Paris (75)

Patricia Malbosc : « La médiation doit devenir un réflexe. Elle ne doit pas être la jambe de bois de la justice » !

Publié le 18/10/2022

La deuxième édition du Congrès international de toutes les médiations s’est tenue du 5 au 7 octobre 2022 à Angers. Au programme de cet événement des tables rondes et des séances plénières pour réfléchir sur la place de la médiation dans la société. Parmi les organisateurs, l’association Planet’Mediation. Créée en 2009 et implantée à Paris, elle est composée d’une quinzaine de médiateurs spécialisés dans la médiation inter et intra entreprise, sur l’ensemble du territoire français. Dans le cadre de ces missions, elle travaille avec une trentaine de partenaires : avocats, sociologues, experts… Présente dans toutes les strates de la société et face aux différents enjeux sociétaux, la médiation peut être un levier, qui n’est pas encore pleinement exploité. C’est ce que nous explique Patricia Malbosc, présidente de Planet’Mediation.

Actu-Juridique : En quoi consistait le Congrès international de la médiation, qui s’est tenu du 5 au 7 octobre à Angers ?

Patricia Malbosc : Nous avons coorganisé, à Angers, la deuxième édition du Congrès international de toutes les médiations. La première édition avait été un succès puisque nous avions réuni 650 participants. À travers ce congrès, nous souhaitons pouvoir faire des recommandations pour faire avancer la médiation. Nous voulons que ce congrès soit instituant et crée une acculturation de la médiation. Six séances plénières et quinze tables rondes avec plus d’une centaine d’intervenants étaient au programme. Nous avons réfléchi à ce qu’est la médiation aujourd’hui et ce qu’elle peut apporter à la société. Nous avons par exemple eu une table ronde sur la profession de médiateur. On entend toujours parler de la médiation en général mais très peu du médiateur. Or, il est le socle, le pilier de la médiation. Au cours de cette plénière les panélistes ont réfléchi à la profession de médiateur. C’est déjà un métier pour les médiateurs sociaux. La médiation doit – elle est une profession réglementée avec un ordre des médiateurs par exemple ? Doit-il y avoir des règles fixées ? Je pense que la fixation d’un cadre concernant la profession de médiateurs permettrait de rassurer à la fois le médiateur mais aussi les parties qui viennent en médiation. J’ai participé à la rédaction du Livre blanc de la médiation en 2019, édité par Médiation 21, et nous avons écrit dans ce Livre blanc que nous, médiateurs, nous ne souhaitions pas avoir une profession réglementée, tout en exprimant le besoin de disposer d’un statut afin d’être mieux connu et reconnu.

Actu-Juridique : La thématique du congrès était : « La médiation, un repère dans un monde en transition ». En quoi peut-elle être un repère ?

Patricia Malbosc : Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour dans notre société avec tous les événements qui se passent dans le monde. Or nous constatons que les gens n’ont plus confiance dans leurs institutions, ni confiance les uns envers les autres. La médiation doit devenir un pilier dans ce monde en transition où de plus en plus de personnes perdent leurs repères. Elle peut permettre aux individus de se resituer, de se retrouver, de mieux vivre ensemble.

Actu-Juridique : Le changement climatique est un enjeu primordial aujourd’hui pour notre société. De quelle manière la médiation peut-elle intervenir dans ce domaine ?

Patricia Malbosc : La médiation peut être une aide précieuse pour surmonter cette crise. Elle va permettre à différents acteurs de se mettre autour de la table pour réfléchir à cette crise climatique et essayer de trouver des solutions pour en sortir. Elle va permettre de confronter des points de vue, de rechercher le plus large consensus sur des valeurs communes et bâtir ensemble un monde nouveau en prenant en compte tous les défis climatiques qui se posent à nous. Mais la médiation en matière environnementale existe déjà. Par exemple, quand il y a des implantations d’infrastructures énergétiques sur des territoires, il peut y avoir des médiations avec des riverains. Les parties vont confronter leur point de vue pour trouver une solution. Mais, je ne suis pas spécialiste de ces questions.

Actu-Juridique : Comment la médiation a-t-elle évolué en France jusqu’à aujourd’hui ?

