Chronique des arrêts de la cour administrative d’appel de Nancy (Mars 2017–Septembre 2017)
La présente chronique revient sur les arrêts marquants rendus par la cour administrative d’appel de Nancy entre mars et septembre 2017. Un premier commentaire porte sur le nouveau régime des autorisations d’urbanisme commercial. Un autre commentaire s’intéresse aux conséquences du non-respect des modalités de concertation préalable sur la légalité du plan local d’urbanisme. Enfin, un dernier commentaire porte sur la responsabilité du maître d’œuvre dans le cadre des marchés publics de travaux.
I – Droit de l’urbanisme
Précisions sur le régime des autorisations d’urbanisme commercial
CAA Nancy, 27 avr. 2017, Sté MDVP Distribution, n° 15NC02351, n° 16NC00013. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises1, dite loi Pinel a voulu simplifier le droit de l’urbanisme commercial en prévoyant désormais que lorsque le projet nécessite un permis de construire, ce dernier tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Si l’intention était louable, la mise en œuvre des dispositions issues de cette loi a occasionné toute une série de difficultés pratiques2 comme l’illustre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy Société MDVP Distribution du 27 avril 2017.
La société Lidl exploite actuellement un supermarché d’une surface de 720 m² à Sedan. Le 17 décembre 2014, elle a sollicité en vue de rénover et d’agrandir cette surface commerciale un permis de construire valant permis de démolir. Parallèlement, elle a déposé le 13 février 2015 une demande d’extension de 555 m2 de la surface de vente de son magasin. La commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) a commencé l’instruction de ce dossier à compter du 30 mars 2015 et autorisé le projet d’extension par une délibération du 18 mai 2015. Le maire de Sedan a quant à lui délivré le permis sollicité par un arrêté du 15 juin 2015. À cette date, la société Lidl disposait donc de deux autorisations distinctes.
Le 26 juin 2015, la société MDVP Distribution, qui gère un supermarché concurrent, a alors saisi la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) d’un recours préalable contre la décision de la CDAC. Par une décision du 8 octobre 2015, la CNAC a refusé l’autorisation demandée, ce qui a conduit la société MDVP Distribution à saisir la cour administrative d’appel de Nancy. La société Lidl était alors titulaire d’un permis de construire permettant d’agrandir son magasin, mais sans disposer de l’autorisation d’exploitation commerciale correspondante.
Le 26 novembre 2015, la société MDVP Distribution a saisi la cour administrative d’appel de Nancy en vue de l’annulation du permis de construire délivré le 15 juin 2015. Ce litige, qui avait déjà fait l’objet d’un jugement avant-dire droit de la cour3 et d’un avis du Conseil d’État4, soulevait plusieurs difficultés.
La cour revient d’abord sur le problème de l’application dans le temps des dispositions de la loi Pinel relatives au permis de construire valant autorisation commerciale (I). Elle s’interroge ensuite sur la recevabilité de la requête introduite par la société MDVP en sa qualité de professionnel exerçant dans la zone de chalandise définie par le projet en litige (II). Enfin, la cour doit statuer sur la légalité du permis contesté. Elle précise que l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire valant autorisation commerciale doit attendre l’avis de la CNAC avant de statuer (III).
I. La question de l’application dans le temps de la procédure de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale
En principe, les permis de construire doivent être contestés en première instance devant le tribunal administratif compétent, ce qui n’est toutefois pas le cas des nouvelles autorisations prévues par la loi Pinel. En effet, l’article L. 600-10 du Code de l’urbanisme issu de l’article 58 de cette loi prévoit que « les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale ».
La question qui se posait était donc de savoir si les dispositions de la loi Pinel avaient vocation à s’appliquer en l’espèce. Or, cette loi ne contenait pas d’éléments concernant les projets en cours, son article 60 se bornant à indiquer que « les articles 39 à 58 (…) entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard 6 mois à compter de la promulgation de la présente loi », soit le 18 décembre 2014. Or, le décret n° 2015-165 relatif à l’aménagement commercial n’est intervenu que le 12 février 2015 et il a été publié le 14 février suivant. La société Lidl et la CNAC considéraient que la procédure de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale n’était pas applicable, au cas d’espèce, puisque les demandes distinctes d’autorisation avaient été déposées avant l’entrée en vigueur de ce décret d’application.
