Me Guadalupe Miranda : « Les collégiens fantasment le monde du droit »
Pour la troisième année consécutive, le Conseil national des barreaux, le ministère de l’Éducation nationale et celui de la Jeunesse et des Sports, organisaient le 6 octobre dernier, la Journée du droit dans tous les collèges de France. Avocate au barreau des Hauts-de-Seine (92), Magali Guadalupe Miranda est intervenue auprès d’élèves de quatrième au collège Les Chènevreux, à Nanterre. Elle revient sur ses échanges avec les élèves.
Les Petites Affiches : Comment s’est déroulée cette Journée du droit ?
Magali Guadalupe Miranda : Je suis intervenue une heure dans deux classes de quatrième, au collège Les Chènevreux, à Nanterre. Le thème retenu pour cette troisième Journée du droit était celui des libertés. J’ai été agréablement surprise de voir qu’ils avaient très spontanément cette idée que la liberté n’est pas absolue mais limitée. Ils en ont tout de suite mentionné les limites : celle de la loi, celle de ne pas faire de tort à autrui.
LPA : Comment avez-vous décliné ce thème de la liberté ?
M.G.-M. : Nous avons mis ce concept de liberté à l’épreuve de la réalité, en prenant plusieurs exemples concrets. Tout d’abord, nous avons évoqué les limites imposées par la gestion de la crise sanitaire. Le principe de liberté fait que je peux me déplacer où je veux mais celui-ci a été restreint pour préserver le droit à la santé. De la même manière, j’ai le droit de m’habiller comme je veux, mais je dois porter un masque quand je sors. Des libertés peuvent entrer en concurrence les unes avec les autres, comme c’est le cas en ce moment, et il est intéressant de se demander lesquelles doivent primer pour maintenir l’ordre public et protéger l’ensemble de la population.
Nous avons ensuite évoqué la neutralité imposée aux agents du service public, en prenant l’exemple d’une professeure de français. Ce concept de neutralité n’est pas évident mais ils ont fini par l’intégrer et comprendre que cette professeure, si elle a le droit d’avoir ses opinions politiques, ne peux pas en faire part à ses élèves dans le cadre de ses fonctions.
Le troisième sujet était celui de la liberté d’expression. Je n’avais pas pris d’exemple particulier et attendais que cela vienne d’eux. Ils ne m’ont pas dit grand-chose. On a néanmoins parlé des propos racistes et ils savaient parfaitement qu’ils sont interdits.
LPA : Avez-vous été surprise par ces élèves ?
M.G.-M. : Ce qui m’a surprise, et même un peu inquiété, est qu’ils avaient l’impression qu’on n’avait pas le droit de critiquer le gouvernement, même à titre privé ! J’ai bien expliqué que si on a un devoir de neutralité lorsqu’on est dans le cadre d’une mission de service public, on a parfaitement le droit d’exprimer son avis avec ses amis, en privé, ou dans le cadre d’un débat politique.
LPA : Que pensez-vous de ce thème de la liberté, choisi pour cette Journée du droit ?
M.G.-M. : Il me semble bien choisi, car il résonne malheureusement fortement avec l’actualité. J’ai, à titre personnel, le sentiment que la crise sanitaire est un prétexte pour prendre des mesures de restriction des libertés non proportionnées et durablement néfastes. Je pense notamment à toutes les exceptions qui ont été mises en place en droit du travail, et qui, à ma connaissance, ne sont pas limitées dans le temps. Elles finissent par être un blanc-seing pour les entreprises qui souhaitent se débarrasser d’une partie de leur personnel alors même qu’elles font des profits. C’est une remise en cause extrêmement inquiétante du droit du travail tel qu’il a longtemps été pratiqué. Cela m’inquiète aussi de voir que cela passe comme une lettre à la poste. Pour moi, la question des libertés est assez importante. D’autant plus qu’on évolue depuis plusieurs années dans une logique sécuritaire et clivante. Dans ce contexte, il me semble opportun de rappeler les bases, à savoir que nos libertés doivent être encadrées lorsque c’est nécessaire par la loi, de manière proportionnée.
LPA : Quelles étaient les questions des élèves ?