Patricia Malbosc : La loi a créé la médiation judiciaire en 1995. Au départ, il y avait le médiateur de la République. C’étaient les balbutiements. Il y a toujours la médiation institutionnelle, notamment avec la défenseure des droits et ses délégués dans les territoires. La médiation sous des formes diverses est de plus en plus présente en France. Il y a la médiation judiciaire, la médiation conventionnelle, la médiation administrative ou encore les médiateurs des collectivités territoriales et j’en oublie. Les médiateurs des collectivités territoriales ont un rôle important, ils sont la courroie de transmission entre l’administration et les usagers, tant au niveau départemental et communal. Par exemple, la mairie de Senlis a créé un espace de médiation pour ses concitoyens. Des médiateurs formés assurent des permanences pour les habitants de la commune qui connaissent des difficultés. La médiation permet à des personnes de redialoguer. Elles peuvent avec l’aide du médiateur renouer des relations, qui ont été rompues à un moment donné. Par exemple, aujourd’hui, dans les conflits internationaux, la médiation aide les parties à se mettre autour d’une table et dialoguer pour essayer de régler le conflit autrement que par les armes.

Dans l’entreprise et entre les entreprises, la médiation est déjà bien présente. Il y a le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, qui est rattaché au ministère de l’Économie et des Finances. Il peut avec des médiateurs qu’il mandate réaliser des médiations lorsque des sociétés le saisissent. Il a été très sollicité notamment pendant la crise sanitaire. Au moment du Covid, la médiation sociale a permis à certaines personnes vivant dans les quartiers populaires de renouer le dialogue. Plus globalement, la médiation, processus structuré, confidentiel et volontaire, permet tout d’abord de s’expliquer. En discutant et en dialoguant, les parties vont trouver ensemble des solutions pour améliorer la situation et gérer leur conflit. Finalement, la médiation est présente dans toutes les strates de la société. Ce que j’apprécie dans la médiation c’est son universalisme. Aujourd’hui, certes, elle est connue. Beaucoup de choses sont faites. Mais en France, elle n’est pas encore pleinement exploitée. La médiation doit devenir un réflexe. Par exemple, elle ne doit pas être simplement la jambe de bois de la justice. Elle doit faire partie de la justice et apporter aux personnes des relations plus apaisées.

Actu-Juridique : Vous parlez de la médiation comme la jambe de bois de la justice. Pourquoi ?

Patricia Malbosc : Quand je regarde les textes de loi, je constate que la médiation peut parfois être considérée comme une justice au rabais. Je refuse qu’elle soit perçue comme un mode alternatif de règlement des conflits ou des différends. La médiation doit faire partie intégrante de la justice et de la vie des citoyens. C’est une autre façon de rendre la justice.

Actu-Juridique : Aujourd’hui pensez-vous que la médiation peut être un levier face aux difficultés que connaît l’institution judiciaire ?

Patricia Malbosc : Bien sûr. Je pense que la médiation est un levier. Pendant le Covid alors que l’institution judiciaire s’est arrêtée pendant deux mois, de nombreuses affaires ont pris du retard sur le retard de traitement déjà conséquent dont souffrent les justiciables. La médiation a pris le relais pour résoudre les conflits qui ne pouvaient pas attendre. La médiation repose sur deux principes capitaux : la confidentialité et le volontariat. La justice au contraire s’impose aux parties. En effet, les parties sont convoquées à un procès et ne sont pas maîtres de leur affaire. Elles sont représentées par des avocats et un juge va trancher le litige. Dans un procès, l’aspect juridique du conflit est étudié à partir de la règle de droit. Le juge va donc trancher en fonction de la règle de droit. La décision de justice est souvent perçue comme « injuste » et parfois ne peut même pas être mise en œuvre lorsque les personnes ne sont plus présentes ou devenues insolvables ! L’objectif de la médiation est de trouver une solution raisonnée convenant aux besoins exprimés par les parties, acceptées et mises en œuvre.

Dans une médiation, les parties se réapproprient leur conflit. Elles deviennent actrices de leur conflit et de sa résolution. La médiation va permettre d’aller au cœur du conflit y compris les aspects émotionnels, grâce à l’aide du médiateur. Avec elles, il va explorer l’ensemble du conflit pour qu’elles trouvent une solution. Le médiateur va, par son questionnement et ses reformulations, permettre aux parties en conflit de dépasser leurs positions antagonistes et leurs émotions. Il les accompagne dans l’identification de leurs besoins, leurs intérêts et les aident à trouver une solution acceptable et durable tenant compte des intérêts et besoins de chacun.

Actu-Juridique : Comment est mise en place la médiation au sein des grandes entreprises ?

