3e Commission

La difficile situation des centres des villes moyennes

Publié le 11/05/2018

Régulièrement, lors des consultations publiques, les villes moyennes1 sont plébiscitées par les Français pour leur qualité de vie. Sportives, à taille humaine, plus sûres et moins polluées que les grandes villes, pourvoyeuses de maisons individuelles à satiété, abordables financièrement, elles seraient « le rêve des jeunes familles actives ». Et pourtant, la population française se détourne de la plupart d’entre elles2.

Les pouvoirs publics affichent constamment leur souhait de développer les villes moyennes au nom de l’équilibre de l’armature territoriale. Pourtant, jusqu’à ces derniers mois, la primauté a largement été donnée aux métropoles. La revitalisation des villes moyennes en est au stade de l’expérimentation et du saupoudrage financier3.

Économiquement, les villes moyennes se répartissent en trois catégories principales.

Certaines, généralement en expansion, profitent de la force d’attraction des aires métropolitaines situées à proximité, en proposant des emplois comparables à ceux de leurs grandes voisines, principalement dans le domaine des services.

D’autres, historiquement industrielles, ne gagnent ni emplois ni habitants depuis trois décennies, quand elles ne les perdent pas.

D’autres enfin, longtemps à dominante administrative, ont subi le désengagement de l’État à la fin des années 2000. Certaines d’entre elles ont surnagé grâce à un accompagnement des pouvoirs publics locaux, mais la plupart subissent un déclin plus marqué.

Même lorsque les villes moyennes ne perdent pas de population, leurs centres villes s’essoufflent ou se meurent. La périphérie, objet de critiques acerbes, draine en effet la majeure partie de la croissance.

Le commerce de centre ville est représentatif de la situation économique de la cité. Souvent, la situation des cœurs marchands des villes moyennes est difficile (I). Néanmoins, en dehors des cas où les conditions socio-économiques sont fortement compromises, la revitalisation du centre ville est possible. Elle dépend principalement de la mobilisation des collectivités publiques (II) et des commerçants (III).

I – La situation actuelle des centres villes

La vacance est le meilleur marqueur des difficultés commerciales des villes moyennes.

En dehors des métropoles, le taux de vacance des locaux commerciaux est en constante augmentation dans les centres villes sur les 10 dernières années, principalement dans les villes moyennes. Ainsi, un rapport rendu public le 20 octobre 2016 dévoile que la part de locaux commerciaux ne trouvant pas preneur est passée de 6,1 % en 2001 à 10,4 % en 20154.

Le déclin des centres des villes moyennes est indissociablement lié aux difficultés économiques rencontrées par leurs habitants5. La proximité d’une métropole dynamique susceptible « d’aspirer » les habitants des villes voisines renforce les risques de déclin6.

La situation difficile des centres villes résulte d’un cercle vicieux qu’il convient de décrypter quant à son entrée (A) dans l’espoir d’en imaginer la sortie (B).

A – L’entrée dans le cercle vicieux

Le déclin des commerces de centre ville est inscrit dans un cercle vicieux s’étalant sur quelques années. Son décryptage le plus représentatif démarre dans une ville moyenne classique, non classée comme station touristique, et dont le cœur vit grâce à ses occupants et à la venue régulière des habitants de la périphérie :

  • les habitants les plus diplômés partent vers une plus grande ville leur offrant de meilleures perspectives d’avenir, et notamment des postes dans des sociétés de renommée internationale, n’ayant pratiquement jamais leurs sièges sociaux dans les villes moyennes7 ;

  • les consommateurs sont moins nombreux et souvent moins fortunés, la désindustrialisation paupérisant plus ou moins la population en fonction du contexte socio-économique local ;

  • quelques commerces ferment à défaut de clientèle, mais aussi parfois à cause de mauvaises conditions d’exploitation et d’un environnement défavorable ; ceux restant voient leur rentabilité faiblir et diminuent les animations proposées auparavant ;

  • la population périphérique, déçue d’un centre ville moins attractif, y vient moins souvent et s’habitue aux centres commerciaux installés à l’extérieur de l’agglomération, très facilement accessibles en automobile et généralement entourés de zones d’activités8 ;

  • de nouveaux commerces ferment ; les rares établissements s’installant sont des banques ou des assurances, créant des ruptures dans le linéaire commercial du centre ville ;

  • le chômage augmente, fragilisant les travailleurs et appauvrissant les consommateurs ;

  • les habitants lassés partent chercher un emploi dans la métropole voisine. La vacance des logements fait ensuite son apparition en centre ville, accentuée par le fait que les individus revenant dans la commune s’installent en périphérie et ne fréquentent pas le centre ville9 ;

  • des services publics ferment eu égard au nombre déclinant d’usagers et aux réformes nationales ;

  • désespérés de leur ville, d’autres habitants s’en vont vers la métropole voisine ;

  • etc.

