Paris (75)

« Il faut développer une culture des droits de l’enfant »

Publié le 26/10/2021

Enfant avec un casque de chantier et un mégaphone, le poing levéLa lutte contre les violences faites aux enfants est une priorité du deuxième mandat de la maire de Paris, Anne Hidalgo. En novembre 2020, cette dernière signait une charte parisienne des droits de l’enfants, élaborée en donnant la parole aux premiers intéressés. Depuis, ces engagements deviennent peu à peu réalité. Trois nouveaux lieux dédiés à la protection de l’enfance devraient ouvrir d’ici peu dans la capitale. L’ancienne Défenseuse des droits des enfants, Dominique Versini, aujourd’hui adjointe au maire chargée des droits de l’enfant, est revenue sur la genèse de cette politique volontariste.

Actu-juridique : Quelle est l’origine de ce plan de lutte contre les violences faites aux enfants ?

Dominique Versini : Défendre les enfants fait partie de mes engagements fondamentaux. Adjointe de 2014 à 2020, j’avais déjà eu à traiter de nombreux sujets liés à la protection l’enfance. J’ai voulu, pendant ce nouveau mandat, m’y consacrer pleinement. Je suis convaincue qu’il faut développer une culture des droits de l’enfant. Cela implique, déjà, de faire prendre conscience de leurs droits à ces derniers. Ils ont le droit d’être protégés, de grandir, d’avoir accès aux soins de santé…

Lorsque j’ai lancé l’idée d’ un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, je pensais plutôt aux violences éducatives et aux violences sexuelles. Les enfants ont ouvert beaucoup d’autres pistes. Nous avons eu, sur ce sujet, une approche transversale car tous les adjoints à la mairie de Paris – par exemple les adjoints au sport, aux crèches, aux personnes handicapées – ont directement ou indirectement pour mission de s’occuper des enfants. Ce plan a été adopté à l’unanimité.

AJ : Comment avez-vous travaillé ?

D.V. : Nous avons organisé une consultation pour les enfants, par laquelle nous les avons formés sur les droits de l’enfant. 170 collégiens de 11 à 15 ans y ont participé. Nous les avons d’abord informés de l’existence de la Convention internationale des droits de l’enfant, et leur avons fait part de notre souhait de les voir rédiger une charte parisienne des droits de l’enfants. Ils pouvaient à cette occasion dire à la mairie de Paris de quelle manière ils souhaitaient être défendus. Ils ont défini six priorités. Leur première demande était de participer aux décisions politiques qui les concernent. Leur deuxième demande, la plus longue, était d’être mieux protégés. Ils ont suggéré que l’on développe une éducation pour les enfants et les adultes sur ce droit, que l’on communique davantage sur toutes les formes de violences. Ils nous ont demandé de financer des associations spécialisées sur les violences familiales, de créer des interventions à ce sujet dans les écoles et les centres de loisirs, d’organiser des réunions avec les enseignants et les éducateurs sur les violences et le harcèlement, de créer un hashtag et des campagnes pour dénoncer les violences faites aux enfants. Ils nous ont également demandé de créer des programmes adaptés pour aider les parents maltraitants à canaliser leur violence. Au sujet des écoles, il ont souhaité que l’on désigne des référents harcèlement dans les collèges et des lycées, qu’il y ait plus de surveillants dans la cour, que l’on sécurise les abords des établissements et qu’on les protège mieux dans les transports en commun car ils ne s’y sentent pas en sécurité. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a signé cette charte et nous sommes en train de la développer point par point.

AJ : Les enfants ont dénoncé en premier lieu le harcèlement…

D.V. : Les chiffres au sujet des violences subies par les enfants sont les suivants : un enfant sur 10 est harcelé, un enfant sur 10 est victime de violences sexuelles. Un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents en France. Le harcèlement est en effet ce dont les enfants ont le plus parlé. Le harcèlement a toujours existé, mais il s’est sophistiqué avec l’arrivée des réseaux sociaux. Ce n’est plus simplement un harcèlement de cour de récréation. On parle d’ailleurs de harcèlement scolaire mais le terme est impropre. Il commence souvent à l’école mais se poursuit au sport, au centre de loisirs, sur les réseaux sociaux.

