Nouvelle définition des difficultés économiques et de l’obligation de reclassement (analyse des premiers arrêts d’appel)

Publié le 07/12/2020

Les textes relatifs au licenciement pour motif économique ont été profondément modifiés en 2016 et 2017, s’inscrivant dans une volonté du législateur d’assouplir les règles et de sécuriser les ruptures. Les premiers arrêts de cours d’appel faisant application de ces dispositions étant à présent publiés, cette étude vise à synthétiser les tendances dans l’interprétation de ces nouvelles règles de droit.

L’article L. 1233-3 du Code du travail définit le licenciement économique comme « le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail », pouvant avoir plusieurs fondements : la fermeture de l’entreprise, une réorganisation nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité, des mutations technologiques, et enfin des difficultés économiques.

Cet article, tout comme, de manière générale, les règles en matière de licenciement économique, a été profondément modifié par la loi Travail du 8 août 2016, puis par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017. En particulier, ces textes ont assoupli les dispositions en matière de reclassement et d’appréciation des difficultés économiques. Les cours d’appel commencent aujourd’hui à rendre leurs premiers arrêts sous l’empire de ces nouvelles dispositions.

I – L’appréciation du motif économique

Depuis 2016, l’article L. 1233-3 du Code du travail contient une série d’indicateurs économiques et de critères permettant de caractériser le sérieux des difficultés économiques rencontrées par un employeur pour motiver un licenciement pour motif économique. Ainsi, l’employeur doit apporter la démonstration de la baisse d’au moins un indicateur économique (« commandes, chiffre d’affaires, pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier les difficultés économiques »). S’agissant de la « baisse significative » des commandes ou du chiffre d’affaires, l’article L. 1233-3 du Code du travail précise qu’il convient de comparer les chiffres sur une même période, d’une année à l’autre, la période étant plus ou moins longue en fonction de la taille de l’entreprise.

Ainsi, par exemple, les difficultés économiques seront caractérisées si, dans une entreprise ayant un effectif compris entre 100 et 300 salariés, une baisse du chiffre d’affaires est constatée en comparant trois trimestres consécutifs de l’année N et de l’année N-1.

Cette nouvelle définition de la difficulté économique permet d’apporter de la visibilité à l’employeur qui envisage des licenciements pour motif économique. Alors qu’auparavant, le texte ne contenait aucun indicateur permettant de conclure à la réalité, ou non, de la difficulté économique, le critère temporel désormais mis en place vient objectiver le motif économique. Une lecture littérale du texte permet de conclure que la baisse d’un seul indicateur chiffré, d’une année à l’autre, devrait suffire à justifier les difficultés économiques subies par l’entreprise et, en conséquence, valider le bien-fondé du motif économique du licenciement.

Une analyse des premiers arrêts de cours d’appel rendus à ce sujet sur le fondement de la nouvelle version de l’article L. 1233-3 laisse à penser que les juridictions ont adopté cette interprétation, modérant de facto leur pouvoir d’appréciation de la réalité des difficultés économiques et assurant, par là même, une plus grande sécurité juridique aux employeurs contraints d’envisager des licenciements pour motif économique.

Ainsi, la cour d’appel de Paris a validé l’existence de difficultés économiques en relevant une diminution du chiffre d’affaires net sur 3 années consécutives entre 6 % et 21 % selon les filiales, et 12 % pour la société-mère du groupe, et remarque que les résultats déficitaires de l’année 2015 se poursuivent en 2016 sans même procéder à une analyse sur une période trimestrielle, comme le prescrit pourtant la lettre de l’article L. 1233-31.

La cour d’appel de Besançon relève, elle aussi, une baisse du chiffre d’affaires de 32 % sur un trimestre en comparant l’exercice de 2016 à l’exercice précédent, et énonce que « [l]es chiffres établissent que cette société de moins de 11 salariés subit bien une perte significative durant un trimestre »2. Les juges notent, parallèlement, une dégradation de la trésorerie, qui vient renforcer la réalité du motif économique.

Pour reconnaître l’existence de celui-ci, la cour d’appel de Reims a, elle, pris en compte la baisse du résultat net d’une année à l’autre, ce qui pourrait laisser penser que l’on peut appliquer le critère de la baisse significative à d’autres éléments que le chiffre d’affaires et les commandes3, alors même que le texte ne le précise pas.

La baisse d’un des indicateurs chiffrés doit être réelle et c’est sur l’employeur que repose la charge de la preuve, pour que la cause économique du licenciement soit retenue. Ainsi, un arrêt de la cour d’appel de Colmar4 note, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 1233-3, que l’entreprise intimée n’apporte pas la preuve de la baisse sur trois trimestres consécutifs des commandes ou du chiffre d’affaires. Le licenciement pour motif économique est, de facto, invalidé. La cour d’appel de Chambéry relève, quant à elle, que malgré la perte d’un client important de la société, cette dernière n’apporte pas la preuve de la baisse du chiffre d’affaires sur deux trimestres consécutifs5.

La baisse des indicateurs doit également être « significative », mais le texte ne donne pas de précisions quant au pourcentage de baisse nécessaire pour considérer que l’employeur fait face à une diminution « significative » d’un indicateur chiffré. Dans un autre arrêt, la cour d’appel de Reims vient ainsi préciser ce qu’elle entend par baisse « significative », en refusant de qualifier comme telle une baisse de 4,9 % du chiffre d’affaires, d’autant que l’employeur ne justifiait d’aucun élément pour la prouver6. Le juge dispose donc toujours d’une marge d’appréciation et le caractère significatif, ou non, de la baisse fera donc probablement l’objet d’appréciations différentes par les juges du fond, selon les montants en jeu et les secteurs concernés.

