Tribunal de commerce de Créteil : une économie sous le signe de la reprise

Publié le 22/02/2018

Le 24 janvier dernier, le tribunal de commerce de Créteil clôturait l’année judiciaire 2017 et ouvrait 2018 sur des signes encourageants de reprise économique.

Dans la salle en hémicycle de la cour d’assises de Créteil, les oreilles étaient tendues vers la présidente Brigitte Gambier et la procureure adjointe Amélie Cladière, en ce 24 janvier.

La présidente a dressé le bilan de la vie de son tribunal, qui a connu, en 2017, des changements relativement importants. Tout d’abord, en termes d’effectifs, 12 nouveaux juges ont été installés, qui, comme tous les membres de cette juridiction, consacreront au tribunal une journée complète de présence par semaine pour assurer les audiences et rédigeront leurs décisions sur leur temps de loisir. La présidente a tenu à les remercier d’avoir accepté ces exigences, « ce qui permet aux justiciables de notre ressort de bénéficier d’une justice commerciale peu onéreuse, rapide et de qualité ». « Compte-tenu des exigences de notre tribunal en matière de probité, d’engagement personnel, d’obligation de formation initiale et continue, le recrutement est difficile », a-t-elle précisé.

Par ailleurs, les changements de textes législatifs qui ont eu lieu en 2016 et 2017 doivent encore être intégrés par les juges, a-t-elle glissé. 2018 sera donc l’occasion de se plonger dans le décryptage de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 qui a réformé le droit des contrats, le décret d’application du règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité, les perspectives de la directive européenne sur la prévention des difficultés des entreprises, « la difficulté n’est pas tant d’assimiler ces nouveaux textes que d’en faire une bonne application dans le temps », reconnaît Brigitte Gambier.

Compte tenu de ces mouvements, (départ de Claude Néraud, après 14 ans de bons et loyaux services, Marc Corpechot, Georges Atlan, Daniel Dray et Gérard Dumas étant partis avant la fin de leur mandat pour cause de limite d’âge atteinte, et trois autres juges, Jean-François Granet, Axel Loze, Jean-François Bouissoux ont quitté le tribunal pour d’autres perspectives), l’effectif 2018 du tribunal sera de 45 juges pour un effectif théorique de 49.

Focus sur la formation

La formation, protéiforme, joue un rôle important dans la meilleure appréhension de ces évolutions. Ainsi comme l’ensemble des juges consulaires de France nouvellement élus, les douze magistrats nouvellement arrivés reçoivent actuellement une formation initiale délivrée par l’École nationale de la magistrature (ENM) qui leur sera dispensée durant toute l’année 2018. Ils pourront ensuite s’inscrire à des sessions de formation continue, dispensée par l’ENM, aujourd’hui inscrite dans les textes. En 2017, trois juges, dont les deux présidents de chambre de procédure collective, ont suivi le Diplôme universitaire (DU) « Droit des entreprises en difficulté – juge consulaire ». L’ensemble des juges intervenant dans le cadre du traitement des difficultés des entreprise a suivi la formation en ligne : MOOC « Droit des entreprises en difficulté – juge consulaire ».

« Cette formation des nouveaux juges leur permet, depuis leur prestation de serment, d’assister non seulement aux audiences mais également aux délibérés des chambres de contentieux afin de les préparer concrètement à traiter les premiers dossiers simples qui leur seront attribués dès la fin du mois de février 2018, a souligné Brigitte Gambier. Ensuite comme tous les juges du tribunal, ils pourront participer aux formations internes et à la commission juridique mensuelle, qui visent à uniformiser la jurisprudence de notre tribunal et à adapter notre pratique à la constante évolution des textes ».

Une activité globalement en baisse : un signe de reprise

L’activité judiciaire du tribunal de commerce de Créteil — dont les locaux et les salles d’audience sont mutualisés avec le Conseil de prud’hommes — est globalement en baisse depuis plusieurs années, « ce qui est le signe d’une meilleure santé du tissu économique de notre département », s’est réjouie la présidente.

