Précisions sur les conditions de bénéfice de l’allocation chômage
La chambre sociale de la Cour de cassation apporte une précision notable en matière de bénéfice d’assurance chômage. Elle note que, peu importe que l’allocataire à l’aide à l’emploi, soit dispensé de la recherche à l’emploi, le paiement et l’attribution d’aide au retour à l’emploi est subordonné à la résidence de l’allocataire sur le territoire.
Cass. soc., 28 févr. 2018, no 15-24181, ECLI:FR:CCASS:2018:SO00287
1. Le déséquilibre des rapports de force existant de manière générale entre un salarié et son employeur justifie amplement les mesures légales de protection édictées en faveur du salarié1. Celles-ci se matérialisent par l’octroi de nombreux droits à caractère individuel2 ou collectif3 aux salariés aussi bien lors de l’exécution du contrat de travail qu’aux termes dudit contrat. Le droit à l’allocation chômage communément appelé ARE4 constitue une parfaite illustration des droits octroyés aux salariés lors de la rupture de son contrat de travail. Afin d’en bénéficier, le salarié doit remplir diverses conditions parmi lesquelles résider sur le territoire français durant la période indemnisée. La chambre sociale de la Cour de cassation le précise fort bien dans un arrêt du 28 février 2018. Les faits ayant donné lieu à cet arrêt méritent d’être brièvement rappelés. Licencié par son entreprise le 12 août 2004 pour inaptitude médicale, M. X sollicite le 24 janvier 2005 Pôle emploi Picardie aux fins de sa prise en charge au titre de l’assurance chômage. Le 8 mars 2005, ce dernier est admis comme allocataire d’une aide au retour à l’emploi assortie d’une dispense de recherche d’emploi. Cette allocation lui est versée du 8 mars 2005 au 31 mai 2011, soit le mois de son 65e anniversaire. En 2012, notamment au mois de janvier, Pôle emploi le met en demeure de rembourser les sommes perçues durant cette période du fait qu’il résidait aux États-Unis. L’allocataire s’oppose à cette demande de remboursement. Le litige est porté devant les juridictions de fond, notamment la cour d’appel d’Amiens. Par arrêt rendu le 23 juin 2015, cette cour condamne M. X à verser à Pôle emploi Picardie la somme de 193 999,27 €. Pour la cour d’appel, la perte du droit aux allocations consécutive à un départ hors du territoire national ne constitue pas une entrave au droit des travailleurs privés d’emploi. L’allocataire forme un pourvoi contre l’arrêt d’Amiens. D’après ce dernier, sa condamnation au paiement de la somme de 193 999,27 € n’est pas justifiée. En effet, ayant la liberté fondamentale d’aller et de venir, il a le droit de quitter le territoire national tout en percevant son allocation chômage. En subordonnant sa résidence sur le territoire afin de percevoir son allocation, la cour d’appel viole les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Son pourvoi est formellement rejeté par la chambre sociale de la Cour de cassation. Tout ce qui précède laisse planer une interrogation : la résidence sur le territoire français constitue-t-elle une condition essentielle pour bénéficier de l’allocation chômage ? La Cour de cassation répond par l’affirmative. Elle adopte la logique mise en lumière par les juges de la cour d’appel en notant que Pôle emploi Picardie est bel et bien fondé à réclamer les sommes indûment perçues par M. X. Cette décision de la Cour de cassation apparaît importante dans la mesure où elle apporte une précision justifiée. Peu importe que l’admission de l’allocataire soit assortie d’une dispense de recherche d’emploi, sa résidence en France est requise pour bénéficier de l’allocation chômage (I). Une telle décision est conforme à la législation sociale française (II).
I – Une décision subordonnant le bénéfice de l’allocation chômage à la résidence en France
2. La décision rendue le 28 février 2018 par la chambre sociale de la Cour de cassation appesantit sur les conditions relatives au bénéfice de l’aide au retour à l’emploi. De manière concrète, à la question de savoir si la résidence en France constitue une condition de validité de l’assurance chômage, la Cour de cassation répond sans ambages par l’affirmative. La situation de l’allocataire donne une importance particulière à la décision. Aussi, le bénéfice de l’allocation requiert la résidence durant la période indemnisée (A). L’on observe l’indifférence de la décision sur la dispense de recherche d’emploi accordée à l’allocataire (B).
A – La résidence nécessaire de l’allocataire sur le territoire durant la période indemnisée
3. L’assurance chômage est un mécanisme permettant de verser à tout travailleur privé d’emploi remplissant les conditions d’indemnisation une allocation dite de retour à l’emploi qui elle-même s’inscrit dans le cadre d’un plan personnalisé d’accès à l’emploi5. En ce qui concerne les conditions d’indemnisation, il faut noter qu’elles sont clairement indiquées : l’inscription, la perte involontaire d’emploi, l’âge, l’aptitude physique et la résidence sur le territoire.
