L’étendue du rapport de cohérence entre le règlement du plan local d’urbanisme et le projet d’aménagement et de développement durables
En exerçant son contrôle au regard d’un objectif particulier du projet d’aménagement et développement durables, sans prendre en considération l’ensemble des orientations et des objectifs de ce projet, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.
CE, 30 mai 2018, no 408068
1. Rapport de cohérence et espace remarquable. Aux termes d’un rapport sénatorial relatif aux difficultés d’application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral, il a été relevé notamment que cette dernière souffrait d’une application hétérogène, inéquitable et souvent conflictuelle de la loi1. La Loi Littoral n’en finit pas de nourrir un contentieux régulier, tant les juges d’appel semblent mis en difficulté, amenant ainsi le Conseil d’État à préciser l’étendue de l’obligation de cohérence entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme2. En l’espèce3, une requérante, Mme A, a saisi le tribunal administratif de Montpellier aux fins d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 10 février 2014 par laquelle le conseil municipal de Sète a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune ainsi que la décision du 24 avril 2014 par laquelle le maire de Sète a rejeté son recours gracieux contre cette délibération. Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande à l’issue d’un jugement rendu le 4 févier 2016. Madame A a interjeté appel à l’encontre du jugement du tribunal de Montpellier, et la cour administrative d’appel de Marseille, aux termes d’un arrêt rendu le 16 décembre 2016, a annulé la décision des premiers juges montpelliérains. La commune de Sète s’est alors pourvue en cassation contre l’arrêt attaqué. Au travers de l’obligation de cohérence entre le règlement du plan local d’urbanisme et le projet d’aménagement et de développement durables (I), le Conseil d’État considère qu’en se fondant sur leur seule continuité sans rechercher s’il y avait avec cet espace une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver, la cour a commis une erreur de droit (II).
I – Cohérence entre le règlement du plan local d’urbanisme et le projet d’aménagement et de développement durables
2. Projet d’aménagement et développement durables et rapport de cohérence. Le Conseil d’État revient, en l’espèce, sur le contrôle de cohérence entre le règlement du plan local d’urbanisme et le projet d’aménagement et de développement durables (B) qui nécessite un contrôle allant au-delà du contrôle de compatibilité (A).
A – Rapport de compatibilité entre les normes urbanistiques
3. Retour sur le rapport de compatibilité. À défaut de définitions légales, les notions de compatibilité et de conformité ont été définies par la doctrine administrative notamment par la circulaire n° 87-64 du 21 juillet 19874 indiquant que « la compatibilité se distingue de la conformité. Un document ou une opération est compatible avec une règle d’urbanisme dans la mesure où cette règle ne l’interdit pas. En revanche, la conformité exige le respect d’une disposition de la règle d’urbanisme supérieure ». Ainsi, en matière de schéma directeur, « une opération sera conforme au schéma si elle y est expressément prévue et réalisée à l’endroit indiqué par ce dernier »5. L’exigence de compatibilité recouvre une notion beaucoup plus souple qui implique seulement qu’il n’y ait pas de contrariété entre la norme supérieure et la mesure d’application6. Il a été ainsi jugé que « l’exigence d’une compatibilité d’un plan local d’urbanisme avec les orientations définies par un schéma directeur n’implique pas que les auteurs dudit plan soient tenus de se conformer strictement aux orientations en question »7.
4. Appréciation du rapport de compatibilité du juge administratif. Il en résulte qu’au-delà de la distinction classique de jure entre contrôle normal et contrôle restreint mise en œuvre par le juge administratif, le degré du contrôle de ce dernier est aussi fonction de la diversité et de la portée des prescriptions urbanistiques8. Il est acquis que le juge administratif « veille à ce qu’il n’y ait pas dénaturation du rapport de compatibilité et que celui-ci ne se transforme pas en rapport de conformité ; ce qui est le cas lorsque la substance de la norme qui s’impose en termes de compatibilité a été écrite – sans habilitation particulière – de façon si précise et détaillée qu’elle ne laisse plus de marge d’appréciation suffisante à l’autorité chargée de prendre la mesure d’exécution »9. Rien ne justifiait donc en l’espèce une telle analyse de dénaturation même si le niveau hiérarchique des schémas de cohérence territoriale permet une lecture de la loi qui ne peut être faite au niveau du PLU10.
