Rapprochement de deux textes apparemment sans rapport entre eux

Publié le 27/05/2019

Deux textes apparemment sans rapport l’un avec l’autre, l’un de nature législative, l’autre de nature réglementaire, méritent d’être rapprochés, ce qui fait penser à un fondement commun qui pourrait bien être contraire aux normes de l’OIT.

Deux textes apparemment sans rapport l’un avec l’autre, l’un de nature législative, l’autre de nature réglementaire, méritent d’être rapprochés, ce qui fait penser à un fondement commun. L’un, qui a fait grand bruit, concerne la barémisation des indemnités de licenciement ; l’autre, arrivé plus discrètement dans le paysage normatif, concerne les obligations des chômeurs.

Le plafonnement des indemnités prud’homales de licenciement a été l’une des premières mesures de l’actuel quinquennat1, et probablement, du point de vue de ses promoteurs, la plus emblématique. Elle s’inscrit dans ce courant de pensée qui voit l’avenir du pays dans l’ultralibéralisme2, et celui des entreprises dans la simplification du Code du travail et la réduction des coûts de production3.

À force d’émettre des normes juridiques qui les nient, les principes fondamentaux du droit, y compris ceux du droit international en général, et du droit international du travail4 en particulier, finissent par rappeler leur existence et on voit des juges en tirer les conséquences qui s’imposent5. Le ministère de la Justice a décidé de réagir aux décisions des conseils de prud’hommes refusant d’appliquer le barème d’indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse6. Dans une circulaire du 26 février 2019, le directeur des affaire civiles et du sceau a ainsi demandé aux procureurs généraux près les cours d’appel de l’informer des décisions rendues au sein de leur ressort, qui refusent d’appliquer ledit barème7 pour inconventionnalité par rapport à la Charte sociale européenne8 et/ou à la convention de l’OIT9. Même ainsi défendues, l’avenir de telles législations semble compromis10, à moins qu’il ne s’agisse d’un signal fort que les auteurs de ces textes souhaitent adresser aux organisations internationales selon lesquelles la France, ayant entendu certains responsables d’entreprises11, se prépare à dénoncer la convention de l’OIT relative aux licenciements, et éventuellement d’autres conventions de cette organisation. Ce qui amène à se pencher sur certaines dispositions de ces deux textes (I) et à les comparer avec des normes de l’OIT (II).

I – Les textes

Les textes évoqués sont relatifs à la barémisation des licenciements (A) et aux droits des chômeurs (B).

A – Barémisation des licenciements

Tant il a fait de bruit, il n’y a plus grand-chose à dire sur le texte relatif à la barémisation des licenciements, si ce n’est qu’il réduit considérablement les indemnités que peut obtenir un salarié licencié. Il va d’un minimum d’un mois de salaire brut à un maximum de 20 mois de salaire brut pour un salarié ayant 30 ans d’ancienneté ou plus. Il semble aller vers le licenciement sans motif et sans indemnités12. Ce texte a été suivi un peu plus tard, avec une certaine discrétion qui tranche par rapport à la publicité dont avait bénéficié la barémisation, d’un décret sur les droits des chômeurs qui, à première vue, ne semble avoir aucun rapport, ou qu’un rapport très lointain avec le premier. Pourtant les deux semblent issus de la même pensée et pourraient avoir des conséquences identiques, notamment sur le plan du droit international.

B – Droits des chômeurs

Il est utile de rapprocher du texte sur la barémisation des indemnités de licenciement celui relatif aux droits des chômeurs13 qui prévoit pour ces derniers diverses obligations, dont celle d’accepter une offre raisonnable d’emploi14, avec pour sanction la radiation de la liste des demandeurs d’emploi15, au bout de deux refus16.

II – Comparaison avec l’OIT

A – Barème

Les résultats du barème sont confrontés aux normes de l’OIT, spécialement à la convention relative aux licenciements, ce qui a permis de conclure à sa non-conformité avec les normes OIT. On sait que le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionnalité) appartient aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’État17 ce qui, lors de l’examen d’un litige, peut conduire le juge à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale afin de résoudre le litige qui lui est soumis. Tel a été le cas pour le contrat « nouvelle embauche »18 jugé contraire à la convention de l’OIT relative au licenciement19.

La convention OIT relative au licenciement, ratifiée par la France20, dont le Conseil d’État a confirmé l’effet direct21, stipule que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée »22.

Les chiffres du barème français23 paraissent bien inférieurs à ceux qui devraient logiquement ressortir de l’application des normes de l’OIT24, et des juges français en ont tiré les conclusions qui s’imposent en écartant le barème25, ce qui a conduit à une réaction ministérielle de défense de ce barème26.