La résidence sur le territoire apparaît importante puisque le demandeur d’emploi doit être à la disposition de son agence d’emploi afin de pourvoir aux offres de celle-ci. Dans le cadre de l’affaire soumise à la chambre sociale de la Cour de cassation, après avoir été admis comme bénéficiaire de l’aide au retour à l’emploi, M. X a établi sa résidence aux États-Unis. C’est alors que depuis le 8 mars 2005, date de son admission, au 31 mai 2011, date de la fin de ses droits, l’allocataire n’est pas présent sur le territoire français. Cependant, durant cette période indemnisée, il a bel et bien perçu la somme de 193 999,27 €. Face à cette violation manifeste de la réglementation sociale, il se voit condamné au remboursement de cette somme indûment perçue. Pôle emploi est-il juridiquement fondé à réclamer cette somme ? Si l’on part du postulat suivant lequel, l’octroi d’un droit à un sujet de droit est subordonné à certaines conditions, le défaut d’une des conditions ne saurait valider l’octroi du droit. Très concrètement, durant la période indemnisée soit pendant 6 ans, les allocations chômage de M. X lui ont été versées de manière continuelle alors qu’il résidait hors du territoire national.
4. Fort de ce qui précède, peut-on dire que la décision de la Cour de cassation met à mal sa liberté fondamentale d’aller et de venir et par conséquent son droit de quitter le territoire national ? Aucunement. Car, comme l’indique la Cour, l’interruption de ce droit était proportionnée au but poursuivi par le service public de l’emploi. En approuvant cette logique, la Cour de cassation manifeste son indifférence vis-à-vis de la dispense de recherche d’emploi accordée à cet allocataire lors de son inscription.
B – L’indifférence de la dispense de recherche d’emploi accordée à l’allocataire lors de son inscription
5. La lecture de l’arrêt du 28 février de la Cour de cassation nous permet de comprendre qu’elle s’est fondée sur un moyen unique afin de rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt du 23 juin 2005 de la cour d’appel d’Amiens : l’absence de résidence de l’allocataire en France durant la période indemnisée. Au-delà de cette absence de résidence, la haute juridiction marque une indifférence remarquable sur un aspect, somme toute, important. En effet, l’allocataire a été admis comme bénéficiaire de l’allocation d’aide de retour à l’emploi avec dispense de recherche d’emploi. Qu’implique cette dispense d’emploi ?
Ordinairement, une personne inscrite comme demandeur d’emploi et suivie dans le cadre d’un plan personnalisé à l’emploi est soumise à l’obligation de rechercher un emploi6. Cette obligation de recherche d’emploi est liée à celle de la disponibilité du demandeur d’emploi7. Toutefois, du fait de leur âge ou du fait de leur état de santé physique ou mentale, certaines personnes sont dispensées lors de leur admission au bénéfice des allocations chômage de la recherche d’emploi. Tel a été le cas de M. X. Licencié par son entreprise pour inaptitude médicale, il a été lors de son inscription à Pôle emploi Picardie dispensé de la recherche d’emploi. Cette dispense de recherche d’emploi accordée à M. X aurait certainement justifié sa résidence hors du territoire national de mars 2005 à mai 2011… La haute juridiction a été indifférente à l’égard de cet état de choses en faisant une stricte application de la loi. Pour elle, dès lors qu’un individu bénéficie de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, peu importe qu’il soit dispensé de rechercher un emploi, il est tenu de résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage. C’est donc dire que la décision de la Cour de cassation est conforme à la réglementation en matière sociale.
II – Une décision conforme à la législation française en matière sociale
6. Le pourvoi formé par M. X contre l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens s’est articulé sur deux moyens de droit : la violation de la liberté fondamentale d’aller et de venir d’un allocataire et l’impossible habilitation des partenaires sociaux à légiférer en matière sociale. Le rejet du pourvoi signifie que les moyens de droit n’ont pas été opérants. La décision apparaît de ce fait en conformité avec la législation sociale (B) dont il est loisible de présenter son étendue (A).
A – L’étendue de la législation sociale
7. La mise en lumière de la question relative à l’étendue de la législation sociale se trouve justifiée au regard du moyen de droit soulevé par l’allocataire dans son pourvoi. Ce dernier relève clairement l’impossible habilitation des partenaires sociaux à prendre des mesures d’application des dispositions légales relatives au régime d’assurance chômage. Il parvient par conséquent à la conclusion que la résidence sur le territoire n’est pas une mesure d’application de la loi. Elle constitue plutôt un ajout aux exigences légales pour bénéficier de l’allocation chômage. En tant que tel, l’allocataire ne doit guère s’y soumettre. Ce raisonnement résulte d’une méconnaissance de la législation en matière sociale.