B – Rapport de cohérence entre les normes urbanistiques
5. Exigences du rapport de cohérence. Sur l’approche de la notion de cohérence11, Gilles Pelissier, précise que : « La notion de cohérence implique donc un rapport de légalité particulier. Il ne s’agit ni de conformité, ni même de compatibilité, que l’on peut comprendre comme un rapport plus souple de respect entre deux normes. Il s’agit plutôt d’une exigence de ce que les normes ou actions aillent dans le même sens, poursuivent un objectif commun, partagent le même esprit »12. Au cas d’espèce, le Conseil d’État rappelle aux magistrats de la cour d’appel que pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d’urbanisme entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Partant, le Conseil d’État souligne de manière pélagique que l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l’existence d’autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet. Le Conseil d’État réitère ainsi une solution récente acquise en jurisprudence, selon laquelle « les plans locaux d’urbanisme (…) comportent un projet d’aménagement et de développement durables qui définit les orientations générales d’aménagement et d’urbanisme retenues pour l’ensemble de la commune. (…) Les plans locaux d’urbanisme comportent un règlement qui fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés à l’article L. 121-1, qui peuvent notamment comporter l’interdiction de construire, délimitent les zones urbaines ou à urbaniser et les zones naturelles ou agricoles et forestières à protéger et définissent, en fonction des circonstances locales, les règles concernant l’implantation des constructions »13. À travers cette jurisprudence du Conseil d’État on peut se demander s’il n’y a pas lieu de distinguer entre la cohérence interne et la cohérence externe. La première concernerait, par exemple, le schéma de cohérence territoriale (SCOT), tandis que la cohérence externe ne se limite pas à telle norme urbanistique mais la dépasse pour englober les liens de la disposition en cause avec d’autres règles.
II – Cohérence-unité paysagère dans un espace remarquable
6. Contrôle de cassation par la haute assemblée14. Le Conseil d’État estime que la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que ces parcelles boisées constituent un espace à préserver au sens du premier aliéna de l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme (A) alors qu’en statuant ainsi la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit (B).
A – Appréciation in globo de la notion d’espace boisé au regard de l’échelle du territoire
7. Appréciation in globo. Tel est le nœud gordien de cette décision qui consiste à savoir si les parcelles cadastrées section BM n° 73 et BM n° 89 en espace boisé classé en continuité d’un espace remarquable vont être qualifiées et protégées au même titre qu’un paysage remarquable. Dans son quatrième considérant, le Conseil d’État expose la règle de la cohérence en deux temps, en commençant par présenter le rapport de cohérence entres les normes et en précisant l’étendue de l’appréciation du juge en matière de paysage remarquable. Le Conseil d’État commence, en effet, par rappeler que « pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d’urbanisme entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durables », le juge administratif doit prendre en considération les deux normes urbanistiques. Il indique ensuite « qu’il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l’existence d’autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet ». On peut remarquer que le Conseil d’État apprécie globalement au regard des circonstances qui l’ont motivé à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Force est de reconnaître qu’en l’espèce le Conseil d’État fait une appréciation in globo de la notion d’espace boisé au regard de l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme. Ainsi le Conseil d’État prend en compte l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation du projet d’aménagement et de développement durables, ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables. Cela implique qu’en l’espèce, l’espace boisé classé en continuité d’un espace remarquable n’est pas nécessairement un espace remarquable au sens de l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme. Pour la haute assemblée, la cour administrative d’appel n’a pas recherché si les parcelles querellées constituaient avec cet espace remarquable une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver. Dans la même veine le tribunal administratif s’est prononcé ainsi en estimant : « l’appréciation du caractère naturel d’un site ne peut être donnée que de façon globale à partir d’une vision d’ensemble »15.
B – Le Conseil d’État, juge de la cassation, exerce un contrôle de l’erreur de droit
8. Illégalités relatives aux motifs : erreur de droit. L’arrêt d’espèce a été rendu dans le cadre d’un contrôle de cassation pour erreur de droit. En effet, parmi les illégalités relatives aux motifs, l’erreur de droit est celle où le défaut de base légale est inopérant mais pour autant l’administration a fait une mauvaise interprétation des textes. Dans l’arrêt rapporté, si le juge peut s’appuyer sur l’existence du règlement du PLU présentant un rapport de cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, il n’en demeure pas moins vrai que pour retenir la qualification d’espace remarquable, il ne saurait se contenter de mentionner ces normes urbanistiques. Force est de remarquer que de nombreux arrêts ont été rendus sur les espaces remarquables du littoral au sens de l’article L. 146-4 du Code de l’urbanisme. C’est ainsi que le Conseil d’État a considéré que les juges de la cour administrative d’appel se sont bornés à apprécier le caractère déjà urbanisé de la zone environnant le terrain d’assiette du projet litigieux sans rechercher si les autres conditions posées par les paragraphes I et II de l’article L. 146-4 pour la réalisation de nouvelles constructions dans les espaces proches du rivage étaient satisfaites, leur décision étant donc entachée d’une erreur de droit16.
