Bruno Lasserre veut développer l’oralité dans la justice administrative

Publié le 23/07/2019

Lors de la présentation du rapport annuel 2019 du Conseil d’État, le vice-président, Bruno Lasserre, a indiqué qu’il voulait ouvrir le Conseil d’État pour que les citoyens comprennent mieux en quoi son action influence leur vie au quotidien. Cela passe notamment par l’idée de développer l’oralité des débats. Le vice-président a également confié son inquiétude concernant « l’inexorable progression du contentieux » qui a connu en 2018 une croissance de 8 %.

Bruno Lasserre est un homme de communication. Il s’est déjà distingué à la tête du Conseil de la concurrence puis de l’Autorité de la concurrence en communiquant énormément sur l’activité de l’institution pour développer la culture de la concurrence en France et faire comprendre l’importance de l’Autorité dans la vie quotidienne des consommateurs. Arrivé à la tête du Conseil d’État, le 23 mai 2018, il a présenté le 3 juillet dernier son premier rapport annuel d’activité et a saisi cette occasion pour livrer sa vision de l’institution. Le Grand débat lui a fourni à ce sujet matière à réflexion. Il ressort en effet des contributions que les Sages du Palais-Royal sont assez peu connus du public. Seules 600 contributions sur 2 millions en évoquent l’existence. Pour le public, la justice est synonyme de pénal, il ignore l’existence de la justice administrative, analyse Bruno Lasserre qui observe également que le mot « conseil » est trompeur et ne permet pas de penser que le Conseil d’État est aussi un juge. En revanche, quand l’institution est citée c’est pour saluer son action sur le thème de la laïcité, de la citoyenneté ou encore de la bioéthique. « Cela montre que les Français attendent sur ces questions qu’une institution fixe les règles du jeu avec distance et à froid », estime le vice-président qui conclut des résultats de cette consultation « toutes les activités du Conseil d’État concourent au service du citoyen mais celui-ci ne le sait pas » ! D’où cette question : comment mieux relier l’action de la cour suprême administrative au quotidien des Français ? Cela passe sans doute par un Conseil plus ouvert, plus compréhensible et plus accessible à ceux qui veulent le saisir.

Développer l’oralité des débats au fond

Au chapitre de l’ouverture, Bruno Lasserre développe depuis quelques mois les visites à l’attention des parlementaires. Il les accueille le matin pour une visite et les invite ensuite à assister à une audience. Les conférences permettent aussi d’ouvrir les portes de l’institution qui a connu par exemple un record d’affluence lors des rencontres sur la citoyenneté. De même, lorsque le Conseil d’État consulte il reçoit parfois des professionnels peu habitués à fréquenter le Palais-Royal. C’est ainsi qu’à l’occasion de l’étude annuelle consacrée au sport qui paraîtra en septembre prochain, il a fait convier des sportifs et notamment des footballers.

L’ouverture, c’est aussi des décisions plus compréhensibles. À cette fin, l’ensemble des juridictions administratives a abandonné les « considérants dans ses décisions ». Un guide sur les nouveaux modes de rédaction a été publié en décembre 2018. Mais le vice-président Bruno Lasserre veut aller plus loin. Il souhaite ainsi développer l’oralité des débats devant le Conseil d’État. En l’état, elle n’est d’usage qu’en référé, et présente deux vertus. D’abord, la vérité jaillit de la tension entre les parties, ce qui n’arrive pas forcément à l’écrit quand chaque plaideur est enfermé dans « son couloir de nage ». Ensuite, cela permet au public de comprendre au travers des questions que pose le juge comment il élabore sa compréhension du dossier ; en ce sens, c’est un moyen de renforcer la confiance dans la décision qui sera rendue. Alors que la justice judiciaire réduit de plus en plus l’oralité des débats, il est assez piquant d’observer que la justice administrative, elle, en vante les mérites. Toujours est-il que Bruno Lasserre a annoncé vouloir l’expérimenter dans le contentieux au fond dans quelques affaires intéressant le grand public. Il est déjà possible d’instruire certains dossiers à la barre. Il s’agirait donc d’étendre cette possibilité. Sans doute faudra-t-il scinder l’audience en deux, la première étant consacrée aux questions aux parties et la seconde à la procédure classique pour permettre au rapporteur d’intégrer le résultat des échanges oraux dans sa proposition de solution.

Autre nouveauté en cours de développement, la médiation. « C’est un moyen de gérer l’augmentation du contentieux, mais aussi de recentrer le juge sur sa fonction consistant à dire le droit », estime Bruno Lasserre. Dans chaque juridiction a été créé un référent médiation et des objectifs ont été fixés. Le premier bilan est encourageant, 600 médiations ont été menées pour un résultat positif de l’ordre de 75 à 80 %. En principe, le recours à la médiation, qui peut être réclamé par le juge ou les parties, est volontaire, mais la juridiction administrative expérimente aussi une médiation obligatoire dans quelques contentieux dont l’accès à Pôle Emploi ou encore aux prestations sociales. Enfin, le président a évoqué le développement de Télérecours Citoyen. Ouvert en 2018, ce service permet au justiciable sans avocat de saisir la juridiction administrative par internet. Ce mode de saisine est facultatif pour le public et ne se substitue pas à une saisine classique. En revanche, les administrations, les avocats, et les collectivités publiques – à l’exception des communes de moins de 3 000 habitants – sont quant à eux tenus de saisir la justice administrative en ligne.