M.G.-M. : Ils avaient beaucoup de questions sur les avocats. Une de leurs principales préoccupations était de savoir combien ils gagnaient ! Ils imaginaient que nous étions tous très riches, ce qui est évidemment bien loin de la réalité. Ils ne savaient pas non plus ce qu’est l’exercice d’une profession libérale. Ils imaginaient d’ailleurs que les avocats sont salariés, alors que ceux qui exercent sous ce régime sont une minorité. Je leur ai donc expliqué les trois types de modalités d’exercice de la profession : l’avocat libéral qui est vraiment indépendant, le collaborateur libéral, et le collaborateur salarié. Quand ils ont compris que l’avocat libéral pouvait manquer de clients et donc gagner peu d’argent, ils étaient sidérés !
LPA : S’intéressent-ils au monde judiciaire ?
M.G.-M. : Oui, ils s’y intéressent mais ils le connaissent mal et en ont une vision très fantasmée. Ils ont toutefois bien compris que le droit est partout. La veille de mon intervention, un élève de troisième avait pris un coup de cutter dans la jambe de la part d’un de ses camarades. Ils savent que la justice est à portée de main, qu’ils peuvent la rencontrer à tout moment.
LPA : Qu’en connaissent-ils ?
M.G.-M. : Ils ont principalement en tête l’image du droit pénal, généralement américain. Ils ont du mal à envisager autre chose. Il est évident que le droit des contrats ou des baux locatifs passionne moins les foules, et par conséquent, est moins représenté dans les médias. Par ailleurs, à chaque fois que des professeurs amènent des élèves assister à des procès, il s’agit de procès en correctionnelle. C’est plus facile à organiser car ces audiences sont publiques, contrairement à celles de droit de la famille qui sont privées. J’ai incité la documentaliste qui avait organisé l’intervention à solliciter la Cour nationale du droit d’asile, qui accueille des groupes et fait un vrai travail pédagogique. Le droit des étrangers est complexe et peut être clivant, mais la dimension de vécu est forte.
LPA : Que connaissent-ils du processus législatif ?
M.G.-M. : Il y a une très grande méconnaissance des institutions. Ils ne savent pas qui fait la loi, où siègent les députés. La séparation des pouvoirs est pour eux très théorique. Ce n’est pas vraiment leur programme et ils ne s’y intéressent visiblement pas encore à cet âge… J’ai donc également profité de mon intervention pour faire un petit point sur les institutions.
LPA : Avez-vous l’habitude d’intervenir en milieu scolaire ?
M.G.-M. : Oui, car je fais partie de l’association Initiadroit du barreau des Hauts-de-Seine. Nous faisons des interventions sur des sujets juridiques en collèges et lycées, à la demande des établissements. La documentaliste du collège Les Chènevreux, à Nanterre, m’a d’ailleurs demandé de revenir pour présenter les différents métiers du droit aux classes de troisième, afin qu’ils les connaissent quand ils auront à choisir leur orientation professionnelle.
LPA : Qu’est-ce que ces interventions vous apportent ?
M.G.-M. : C’est d’abord une bouffée d’air. À force de pratiquer son métier, on est dans l’entre-soi. On fréquente énormément ses confrères, éventuellement aussi quelques magistrats. Nous avons forcément tous un peu la même lecture du monde, celle des professionnels du droit. C’est intéressant d’entendre les remarques des élèves, de voir comment ils perçoivent le monde de la justice. Pour eux, la justice est juste. Or ce n’est pas le but. La justice est un outil politique de gestion de la population. Le droit n’est pas moral, il n’est pas fait pour cela. L’idée n’est évidemment pas de leur dire que la justice est injuste. En revanche, on peut les sensibiliser au fait que la justice est déconnectée de la morale et de l’équité. C’est pour cette raison qu’une personne peut être acquittée ou relaxée pour un problème de procédure, comme ils l’entendent parfois aux informations. D’après eux, ce n’est pas juste ! Ils ne comprennent pas le sens de ces procédures.
LPA : Que pensez-vous de la Journée du droit ?
M.G.-M. : C’est une très bonne initiative. En faire une tous les ans me semble le minimum. Je trouverais souhaitable que les barreaux s’investissent davantage auprès des établissements scolaires qui le souhaitent. Il faudrait déjà peut-être développer l’association Initiadroit, qui n’est pas présente dans tous les barreaux. Il faut que les professions du droit se mobilisent pour rendre accessibles toutes les juridictions, essayer de guider les enseignants qui eux-mêmes ne les connaissent pas bien. Il faudrait faire davantage de relations publiques. Les magistrats n’en ont sans doute pas le temps, mais les avocats peuvent tenir ce rôle de vulgarisation de la justice. Cela serait une bonne chose pour le débat public.