Par ailleurs, les juges s’appuient toujours sur les autres éléments listés dans l’article L. 1233-3 pour démontrer l’existence de difficultés économiques, à l’instar de la cour d’appel de Besançon qui relevait, dans son arrêt, une dégradation de la trésorerie de l’employeur, l’amenant à considérer que les difficultés économiques étaient avérées. Il est donc conseillé, dans le cadre de la rédaction du motif économique du licenciement, d’étayer la baisse des indicateurs économiques par d’autres éléments, de manière à faciliter la reconnaissance par les juges des difficultés économiques.

Ce panorama rapide de jurisprudence fait émerger trois principes intéressants, sur lesquels la Cour de cassation aura probablement à se positionner prochainement :

  • la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, si elle est corroborée par des éléments de preuve (bilans comptables, rapports d’audit, etc.) et concerne la période de temps prescrite par l’article L. 1233-3 du Code du travail, suffit à caractériser la réalité des difficultés économiques, et donc, à légitimer le licenciement sur ce fondement ;

  • la baisse d’un indicateur chiffré autre que le chiffre d’affaires, ou les commandes, sur la période prescrite par le Code du travail, caractérise également des difficultés économiques, qui peuvent légitimer un licenciement ;

  • a contrario, et assez logiquement, l’invocation de difficultés économiques qui ne serait pas en mesure d’apporter la preuve de la baisse d’un indicateur chiffré a peu de chance d’emporter l’approbation du juge, lequel conserve un pouvoir d’appréciation pour mesurer le caractère « significatif » de la baisse invoquée.

Nouvelle définition des difficultés économiques et de l’obligation de reclassement (analyse des premiers arrêts d’appel)

II – L’obligation de reclassement

Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont apporté plus de souplesse quant à l’obligation de reclassement à laquelle est soumis l’employeur qui entend licencier pour motif économique. Rappelons que, lorsque l’employeur envisage un licenciement pour motif économique, il a l’obligation de déployer des recherches loyales et sérieuses de reclassement aux fins de retrouver un emploi aux salariés concernés par le licenciement, au sein de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient, limitées au territoire national. À défaut, l’employeur s’expose, en cas de contentieux, à ce que le licenciement soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’article L. 1233-4 du Code du travail modifié permet désormais à l’employeur de simplement diffuser une liste des postes de reclassement disponibles, sans avoir à faire une offre personnalisée à chaque salarié concerné, ce qui était jusqu’alors impossible7.

Cependant, si la nouvelle rédaction de l’article semble apporter davantage de souplesse à l’employeur dans la mise en œuvre de son obligation de reclassement, celle-ci ne se retrouve pas encore dans la jurisprudence.

La cour d’appel de Besançon déclare ainsi le licenciement d’un salarié sans cause réelle et sérieuse car l’employeur a manqué à son obligation de reclassement8. La cour juge que l’employeur ne justifie pas de l’absence de poste disponible en faisant simplement valoir que la société a une nature industrielle, et que l’accès à tout autre emploi nécessite une qualification en mécanique dont la salariée, qui occupait un poste d’attachée de direction, ne disposait pas et ne pouvait acquérir. Il faut, selon les juges, que l’employeur décrive avec précision les postes existants disponibles et les qualifications nécessaires.

Pour juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel de Reims relève, quant à elle, que l’employeur n’a pas respecté son obligation de reclassement en exigeant un maintien du niveau du salaire dans la lettre de recherche de reclassement envoyée aux autres entreprises de l’UES9. En effet, le reclassement peut se faire sur un poste de catégorie inférieure à défaut de poste équivalent, si le salarié a donné son accord exprès, en vertu de l’article L. 1233-4, alinéa 4, du Code du travail, la lettre de l’employeur excluant de fait cette possibilité, privant le salarié de potentiels postes de reclassement.

Enfin, la cour d’appel de Paris juge que l’employeur a manqué à son obligation en choisissant à quelle salariée il proposait un poste de reclassement : selon la cour, l’employeur aurait dû proposer le poste aux deux salariées, en mettant en place des critères objectifs pour les départager10.

Dans ces trois affaires, les juges ont donc validé le motif économique sur la base des indicateurs chiffrés, mais ont considéré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement. Les juges semblent donc toujours très attentifs quant à l’exécution de l’obligation de reclassement, au sujet de laquelle l’employeur doit se montrer particulièrement vigilant lorsqu’il met en œuvre un licenciement pour motif économique.

La position de la Cour de cassation sur ces différents sujets, que l’on peut raisonnablement attendre pour 2021, sera assurément scrutée par les employeurs et leurs conseils, afin de confirmer le mouvement de sécurisation du licenciement économique initié par les ordonnances du 22 septembre 2017.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 6-11, 11 févr. 2020, n° 18/13602.
  • 2.
    CA Besançon, ch. soc., 31 mars 2020, n° 19/00746.
  • 3.
    CA Reims, ch. soc., 12 févr. 2020, n° 18/02640.
  • 4.
    CA Colmar, sect. B, 19 mai 2020, n° 19/00379.
  • 5.
    CA Chambéry, ch. soc., 19 déc. 2019, n° 19/00183.
  • 6.
    CA Reims, ch. soc., 22 janv. 2020, n° 18/02578.
  • 7.
    Cass. soc., 8 avr. 2009, n° 08-40125.
  • 8.
    CA Besançon, ch. soc., 31 mars 2020, n° 19/00746.
  • 9.
    CA Reims, ch. soc., 12 févr. 2020, n° 18/02640.
  • 10.
    CA Paris, 6-11, 11 févr. 2020, n° 18/13602.