AJ : Qu’ont-ils dit des violences sexuelles ?

D.V. : Les enfants ne parlent jamais des violences sexuelles, même si elles sont largement répandues. Le livre de Camille Kouchner, La familia grande, montrait bien la mécanique qui les en empêche. Les enfants victimes de violences sexuelles subissent également des violences psychologiques, ne serait-ce que parce que l’adulte leur intime de garder un secret. L’enfant ne sait pas à qui il peut parler. Il peut subir ces violences d’un adulte ou d’un autre enfant : un frère ou une sœur, un camarade de classe. Si elles sont le fait de ses parents, il en parle encore moins.

AJ : Dans quel contexte ont eu lieu vos discussions ?

D.V. : Nos discussions ont eu lieu dans la foulée du mouvement #MeToo pour la libération de la parole sur l’inceste. Des adultes dénonçaient des violences subies dans l’enfance, notamment dans le monde du sport. Cela a été le cas de la championne de patinage artistique, Sarah Abitbol, ou du joueur international de rugby, Sébastien Boueilh, victime de son entraîneur entre 11 et 16 ans, ou encore d’Andréa Bescond, autrice de la pièce de théâtre et du film Les Chatouilles. Le livre de Camille Kouchner est arrivé à la fin de nos travaux. Cela a été un choc, d’autant plus grand que les faits relatés s’étaient produits au sein d’une famille de brillants intellectuels, qui pour notre milieu et notre génération passaient pour des gens inspirants. Ces révélations ont marqué le bout d’un processus au cours duquel plusieurs personnes ont dénoncé ces violences commises dans un grand silence. La société ne tolère plus aujourd’hui l’existence d’enfants violés et dont les viols ne sont pas reconnus. Autre chose : juste après le grand confinement du printemps 2020, une étude menée par plusieurs services de pédiatrie de plusieurs hôpitaux ont montré que le nombre d’enfants entre zéro et cinq ans hospitalisés pour violences a doublé par rapport à la même période dans les années précédentes. Cet enfermement a généré de la violence. Nos travaux ont donc fortement résonné avec l’actualité.

AJ : Comment procédez-vous pour développer la charte ?

D.V. : Nous avons ensuite lancé des ateliers réunissant 250 personnes : des institutionnels, des accompagnateurs, des pédo-psychiatres… Les violences sont un continuum et sont plurielles : elles sont physiques, psychologiques et sexuelles. Elles commencent parfois avant la naissance même de l’enfant, quand une femme enceinte est violentée, et arrivent dans tous les milieux où vit l’enfant : en famille, à l’école, dans les clubs sportifs, dans les conservatoires. Elles peuvent survenir quand un adultes se retrouve en tête à tête avec un enfant. Il peut alors s’autoriser des gestes inappropriés. À Paris, les signalements d’enfants victimes se font généralement par l’école. C’est un endroit où on voit comment vont les enfants. Plus ils évoluent dans des lieux fermés – foyers de l’aide sociale à l’enfance, centre de vacances, institut médico-éducatif –, plus on a du mal à savoir ce qu’ils vivent.

AJ : En quoi consiste cette charte ?

D.V. : Cette charte est le premier plan mis en place par une collectivité sur un tel sujet. Nous avons développé 24 propositions. Les mesures phare peuvent changer le monde. C’est notre devoir d’adultes et d’élus de les porter ! Premièrement, la charte crée une mission des droits de l’enfant qui a pour but d’aller dans tous les arrondissements de Paris afin de présenter aux enfants leurs droits fondamentaux tels que définis par la Convention de New York. Ils doivent savoir que les adultes, même s’il s’agit de leurs parents, n’ont pas le droit de faire n’importe quoi. Si un adulte dépasse les limites, ils peuvent se faire aider. Nous voulons profiter de cet échange pour leur faire connaître les lieux et numéros qui leur seront utiles si un jour ils se trouvent en difficulté. Nous leur distribuons des autocollants à coller partout avec les numéros de secours qu’ils peuvent composer. Le but est que tout le monde, enfants et adultes, les connaissent. Nous avons fait une campagne de communication sur les panneaux d’affichage de la ville avec ces numéros. Lors des ateliers, Andréa Bescond avait dit qu’un enfant qui sait à qui s’adresser est déjà un enfant protégé. Cela m’avait beaucoup marquée. Cette mission de défense des droits de l’enfant a été créée l’an dernier et a déjà été testée dans les Ve, Xe, XIIe et XXe arrondissements de la capitale. Depuis la rentrée scolaire de septembre, elle est étendue à l’ensemble des arrondissements. Nous recrutons 34 jeunes en service civique, formés et encadrés, qui se déploient par binôme dans tous les établissements de nos arrondissement, dans les établissements de l’ASE, les centres pour enfants handicapés, les centres de loisirs. À la fin de notre mandat, dans cinq ans, tous les enfants parisiens en âge d’être informés doivent l’être. Notre mot d’ordre est à la fois de former et d’informer.