B – La sortie du cercle vicieux

Ce tableau simpliste ne prétend bien évidemment à rien d’autre qu’à retracer grossièrement une mécanique avérée à de nombreux endroits. Heureusement, elle connaît parfois des variantes permettant de sortir du cercle infernal. Ainsi, de nombreuses villes refusent le sort qu’on leur promet. Celles réussissant à redynamiser leur centre ville remplissent les prérequis suivants :

  • une démographie dynamique et une situation socio-économique favorable, voire une capacité d’attractivité de la ville au-delà de son pourtour immédiat, la demande constituant le facteur principal du développement d’un marché de consommation10 ;

  • de bonnes conditions économiques d’exploitation et un environnement urbain adapté11 ;

  • un équilibre préservé entre périphérie et centralité12.

Lorsque ces conditions sont remplies, une adaptation rapide aux modes actuels de consommation, doublée d’un engagement des élus adapté à la situation de leur territoire, doit permettre une redynamisation.

II – La mobilisation des pouvoirs publics

L’investissement des pouvoirs publics est nécessaire à la redynamisation des centres villes des villes moyennes. Si certaines mesures dépendent de l’État (A), une mobilisation importante des collectivités locales est indispensable (B).

A – La mobilisation de l’État

Sans les viser nommément, le législateur s’intéresse néanmoins aux difficultés des villes moyennes. La revitalisation des centres urbains et la qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville, sont en effet des objectifs fondamentaux à atteindre en matière d’urbanisme13.

La préoccupation des pouvoirs publics pour l’esthétique des entrées de villes, d’ores et déjà largement défigurées par la tôle ondulée des zones marchandes vieillissantes, arrive tardivement dans le pays ayant la densité de centres commerciaux la plus importante d’Europe.

Par ailleurs, la revitalisation des centres villes dépend tellement des particularités locales qu’il est impossible de généraliser une politique publique efficiente partout. Il conviendrait que l’État mobilise des sommes colossales pour désenclaver de nombreuses villes, mais il n’en a guère les moyens financiers. La tentation de saupoudrer les villes d’aides publiques est également vaine : elles seront toujours insuffisantes et conjoncturelles, là où le problème mérite une solution structurelle.

Pour autant, l’engagement de l’État en faveur de ses villes moyennes est nécessaire, pour permettre un meilleur contrôle de l’urbanisme commercial de périphérie (1) et influer sur le droit européen (2).

1 – Le contrôle de l’urbanisme commercial de périphérie

En France, la régulation des nouvelles implantations commerciales repose sur un dispositif d’examen des projets supérieurs à 1 000 m², exercé par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). Au niveau départemental, 90 % des dossiers font l’objet d’un avis favorable. Ainsi, au regard des critères actuels, seuls 10 % des dossiers déposés ne prennent pas suffisamment en considération l’aménagement du territoire, le développement durable et la protection des consommateurs.

Afin de renforcer la régulation, il serait pertinent de contrôler également la préservation des centres urbains.

Par ailleurs, pour atténuer le risque d’un traitement au coup par coup et sans vision d’ensemble des projets, il conviendrait également de modifier le niveau territorial de la commission d’aménagement commercial et d’affecter la mission de contrôle à une commission d’échelon régional.

2 – Une influence sur le droit européen

La volonté de réguler la proposition commerciale par un développement limité de l’offre périphérique se heurte aux principes de concurrence et de libre implantation des commerces, chers au droit européen. Comment permettre aux collectivités locales d’encadrer le développement commercial, sans les autoriser à effectuer préalablement des analyses d’impact sur la vitalité de leur territoire ? Or, sur la base de la directive « Services », la législation européenne impose aux pouvoirs publics cette équation hasardeuse, sinon impossible14. Et à force de tourner la question dans tous les sens, ils tournent en rond… ou à l’envers.

