Afghanistan : « Il faut nous sauver de cette terreur », supplient avocats et magistrats menacés par les talibans

Publié le 26/08/2021

La France aurait exfiltré 1800 personnes d’Afghanistan depuis l’entrée des talibans à Kaboul. Mais beaucoup de défenseurs des droits de l’homme, avocats, magistrats, journalistes, membres d’ONG ne peuvent pas se rendre à l’aéroport ou bien s’il y arrivent, sont refoulés. Les avocats français remuent ciel et terre pour leur porter secours.

Afghanistan : "Il faut nous sauver de cette terreur", supplient avocats et magistrats menacés par les talibans
Airplane silhouette landing in Kabul, Afghanistan. City arrival with international airport direction signboard and blue sky in background. Travel, trip and transport concept 3d illustration.

« Save my life ! ». Des mails avec cet intitulé, la cellule mise en place par la profession d’avocat pour aider les défenseurs des droits en dangers en Afghanistan en reçoit actuellement 200 par jour. Ils proviennent d’avocats, de magistrats, de  journalistes, de membres d’ONG…. « Plusieurs initiatives ont été initiées lorsque la situation est devenue critique, par exemple le barreau de Marseille a lancé une action intitulée Care pour aider les avocats, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale des magistrats et le syndicat FO-Magistrats sont également mobilisés. Le Conseil national des Barreaux (CNB) et le barreau de Paris ont proposé, avec l’accord de la Conférence des bâtonniers,  de centraliser toutes les demandes d’aide dans notre Observatoire international des avocats en danger qui a l’avantage d’être une structure déjà rodée au traitement de ce type de situation » explique Laurence Roques, présidente de la Commission Libertés Droits de l’homme du CNB et ancienne présidente du SAF.

Terrés pour échapper aux talibans

Il se trouve que CNB a conclu en 2015 une convention avec le barreau Afghan ; le réseau développé sur place lui permet aujourd’hui de suivre la situation au plus près et de proposer de l’aide. Les avocats peuvent également compter sur le cabinet du Ministre de la justice ainsi que sur plusieurs contacts au sein du Ministère des affaires étrangères. «On nous a expliqué que pour permettre l’exfiltration des afghans en danger, il faut communiquer une liste de noms, avec le numéro de passeport et une explication d’une ligne sur le risque de persécution encouru » confie Laurence Roques. Au départ, la cellule de crise recevait très peu de mails, et puis le chiffre est monté d’un coup pour atteindre 200 par jour. Alors, on inscrit les auteurs des appels au secours sur des listes qui sont transmises aux services de l’Ambassade de France sur place, ainsi qu’au Ministère de la justice, également mobilisé et au Ministère des affaires étrangères. Cela permet d’identifier, dans le chaos général, les gens ultra-prioritaires qui sont nommément menacés.  « Le problème c’est que les défenseurs des droits de l’homme, notamment les avocats et les magistrats, ont déjà fui leur domicile  pour échapper aux talibans qui les traquent, ils se terrent et ne peuvent pas prendre le risque d’aller à l’aéroport car les talibans contrôlent les accès » analyse Laurence Roques.

La double peine pour les femmes

 Parmi ces personnalités en danger, il y a le cas de l’avocate afghane Latifa Sharifi, membre de l’association Hawca qui a pour objet principal la protection des droits des femmes. Elle est la seule afghane signalée sur le site de l’Observatoire des avocats en dangers. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit la seule en danger, mais simplement que l’information ne remonte pas. Latifa Sharifi s’est spécialisée en 2009 dans le divorce des femmes victimes de violence. Ce qui lui a valu d’être poursuivie alors qu’elle emmenait ses enfants à l’école, de subir des jets de pierres sur les fenêtres de sa maison et, en 2017, de recevoir une lettre tachée de sang, affirmant “la prochaine sera écrite avec le sang de ton fils ». Latifa Sharifi a alors dû déménager et travailler dans la clandestinité. Le 15 août dernier, alors que les talibans étaient aux portes de Kaboul, elle a tenté de fuir avec sa famille, mais elle a été rejetée de l’aéroport, rapporte le Corriere dela serra.  Le problème pour les femmes avocates et magistrates afghanes, c’est qu’elles vont payer cher la progression de la mixité dans leurs professions respectives. Non seulement elles risquent de ne plus avoir le droit d’exercer, mais elles peuvent être menacées pour avoir attaqué ou condamné des hommes.

