » ne figure ni dans le rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure pénale des États généraux de la justice, ni dans son rapport final.

Les règles de la prescription ne seraient-elles pas simplifiables ?

Simplifier, c’est possible ?

1. Des variables multiples

Les praticiens doivent « faire avec » les réformes incessantes qui créent et modifient directement et indirectement les nombreuses variables d’ajustement des règles de prescription relevant de 3 catégories :

Les variables objectives :

*La loi applicable au moment de l’acte et son application dans le temps.

*L’infraction :

    • Nature criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle (qui peut varier durant la procédure) ;
    • Qualification,
    • Dates de commission, révélation, apparition,
    • Modalités : habituelle, continue, occulte
    • Interactions : connexité, « glissance »

 

Les variables subjectives :

*La victime : âge, lien avec l’auteur.

*L’auteur : ponctuel, « en série », lien d’autorité ou de famille avec la victime.

Les variables procédurales :

*Le déroulement de la procédure : suspension, interruption,

*Le cadre : enquête, instruction,

*La proactivité des acteurs de la procédure (on dit de certains dossiers que les juges «n’ont pas laissé prescrire »[5]) qui a rendu possible la création du pôle « cold case ».

2. Des conséquences concrètes

Imprévisibilité ab initio : il est fréquemment impossible de savoir, sans investigations poussées, si une infraction est prescrite.

Droit de la preuve challengé : la recherche de preuve, à charge ou à décharge est rendue complexe par l’écoulement du temps en raison de :

*la fragilité de la preuve testimoniale,

*les données psychologiques[6] ,

*le fait que les progrès des techniques d’investigation – ADN, exploitations des données – peuvent se heurter aux normes européennes de protection de la vie privée[7] et, plus prosaïquement, aux modalités de prélèvement, de conservation et de gestion[8] insuffisamment normées/financées[9] des scellés[10].

3. Quelles pistes de simplification ?

 Comme ailleurs, une simplification peut passer par :

*un lissage des règles,

*une légistique précise, cohérente et de qualité,

*des règles unifiées de conservation des scellés (avec les moyens qui vont bien…),

et une doctrine en matière de cold case pour fixer les critères transparents et objectivés permettant assurer l’égalité de traitement des procédures et ne pas laisser aux seuls professionnels en charge le choix « de ne pas laisser se prescrire ».

Plus qu’ailleurs, la sécurité juridique impose une pause législative et un choix politique assumé sur les limites à poser – ou non – en la matière

Prescrire la prescription, un chantier de plus pour simplifier la procédure pénale ?

 

[1] Marie Dosé : Politis, 24 nov. 21,  « La justice ne prétend pas guérir les victimes »; Éloge de la prescription,

[2] Inceste et crimes sexuels : les livres sont-ils devenus des nouveaux lanceurs d’alerte ?, France Info, 19 janv.21

[3] Le parquet de Paris ouvre une enquête pour viols sur mineur contre Gabriel Matzneff, Le Monde 3 janv.2020

[4] La prescription glissante, une « planche de Salut » pour les 330 000 victimes de l’Eglise ? Village de la justice ; Me Carine Durrieu Diebolt, 14 oct 21.

[5] Cold-case : meurtre de marie Thérèse Bonfanti, le principal suspect se pourvoit en cassation après le rejet de la prescription France info 25 janv.2023

[6] L’amnésie traumatique :  Crim, 17 oct. 2018, FS-P+B, n° 17-86.161

[7] Enquêtes pénales : conservation et accès aux données de connexion Crim, 12 juil 22

[8] Corinne Herrmann, pour l’amour des scellés, actu-juridique 15/12/2022

[9] Question au gouvernement : questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-11072QE.htm;

[10] Le rapport du comité des États généraux de la justice souligne la nécessité de simplifier la gestion/ traçabilité des scellés et développer un stockage centralisé des scellés numériques/multimédia.

 

Prochain épisode : Expertiser le système des expertises ?

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