Concernant le contentieux judiciaire, les chiffres se sont maintenus quant aux enrôlements au fond et aux ordonnances présidentielles, mais ils sont toujours en baisse quant aux référés et aux injonctions de payer. Les 3 705 ordonnances rendues n’ont rencontré qu’un taux d’opposition de 6 % (faisant de l’injonction de payer un moyen d’obtenir un titre exécutoire pour un recouvrement de créance rapide et peu onéreux). En 2017, le tribunal a réduit son stock en contentieux, ce qu’a également souligné la procureure adjointe, puisque 1 248 décisions ont été rendues pour 1 114 enrôlements (+ 18 % de plus de jugements rendus par rapport à 2016).

En matière de conciliation et de médiation, les résultats ont été probants aux yeux de la présidente : 78 dossiers ont été envoyés devant le conciliateur de justice. 9 dossiers ont fait l’objet d’un accord et 3 dossiers sont actuellement en cours. La présidente a précisé vouloir « améliorer ces résultats en envoyant systématiquement toutes les affaires nouvelles en conciliation ».

Concernant le traitement des difficultés des entreprises, en 2016, ce sont moins de 1 000 procédures collectives qui ont été ouvertes. En 2017, cette baisse continue avec seulement 902 ouvertures. Même si 763 dossiers concernent des liquidations judiciaires directes, cette baisse constante permet d’y voir une amélioration de la conjoncture et une promesse de sortie de crise, a affirmé Brigitte Gambier.

La procureure adjointe, Amélie Cladière, souligne également de son côté « une légère baisse du nombre d’affaires nouvelles », mais elle nuance. « Les chiffres ne reflètent qu’imparfaitement les réalités de l’activité de la juridiction. En effet, si ce tribunal connaît, comme partout, d’un nombre important de dossiers comportant de faibles enjeux, il connaît aussi, et l’année 2017 a été symptomatique de ce point de vue, de dossiers très importants et complexes, avec des enjeux économiques et humains considérables, qui exigent des juges consulaires un investissement personnel tout à fait particulier », a-t-elle tenu à préciser. Enfin, elle a fait remarquer « que le nombre de saisines sur requête du parquet est resté très bas en 2017, comme en 2016. Cependant, il faut en compter déjà deux dans les 15 premiers jours de l’année 2018 ». Pour elle, ce mode de saisine encore relativement nouveau va probablement se banaliser dans l’avenir.

L’opportunité de la prévention

« John Kennedy a dit : “En chinois le mot « crise » est composé de deux caractères : l’un représente le danger, l’autre l’opportunité”. Comme nous sortons de crise, écartons le danger et saisissons l’opportunité ». C’est sur cette citation pleine de bon sens que la présidente Brigitte Gambier a introduit les priorités mises sur la prévention.

Ainsi, concernant la prévention, le nombre de convocations à entretien a été en 2017 de 289 soit une baisse de 20 % par rapport à 2016, mais c’est sans prendre en compte les chefs d’entreprise rencontrés suite à la vaste opération d’injonction de dépôt des comptes sociaux sous astreinte menée durant l’année 2017 : 4 800 entreprises du département qui n’avaient pas déposé leurs comptes sociaux depuis 2013 ont reçu une ordonnance d’injonction de dépôt desdits comptes sous astreinte. 2 103 entreprises ont régularisé leur situation, les autres ont été convoquées à des audiences de liquidation d’astreinte et bénéficié de renseignements en vue de les régulariser.

La présidente a constaté que cette opération s’était matérialisée par une augmentation de 30 % du dépôt des comptes annuels, de 17 % des dépôts d’actes et de 21 % des radiations correspondant souvent à des sociétés n’ayant plus d’activité depuis de nombreuses années. Elle a permis une régularisation de masse du RCS (registre du commerce et des sociétés) : 35 000 formalités ont été enregistrées.

