Bruno Lasserre promeut l’oralité des débats devant le Conseil d’Etat

Publié le 15/06/2021

Le vice-président du Conseil d’Etat Bruno Lasserre a présenté son rapport annuel 2020 à la presse ce mardi 15 juin. Il en a profité pour vanter l’oralité des débats et mettre en garde contre les risques éthiques liés au numérique. 

Façade du Conseil d'Etat
Photo : ©AdobeStock/Pixarno

A l’occasion de la présentation du rapport annuel du Conseil d’Etat pour 2020, le vice-président de la haute juridiction administrative Bruno Lasserre a dressé un bilan à faire pâlir d’envie l’institution judiciaire. Il est vrai que le volume de dossiers et le budget ne sont pas comparables. Les problématiques en revanche sont similaires. La différence, c’est que la juridiction administrative a des moyens que sa cousine judiciaire n’a pas pour affronter les défis contemporains.

Crise sanitaire : 840 ordonnances de référé

L’an dernier,  le Conseil d’Etat est devenu à la faveur de la crise sanitaire le juge des libertés. Entre le 17 mars et le 31 décembre 2020, il a rendu pas moins de 840 ordonnances de référé en lien avec la Covid. Soit six fois plus  qu’en temps normal. « C’est la preuve que le juge est utile et vu comme un arbitre impartial vers lequel on se tourne quand on n’est pas d’accord » s’est félicité Bruno Lasserre qui y voit une preuve de la « maturité de l’état de droit ». Si la juridiction administrative a pu répondre présente aux demandes des citoyens, c’est que dès le premier confinement elle a décidé de maintenir ses portes ouvertes. Il faut dire que contrairement à la juridiction judiciaire, la justice administrative avait déjà accompli son virage numérique. Et elle s’était même préparé à un scénario catastrophe dans le cadre d’une possible inondation en raison de sa proximité avec la Seine, ce qui l’a bien aidée à affronter la Covid. « Les audiences de référé se sont tenues pendant le premier confinement, puis dès le 11 mai les audiences ont repris pour l’ensemble des affaires si bien que l’année 2020 a été une année utile jusqu’au bout, a précisé le vice-président.  Le contentieux devant le Conseil d’Etat n’a fléchi que de 1,8% (contre 9% devant les tribunaux administratifs (TA) et 15%  devant les cours administratives d’appel (CAA)). Le retour à la normale est prévu pour le 1erseptembre prochain. Les sections consultatives n’ont pas été moins sollicitées. La crise en effet  s’est traduite par « une production normative incroyable, foisonnante » : plus de 200 projets de loi d’ordonnances ou de décrets en lien avec l’épidémie ont été examinés souvent dans des délais serrés (112 textes l’ont été en moins de 5 jours). « Nous n’avons rien sacrifié à la collégialité, elle a fonctionné du 1er au dernier jour de la crise » a tenu à préciser Bruno Lasserre.

« On a parfois demandé au juge de prendre la place du politique »

Pour autant, le travail du Conseil d’Etat a été perçu dans le public comme tendant trop souvent à protéger le gouvernement au détriment des libertés du citoyen. Bruno Lasserre corrige :  une cinquantaine d’ordonnances ont demandé  au gouvernement de changer la règle en autorisant par exemple les avocats à recevoir leurs clients après 18 heures, en censurant le recours à la visioconférence aux assises ou encore en ordonnant la réautorisation des manifestations,  du culte, de l’enregistrement des demandes d’asile…  Ensuite, il ne faut pas demander au Conseil d’Etat plus qu’il ne peut faire. « Dans un régime de séparation des pouvoirs, il est impératif que chaque pouvoir reste à sa place, il y a un exécutif qui dirige et définit une stratégie de lutte contre la crise, un expert qui doit dire où est la vérité scientifique et un juge qui doit contrôler que ses décisions sont conformes au droit, rappelle Bruno Lasserre. On a parfois demandé au juge de prendre la place du politique, par exemple quand on nous proposait clef en main des solutions alternatives à la crise sanitaire, ce n’est pas le rôle du juge. On nous a demandé aussi de prendre la place de l’expert en imposant à la médecine de ville de prescrire de  la chloroquine, que pouvait faire le juge ? ».