Cette difficulté a été résolue par l’arrêt avant-dire droit de la cour du 17 mai 20165 qui n’a pas suivi ce raisonnement. La cour a en effet estimé que les projets entrant dans le champ d’application du nouveau régime du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale sont ceux « pour lesquels les dossiers de demandes d’autorisation d’exploitation commerciale n’étaient pas encore en cours d’instruction à la date d’entrée en vigueur du décret du 12 février 2015 ». Elle a aussi précisé que « l’instruction d’une telle demande ne commence à courir qu’à compter de la date de la réception d’un dossier de demande complet par le secrétariat de la CDAC ». Dès lors que la société Lidl n’a déposé un dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale que le 30 mars 2015, l’instruction de sa demande n’était donc pas encore en cours, à la date du 15 février 2015. Le permis de construire délivré le 15 juin 2015 devait donc être considéré comme un permis unique tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, relevant de la compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d’appel de Nancy.
Si cette question avait déjà été tranchée par la cour dans son arrêt du 17 mai 2016, elle avait en revanche saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis sur quatre autres questions concernant la délivrance, le régime contentieux et les conditions dans lesquelles le permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale peut être régularisé. Le Conseil d’État a rendu son avis le 23 décembre 2016, ce qui permet donc à la cour de trancher le litige qui lui est soumis.
II. La recevabilité du recours exercé par un professionnel dont l’activité est susceptible d’être affectée par le projet
Du point de vue de la recevabilité du recours, la cour doit d’abord statuer sur plusieurs fins de non-recevoir, dont une concerne la prétendue tardiveté de la requête présentée par la société MVDP Distribution le 26 novembre 2015 ainsi que l’intérêt à agir de cette société, étant précisé que ces deux questions sont étroitement liées. Selon la société Lidl, le recours dirigé contre le permis de construire du 15 juin 2015 serait en effet irrecevable, dès lors qu’il a fait l’objet d’un affichage régulier et continu à compter du 22 juin 2015. Certes, la cour relève que la loi Pinel n’a pas entendu modifier les règles applicables aux délais de recours contre un permis de construire telles qu’elles sont énoncées par l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Selon ces dispositions, exception faite de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements et des associations, un tiers « n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation ». En application de ces dispositions, la société MVDP Distribution, qui conteste le permis de construire litigieux en sa qualité de professionnel concurrent de la société Lidl n’aurait pas intérêt à agir.
Les juges relèvent toutefois que la loi Pinel a modifié les termes de l’article L. 752-17 du Code de commerce. D’après ces dispositions, « tout professionnel dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet ou toute association les représentant [peut], dans le délai d’1 mois, introduire un recours devant la commission nationale d’aménagement commercial contre l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial ». La question des délais de recevabilité du recours est donc directement dépendante de la qualité invoquée par le requérant. Or, dans la présente affaire, c’est bien la qualité de professionnel exerçant dans la zone de chalandise définie par le projet en litige qui est invoquée par la société MDPV Distribution, et c’est donc bien au regard des dispositions de l’article L. 752-12 qu’il convient d’apprécier la recevabilité de sa requête. Selon cet article, la saisine de la CNAC « est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l’autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ». En l’espèce, la CNAC a été saisie d’un recours contre la délibération de la CDAC le 26 juin 2015 et elle a formulé un avis défavorable le 8 octobre de la même année. Toutefois, cet avis n’a été notifié à la société MVDP Distribution que le 6 novembre 2015. C’est donc à compter de cette date que courait le délai de recours contre le permis de construire du 15 juin 2015, ce qui conduit la cour à considérer que le délai de recours contentieux n’était pas expiré à la date de la requête introductive d’instance.
