Travail : appeler une femme « ma jolie » ou « ma mignonne » peut caractériser des faits de harcèlement sexuel !

Publié le 25/05/2022

Entrée en vigueur le 31 mars 2022, la nouvelle définition du harcèlement sexuel issue de la loi Santé au travail du 2 août 2021 se rapproche de la définition donnée par le Code pénal. Mathilde Peslerbe, experte chez SVP, revient pour Actu-Juridique sur les obligations qui pèsent sur l’employeur depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle définition.

Actu-Juridique : Quelle est la nouvelle définition du harcèlement sexuel entrée en vigueur le 31 mars dernier ?

Mathilde Peslerbe : La loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail vient compléter la définition du harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 1153-1). La définition donnée par l’article L. 1153-1 du Code du travail est désormais la suivante :

« Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

Le harcèlement sexuel est également constitué :

a) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Avant la loi Santé au travail du 2 août 2022 le Code du travail intégrait déjà la prohibition des agissements sexistes sous l’angle de « égalité hommes/femmes ». Il s’agissait alors de tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Désormais, les propos et agissements à connotation sexiste peuvent caractériser des faits de harcèlement sexuel. Ce seront par exemple des remarques et blagues sexistes, ne pas donner ou couper la parole d’un collègue en raison de son sexe, appeler une femme « ma jolie » ou « ma mignonne ».

En outre, la nouvelle définition intègre le harcèlement par plusieurs personnes sans nécessité de répétitions des faits par chacune d’entre elles.

Actu-Juridique : L’employeur doit-il modifier ses affichages et son règlement intérieur à la suite de cette nouvelle définition ?

Mathilde Peslerbe : Le Code du travail prévoit que le règlement intérieur doit contenir les dispositions dudit Code relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes (C. trav., art. L. 1321-2). Il est donc nécessaire pour l’employeur de mettre à jour son règlement intérieur afin qu’il comporte les dispositions actualisées sur le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

Deux situations sont alors à distinguer :

  • soit le règlement intérieur ne fait référence qu’aux articles du Code du travail relatifs au harcèlement sexuel : l’employeur n’a alors pas besoin de le modifier ;
  • soit le règlement intérieur reproduit le texte de l’article du Code du travail : l’employeur devra alors le modifier pour le mettre en conformité avec la nouvelle version de l’article.

Dans l’hypothèse où l’employeur doit modifier le règlement intérieur, il devra :

  • préciser la date de son entrée en vigueur, postérieure d’un mois à l’accomplissement de la dernière des formalités de dépôt ;
  • le soumettre à l’avis des représentants du personnel ;
  • le communiquer, pour contrôle, en deux exemplaires à l’inspection du travail accompagnée du procès-verbal de la réunion au cours de laquelle les représentants du personnel ont été consultés ;
  • le déposer au greffe du conseil de prud’hommes ;
  • et, le porter à la connaissance des personnes ayant accès aux lieux de travail ou aux locaux où se fait l’embauche.

Concernant l’affichage, l’article L. 1153-5 du Code du travail prévoit que les employeurs doivent afficher ou informer par tout moyen les salariés du texte de l’article 222-33 du Code pénal qui définit le harcèlement sexuel et expose les sanctions encourues par l’auteur. La définition du harcèlement sexuel prévue dans le Code pénal a déjà été modifiée par la loi du 3 août 2018. Ainsi, l’employeur est censé avoir déjà mis à jour et complété son affichage pour tenir compte de cette nouvelle définition et n’aura donc pas à le modifier à nouveau.

Actu-Juridique : Quels sont les moyens de prévention que l’employeur peut mettre en place ?

Mathilde Peslerbe : La prévention, pour être efficace, nécessite avant tout de sensibiliser les salariés à ce sujet. Cette sensibilisation passe par la communication, la formation et l’information.

En effet, l’employeur doit informer les salariés de la définition du harcèlement sexuel, des actions civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement, des sanctions encourues mais aussi des coordonnées des autorités et services compétents en matière de harcèlement sexuel. La communication de cette information se fait par tout moyen, cela peut prendre la forme d’un affichage dans les locaux de l’entreprise ou encore être mentionné sur son site intranet.

En complément de cette information, l’employeur peut sensibiliser ses salariés par d’autres biais. Il peut organiser des temps d’information et d’échanges au sujet du harcèlement sexuel, intégrer les dispositions sur le harcèlement sexuel dans un livret d’accueil etc.

La prévention doit par ailleurs être assortie d’actions sur le terrain disciplinaire.

Pour pouvoir mettre en œuvre ces actions, il convient d’élaborer une procédure de signalement puis une procédure d’intervention. En ce qui concerne la procédure de signalement, il est par exemple possible de mettre en place une boîte mail dédiée au signalement des faits de harcèlement sexuel ou d’agissement sexiste ou encore une permanence au sein du service des ressources humaines ou des représentants du personnel dédiée à ce type de remontée.

Les interlocuteurs auprès desquels les salariés s’adressent doivent être formés afin que les procédures de signalement et d’intervention soient efficaces. Il s’agit notamment des membres du comité social et économique (CSE), des référents désignés dans les entreprises d’au moins 50 salariés et du personnel d’encadrement.

Actu-Juridique : Comment doit réagir l’employeur à qui un salarié a signalé des faits de harcèlement ?