B – Droit des chômeurs

L’existence d’une offre d’emploi dont le caractère raisonnable devra être caractérisé – car ce qui est raisonnable est ce qui est acceptable27 –, sert de base pour permettre – ou non – l’application des sanctions prévues. Si elle est refusée, le chômeur radié ne pourra pas percevoir les indemnités correspondantes28.

Le chômeur était déjà soumis à une obligation, qui est maintenue dans le nouveau texte, de justifier de l’accomplissement d’actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise29. Dans le cas contraire, il s’exposait à une radiation30.

L’esprit du nouveau texte est dans la droite ligne de la politique, dont l’efficacité est loin d’être certaine31, qui entend valoriser coûte que coûte l’incitation au travail32. Son idée-force est d’adapter les chômeurs aux nouvelles règles d’un marché du travail qui ne produit plus de véritables emplois33 et de mettre les chômeurs dans l’entreprise, à n’importe quel prix. Cette idée va dans le sens de ceux qui ont expliqué qu’« il faudrait établir un contrôle journalier, hebdomadaire ou mensuel des demandeurs d’emploi »34, ce qui paraît bien loin de l’esprit de la convention OIT relative aux demandeurs d’emploi35, qui prévoit que les services publics de l’emploi doivent aider les travailleurs à trouver un emploi convenable36. Ainsi le texte du décret relatif aux droits et obligations des chômeurs, en s’inscrivant dans une logique de sanction, est en contradiction avec la logique de la convention internationale qui, elle, s’inscrit dans une logique d’aide du chômeur pour lui permettre de retrouver un emploi.

Dans ces conditions, avec les mêmes raisonnements qu’en matière de barémisation des indemnités de licenciement37, les juges français pourraient bien se servir du texte de l’OIT pour neutraliser le décret dès lors que l’offre proposée n’est pas véritablement raisonnable, ce qui sera le cas, notamment, si elle s’éloigne trop du salaire antérieur ou que les autres éléments qu’elle envisage ne sont pas acceptables pour un chômeur qui cherche à retourner sur le marché du travail mais en le faisant dignement, ce qui est aussi une exigence de l’OIT38.

Ainsi, le risque est grand, concernant la barémisation des indemnités de licenciements, de voir le décret sur les obligations des chômeurs neutralisé par les juges.