III. L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire valant autorisation commerciale doit attendre l’avis de la CNAC avant de statuer
La société MDVP Distribution soutient enfin que le maire de Sedan ne pouvait légalement délivrer un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale avant que la CNAC ait rendu son avis sur le projet de la société Lidl. Dans le cas où l’avis de la CDAC fait l’objet d’un recours devant la CNAC, l’article R. 752-32 du Code de commerce prévoit que « dans les 7 jours francs suivant la réception du recours, le secrétariat de la commission nationale informe, par tout moyen, l’autorité compétente en matière de permis de construire du dépôt du recours ». L’article R. 752-42 du même code dispose quant à lui qu’en « cas d’auto-saisine de la commission nationale, son président notifie la décision de se saisir d’un projet (…) au préfet du département de la commune d’implantation, au demandeur et, si le projet nécessite un permis de construire, à l’autorité compétente en matière de permis de construire ». La cour considère ainsi que l’autorité compétente en matière de permis de construire est informée, dans tous les cas où l’avis de la CDAC est porté devant la CNAC. Dans ces conditions, dans le cas d’un recours contre une décision de la CDAC, ou d’auto-saisine de la CNAC, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale doit attendre l’intervention de l’avis, exprès ou tacite, de la commission nationale pour délivrer le permis, cet avis se substituant à celui de la CDAC. Dans ce cas, cette autorité bénéficiera d’un délai d’instruction prolongé de 5 mois en vertu des dispositions de l’article R. 423-36-1 du Code de l’urbanisme. S’agissant d’un avis conforme, la cour a logiquement considéré que l’autorité compétente pour délivrer le permis ne pouvait en aucun cas se prononcer avant d’avoir eu connaissance de cet avis, et cela alors même que le recours exercé par la société MDVP Distribution contre l’avis de la CDAC est postérieur au permis de construire. L’arrêté du 15 juin 2015 par lequel le maire de Sedan a délivré ce permis est en conséquence annulé.
Le non-respect des modalités de la concertation préalable n’entraîne pas nécessairement l’annulation du plan local d’urbanisme
CAA Nancy, 27 avr. 2017, n° 16NC02407, Cne de Westhoffen. Par une délibération en date du 30 octobre 2006, la commune de Westhoffen a adopté un plan local d’urbanisme qui a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Strasbourg. Par un jugement en date du 20 avril 2010, le tribunal a annulé cette délibération, au motif que la délibération initiale du 28 mai 2001 prescrivant la révision du plan d’occupation des sols et sa transformation en plan local d’urbanisme ne précisait pas de manière suffisante les objectifs poursuivis par la commune. Le conseil municipal de Westhoffen a donc prescrit une nouvelle fois la révision du plan d’occupation des sols et sa transformation en plan local d’urbanisme par une délibération du 5 septembre 2011. Le 1er juillet 2013, le conseil municipal a tiré le bilan de la concertation mise en œuvre et arrêté son projet de plan local d’urbanisme. L’enquête publique s’est déroulée du 14 octobre au 15 novembre 2013 et par une délibération du 20 janvier 2014, le conseil municipal a approuvé le plan local d’urbanisme de la commune. Cette délibération a une nouvelle fois été annulée par le tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 6 octobre 2016 qui est contesté devant la cour administrative d’appel de Nancy. Le tribunal reprochait en effet à la commune de ne pas avoir respecté l’une des modalités de la concertation qu’elle avait définies afin d’associer les associations locales à l’élaboration du plan local d’urbanisme.
En matière de concertation préalable, l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme – recodifié à l’article L. 600-11 – énonce que « les documents d’urbanisme et les opérations mentionnées aux articles L. 103-2 et L. 300-2 ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies aux articles L. 103-1 à L. 103-6 et par la décision ou la délibération prévue à l’article L. 103-3 ont été respectées ». Il résulte de la jurisprudence que la légalité d’une délibération approuvant un plan local d’urbanisme ne saurait être contestée au regard des modalités de la procédure de concertation qui l’a précédée dès lors que celles-ci ont respecté les modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme6. Dans un tel cas, l’insuffisance des modalités de consultation est en conséquence inopérante. De même, le Conseil d’État considère que l’organisation d’autres formes de concertation en sus des modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration de ce document d’urbanisme n’a pas, par elle-même, pour effet d’entacher d’illégalité la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. Toutefois, lorsqu’une telle concertation supplémentaire est organisée, le juge doit rechercher si, eu égard aux conditions dans lesquelles elle s’est déroulée, cette consultation supplémentaire a eu pour effet d’entacher d’irrégularité la procédure de concertation prescrite par l’ancien article L. 300-27.