Patricia Malbosc : Plusieurs grandes entreprises ont fait le choix de mettre en place des dispositifs de médiation à l’intérieur de leurs organisations. L’expérience du groupe Air France à Roissy est très intéressante. Franck Raimbaud, directeur juridique et social d’Air France, présent lors du congrès, a mis en place un dispositif de médiation conventionnelle en 2018. À ce moment-là, il y avait une double problématique interne : le turnover du personnel, certes faible, mais surtout une conflictualité judiciaire importante. La médiation a été un moyen d’améliorer l’image de l’entreprise. Elle faisait partie du plan stratégique RH dont l’objectif était de remettre le salarié au cœur des attentions de l’entreprise. Pour cela, il a fait appel à des médiateurs extérieurs. Je trouve cette stratégie originale. Ce positionnement faisait suite à l’épisode du DRH pris à partie par des salariés d’Air France et dont la chemise avait été arrachée. Autre exemple, la SNCF a mis en place un dispositif de médiation conventionnelle au sein de l’entreprise pour régler les problèmes de ressources humaines, à partir d’un médiateur interne à l’entreprise.

Actu-Juridique : Votre association Planet’Mediation est spécialisée dans la médiation inter et intra entreprise. De quelle manière les PME et les plus petites entreprises se saisissent-elles de la médiation ?

Patricia Malbosc : J’ai participé avec Planet’Mediation à beaucoup de médiations dans ou entre les PME. Nous avons mis en place des dispositifs de médiation conventionnelle. Soit dans les contrats de manière préventive, soit de manière ad hoc lors de la survenance d’un différend, parfois même pour les aider à se préparer à une médiation (« coaching de médiation »). En matière de droit social, depuis la loi no 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron, une clause de médiation peut être introduite dans les contrats de travail. Cette clause permet au salarié ou à l’employeur de faire appel à un médiateur extérieur à l’entreprise. C’est devenu courant dans la signature de nouveaux contrats de travail dans les plus petites et les plus grandes entreprises. Il peut y avoir des cas de harcèlement, de conflit entre un manager et ses collaborateurs ou des différends entre salariés. Pour que la médiation se réalise, le médiateur extérieur doit être accepté par l’employeur et le salarié.

Actu-Juridique : Comment se déroule concrètement une médiation dans une entreprise ?

Patricia Malbosc : Je vais prendre un exemple d’une médiation réalisée dans une PME, spécialisée dans la recherche médicale, située dans le département de la région Île-de-France. C’était un conflit entre le directeur général et 20 salariés, qui accusaient le DG de harcèlement. D’abord, nous avons rencontré chacune des personnes en entretien individuel. Dans ces rencontres individuelles, nous avons fixé le cadre et les règles de la médiation, notamment la confidentialité et le volontariat. Ensuite, nous avons réuni le directeur général et les 20 salariés en séance plénière. Au départ, c’était compliqué parce que les personnes avaient du mal à s’exprimer. Personne ne voulait prendre la parole car il y a toujours la crainte de représailles. Finalement, un salarié a pris la parole et celle-ci s’est libérée. Chacun a pu exprimer ses craintes et son désarroi. Le directeur général a pu entendre le ressenti de ses salariés. Puis, il s’est exprimé. Tout le monde a pu partager ses ressentis, ses sentiments. Nous avons revisité la situation antérieure. Dans la médiation c’est ce qu’on appelle la phase du passé. Une fois celle-ci explorée, après que chacun a pu s’exprimer et « vider son sac », nous pouvons envisager l’avenir. Nous avons fait un long brainstorming et travaillé tous ensemble sur de nouvelles règles de fonctionnement en accord avec la direction de l’entreprise. Tout cela a été scellé dans un accord écrit, signé par l’ensemble des parties en présence.

Autre exemple à Paris, avec une entreprise spécialisée dans l’informatique et une problématique entre plusieurs syndicats de cette société, dont l’un a vu son secrétaire général discriminé et mis sur la touche. Plus personne ne se parlait et malgré tout certains syndicats estimaient qu’il n’y avait aucun problème. Cependant, je sentais un malaise et j’ai donc demandé à rencontrer en aparté les élus de tous les syndicats qui ont reconnu qu’il y avait un problème et que l’ambiance était invivable. J’ai proposé de les réunir tous ensemble, ce qu’ils ont accepté. Nous étions trois médiateurs avec les syndicats concernés et leurs élus. Pour faciliter la prise de parole, l’écoute et le respect mutuel, nous avions une boule et la personne qui souhaitait parler devait obtenir la boule et avait trois minutes pour dire son ressenti. La séance s’est déroulée sans heurts. Personne ne s’est coupé la parole et tout le monde s’est écouté. Finalement, après s’être dit les choses, ils ont mis de côté leurs différends, car ce qui était important pour eux c’était les salariés de l’entreprise. Ils sont convenus de travailler de concert en créant une intersyndicale. Par l’écoute active, le respect mutuel, la reformulation et le questionnement, nous arrivons à passer des positions de chacun vers les besoins et les intérêts communs.

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