9. Intensité du contrôle opérée par la haute assemblée. Quid de l’intensité du contrôle des motifs opérés par le juge administratif en matière de cohérence ? On sait que la notion d’erreur manifeste d’appréciation est soumise à un contrôle réduit mais qui trouve une application grandissante en droit de l’urbanisme. C’est ainsi que la cour administrative d’appel de Douai a rendu une décision récente en ce sens en considérant : « que, dans les circonstances de l’espèce, les permis de construire sont, dès lors, de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme ; que, par suite et alors même que le préfet de l’Oise a autorisé une dérogation de distance à l’EARL Verschuere au titre de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, le maire de la commune de Saint-Aubin-en-Bray a entaché ses décisions d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions précitées de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme en accordant les permis de construire en litige à proximité immédiate des propriétés des requérants »17. Force est par ailleurs de remarquer que le Conseil d’État effectue depuis de nombreuses années un contrôle minimum de l’erreur manifeste d’appréciation sur les dispositions des schémas directeurs. C’est ainsi qu’il a pu considérer « qu’il ne ressort des pièces du dossier ni que les auteurs du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de Nice aient poursuivi d’autres fins que celles qui sont définies par ces dispositions, ni qu’ils aient fait une appréciation manifestement erronée des éléments qu’il leur appartenait de prendre en compte et, notamment, de l’équilibre à préserver entre la ville de Nice et les régions avoisinantes ; que, dès lors, la commune de Contes et M. Dalbera ne sont pas fondés à contester la légalité des orientations fondamentales fixées par le schéma approuvé par le décret attaqué »18. En l’espèce, il semble que le contrôle de l’appréciation et de la qualification des faits soit effectué sur la base de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, un auteur a pu relever à ce propos qu’ « en revanche, le second niveau de contrôle, qui porte sur la cohérence-unité, ne pourrait être qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation particulièrement restreint. Autrement dit, seules les discordances d’une extrême ampleur pourraient donner lieu à une annulation sur ce fondement »19.
10. Conclusion. Il y a néanmoins fort à parier que le maniement de la notion de cohérence sera des plus difficiles tant le juge administratif va procéder à un contrôle en négatif afin que « (…) la règle ne compromette pas les orientations fixées »20.
Notes de bas de pages
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1.
Herviaux O. et Bizet J., Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines, rapp. Sénat n° 297 (2013-2014).
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2.
Le contrôle par le juge administratif de l’obligation de cohérence entre le règlement du PLU et le PADD, http://www.seban-associes.avocat.fr.
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3.
Pastor J.-M., « Espace remarquable à préserver et cohérence des documents d’urbanisme », Dalloz actualité, 8 juin 2018 ; Guittard L., PLU : Comment contrôler la cohérence du règlement avec le PADD, www.editions-legislatives.fr/.
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4.
BO Équip. 1987, n° 22.
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5.
Le Lamy Droit Immobilier juin 2017, n° 528, Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a.
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6.
Le Lamy Droit Immobilier juin 2017, n° 528, Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a.
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7.
Hercé S., « Rubrique de jurisprudence Urbanisme et environnement (oct. 2012 – avr. 2013) » : Bulletin du droit de l’environnement industriel, mai 2013, p. 35, n° 45 ; CAA Versailles, 2 ch., 15 janv. 2009, n° 07VE00255, Sté Tepac Terre et plein air créations.
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8.
Decout-Paolini R., « Le PLU, le juge administratif et l’architecture contemporaine : contrôle juridictionnel et marge d’appréciation de l’autorité administrative » : RDI 2015, p. 435.
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9.
Jacquot H. et Priet F., Le droit de l’urbanisme, 7e éd., 2015, Dalloz, Précis, p. 302, n° 255.
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10.
Prieur L., L’écriture des plans locaux d’urbanisme littoraux, Gridauh, 20 sept. 2012.
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11.
Urbanisme : la cohérence du règlement du PLU avec le projet d’aménagement et de développement durable. Niel P.-L., « L’appréciation du rapport de compatibilité entre le PLU et les normes urbanistiques intermédiaires et nationales », LPA 23 mai 2016, n° 113s9, p. 9. http://www.sartorio.fr. Le contrôle par le juge administratif de l’obligation de cohérence entre le règlement du PLU et le PADD : http://www.seban-associes.avocat.fr. Catry T., Urbanisme : entre conformité et comptabilité, le nouveau contrôle de « cohérence » entre normes d’urbanisme. http://www.cmb-avocats-associes.fr.
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12.
Pellissier G., Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), Gridauh, fiche 3.
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13.
Arrêt rendu par Conseil d’État, CE, 2 oct. 2017, n° 398322.
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14.
Cohérence-unité : Pellissier P., Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), Gridauh, fiche 3.
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15.
TA Nice, 23 déc. 1996, n° 94-3088, Assoc. « Vivre dans la presqu’île de Saint-Tropez » c/ Cne de Ramatuelle cité par Le Lamy Droit Immobilier juin 2017, n° 583, Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a.
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16.
CE, 10 janv. 2001, n° 211459.
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17.
CAA Douai, 1re ch., 26 juin 2014, n° 13DA00576.
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18.
CE, 29 janv. 1982, n° 22864, Cne Contes et Dalbéra.
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19.
Peiser G., Contentieux administratif, 16e éd., 2014, Dalloz, p. 254. ; Pellissier G., Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), Gridauh, 24 oct. 2012, fiche 3.
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20.
Peiser G., Contentieux administratif, 16e éd., 2014, Dalloz, p. 254 ; Pellissier G., Le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), Gridauh, 24 oct. 2012, fiche 3.