En revanche, les juges font preuve d’une certaine rigueur dès lors qu’est en cause le respect des modalités de la concertation préalable prévues par la délibération prescrivant l’élaboration du plan local d’urbanisme. Cette rigueur peut notamment s’observer dans l’arrêt Commune de Templeuve de la cour administrative d’appel de Douai du 8 décembre 20118. Dans cette affaire, le conseil municipal avait prévu, dans sa délibération prescrivant la révision du plan local d’urbanisme, la mise en place d’une boîte à idées disponible en mairie et sur internet. Mais finalement, la commune s’était bornée à envoyer deux questionnaires à la population pour faire connaître ses observations. L’absence de mise en place de cette boîte à idées, qui aurait permis – à la différence de ces questionnaires – d’obtenir des réactions spontanées, constitue un vice de procédure qui entachait la légalité de la délibération attaquée. De même, il a été jugé que l’envoi des comptes-rendus des réunions préparatoires aux habitants entache d’irrégularité la procédure d’élaboration d’un plan local d’urbanisme, dès lors que la délibération définissant les modalités de la concertation prévoyait la parution d’une annonce dans un journal local et la mise à disposition d’un registre destiné à recueillir les observations du public9.
Ces solutions pour le moins sévères pouvaient paraître en décalage avec les évolutions jurisprudentielles relatives à la sanction des vices de procédure concrétisées par le célèbre arrêt d’assemblée Danthony du 23 décembre 201110. Abandonnant, à cette occasion, l’ancienne distinction entre les vices de procédure substantiels et les vices de procédure non substantiels, le Conseil d’État avait dégagé un principe général du droit selon lequel « si les actes administratifs doivent être pris selon des formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ». Il en résulte que toute violation d’une règle de procédure n’est pas nécessairement sanctionnée par le juge. Toutefois, les juges posent deux tempéraments à la règle définie par l’arrêt Danthony. Tout d’abord elle ne s’applique pas lorsque le vice allégué a privé l’intéressé d’une garantie, par exemple du respect des droits de la défense11. Ensuite, la règle est écartée lorsqu’est en cause une procédure obligatoire si cette omission a pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte. Ce second tempérament n’ayant pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce, il restait donc à déterminer si l’illégalité commise par la commune, qui n’a pas respecté les modalités de la concertation qu’elle avait définies afin d’associer les associations locales à l’élaboration du plan local d’urbanisme, avait influencé le sens de la décision contestée ou si elle avait privé les administrés d’une garantie.
Le Conseil d’État n’a pas eu encore l’occasion de statuer sur cette question. Relevons toutefois qu’en matière d’urbanisme la juridiction administrative suprême n’hésite pas à recourir à la jurisprudence Danthony dans le but de neutraliser des vices de procédures. Sur ce point, l’arrêt du Conseil d’État du 26 février 2014, Société gestion camping caravaning du 26 février 201412 apparaît assez éclairant. Les juges rappellent ici qu’une commune souhaitant modifier son projet de plan local d’urbanisme avant l’ouverture de l’enquête publique, notamment pour tenir compte de l’avis rendu par une personne publique associée à son élaboration, doit consulter à nouveau l’ensemble des personnes publiques associées, afin que le dossier soumis à l’enquête publique comporte des avis correspondant au projet modifié. Toutefois, les juges estiment que l’omission de cette nouvelle consultation n’est de nature à vicier la procédure et à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique que « si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision ».
C’est le même type de raisonnement, concernant le non-respect des modalités de la concertation préalable, qui a été tenu par la cour administrative d’appel de Bordeaux à l’occasion d’un arrêt Commune de Beaupuy du 27 avril 201713, rendu le même jour que l’arrêt qui fait l’objet du présent commentaire. Dans cette affaire, la commune avait indiqué aux personnes souhaitant s’exprimer l’adresse à laquelle celles-ci devaient transmettre leurs propositions, en créant un lieu de consultation des projets et études afférentes à ce document d’urbanisme, en organisant des réunions publiques et des permanences à la mairie et enfin, en prévoyant des publications au sein du bulletin municipal. Toutefois, les permanences en mairie prévues n’ont pas été organisées et une seule réunion publique a eu lieu. En lieu et place de ces modalités, outre la mise à disposition d’un registre qui n’était initialement pas prévue, les administrés ont eu la possibilité de prendre rendez-vous avec le maire ou ses adjoints, afin de consulter le dossier de plan local d’urbanisme et de discuter avec eux des différents aspects de ce document. En outre, la publication dans le journal communal est intervenue alors que l’enquête publique avait déjà commencé et les informations fournies dans cette publication étaient très générales. Au regard de ces nombreuses entorses aux modalités de la concertation prévues par la commune, la cour a estimé que la population n’a pas pu s’exprimer « sur les objectifs poursuivis par [elle], ainsi qu’en témoigne d’ailleurs le petit nombre d’avis exprimés lors de l’enquête publique ». Cette absence de concertation effective de la population sur ce document d’urbanisme « a privé les habitants d’une garantie et a nécessairement exercé une influence sur le sens de la délibération litigieuse. Elle constitue dès lors une irrégularité de nature à entraîner l’annulation de la délibération en litige ».