Le droit social français est étendu. Cette étendue de la législation fait sa singularité. Sa singularité repose entre autres sur ses sources. Outre les cas jurisprudentiels, les relations salarié/employeur sont donc régies par la constitution, les traités internationaux et européens, les lois, les usages et engagements unilatéraux, le contrat de travail, les ordonnances et règlements, les règlements intérieurs mais surtout par les conventions et accords collectifs8. Appréhender l’étendue de la législation sociale revient à indiquer que les mesures d’application issues des accords collectifs constituent indéniablement des mesures légales. Autrement dit, conformément à l’article L. 5522-20 du Code du travail, ces mesures font parties intégrantes de la loi9. La Cour de cassation le relève fort bien en notant que les organisations syndicales d’employeurs et de travailleurs n’ont pas méconnu leurs pouvoirs en insérant au règlement annexé à la convention d’assurance chômage des dispositions qui accompagnent les demandeurs d’emploi. Elle l’avait déjà fait lors d’un arrêt rendu par la même chambre en date du 22 février 2005 et relatif au pouvoir propre aux gestionnaires d’un régime d’interrompre le service d’allocation assurance10. Force est donc de constater que la décision de la Cour de cassation s’est conformée à la législation sociale.
B – La conformité de la décision à la législation sociale
8. L’approbation de l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens par la Cour de cassation repose sur un moyen unique : l’attribution et le paiement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi est subordonné à la résidence du bénéficiaire sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage. Cette approbation laisse présager que « les articles 4f et 34f du règlement annexé à la convention du 1er janvier 2004 relative à l’aide au retour à l’indemnisation du chômage » constituent la législation sociale en vigueur. La décision de la Cour de cassation est conforme à ces dispositifs. Mais alors, que disent ces dispositifs ?
9. D’après l’article 4f du règlement, « les salariés privés d’emploi justifiant de l’une des périodes d’affiliation à l’article 3 doivent (…) résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage visé à l’article 3 de la convention ». Par ailleurs, d’après l’article 34f du même règlement, « le service de l’allocation d’aide au retour à l’emploi doit être interrompu à compter du jour où l’intéressé (…) cesse de résider sur le territoire relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage visé à l’article 3 de la convention ». Ces deux dispositifs définissent le cadre légal de toute personne bénéficiant de l’allocation chômage et les obligations auxquelles elle doit se soumettre. Il faut rappeler en l’espèce que M. X a cessé de résider en France tout en percevant indûment les allocations. Il a manqué à une obligation du règlement. Cela étant, le Pôle emploi Picardie est en droit de réclamer lesdites allocations.
10. Au regard de ce qui précède, une interrogation mérite d’être soulignée : bien qu’elle soit conforme à la législation sociale en vigueur, cette décision n’est-elle pas inique pour cet allocataire dispensé de rechercher un emploi ? La réponse nous semble affirmative. Ceci dit, admis comme allocataire à 59 ans, M. X bénéficiait de la dispense de recherche d’emploi, due sans doute à son inaptitude médicale. L’on est conduit à s’interroger sur cette obligation de résider sur le territoire dès lors qu’il n’avait plus, d’une part, l’obligation de rechercher un emploi et d’autre part, l’aptitude – la santé pour exercer l’emploi. La chambre sociale de la Cour de cassation a fait fi de cette réalité. Elle a strictement appliqué la loi. Pour la haute juridiction, prévaut la maxime Dura lex, sed lex.
Notes de bas de pages
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1.
Le Code du travail institue plusieurs mesures destinées à protéger le salarié dans ses rapports avec son employeur.
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2.
Le droit à la formation.
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3.
Le droit d’être membre d’une organisation syndicale.
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4.
Allocation d’aide au retour à l’emploi.
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5.
Kessler F., Droit de la protection sociale, 6e éd., 2017, Dalloz, n° 679.
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6.
C. trav., art. L. 5411-6 à L. 5411-7.
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7.
C. trav., art. R. 5411-9 à R. 5411-10.
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8.
Pour Coeuret A., Gauriau B. et Miné M., Droit du travail, 3e éd., 2013, Sirey, p. 11, la hiérarchie des normes en droit du travail respecte l’ordre suivant : la Constitution et les normes à valeur constitutionnelle, les traités internationaux et européens, la loi, l’ordonnance, le règlement, les conventions et accords collectifs, le règlement intérieur, les usages et engagements unilatéraux, le contrat de travail.
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9.
Pour Pizzio-Delaporte C., Droit du travail, 2011, Vuibert, la négociation avec les partenaires sociaux est une source du droit du travail.
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10.
Cass. soc., 22 févr. 2005, n° 03-13942 : RJS 2005, 385, n° 553.