Affaire des prêts libellés en francs suisses : l’épilogue ?

Publié le 21/04/2022
Franc suisse
S J Lievano/AdobeStock

Le contexte de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 mars 2022 a été largement médiatisé. Pour mémoire, dans les années 2000, des banques ont commercialisé des prêts libellés en francs suisses mais remboursables en euros. Or la crise financière de 2008 a provoqué l’envolée du cours du franc suisse, valeur refuge par tradition. Les emprunteurs se sont alors retrouvés avec un capital à rembourser qui avait presque doublé par rapport au montant emprunté. Les emprunteurs français ne sont pas les seuls à avoir fait les frais de ces montages financiers, des centaines de milliers de particuliers dans les pays d’Europe de l’Est comme la Pologne ont également été victimes des prêts en francs suisses. Les déboires financiers de ces consommateurs ont généré un abondant contentieux qui a porté notamment sur la question de savoir si les clauses relatives à l’écart de change étaient abusives. Cela a donné l’occasion à la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur l’interprétation de la directive relative aux clauses abusives face à ces clauses d’écart de change. Néanmoins, en juin 2021, la Cour de justice de l’Union européenne s’est enfin prononcée dans des affaires qui impliquaient les prêts Helvet Immo, commercialisés en France par BNP Paribas Personal Finance. Elle s’est prononcée dans un sens plutôt favorable aux emprunteurs et cette jurisprudence commence à porter ses fruits comme en témoigne l’arrêt du 30 mars 2022.

Cass. 1re civ., 30 mars 2022, no 19-17996

L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 30 mars 2022 entraînera des répercussions au-delà de l’affaire qui en a fait l’objet. Ainsi, plutôt que de parler d’un épilogue, il serait sans doute plus approprié de dire qu’un nouveau chapitre s’ouvre pour les « victimes » des emprunts en francs suisses.

Pour rappel, nous parlons ici des prêts immobiliers Helvet immo, commercialisés par la BNP Paribas principalement en 2008 et 20091. Pour rappel, ces contrats de crédit prévoient que l’emprunt est libellé en francs suisses, mais le capital est versé aux emprunteurs en euros, lesquels remboursent également en euros. Néanmoins, chaque échéance donne lieu à une opération de change, or le risque de change est supporté par l’emprunteur. Dès lors, il suffit que le cours du franc suisse monte pour que l’emprunteur voie augmenter de manière exponentielle le montant du capital à rembourser. Certes, cette aggravation des obligations financières du débiteur n’est pas immédiatement perceptible car le contrat prévoit que le montant des mensualités est fixe, mais selon que le franc suisse évolue à la hausse ou à la baisse par rapport à l’euro, l’amortissement du capital est plus ou moins long. En d’autres termes, si le cours du franc suisse augmente, l’amortissement du capital sera plus long et conduira à rajouter des mensualités. En outre, si le maintien du montant des règlements en euros ne permet pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités sera déplafonné pour permettre le remboursement.

Il faut admettre qu’un tel montage ne présente pas trop de risque lorsqu’il y a une parité stable entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement tel que ce fut le cas jusqu’à la crise financière de 2008. Mais, depuis lors, le cours du franc suisse n’a cessé d’augmenter, ce qui n’a pas manqué de faire peser sur les emprunteurs des obligations financières de plus en plus lourdes.

Les intéressés ont évidemment tenté de remettre en cause leurs contrats, certains en invoquant un vice de consentement, ou le manquement de la banque à son obligation d’information, ou bien, plus souvent, le caractère abusif des clauses relatives aux modalités de calcul et de paiement des mensualités de remboursement.

Toutefois, ces arguments n’ont pas rencontré le succès attendu2, les arrêts de la Cour de cassation se sont succédé sans véritablement apporter de réponse satisfaisante quant à la question de savoir si les clauses litigieuses étaient ou non abusives ; jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) saisie de plusieurs questions préjudicielles rende deux arrêts, largement commentés, le 10 juin 20213 et qui, selon les commentateurs, allaient conduire les tribunaux français à infléchir leur jurisprudence4.

Quant au législateur français, force est de reconnaître qu’il n’a pas attendu aussi longtemps pour réagir. La loi du 26 juillet 20135 a introduit dans le Code de la consommation l’article L. 313-64 retouché par l’ordonnance du 25 mars 20166 (en vigueur depuis le 1er juillet 2016) qui prévoit que les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise étrangère, remboursables en euros ou dans la devise concernée, « que s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur ». Malheureusement, la loi n’étant pas rétroactive, cela n’a été d’aucun secours aux victimes de ces prêts toxiques.

C’est dans ce contexte qu’a été rendu l’arrêt du 30 mars 2022. La Cour de cassation reprend in extenso certains passages de la décision de la CJUE pour étayer son raisonnement.

En réalité, l’affaire qui vient d’être jugée n’est pas terminée puisqu’il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de trancher au fond. En outre, c’est le deuxième arrêt de cassation prononcé dans cette affaire qui dure depuis près de dix ans.