Si au cas d’espèce, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejette le recours, elle n’en considère pas moins, dans la logique de la jurisprudence Danthony, que les irrégularités commises dans la procédure de concertation préalable ne doivent pas être systématiquement sanctionnées, dès lors qu’elles n’influencent pas la décision contestée.
C’est la même logique qui est ici appliquée par la cour administrative d’appel de Nancy, mais cette fois-ci pour une application positive de la jurisprudence Danthony. Les juges relèvent, ainsi que « compte tenu de la large publicité donnée à la procédure de concertation à laquelle toute association ou personne intéressée était susceptible de participer utilement, si elle le souhaitait, afin d’émettre des observations ou de poser toute question tant par courrier que par une inscription sur le registre ou lors de la réunion publique voire lors de la permanence du bureau d’étude ouverte postérieurement à la réunion publique, la circonstance que les associations locales ou d’autres « personnes intéressées » au sens de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme n’ont pas été spécifiquement invitées à la réunion organisée 1 mois avant la clôture de la procédure de concertation avec les personnes publiques associées, n’a pas été, en l’espèce, de nature à les priver d’une garantie ni à exercer une influence sur l’adoption du plan local d’urbanisme ». Les juges relèvent ensuite que les autres modalités de la concertation préalable ont été respectées, notamment l’ouverture du registre, l’organisation d’une réunion publique et l’information du public sur la procédure de concertation. La circonstance, sur ce dernier point, que le courrier du maire n’ait été distribué que plusieurs mois après l’ouverture du registre « n’est pas susceptible d’avoir privé la population ou les personnes intéressées d’une garantie ou exercé une influence sur le sens de la décision litigieuse dès lors qu’une large publicité a été donnée à l’ouverture de la procédure de concertation, dès l’origine, et que le courrier du maire en rappelant le détail a été diffusé lorsque le diagnostic territorial avait été formalisé par la commission d’urbanisme de la commune afin de donner un point de départ pertinent aux réflexions sur l’avenir du document d’urbanisme communal ». C’est donc à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme.
II – Contrats et marchés publics
Responsabilité du maître d’œuvre dans le cadre d’un marché de travaux publics
CAA Nancy, 18 avr. 2017, n° 16NC00207, Centre hospitalier Ravenel. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy Centre hospitalier de Ravenel du 18 avril 2017 rappelle plusieurs points de droit concernant la responsabilité des maîtres d’œuvre dans le cadre des marchés de travaux publics.
Le centre hospitalier Ravenel avait fait construire une maison d’accueil spécialisée, opération dont la maîtrise d’œuvre avait été confiée à un groupement d’entreprises constitué de plusieurs sociétés. Le lot n° 2 « gros œuvre » avait été confié à la société Carpentier construction et le lot n° 12 « peinture intérieure – extérieure – nettoyage de finition » à la société Lagarde et Meregnani. Des désordres étant apparus, le centre hospitalier avait demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner les constructeurs à l’indemniser des conséquences de ces désordres. La société Lagarde et Meregnani conteste devant la cour sa condamnation au versement de dommages et intérêts, au titre des fissures en façades et, solidairement avec la société Wig France, venant aux droits de la société Carpentier construction, et avec les maîtres d’œuvre, au titre des désordres affectant les joints extérieurs.