Le grand chantier de l’oralité

Question délais de traitement, le Conseil d’Etat affiche des scores remarquables en 2020 : 7 mois devant le Conseil d’Etat, 12 mois devant les cours administratives, 11 mois devant les tribunaux. « Nous ne pourrons pas faire beaucoup mieux en raison de l’obligation d’instruire » a souligné le vice-président. Il pourrait même faire moins bien si la progression du contentieux reprend comme avant la crise, soit d’environ plus 10% par an. Inlassable réformateur, Bruno Lasserre a décidé d’améliorer la qualité des décisions et pour ce faire, il milite depuis son arrivée en faveur de l’oralité. Cette même oralité que la justice civile est en train d’abandonner faute de moyens….. « Aujourd’hui parler devant un juge est indispensable, on ne peut pas fonctionner uniquement par écrit, on ne peut pas tout résoudre par la comparaison des écritures. Et puis  c’est important pour les juges de voir les justiciables de même que pour  les justiciables de voir leur juge, cela permet la confiance », plaide Bruno Lasserre avec conviction.   » Un juge moderne est un juge qui fait entrer les gens dans le prétoire pour leur permettre de s’expliquer avec leurs mots » ajoute-t-il. Un décret du 18 novembre 2020 est venu entériner ces nouvelles pratiques en permettant au Conseil d’Etat d’organiser une séance orale d’instruction au cours de laquelle les magistrats  interrogent les parties pour faire en sorte « qu’il n’y ait plus de zones d’ombre dans le dossier ».

Qui détiendra le pouvoir sur les algorithmes qui vont orienter le travail de la justice ?

L’autre grand chantier, c’est celui du numérique. Là encore, il y a de quoi faire rêver l’institution judiciaire. Car devant les juridictions administratives, la transformation numérique est accomplie. C’est ainsi que 90% des contentieux devant les cours administratives d’appel sont dématérialisés et 75% devant les tribunaux et le Conseil d’Etat. Bruno Lasserre n’entend pas s’arrêter en si bon chemin : « nous allons rénover tous nos outils numériques sur 3 ans pour améliorer encore télérecours ». Quant à l’Open data il sera opérationnel dès le 30 septembre prochain devant le Conseil d’Etat, le 31 mars 2022 devant les cours  et le 30 juin enfin devant les tribunaux administratifs. Toutes les décisions seront alors accessibles en ligne immédiatement. L’anonymisation ? Nous avons les outils, assure le vice-président.  S’il promeut l’enthousiasme à l’égard des potentialités de l’OPen data, il aperçoit toutefois deux risques. D’abord celui d’un nivellement qui porterait atteinte au rôle d’une cour suprême qui consiste à définir la jurisprudence et donc à distinguer ce qui est important de ce qui relève du cas d’espèce. Ensuite, il pointe un risque éthique lié au contrôle des données. « Qui détiendra le pouvoir sur la source des algorithmes qui vont orienter le travail des avocats et des juges ? Ces algorithmes sont-ils transparents, impartiaux, les GAFAM  ne vont-ils pas y voir un lieu de pouvoir ? Il faut protéger la transparence de décisions qui appartiennent à tous ! Personne ne doit confisquer le pouvoir économique » met en garde Bruno Lasserre.

Pour l’avenir, le vice-président réclame trois choses. D’abord une simplification du droit des étrangers ; celui-ci représente actuellement environ 40% du contentieux administratif (hors contentieux de l’asile devant la CNDA) et fait appel à une douzaine de procédures différentes. Livrée clefs en mains en mars 2020, la réforme a été reportée en raison de la crise sanitaire, elle ne sera sans doute pas mise en oeuvre sous cette mandature car le gouvernement la considère comme un chantier de début de quinquennat. Bruno Lasserre réclame également une hausse des effectifs en raison de la croissance du nombre de dossiers, de l’ordre de 10% par an, et un alignement économique du statut des magistrats sur celui des administrateurs pour que le choix entre les deux fonctions soit neutre économiquement. Prochain rendez-vous en septembre : le Conseil d’Etat publiera sont étude annuelle consacrée aux états d’urgence, au pluriel.

 

Sur les procédures de référé-liberté relatives à la crise sanitaire, voire l’ensemble de nos articles ici .

Note : à l’heure où nous publions, le rapport annuel n’est pas encore en ligne. Il sera accessible en version numérique uniquement sur le site du Conseil d’Etat.

 

X