Ainsi, la loi LME du 4 août 2008, ayant notamment relevé à 1 000 m² le seuil d’intervention de la CDAC, était la réponse à une mise en demeure de la Commission européenne en date du 5 juillet 2006, reprochant à la France d’effectuer des évaluations d’impacts économiques préalables aux implantations soumises à autorisation. Dans la foulée, la loi Grenelle 2 a imposé la définition d’un volet commercial obligatoire dans les SCoT, mais la loi ALUR l’a supprimé dès mars 2014. La loi ACTPE l’a rétabli 3 mois plus tard sous forme d’un document d’aménagement artisanal et commercial (DAAC), mais uniquement à titre facultatif !

D’autres pays européens ont également la volonté politique de sauvegarder leurs centres villes. Attaqués à l’instar de la France pour manquement à la liberté d’établissement, l’Allemagne et les Pays-Bas défendent avec fermeté leur système, le jugeant compatible avec le droit européen. Au Royaume-Uni, il est localement pratiqué un process dénommé « Sequential Test » visant à ce qu’une implantation commerciale en périphérie d’une ville ne soit possible qu’à défaut d’emplacement satisfaisant au centre ville.

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la liberté d’établissement était un principe à respecter, mais susceptible d’aménagements proportionnés pour des raisons impérieuses d’intérêt général15. L’État français serait bien inspiré de s’unir à ses puissants alliés pour que la sauvegarde des centres villes devienne elle aussi « une raison impérieuse d’intérêt général », au même titre que la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire ou la protection des consommateurs.

B – La mobilisation des collectivités locales

À partir d’un panel de villes moyennes connaissant des situations proches, des études dévoilent des situations de vacance commerciale hétérogènes. L’action de proximité est ainsi décisive, à condition que les élus locaux aient la volonté politique de mettre en œuvre un projet global adapté. Le caractère global du projet est d’autant plus important que le commerce n’est qu’une composante du centre ville, le centre ville n’étant lui-même qu’une composante de la ville. Il convient d’adopter une approche multifactorielle, prenant en compte l’aménagement urbain, l’accessibilité, le stationnement et la diversité des services aux usagers. Il est par ailleurs inutile de se contenter de mesures cosmétiques limitées à l’esthétisme de rue si les difficultés du centre ville nécessitent une action sur les déterminants structurels.

L’établissement d’un diagnostic précis et la mise en place d’une stratégie globale (1) sont les seuls moyens d’adapter les leviers d’intervention (2).

1 – Un diagnostic précis et une stratégie globale

Les villes ont toutes des atouts et des points faibles. L’analyse des uns (a) et la juste appréhension des autres (b) sont nécessaires à l’élaboration d’une stratégie globale de l’aire urbaine.

a – L’analyse des points positifs

La France possède un atout majeur, envié du monde entier : son tourisme. Un littoral exceptionnel, de nombreux sites naturels d’une rare beauté, une histoire multiséculaire et une gastronomie extraordinaire font de la découverte des mille recoins du pays une suite d’expériences inoubliables. Beaucoup de villes moyennes françaises partagent cet atout du tourisme. Elles donnent à imaginer des centres villes grouillant d’une activité régulière. Mais la vision que certains étrangers ont de nos villes moyennes, y compris moyenâgeuses, fait réfléchir. Ainsi, si Albi avait rêvé de faire un jour la une du New York Times, c’était probablement pour la beauté de ses briques rouges et de sa cathédrale Sainte-Cécile plutôt que pour le désert de son centre ville !

Sans muséifier un patrimoine devant rester vivant, il est indispensable de valoriser nos villes à la hauteur de leurs qualités intrinsèques.

b – Le constat des points négatifs

Malheureusement, toutes les villes françaises ne souffrent pas uniquement de l’exploitation inaboutie d’un patrimoine exceptionnel. Certaines sont plus simplement marquées par des problèmes socio-économiques graves, comme les anciennes villes ouvrières frappées par la désindustrialisation. Une analyse précise des difficultés de ces villes sinistrées est d’autant plus importante que les remèdes doivent être concentrés sur les points les plus sensibles, quitte à limiter le périmètre des interventions.

