Simplification de la procédure pénale : « maîtriser » les délais ?

Publié le 21/02/2023

Dans le cadre du plan d’action pour la justice issu des États généraux, Valérie-Odile Dervieux, déléguée régionale Unité Magistrats SNM FO, a des suggestions à faire au comité scientifique en charge de la simplification de la procédure pénale.

Après un premier volet consacré la semaine dernière aux nullités, la magistrate se penche cette fois sur les délais. 

Simplification de la procédure pénale : « maîtriser » les délais  ?
Photo : ©AdobeStock/Alexey Wraith

Est-ce bien raisonnable ? 

Parler délais de justice, suscite instantanément un débat sur :

– les moyens de la justice [1] & [2],

– les condamnations de la France devant la CEDH pour lenteurs « déraisonnables »,

et la tentative avortée de faire « tomber » des procédures parce que « trop vieilles » (Cass, crim, 9 novembre 2022 n° 21-85.655).

Parler délais de justice, c’est aussi, de manière paradoxale, évoquer une justice pénale estimée (par certains) « expéditive » avec ses « C.I » (comparutions immédiates), si bien croquées par Dominique Simmonot, dans ses « coups de barre » (NDLR : Rubrique du Canard Enchaîné dédiée aux prétoires, aujourd’hui D. Simmonot est Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté) eux-mêmes incarnés dans une  pièce de théâtre.

Citius, altius, fortius ?

Le législateur répond de manière assez diversifiée à la demande/soif de justice pénale qui s’exprime sondage après sondage, en ‘jouant ‘ sur les délais :

*Réduire les délais : le législateur fixe des délais impératifs pour limiter les temps de justice [3] (et donc d’investigation policière). En « oukasant » le « process », on l’accélérerait, ce qui rendrait la justice plus efficiente.

*Augmenter les délais : le législateur augmente de manière continue les délais de prescription et étend ainsi le champ d’action de la justice pénale. En «coldcasisant » la justice pénale, le législateur la rendrait plus attentive (plus humaine ?) aux souffrances qui peuvent s’exprimer longtemps après les faits.

*« Booster » les délais : le législateur accroît les possibilités pour le parquet de réorienter les procédures, via les procédures alternatives, les procédures négociées, les comparutions immédiates /à délai différé.

En cornerisant le juge du siège et, notamment, le juge d’instruction, on fluidifierait le « process ».

Ce marqueur des dernières réformes, qui reste un axe de réflexion de la Chancellerie, permettrait ainsi de concilier « agilité » et sécurité.

Défis pour « tout de suite » ? 

Parler délais de justice, c’est donc dire les défis d’une politique pénale tiraillée entre :

* les délais (trop ?) longs des procédures criminelles, financières et du grand banditisme, confiées au juge d’instruction ;

* les délais (trop ?) rapides de procédures de jugement « immédiat » ou différé, à la main du parquet et souvent pourvoyeuses de prison (mesures de sûreté, peine) ;

* les délais adaptés d’une justice alternative ou négociée (Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP)), mais dont le principe même est contesté par les adeptes du « procès à tout prix » ;

* les « exigences »  d’immédiateté des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux dont la circulaire du 19 janvier 2023 sur le nouvel art 11 CPP  officialise la prise en compte par le parquet ;

*le « besoin de justice » du citoyen ;

*la nécessité d’adapter les moyens humains, techniques, organisationnels.

Commencer par le début ?

Mais, puisque la réflexion menée suite aux conclusions des États généraux de la justice prône la simplification, pourquoi ne pas s’attaquer, très basiquement, dans un préalable consensuel, aux challenges du quotidien ?

Étonnamment, le rapport des États généraux de la justice[4] reste, en ce qui concerne la procédure pénale, taisant sur un sujet qui mobilise les énergies du terrain : la computation des délais.

Loin des débats évoqués plus hauts, le calcul des délais de procédure alimente en effet une jurisprudence foisonnante aux enjeux importants – la pérennité des procédures –  qui mériterait l’attention des décideurs.

De fait, les modalités de computation dépendent d’items très diversifiés (liste non exhaustive) :

*la nature du point de départ : actes ou faits juridiques ;

*la nature des actes concernés : appel, demande, requête, contestation, pourvoi ;

*la durée des délais : mois, années, jours ;

*l’objet du délai : acte de procédure, prescription, exécution des peines ;

*le point de départ du délai : émission ou réception d’un acte, date du fait, date de découverte du fait, âge du plaignant, date de mise en mouvement de l’action publique, mode de paiement (pour la consignation) ;

*l’identité du service et de l’autorité judiciaire ou du service concernés : siège, parquet, cour d’appel, Cour de cassation, lieu de détention.

*les lieux de résidence du justiciable (ce peut être la détention) et d’exercice de son avocat ;

*la qualité du justiciable : partie civile, plaignant, mis en cause, prévenu, mis en examen, détenu, mineur,

*les moyens techniques autorisés : fax, mail, LR, LRAR, RPVA…

La computation mobilise un vocabulaire dédié :

*dies a quo (point de départ), dies ad quem (point d’échéance),

*jour ouvrable, jour ouvré, jour franc,

*quantième…

Le non-respect des délais génère son éventail de sanctions :

*forclusion,

*prescription,

*irrecevabilité,

*rejet,

*filtre…

Avec, parfois, la possibilité d’« issues de secours », dont la charge de la preuve repose sur celui qui les invoque et dont la réalité peut être contestée, y compris dans le cadre de recours, soumis bien évidemment à des délais (!) : suspension/interruption du délai, force majeure, connexité, prescription glissante…

C’est si vrai que la Chancellerie met à la disposition des magistrats et des greffiers, depuis peu, des « calculateurs »[5].

Simplifier, lisser, unifier des modalités de calcul, mettre à la disposition de chacun, dans un objectif de transparence et d’accessibilité, des outils informatiques de calcul des délais permettant de savoir (vous me pardonnerez j’espère la familiarité du propos) : « Comment ne pas « se planter » en calculant les délais de procédure » ?

Encore un joli sujet de réflexion pour le comité scientifique en charge de la réflexion sur la simplification de la procédure pénale ?

 

[1] États généraux : la justice bientôt sauvée ? (Actu-juridique 8 juil 22)

[2] « Le temps manque pour pouvoir tout traiter » : près de deux millions de plaintes en attente dans les commissariats et les gendarmeries (France info, 13 janv 23)

[3] Justice : des délais de jugement 3 fois plus longs par rapport à l’Allemagne (Ifrap 20 dec 22)

[4] ATELIER Simplification de la procédure pénale

Rapport du comité des Etats généraux de la justice (Octobre 2021- avril 2022)

[5] né le 10 février 2023, RéCAP  sert à calculer les délais/durée des réductions de peine ».

né le 16 mars 2022 ,  Clepsydre »  sert à calculer de la prescription des infractions sexuelles sur mineur

 

Prochain épisode : Prescrire la prescription ? 

 

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