La présidente a ensuite déploré que les prérequis pour bénéficier des outils formidables que constituent les mandats ad hoc et les conciliations soient encore ignorés. Elle a insisté pour que les chefs d’entreprise, leurs organisations syndicales et professionnelles, leurs conseils (avocats, commissaires aux comptes, experts-comptables…) les contactent dès la première difficulté afin que puisse être envisagée une solution amiable pérenne. « En 2018, des rencontres avec des entrepreneurs lors de colloques, de journées d’information ou de manifestations organisées pour le développement de l’activité dans le département », a-t-elle précisé, qui attend avec impatience les opportunités économiques du Grand Paris. Dernière information : les recours devant la cour d’appel de Paris les décisions du tribunal ne sont que de 175 appels sur 17 245 décisions rendues par notre tribunal. 45 ont été infirmées (taux d’infirmation de moins de 3 pour 1 000).

La présidente a évidemment chaleureusement remercié tous les acteurs qui ont contribué au bon fonctionnement du tribunal et de la justice : juges, greffiers-associés, procureure, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, bâtonniers, partenaires locaux (préfet, CGPME, MEDEF, Banque de France, Chambre de commerce du Val-de-Marne et Chambre des métiers et de l’artisanat du Val-de-Marne…).

Elle a conclu en abordant les enjeux de l’année 2018. La proposition de transformer des tribunaux de commerce en tribunaux des affaires économiques — soutenue par la Conférence générale des juges consulaires de France — est attendu de pied ferme par la présidente, sans compter certains décrets d’application de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle concernant le statut des juges consulaires. « Je garde l’espoir que le législateur prenne en compte, lors de la rédaction desdits décrets, des difficultés d’application de certaines mesures afin de ne pas décourager des juges bénévoles qui prennent sur leur temps professionnel et personnel pour rendre une justice de qualité », a-t-elle souhaité.

Des changements au parquet

Du côté du parquet commercial, le système du roulement aux audiences a été remplacé par une mission dédiée du procureur adjoint de la division économique et financière auprès du tribunal de commerce. La procureure estime que la force de la conviction que l’identification d’un interlocuteur privilégié au sein du parquet permet une collaboration de meilleure qualité tant avec les magistrats consulaires qu’avec les mandataires judiciaires. « C’est avec plaisir que j’assume cette mission depuis six mois. Je suis persuadée que cette organisation a permis de renforcer le rôle du parquet auprès de la juridiction, et participe de la qualité des procédures », a précisé Amélie Cladière, avant d’aborder les objectifs et chantiers pour 2018.

Les objectifs 2018 du parquet

En matière de sanctions, l’année 2018 s’annonce particulièrement dense et fructueuse, poursuivant la lancée de 2017, a lancé la procureure adjointe. Le parquet de Créteil a proposé aux mandataires une synthèse qui leur permet de connaître la politique du parquet. « Par ailleurs, dans la mesure où m’a été également confié le volet pénal concernant les infractions en lien avec la procédure commerciale, et notamment les banqueroutes, l’action du parquet devient plus lisible pour l’ensemble des acteurs », a renchéri Amélie Cladière. Elle a estimé que l’année 2017 avait été une année plutôt creuse de ce point de vue, en raison des limites de la disponibilité des services d’enquête spécialisés, qui reste un sujet difficile. Mais « nous devons gagner en fluidité et en cohérence dans la réponse publique aux agissements malhonnêtes de certains chefs d’entreprise, de la simple négligence jusqu’aux comportements frauduleux voire crapuleux », a-t-elle asséné.

Deux chantiers importants ont été mis en avant : l’accès du parquet au coffre-fort numérique, dont le principe est acquis mais dont la mise en œuvre comporte des difficultés techniques, et une plus grande fluidité entre les services du tribunal de grande instance et les services du tribunal pour la bonne tenue du fichier des personnes frappées d’une interdiction de gérer. Le FNIG (Fichier national des interdits de gérer) est en service depuis presque un an et le greffe du tribunal de commerce a consenti un effort important pour l’alimenter, mais l’inscription des décisions correctionnelles et civiles dans ce fichier est encore imparfaite. L’inspection quadriennale du greffe du tribunal de commerce — dont la dernière remonte à 2014 — constitue un troisième chantier. Elle sera programmée sans doute après l’été.

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