La présente affaire permet à la cour de rappeler les règles de responsabilité appliquées au maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil lors de la réception des travaux (I), dans le cadre de la garantie de parfait achèvement (II) et en cas de défaut de conception de l’ouvrage (III).
I. La responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil lors de la réception des travaux
Le maître d’œuvre dispose d’un devoir de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage qui s’étend sur la totalité de l’opération de construction. Ainsi, il doit assister le maître de l’ouvrage dans le contrôle des situations de travaux servant au calcul des acomptes à verser aux entreprises14. Il doit aussi l’assister lors de l’établissement du décompte général15 mais aussi lors de la réception des travaux. Lors de la réception des travaux, comme le prévoit l’article 41 du CCAG travaux, il lui incombe de procéder à la réception des ouvrages. Ceci implique l’obligation pour lui d’attirer l’attention du maître de l’ouvrage sur les défectuosités des travaux et de lui recommander, dans un tel cas, de ne pas prononcer la réception ou d’émettre des réserves sur les vices apparents. Le manquement à ces obligations entraîne l’engagement de la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans l’arrêt Société Cabinet-Merlin du 28 janvier 201116, cette responsabilité « peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’ « assortir la réception de réserves ». Selon le même arrêt « il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier (…) ». Dans un tel cas, il appartient seulement au juge de s’assurer que le maître d’œuvre aurait pu avoir connaissance de ces vices s’il avait accompli sa mission selon les règles de l’art17.
Dans la présente affaire, les faits de l’espèce permettent d’écarter la responsabilité du maître d’œuvre. Les juges relèvent que les fissures qui sont apparues sur l’ensemble des façades en cours de chantier ont été mentionnées dans les comptes rendus de chantier notamment des 5 octobre 2009, 19 octobre 2009 et 14 décembre 2009. Leur présence est également mentionnée dans le procès-verbal des opérations préalables à la réception établi par le maître d’œuvre le 22 mars 2010, lequel avait proposé au maître d’ouvrage de prononcer la réception avec réserves. Enfin, le procès-verbal de levée des réserves établi par le maître d’œuvre le 26 avril 2010 et signé le même jour par l’entreprise mentionne, au titre des imperfections et malfaçons non corrigées, des « fissures sur façades ». Pourtant, cela n’a pas empêché le maître d’ouvrage, par une décision du 24 août 2010, de prononcer la réception des travaux. La cour conclut que « dans ces conditions, et alors que le maître d’œuvre avait fait toutes diligences pour que des réserves soient prononcées relativement à la présence de fissures en façades, le centre hospitalier Ravenel ne produit aucune explication à la levée des réserves en juillet 2010 alors que les fissures n’avaient, semble-t-il, pas été réparées ». Dès lors, le manquement du maître d’œuvre à son obligation de conseil lors des opérations de réception n’est pas établi.
II. La responsabilité du maître d’œuvre en application de la garantie de parfait achèvement
En application de l’article 44 du CCAG travaux, l’entrepreneur est tenu à une obligation dite « obligation de parfait achèvement » pour une durée en principe d’1 an à compter de la date d’effet de la réception. Il s’agit ici d’une véritable obligation de résultat qui pèse sur les entrepreneurs. En conséquence, il suffit de démontrer, pour que la responsabilité du constructeur soit engagée, que la prestation n’est pas conforme aux prescriptions contractuelles ou aux règles de l’art.
En l’espèce, la cour rappelle que cette garantie s’étend à la reprise, d’une part, des désordres ayant fait l’objet de réserves dans le procès-verbal de réception, d’autre part, de ceux qui apparaissent et sont signalés dans l’année suivant la date de réception. En outre, dans le cas où la réception a été prononcée avec réserves et que celles-ci sont levées, l’effet rétroactif de la levée des réserves a nécessairement pour conséquence de faire regarder la réception comme ayant été donnée sans réserves, ce qui empêche alors le maître d’ouvrage de rechercher la responsabilité de l’entrepreneur sur le terrain de la garantie de parfait achèvement.
C’est à nouveau à propos des fissures apparues sur les façades antérieurement à la réception que vont s’appliquer ces principes. Les juges relèvent ici que Les réserves concernant ces fissures ont été levées, et que par conséquent, le centre hospitalier ne pouvait pas rechercher la responsabilité des entrepreneurs sur le terrain de la garantie de parfait achèvement. En conséquence, la société Lagarde et Meregnani est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a prononcé sa condamnation sur ce fondement.