On peut se demander si l’existence de ces deux textes et leur rapprochement ne correspondrait pas à une volonté de conserver un droit du travail français en contradiction avec le droit international, au besoin en allant jusqu’à la dénonciation des conventions de l’OIT, et même jusqu’à la sortie de la France de cette organisation, ce que réclament des responsables d’entreprises et d’autres39 alors que pourtant, ces entreprises auraient probablement plus à y perdre qu’à y gagner. En effet, une telle mesure pourrait bien avoir un effet très négatif sur les entreprises françaises, vite confrontées à des partenaires internationaux qui, ayant perdu confiance dans des entreprises ressortissantes d’un pays qui renie ses engagements internationaux – et donc pourquoi pas, à terme, ceux conclus dans le cadre de l’OMC –, hésiteraient voire refuseraient de continuer à travailler avec elles.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. trav., art. L. 1235-3 ; Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017 : JO, 23 sept. 2017.
  • 2.
    Richevaux M., « La loi Macron : l’implantation de l’ultra-libéralisme en France », Cahier du Cedimes 2015, n° 2.
  • 3.
    Icard J., Analyse économique et droit du travail, 2011, thèse, Paris I.
  • 4.
    Rédaction Lextenso, « Le droit du travail, confronté au droit international des droits de l’Homme », LPA 9 oct. 2018, n° 139v4, p. 2.
  • 5.
    Cons. prud’h. Saint-Quentin, 10 sept. 2018 : Safar P. et Lamothe A., « Que va-t-il advenir du nouveau barème d’indemnisation des licenciements ? », BJT nov. 2018, n° 110q0, p. 163 – Cons. prud’h. Le Mans, 26 sept. 2018, n° 17/00538 ; indirectement, Cons. prud’h. Nîmes, 5 févr. 2018 : Dr. ouvrier 2018, p. 610 – Cons. prud’h. Troyes, 13 déc. 2018, n° F 00036 ; Cons. prud’h. Amiens, 19 déc. 2018 aff. Fidèle T. ; Cons. prud’h. Lyon, 21 déc. 2018, n° 18/011238 ; Cons. prud’h. Lyon, 21 déc. 2018, n° F 18/01238.
  • 6.
    C. trav., art. L. 1235-3.
  • 7.
    « Barème d'indemnités : la DACS met les procureurs généraux en ordre de bataille », (DACS, circ. 27 févr. 2019, n° C3/201910006558), Gaz. Pal. 12 mars 2019, n° 344w7, p. 9.
  • 8.
    Charte sociale européenne, art. 24.
  • 9.
    Convention 158 de l’OIT, art. 10.
  • 10.
    Richevaux M., « L’avenir incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 30 nov. 2018, n° 140q1, p. 8.
  • 11.
    « Pierre Gattaz appelle la France à sortir de la convention de l’OIT », Le Monde, 30 oct. 2014, n° 158.
  • 12.
    Richevaux M., « France, vers le chômage zéro, le remède miracle : la simplification du droit du travail », Rev. européenne dr. soc. 2016, n° 31, p. 18 et s.
  • 13.
    Richevaux M., « À propos des droits et obligations des chômeurs », LPA 29 avr. 2019, n° 142f6, p. 7.
  • 14.
    D. n° 2018-1335, 28 déc. 2018, relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d’emploi et au transfert du suivi de la recherche d’emploi : JO, 30 déc. 2018 ; Catala N., « Offres valables et offres raisonnables d’emploi : rupture ou continuité ? – À propos de la loi du 1er août 2008 », JCP G 2008, I 193.
  • 15.
    C. trav., art. L. 5412-1.
  • 16.
    C. trav., art. L. 5412-1 ; Rousseau Y. et Wallon B., « Du droit pour un chômeur de refuser un emploi », Dr. soc. 1990, p. 27.
  • 17.
    Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC ; Cons. const., 3 sept. 1986, n° 86-216 DC ; Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13556, Sté des cafés Jacques Vabre ; CE, ass., 20 oct. 1989, n° 108243, Nicolo.
  • 18.
    Cons. prud’h. Longjumeau, 28 avr. 2006, n° 06/00316, De Wee c/ Philippe Samzun ; CA Paris, 6 juill. 2007, n° 06/06992 ; Cass. soc., 1er juill. 2008, n° 07-44124.
  • 19.
    Conv. OIT, n° 158.
  • 20.
    Conv. OIT, n° 158, art. 10, ratifiée par la France le 16 mars 1989.
  • 21.
    CE, sect., 19 oct. 2005, n° 283471, CGT et a.
  • 22.
    Conv. OIT, n° 158.
  • 23.
    C. trav., art. L. 1235-3.
  • 24.
    Conv. OIT n° 158, art. 10.
  • 25.
    Richevaux M., « L’avenir moins incertain du barème des indemnités de licenciement », LPA 7 févr. 2019, n° 142f5, p. 8, obs. sous Cons. prud’h. Troyes, 13 déc. 2018.
  • 26.
    « Barème d'indemnités : la DACS met les procureurs généraux en ordre de bataille », Gaz. Pal. 12 mars 2019, n° 344w7, p. 9.
  • 27.
    Richevaux M., « De la justice à la gestion des stocks », Dr. ouvr. 1987, p. 295.
  • 28.
    D. n° 2018-1335, 28 déc. 2018, relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d’emploi et au transfert du suivi de la recherche d’emploi : JO, 30 déc. 2018, art. 3.
  • 29.
    C. trav., art. L. 5412-1.
  • 30.
    CAA Marseille, 11 avr. 2011, n° 09MA02484 ; CA Nantes, 9 juin 2011, n° 09NT01964.
  • 31.
    Rapp. public thématique C. comptes, Le marché du travail ; face à un chômage élevé, mieux cibler les politiques, janv. 2013 ; Heinrich M. et Juanico R., « Performance comparée des politiques sociales en Europe », Rapp. AN n° 4098, 15 déc. 2011 : Liaisons sociales Europe 2012, n° 296, p. 162-163.
  • 32.
    Dufour P., Boismenu G. et Noël A., La voie des politiques d’incitation, Chauchard J.-P. (dir.), Université de Nantes, 2007.
  • 33.
    Mersenne M., « Indemnisation du chômage, réinsertion et nouvelles formes d’emploi : le régime d’assurance chômage doit s’adapter à son temps ! », Dr. soc. 1988, p. 505 ; Théry M., « L’adaptation de l’assurance chômage à la nouvelle donne du travail », Dr. soc. 2000, p. 739.
  • 34.
    Gattaz P. (Medef), « Contrôler les chômeurs, c’est les accompagner », interview France info, 22 nov. 2017.
  • 35.
    Convention 88 adoptée par l’OIT en 1948, art. 6, a).
  • 36.
    Convention 88 adoptée par l’OIT en 1948, art. 6, a).
  • 37.
    Richevaux M., « L’avenir incertain du barème d’indemnisation des licenciements », LPA 30 nov. 2018, n° 140q1, p. 8.
  • 38.
    Ghai D., « Travail décent : concept et indicateurs », RI trav. 2003, n° 2.
  • 39.
    Lecaussin N., « Monsieur Macron, il faut quitter l’OIT (Organisation internationale du travail) ! », Institut de recherches économiques et fiscales, 14 janv. 2019.
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