Mathilde Peslerbe : L’employeur qui a connaissance de faits de harcèlement sexuel a l’obligation d’y mettre un terme et de les sanctionner (C. trav., art. L. 1153-5, al. 1). Le Code du travail ne prévoit en revanche pas de procédure particulière.

À la suite d’une dénonciation, l’employeur doit mener une enquête afin d’établir la preuve du harcèlement. Cette enquête peut être menée à l’insu du salarié. Elle peut être menée en interne avec par exemple les élus et le manager ou être réalisée par un organisme extérieur.

L’objectif de l’enquête est ici de recueillir le plus d’éléments possibles afin de caractériser la situation et de dire si oui ou non il s’agit d’une situation de harcèlement. Pour ce faire, il convient de mener plusieurs entretiens avec les différentes personnes concernées :

– la victime présumée,

– la personne à l’origine du signalement lorsqu’elle n’est pas la victime,

– la personne mise en cause,

– les possibles témoins.

Les entretiens doivent être menés en toute confidentialité, être individuels, et se dérouler sans intimidation. À l’issue de chaque entretien, un compte rendu daté devra être rédigé avec détails.

Attention, il est important d’avoir en tête qu’un entretien dans le cadre de ce type d’enquête interne ne répond pas à la définition d’un entretien disciplinaire et de ce fait les garanties attachées à la procédure disciplinaire ne s’appliquent pas. Ainsi, les personnes entendues ne peuvent pas se faire assister de droit. Rien n’empêche en revanche l’employeur d’accéder à une demande d’assistance de leur part. L’employeur n’est pas non plus tenu de respecter le délai légal de 5 jours entre la convocation à l’entretien et l’entretien lui-même. Il convient en pratique de convoquer les personnes concernées dans un délai raisonnable (3 jours avant par exemple). Par ailleurs, il ne peut pas être imposé aux différentes personnes concernées de se présenter à cet entretien. Un témoin ou même la personne mise en cause peuvent refuser d’être entendus ce qui pour autant n’empêche pas la poursuite de l’enquête.

En parallèle de l’enquête et suivant le contexte, une médiation peut être menée afin de ne pas dégrader davantage la situation. Le médiateur peut être soit interne (par exemple le référent contre le harcèlement ou un membre de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT)) soit externe (par exemple par le biais d’un cabinet qui accompagne l’entreprise dans l’enquête).

Si les faits de harcèlement sont avérés, l’auteur du harcèlement est susceptible d’être sanctionné.

Actu-Juridique : Que risque l’employeur qui ne prendrait pas toutes les mesures nécessaires ?

Mathilde Peslerbe : Dans le cadre de son obligation de santé et de sécurité, l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement, moral et/ou sexuel, et les sanctionner (C. trav., art. L. 1152-4 et C. trav., art. L. 1153-5). L’article L. 4121-1 du Code du travail prévoit que l’employeur est tenu d’assurer la santé et la sécurité physique et mentale des salariés.

L’employeur a ainsi une obligation générale de prévention en matière de harcèlement moral et sexuel au travail et il s’agit d’une obligation de sécurité de résultat qui implique que l’employeur doit empêcher la survenance d’agissements de harcèlement sexuel. En outre l’employeur a l’obligation d’y mettre un terme et de les sanctionner (C. trav., art. L. 1153-5, al. 1).

Les textes ne prévoient en revanche aucune sanction particulière en cas de manquement à ses obligations.

Néanmoins, il peut être condamné à verser des dommages-intérêts au salarié qui a subi un préjudice lié à ses manquements (v. par exemple, Cass. soc., 17 mai 2017, n° 15-19300) et se voir imputer la responsabilité de la rupture du contrat de travail intervenue à l’initiative du salarié (prise d’acte ou résiliation judiciaire, v. par exemple Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-26560 ; Cass. soc., 8 juill. 2015, n° 14-13324).

Actu-Juridique : Que risque le salarié qui harcèle ?

Mathilde Peslerbe : En application du règlement intérieur de l’entreprise, le salarié auteur des faits de harcèlement pourra faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Même en cas de faits avérés, l’employeur doit respecter la procédure disciplinaire habituelle. Il aura donc un délai de deux mois pour agir à compter du jour où il a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés.

Selon la gravité des faits, l’employeur peut agir immédiatement en mettant à pied l’auteur de manière conservatoire et ainsi éviter les possibles pressions à l’encontre de la victime et/ou témoins.

En termes de sanction, la Cour de cassation a admis à plusieurs reprises que les faits de harcèlement pouvaient caractériser un licenciement pour faute grave (v. par exemple Cass. soc., 21 mai 2014, n° 12-25315 ; Cass. soc., 19 oct. 2011, n° 09-72672 ; Cass. soc., 18 févr. 2014, n° 12-17557 ; Cass. soc., 3 déc. 2014, n° 13-22151). Toutefois, pour aller jusqu’à cette sanction, il faudra être en mesure de prouver la gravité des faits et l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise. C’est pourquoi il est nécessaire de recueillir le plus d’éléments possibles afin de caractériser correctement les faits reprochés et ainsi sanctionner en conséquence l’auteur des faits.

Au niveau pénal, les faits de harcèlement sont sanctionnés d’une amende de 30 000 € et de 2 ans d’emprisonnement au maximum.

En outre, le salarié victime de faits de harcèlement peut réclamer des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi. Il peut engager une procédure à l’encontre de l’auteur du harcèlement mais aussi de son employeur s’il estime que celui-ci est également responsable du préjudice subi.

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