Quand il existe, le déséquilibre commercial entre la périphérie et le centre ville doit être pointé du doigt. Cette rigueur s’impose également face à la perte de services publics, à l’omniprésence de la voiture, au déficit des places de stationnement ou à l’étroitesse des trottoirs.

Parmi les problèmes des villes moyennes, la vérité conduit à dénoncer l’attitude de certains élus locaux, confondant la responsabilité de redessiner leur commune avec le pouvoir de sacrifier leur territoire. Il n’est ainsi pas rare, qu’au nom d’une guerre de clochers, on construise des équipements publics d’une ampleur démesurée. La volonté d’attirer de nouveaux habitants engendre régulièrement des dépenses d’aménagement somptuaires, provoquant la foudre des chambres régionales des comptes mais surtout le départ de citoyens étranglés d’impôts.

Le sens de la mesure doit être une qualité partagée par tous les décideurs locaux. Un accès citoyen aux données numériques de la gestion de la ville est sans doute de nature à freiner les ardeurs irraisonnées des édiles. L’équilibre est cependant fragile, l’excès de contrôle pouvant engendrer une prudence paralysante, alors même qu’il est nécessaire d’agir.

2 – Les leviers d’intervention

Au niveau local, la redynamisation des centres villes passe par la recherche de nouveaux équilibres (a), une accessibilité optimisée (b) et, le cas échéant, une action foncière (c).

a – La recherche de nouveaux équilibres

La périurbanisation n’est pas systématiquement l’ennemie du commerce de centre ville. En effet, les personnes disposant d’un revenu médian plus élevé choisissent souvent de s’installer en périphérie. Lorsque le centre ville est attractif et facilement accessible, ces individus constituent une clientèle de choix. À ce titre, il convient de créer de nouveaux équilibres entre commerces de centre ville et de périphérie.

Ce rééquilibrage est possible à l’aune des premières difficultés rencontrées par les commerces de périphérie, et si les centres villes redeviennent multifonctionnels.

Les premières difficultés des commerces de périphérie. Les périphéries commerciales sont sans cesse décriées. On leur reproche d’avoir déséquilibré l’offre commerciale au détriment des centres villes.

Devant cette situation, fruit d’un urbanisme passif pendant de nombreuses années, certains élus passent des critiques à l’action, en décidant de moratoires sur les créations et extensions des zones commerciales.

Mais les surfaces commerciales périphériques commencent également à être touchées par la vacance commerciale. En 2014, elle atteignait 7,6 % des galeries des centres commerciaux et des parcs d’activités commerciales, contre 4,3 % en 2001.

Certaines grandes enseignes répondent déjà à ce déclin relatif en s’adaptant aux nouveaux besoins des clients. Ainsi, les nouveaux centres commerciaux, à l’architecture innovante, répondent à un « marketing du lieu », diffusent une welcome attitude, transformant l’acte d’achat en une « expérience ». D’autres veillent à inclure leurs surfaces commerciales dans des projets d’ensemble fondés sur la multifonctionnalité. Tous ont à l’esprit la qualité visuelle et environnementale de leurs immeubles.

Si l’augmentation de la vacance des surfaces commerciales périphériques traduit probablement les prémices de plus grandes difficultés engendrées par les achats en ligne et les livraisons à domicile, cette situation nouvelle crée néanmoins les conditions d’une alliance avec les commerces de centres villes contre un ennemi commun. Ainsi, nombre d’enseignes spécialisées dans le commerce de périphérie réfléchissent aux avantages d’une union d’intérêt avec les commerces de centres villes. Cette paix des braves en est à ses prémices, mais elle doit être renforcée dans l’intérêt de tous.

En effet, les enseignes commerciales généralistes servent de locomotives pour le redémarrage des centres villes, les supérettes ayant fait leur retour dans le paysage urbain. Les commerçants indépendants déjà installés y trouvent une complémentarité d’offre bienvenue. Les enseignes surfent sur une demande globalement dynamique16.

Par ailleurs, le retour en centre ville de ces supérettes contribue à un équilibre constituant, au-delà du problème économique, un enjeu majeur de développement durable. À cet égard, les enseignes généralistes s’attirent la reconnaissance d’élus locaux de plus en plus sensibles au sujet, souvent disposés à développer des services de transports en commun entre commerces de périphérie et de centre ville.