Vers une simplification du droit des étrangers ?

Abordant ensuite le bilan d’activité de la juridiction, le président Bruno Lasserre a souligné que l’activité avait été intense en 2018. À commencer par celle relative à la « fabrique de la loi » autrement dit aux avis. Ainsi le Conseil s’est prononcé sur 69 projets de loi, 7 propositions de loi, 27 ordonnances et 822 décrets. Parmi ceux-ci, 98,5 % sont rendus en moins de deux mois et 36 % en moins de 15 jours. Quatre avis sont signalés par le Conseil d’État comme particulièrement marquants ; ils concernent : la réforme des institutions, le projet de réforme de la justice, la nouvelle politique de l’immigration et de l’asile et les nouveaux statuts des fondations et associations d’utilité publique. Cette activité normative très intense soulève une préoccupation, celle de la simplification. Bruno Lasserre a confié à ce sujet que le Conseil d’État pourrait bien être saisi par le gouvernement d’un chantier de simplification qui pourrait concerner en premier lieu le droit des étrangers. Celui-ci en effet souffre de faire l’objet d’environ une loi tous les deux ans ce qui a conduit à tripler la taille du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en très peu de temps. Surtout, Bruno Lasserre a estimé qu’il était temps de s’interroger sur les rôles respectifs du gouvernement et du Parlement. Car l’examen des projets de loi par le Conseil d’État pour sécuriser la production législative a été institué à une époque où le gouvernement était à l’origine de la quasi-totalité des textes. Or, aujourd’hui, si l’on met de côté les ordonnances, la production législative gouvernementale n’est plus que de 33 % du total. Cela signifie que le rôle du Conseil d’État se réduit comme peau de chagrin. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, les parlementaires peuvent solliciter l’avis du Conseil sur leur propositions, après autorisation du président de chambre. Le Conseil d’État a reçu depuis l’origine 30 demandes, dont 7 l’an dernier ce que Bruno Lasserre analyse comme un signe encourageant après une mise en route assez difficile. Récemment par exemple, le Conseil d’État a été saisi de la proposition de loi de Laetitia Avia destinée à lutter contre les contenus haineux sur internet. Reste la délicate question des amendements : Bruno Lasserre n’est pas hostile à ce qu’ils soient soumis à un examen, à condition toutefois d’instituer un filtre permettant au Conseil d’évaluer l’intérêt de répondre pour éviter la submersion. Cette proposition était contenue dans la première mouture de la réforme constitutionnelle mais a été finalement écartée.

Une tendance préoccupante à l’augmentation du contentieux

S’agissant de l’activité contentieuse, Bruno Lasserre a évoqué une tendance préoccupante à l’augmentation inexorable du contentieux. Ainsi, tribunaux administratifs et cours administratives d’appel ont-ils connus en 2018 une croissance de 8 % du nombre de leur saisine. Cela représente 312 029 affaires enregistrées devant les tribunaux administratifs en 2018, 33 773 devant les cours administratives d’appel et 58 671 devant la CNDA. « En une année, c’est considérable », a souligné Bruno Lasserre. Le Conseil d’État est en revanche épargné par cette augmentation du contentieux ; le nombre d’affaires nouvelles qu’il a à connaître chaque année se stabilise aux alentours de 9 500. Quatre arrêts sont signalés par la juridiction comme particulièrement significatifs en 2018. Ils portent respectivement sur : le principe de neutralité de l’enseignement public, le traitement des harkis et la responsabilité de l’État, les sanctions du CSA et enfin, au titre de l’asile, les risques de persécution liés à l’orientation sexuelle. Cela n’a pas empêché les juridictions administratives d’améliorer encore leur délai de traitement des affaires. Il faut compter 6 mois et 17 jours pour obtenir un arrêt du Conseil d’État, 9 mois et 15 jours pour une décision devant le tribunal administratif, soit une diminution de 27 % en dix ans, et 10 mois et 23 jours devant les cours d’appel soit moins 15 % sur la même période.

Prochain rendez-vous avec le Conseil d’État… En septembre, pour la publication de l’étude annuelle consacrée au sport. Interrogé sur la baisse de qualité des textes réglementaires et législatifs, Bruno Lasserre a indiqué que l’élaboration de la loi et son évaluation faisaient partie des préoccupations du Conseil d’État. Il se pourrait donc bien que ce sujet donne lieu tôt ou tard à une étude…

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