III. La responsabilité du maître d’œuvre en cas de défaut de conception de l’ouvrage
Cette question se pose cette fois-ci à propos des joints de dilatation en façade qui ne se sont avérés étanches ni à l’air ni à l’eau, ce qui a notamment des conséquences sur le fonctionnement du chauffage. Les juges relèvent que « de tels désordres, qui ne permettent pas d’assurer l’étanchéité du bâtiment, destiné à accueillir une maison d’accueil spécialisée, rendent l’ouvrage impropre à sa destination ».
La question se posait de savoir si ces désordres devaient être imputés aux constructeurs ou au maître d’œuvre. En l’espèce, les juges relèvent que le CCTP du lot « gros œuvre » ne prévoyait pas d’étanchéité à l’air ni aucun traitement d’étanchéité vertical. Par un courriel, le maître d’œuvre avait indiqué à l’entrepreneur qu’il pouvait supprimer les joints de dilatation extérieurs. Par ailleurs, aucune autre entreprise ne s’est vue confier contractuellement cette prestation. Il en résulte que « les désordres affectant les joints de dilatation doivent être regardés comme exclusivement imputables à un défaut de conception de l’ouvrage et non à un défaut dans l’exécution des travaux ». En conséquence, la responsabilité de l’entrepreneur chargé du gros œuvre est écartée au profit de la responsabilité du maître d’œuvre.
Notes de bas de pages
-
1.
JO, 19 juin 2014, p. 10105.
-
2.
V. Talau J.-M, « Revue de détail du permis de construire valant autorisation commerciale : d’un avis du Conseil d’État aux arrêts des cours administratives d’appel », JCP A 2017, 2249.
-
3.
CE, 23 déc. 2016, n° 15NC02351.
-
4.
CE, avis, 23 déc. 2016, n° 398077, Sté MDVP Distribution : Lebon, p. 571 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 24, note Couton X.
-
5.
Préc.
-
6.
CE, 8 oct. 2012, n° 338760, Cne d’Illats : Constr.-Urb. 2012, comm. 172, obs. Santoni L.
-
7.
CE, 25 nov. 2015, n° 372659, Cne de Cazerdane : RDI 2015, n° 2299, obs. Soler-Couteaux P.
-
8.
CE, 8 déc. 2011, n° 10DA01597, Cne de Templeuve : Constr.-Urb. 2012, comm. 23, obs. Cornille P.
-
9.
TA Amiens, 23 févr. 2010, n° 0701889, Assoc. ADDRC et a. : Environnement et dév. durable 2010, comm. 116, obs. Gillig D.
-
10.
CE, 23 déc. 2011, n° 335033, Danthony : AJDA 2012, p. 195, chron. Domino X. et Bretonneau A. ; Dr. adm. 2012, comm. 22, note Melleray F. ; JCP A 2012, 2089, note Broyelle C. ; JCP G 2012, comm. 558, note Connil D. ; RFDA 2012, p. 284, concl. Dumortier G. et note Cassia P.
-
11.
CE, 16 déc. 2013, n°367007, Dépt du Loiret : Lebon T.
-
12.
CE, 26 févr. 2014, n° 351202, Sté gestion camping caravaning : AJDA 2014, p. 477 ; BJDU 3/2014, p. 198.
-
13.
CE, 27 avr. 2017, n° 15BX03797, Cne Beaupré : Constr.-Urb. 2017, comm. 84, note Couton X.
-
14.
CE, 1er oct. 1993, n° 60526, Vergnaud et Gaillard : Lebon T.
-
15.
CE, sect., 6 avr. 2007, n° 264490, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer : Contrats-Marchés publ. 2007, comm. 173, note Pietri J.-P ; BJCP 2007, n° 52, p. 215, concl. Boulouis N., obs. Maugüé C. ; RFDA 2007, p. 724, note Moderne F.
-
16.
CE, 28 janv. 2011, n° 330693, Sté Cabinet-Merlo, : BJCP 2011, p. 90, concl. Boulouis N. ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 68, note Devillers P.
-
17.
CE, 21 oct. 2015, n° 385779, Cne de Tracy-sur-Loire.