La multifonctionnalité des centres villes. L’homme moderne ne veut plus gâcher son temps de manière improductive. Or, le temps de déplacement d’une activité à une autre est par nature improductif.

Les grandes surfaces de périphérie ont longtemps surfé sur ce besoin de vitesse, en réunissant en un seul point de vente tous les objets du quotidien. Dans les centres villes, seuls les quartiers multifonctionnels juxtaposant les lieux d’activités principales sont susceptibles de les concurrencer. Ainsi, la présence de services de soins, d’éducation, de loisirs et de culture est essentielle pour la redynamisation des cœurs marchands.

Grâce au développement des chemins de fer partout en France au XIXe siècle, les villes moyennes ont très souvent en leur centre une gare susceptible de redevenir un pôle d’activités de premier plan. Un réaménagement de ces gares et des espaces alentour permet en effet de développer la multifonctionnalité.

Le commerce d’itinéraire attend ainsi que les trains regagnent des parts de marché sur l’automobile pour s’y développer. Les enseignes commerciales de qualité peuvent là encore jouer le rôle de locomotives. Parallèlement, des services innovants tels que crèches de commerce, centres de coworking ou bureaux temporaires s’intègrent parfaitement à cet univers.

Les endroits les plus inesthétiques de ces centres névralgiques ont également leur utilité. Ils servent par exemple d’entrepôts logistiques pour les achats effectués dans les magasins voisins.

Parfois, les loyers en centre ville sont trop importants pour permettre la pérennité des commerces. Une solution judicieuse est de diviser le loyer entre plusieurs utilisateurs. Ainsi, un médecin généraliste d’une ville moyenne située au milieu d’une vaste zone rurale a la possibilité de partager son cabinet un ou deux jours par semaine avec un kinésithérapeute et d’en profiter pour effectuer des visites en zone rurale. Il bénéficie ainsi d’un allégement de charges, et la population de deux services complémentaires au lieu d’un17.

Le commerce éphémère permet l’utilisation d’un local sur une période plus courte que le bail commercial classique. Adossé au système du bail précaire, il permet de limiter les risques du locataire incertain de son business model et de tester un marché, un produit ou un emplacement. Le bailleur y trouve également un intérêt, ces boutiques engendrant un passage de curiosité susceptible de réanimer des rues et des locaux délaissés. Il existe aujourd’hui un véritable marché pour la location précaire, particulièrement dans le domaine commercial. Le pop-up store peine néanmoins encore à s’imposer dans les villes moyennes.

b – L’accessibilité

Le plan de développement urbain (PDU) est l’outil urbanistique traduisant la politique locale en matière de transport. Les choix des élus relatifs à l’importance des transports en commun et à la place laissée à l’accès et au stationnement de la voiture apparaissent à travers ce document.

Cet outil est fondamental car, même en centre ville, plus de la moitié des déplacements liés aux achats est réalisée en voiture. L’automobile n’est pas l’ennemie du commerce. Au contraire, le commerce doit s’adapter à l’automobile18.

En effet, l’automobiliste doit accéder aisément au centre ville et y stationner tout aussi facilement sans dépenser une fortune19. À ce titre, il convient notamment de proscrire les « voitures ventouses »20, et de favoriser les parkings en sous-sol et les immeubles dédiés exclusivement au stationnement.

Cependant, si certains voient la facilité d’accès et la gratuité des parkings comme l’alpha et l’oméga de la redynamisation des cœurs de ville marchands, l’erreur de perception n’est pas exclue. Ainsi, les études démontrent que les adeptes du shopping réclament souvent « du plaisir ».

Dans l’esprit de la population, ce plaisir prend de l’importance jusqu’à faire oublier, dans une certaine mesure, l’improductivité des déplacements. Ainsi, si les centres villes redeviennent attractifs au point de faire de la déambulation en leur sein un moment de plaisir, la population n’aura pas l’impression de perdre son temps dans les interstices séparant ses différents points de chute21.

c – L’action foncière

L’intervention publique est nécessaire à la bonne gestion du foncier commercial de centre ville, en permettant de veiller à la diversité de l’offre commerciale, pierre angulaire d’un aménagement réussi. Plus généralement, elle assure le maintien d’une mixité fonctionnelle, elle aussi indispensable, notamment au travers de l’accessibilité.