« Nous sommes traumatisés et désespérés »

Les mails qui arrivent à la cellule de crise des avocats sont terribles.

« Ma famille et moi sommes traumatisés et désespérés, aucun mot ne peut décrire la peur constante pour notre sécurité et notre vie et celle de notre famille ».

« Il faut nous sauver de cette terreur, j’ai perdu tout espoir de pouvoir me sortir moi-même de cette terreur, je pense aux journées que j’ai passées en France et je me dis que c’est peut-être la dernière fois que j’aurais cela dans ma vie, je vous supplie, sauvez ma vie ! Si vous avez une solution, j’attends votre aide ».

« Depuis 9 jours Kaboul est tombé, ils vont nous demander d’adhérer à leur loi, à chaque appel je pense que c’est un taliban qui va venir chez moi, je ne suis pas en sécurité, je vous demande de m’aider ».

Dans une interview accordée à Europe 1 mercredi 25 aout, Didier Leschi, directeur de l’OFFI (Office français de l’immigration et de l’intégration) a indiqué que la France a exfiltré 1 800 personnes dans le cadre de 10 vols. Il s’agit, a-t-il précisé,  essentiellement de familles, avec un ratio hommes femmes équilibré. Si l’on recoupe ces informations avec celles transmises par le ministère de l’intérieur dans le cadre des référés-liberté plaidés mardi devant le Conseil d’Etat sur la question du sort des familles de réfugiés afghans, il y aurait chaque jour à l’aéroport de Kaboul entre 130 et 250 personnes destinées à être transférées. Toujours selon le ministère de l’intérieur, la France a déjà rapatrié ceux qui ont travaillé pour elle ou des organismes affiliés, de sorte que les personnes qui restent en instance d’exfiltration sont des ressortissants français, des personnels de partenaires de la France, en particulier européens, et des afghans « en risque avéré de mise en danger ».

Le sms de l’espoir

Selon la description de la situation sur place, toujours par le ministère de l’intérieur, les personnes repérées reçoivent un sms de l’ambassade qui vaut convocation et leur permet de franchir les check points talibans et les contrôles américains. Sans garantie, hélas, car  les Américains veulent limiter au maximum la présence des afghans dans l’enceinte de l’aéroport pour des questions de sécurité. Par ailleurs, il faut parvenir à se frayer un chemin dans la foule qui a pris d’assaut l’aéroport. Et compter sur la bonne volonté des talibans.  Joe Biden a confirmé que le retrait des américains serait effectif le 31 aout, ce qui suppose d’évacuer encore 6000 militaires de sorte que tous les autres états occidentaux doivent libérer la place en amont et donc fermer leurs ponts aériens. Le dernier avion français partira donc vraisemblablement ce jeudi….A moins que le risque terroriste élevé signalé par le gouvernement britannique la nuit dernière n’emporte l’annulation de cette dernière chance.

Laurence Roques refuse cependant de désespérer. « Nous allons continuer de renseigner ces listes pour voir comment ces avocats et magistrats pourraient quitter le pays de manière clandestine, afin de les aider à obtenir des visas dans les pays voisins, puis ensuite les accueillir. On espère aussi qu’ils pourront quitter l’Afghanistan quand les vols commerciaux reprendront ».  Pour l’heure, les avocats regrettent le manque d’information. Il semblerait par exemple que le bâtonnier ait été exfiltré en juin mais nul ne sait si c’est exact ni où il se trouve. Il est donc possible qu’il y ait des avocats afghans en France sans que la profession en soit informée. A moins qu’ils ne partent vers d’autres destinations, sachant qu’ils sont essentiellement anglophones. La cellule de crise est en tout cas mobilisée pour les aider à obtenir des visas, réclamer qu’ils aient le droit d’exercer le temps que leur situation soit examinée puis les inscrire au barreau. « C’est déjà ce qu’on avait fait  avec les confrères algériens du temps du FIS, certes, c’était très différent, l’ambassade existait encore, mais on les avait aidés » se souvient Laurence Roques.

L’avocate ne décolère pas à l’idée que tous ces gens se retrouveront bloqués dès jeudi soir. « La situation n’arrive pas brutalement, on savait depuis plusieurs mois que les talibans  allaient gagner, les diplomates ont alerté, on aurait pu commencer ces exfiltrations bien avant».

 

 

 

 

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