AJ : Quels sont les nouveaux lieux qui vont ouvrir ?

D.V. : Nous allons développer en effet plusieurs lieux dédiés à l’accueil des enfants. Nous avons décidé d’ouvrir un établissement spécifique pour les victimes d’inceste dans Paris, car il n’en existait qu’un sur toute la France, la maison « Jean Bru » à Agen, d’une capacité d’accueil de 25 enfants. En général, ces enfant nous sont confiés parce qu’ils ont subi des maltraitances, mais ils n’ont jamais parlé d’inceste spécifiquement. C’est une fois mis à l’abri dans un foyer qu’il va en parler, au bout de quelques mois, à un éducateur dans lequel il a confiance. Seulement, ceux-ci ne sont pas formés à ces questions. Ils doivent l’être car plus on arrive tôt, plus on aide l’enfant. La maison « Jean Bru » a beaucoup produit de littérature et relaté les parcours d’enfants qui avaient réussi à se construire des vies d’adultes épanouis malgré l’inceste. Ouvrir un centre devrait permettre de faire infuser les idées à Paris, de former les professionnels des structures plus classiques. Cela devrait nous aider à former les professionnels de l’ASE à savoir accueillir un enfant victime d’inceste.

Nous avons par ailleurs le projet d’ouvrir un établissement de l’ASE dédié à l’accueil du couple mère-enfant victime de violences conjugales. Les juges le disent : les enfants de femmes violentées le sont également, soit parce qu’ils font l’objet de coups, soit du seul fait d’en avoir été témoins. Cela a des conséquences en termes de traumatisme. L’enfant et sa mère seront donc pris en charge pour six mois renouvelables. Nous aurons une équipe mobile spécialisée qui continuera ensuite de les accompagner et pourra aller à leur domicile faire une évaluation. Enfin, nous allons ouvrir un troisième lieu pour accueillir en journée les enfants victimes de harcèlement et de cyberharcèlement ainsi que leurs familles. Nous allons créer un lieu pour qu’ils soient conseillés, accueillis. En lien avec l’Éducation nationale, nous proposerons des ateliers pour travailler sur les conséquences du harcèlement sur les enfants et les familles.

AJ : Avez-vous l’impression de vivre un changement d’époque, concernant les droits des enfants ?

D.V. : Oui, et on le doit aux anciennes victimes devenues adultes. C’est très difficile d’écrire un livre ou une pièce de théâtre comme certains l’ont fait. Avec le mouvement #MeToo qui s’est saisi de la question de l’inceste, des gens ont osé parlé. J’en ai eu des exemples parmi mes proches ou mes collègues du conseil de Paris. On a la chance de vivre dans une société où enfin on peut parler. Des victimes demandaient depuis des années que la loi sur le consentement soit changée. Avant la loi du mois d’avril 2021 sur les violences sexuelles sur les mineurs et l’inceste, c’était aux enfants de prouver qu’ils n’étaient pas consentants ! Maintenant, l’âge minimum du consentement est de 15 ans et de 18 ans en cas d’inceste. On peut y voir une victoire, ou à l’inverse se demander comment la société a-t-elle pu admettre aussi longtemps qu’un enfant doive prouver qu’il n’ était pas consentant avec son père.

La société écoute de plus en plus les enfants. J’ai été éblouie par ceux qui ont participé à la charte. Quand ils ont confiance en vous, ils vous disent beaucoup de choses. Si on leur dit qu’un comportement n’est pas normal, ils réalisent. On ouvre les portes et les fenêtres en les écoutant.

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