Les outils de l’intervention publique susceptibles d’avoir des répercussions sur le dynamisme des commerces de centre ville sont multiples, indépendamment de la fiscalité locale ou d’un appui financier ciblé22.

Il s’agit par exemple d’intégrer dans le plan local d’urbanisme un linéaire commercial excluant les banques, les assurances, voire les agences immobilières, pour empêcher les ruptures d’élans marchands. À cet effet, certaines communes négocient systématiquement l’achat des pieds d’immeubles auprès des promoteurs construisant dans des zones prédéfinies. Parfois, les mesures sont plus radicales, allant de l’instauration de périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité23 à la préemption commerciale.

Mais toutes ces mesures n’ont de sens qu’avec la participation active des principaux intéressés, les commerçants.

III – Les actions des commerçants

Les commerçants sont au centre des leviers permettant de redynamiser leur activité. Leurs actions sont individuelles (A) ou collectives (B).

A – Les actions individuelles

Pour réussir, les commerçants indépendants ne doivent pas copier ce que d’autres font avec plus de moyens, mais cultiver leur différence. C’est en déployant une offre alternative et complémentaire aux propositions commerciales de leurs voisins plus puissants qu’ils ont le maximum de chance de tirer leur épingle du jeu.

Certaines tendances leur sont favorables : l’attractivité des très petites surfaces tenant du label informel « small is beautiful », l’essor des valeurs d’alter-consommation, l’évolution du commerce vers les services, la valorisation de l’expérience client, etc.

De nouveaux efforts sont néanmoins nécessaires : étendre les heures d’ouverture pour toucher une clientèle contrainte dans ses horaires, ouvrir le dimanche dans des zones touristiques, fidéliser par des remises ciblées, théâtraliser les vitrines, observer et apprendre des habitudes des consommateurs, etc.

Il convient également de s’adapter à l’air du temps. Ainsi, faire aujourd’hui du commerce sans utiliser le numérique est chimérique. Les smartphones des clients transmettent des informations sur les animations ou promotions à tout moment. Les nouvelles technologies sont encore sous-utilisées, alors que la complémentarité des sites marchands et des boutiques physiques ne demande qu’à se développer.

Il est fondamental de favoriser les aménités urbaines pour que le client ait vraiment le sentiment d’être le roi ou la reine du shopping.

B – Les actions collectives

Les cœurs marchands des villes moyennes sont attractifs dans le cadre d’une coopération de tous leurs acteurs, au premier rang desquels se trouvent les commerçants. Mais si l’attractivité est forcément collective (1), un managérat de qualité se révèle primordial (2).

1 – L’attractivité collective

Les centres commerciaux de périphérie disposent de moyens importants les rendant attractifs. À défaut d’en bénéficier ab initio, les commerçants de centre ville doivent chercher des moyens équivalents dans la mutualisation. Leur attractivité en dépend.

Pourtant, très sensibles à la concurrence, ils n’ont pas cette culture de la mise en commun. Ils en connaissent néanmoins les ressorts, comme le prouvent les animations commerciales collectives ou les opérations promotionnelles croisées. D’autres mises en commun d’outils sont nécessaires. Ainsi, la digitalisation du commerce physique permettant d’élargir les zones de chalandise est individuelle, mais sa rentabilité économique dépend du nombre de magasins concernés par les livraisons de produits. Cette solution s’applique également aux conciergeries numériques chères au click & collect.

Les commerces sont dépendants les uns des autres. Sans les locomotives commerciales telles que les supérettes, les métiers de bouche ou les enseignes spécialisées, le train du commerce est à l’arrêt au centre ville. Et sans la multitude de wagons d’un linéaire commercial diversifié, le convoi ressemble un peu à un train fantôme. Ainsi, la complémentarité d’offres est nécessaire à la fidélisation de la clientèle.

2 – Le managérat

Il existe en France près de 6 000 associations de commerçants. Ce chiffre est impressionnant mais révèle de grandes disparités. En effet, la réussite d’une association dépend fortement de l’énergie de ses bénévoles et de la volonté des commerçants d’y adhérer.

Elle présente aussi le défaut d’avoir comme unique angle de vision celui des commerçants.

Apparus il y a une quinzaine d’années en France, les managers de centres villes coordonnent les efforts et les ressources des acteurs publics et privés en vue de promouvoir le commerce et l’artisanat. Leurs missions sont définies localement par les collectivités les rémunérant. Qu’ils attirent des investisseurs, qu’ils organisent des manifestations, qu’ils conseillent des implantations ou qu’ils chassent les subventions, les managers de centre ville sont des développeurs d’activités dans le cadre d’un partenariat public/privé.

Compte tenu des enjeux, cette fonction mériterait d’être développée et davantage encadrée. L’Hexagone ne compte en effet que cent cinquante titulaires, agissant de façon dispersée.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Comptant entre 10 000 et 100 000 habitants.
  • 2.
    De 2007 à 2012, la croissance démographique des villes moyennes s’établissait à 4,3 %, soit une croissance moindre que la hausse nationale de 7,5 %, v. « Rapport sur la revitalisation commerciale des centres villes », Inspection générale des finances (IGF) et Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), juill. 2016. Sauf renvoi exprès à une autre étude, les données chiffrées de cet article sont tirées de ce rapport (remise du rapport sur la revitalisation commerciale des centres villes : www.economie.gouv.fr, 20 oct. 2016, p. 8).
  • 3.
    À titre d’exemple, l’enveloppe budgétaire associée au projet « Cœur de ville » et à l’agenda « Commerces en cœur de ville » mis en place par le gouvernement français en mai 2017 est seulement de… un million d’euros !
  • 4.
    À titre d’exemple, le taux de vacance des locaux commerciaux du centre ville de Béziers est passé de 9,7 % en 2001 à 24,4 % en 2015.
  • 5.
    Les résultats d’un rapport de l’INSEE publié le 3 mai 2017 révèlent que les habitants du centre ville de Béziers ont un niveau de vie très inférieur au niveau médian métropolitain.
  • 6.
    Là encore, l’exemple de Béziers, vivant dans l’ombre de Montpellier, est criant.
  • 7.
    Ce phénomène commence d’ailleurs avec les études, les facultés de Montpellier attirant la plupart des étudiants biterrois par exemple.
  • 8.
    Entre 1992 et 2009, la surface totale des commerces de détail a augmenté de 58 % alors que le nombre de points de vente a diminué de 6,3 %.
  • 9.
    La croissance démographique des villes moyennes n’est due qu’au phénomène de périurbanisation. Le déclin des centres villes contribue en revanche largement au fait que le taux de vacance de logements des villes moyennes (6,2 %) est supérieur à la moyenne nationale (5,7 %).
  • 10.
    A contrario, un bassin de clientèle insuffisant en quantité ou en moyens est rédhibitoire.
  • 11.
    Cet aspect est sans doute celui laissant le plus de marge de manœuvre au volontarisme politique.
  • 12.
    Lorsque la périphérie a d’ores et déjà pris une place trop importante, les chances d’inverser la tendance sont faibles.
  • 13.
    C. urb., art. L. 101-2, 1°, b) et 2°
  • 14.
    L’article 14-5 de la directive « Services » interdit en effet les études d’impact des projets commerciaux envisagés.
  • 15.
    CJUE, 24 mars 2011, aff. C-400/08, Commission européenne c/Espagne.
  • 16.
    En 2016, les supérettes généralistes ont vu leur activité progresser de 3 %, selon les chiffres de l’INSEE.
  • 17.
    Et la population rurale, d’une présence médicale bienvenue.
  • 18.
    Cette position n’est pas partagée par tous. Certains pensent en effet que le commerce de centre ville gagnerait à avoir une clientèle piétonne achetant moins mais plus souvent (blog Ramezon O., « Ces nouveaux maires qui réintroduisent la voiture en ville » : http://transports.blog.lemonde.fr, 20 juill. 2014).
  • 19.
    Car le parking est gratuit dans les centres commerciaux de périphérie.
  • 20.
    À l’aide de capteurs, le numérique permet une meilleure rotation des places de stationnement, comme cela a pu être favorablement expérimenté à Sète depuis 2012, dans le cadre d’un partenariat public/privé.
  • 21.
    La voiture autonome contribuera également à régler ce problème d’improductivité dans les déplacements lorsque le temps de chargement du véhicule ne sera plus une contrainte.
  • 22.
    Les aides à l’immobilier d’entreprise résultant de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 (JO, 17 août 2004) sont à manier délicatement au regard des dispositions européennes relatives aux aides d’État.
  • 23.
    C. urb., art. L. 214-1.
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