En l’espèce, en 2008, un couple avait financé l’acquisition de biens immobiliers avec des prêts souscrits auprès de BNP Paribas Personal Finance et libellés en francs suisses et remboursables en euros. Face à l’envolée du franc suisse et ses conséquences, contre lesquelles il estimait ne pas avoir pas été averti, le couple avait d’abord engagé une action à l’encontre de la banque pour manquement à ses obligations contractuelles. Cependant, les juges du fond avaient rejeté leur demande. La Cour de cassation, dans un premier arrêt du 16 mai 20187, avait censuré la décision de la cour d’appel, non pas sur le terrain du manquement au devoir d’information mais sur celui des clauses abusives. Effectivement, elle avait jugé qu’il incombait à la cour d’appel, qui disposait de tous les éléments de fait et de droit, de rechercher d’office si la clause d’écart de change n’avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur, « à supposer que la clause litigieuse ne définisse pas l’objet principal du contrat ou, dans le cas contraire, qu’elle ne soit pas rédigée de façon claire et compréhensible ». Cette solution n’était pas nouvelle8, et elle était conforme à la jurisprudence de la CJUE qui a consacré l’obligation du juge national d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires9. On pouvait alors s’attendre à ce que la cour d’appel de renvoi examine le caractère abusif des clauses définissant les modalités de calcul des échéances, mais, en réalité, elle s’est défaussée du problème en déclarant irrecevables comme prescrites les demandes relatives à la reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses des contrats Helvet immo, car l’action était intentée plus de cinq ans après l’acceptation de l’offre de prêt. Parallèlement, devant la cour d’appel, les emprunteurs avaient renouvelé leur argumentation visant à engager la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation d’information. Ces prétentions ont également été rejetées par les juges du fond au motif que les informations données par la banque étaient suffisamment précises.

Dans son arrêt du 30 mars 2022, la Cour de cassation censure la cour d’appel sur ces deux points.

D’une part, reprenant mot pour mot la position de la CJUE, la haute juridiction énonce que la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 du Code de la consommation (devenu L. 212-1 et L. 241-1 du même code) n’est pas soumise à la prescription quinquennale. La messe est dite, la cour d’appel de renvoi devra donc se prononcer sur le caractère abusif des clauses litigieuses (I). D’autre part, et de manière plus novatrice, la Cour de cassation considère que la cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision quant à l’absence de manquement de la banque à son obligation d’information. La Cour de cassation pose des exigences telles que l’on pourrait penser qu’il faille vérifier que la banque avait bien mis en garde les emprunteurs quant aux risques encourus (II).

I – Recevabilité de l’action en constatation du caractère abusif des clauses du contrat de prêt… et la suite ?

A – Action imprescriptible

Dans son arrêt du 10 juin 2021 rendu dans les affaires C-776/19 à C-782/19, la Cour de Luxembourg s’est fondée sur le principe d’effectivité pour justifier que la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs s’oppose à une réglementation nationale qui soumet à un délai de prescription l’introduction par un consommateur d’une demande en constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat qu’il a conclu avec un professionnel10.

En effet, le principe d’effectivité implique, s’agissant de la sanction des clauses abusives, que chaque État membre dispose d’une marge de manœuvre quant au choix du dispositif permettant de faire déclarer les clauses abusives. Ainsi, la CJUE reconnaît que les voies de recours possibles ouvertes au consommateur puissent être encadrées par des normes particulières de procédure. Néanmoins, ces modalités procédurales ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par les textes communautaires11. Or, si l’on impose un délai de prescription, cela revient à priver le consommateur de son droit à ne pas être lié par ces clauses qui doivent être considérées, en principe, comme n’ayant jamais existé. Cette position s’accorde parfaitement avec l’idée avancée par certains auteurs selon laquelle puisqu’une clause abusive est réputée non écrite, c’est-à-dire inexistante, une telle sanction échappe à toute prescription12.

D’ailleurs, la CJUE avait déjà considéré que la directive relative aux clauses abusives ne s’opposait pas à une disposition du droit roumain qui prévoyait l’imprescriptibilité de l’action visant à voir reconnaître le caractère abusif d’une clause13.

Quoi qu’il en soit, dans l’arrêt sous commentaire, la Cour de cassation reprend la solution posée par la CJUE et soustrait l’action en constatation du caractère abusif d’une clause dans un contrat de consommation à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce.

Ainsi, la constatation du caractère abusif, par voie d’exception ou par voie d’action, est imprescriptible.

À y regarder de plus près, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se positionne ainsi. Elle a déjà écarté la prescription quinquennale dans une précédente espèce en retenant que le réputé non écrit est une sanction distincte de la nullité14.

Ici, il ne revenait pas à la Cour de cassation de dire si la clause litigieuse était abusive. La cour d’appel de renvoi devra se prononcer sur ce point.

B – Les questions qui se poseront devant la cour d’appel de renvoi

À cet égard, nul doute que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg devrait l’inspirer.

Certes, les clauses qui décrivent le mécanisme de prêt en devises étrangères sont relatives à l’objet du contrat et se trouvent à ce titre soustraites à la qualification de l’abus dès lors qu’elles sont claires et compréhensibles, conformément à l’article 4, paragraphe 2, de la directive n° 93/13/CEE15. L’appréciation de l’abus est donc subordonnée à ce que la clause manque de transparence. À cet égard, le standard de la CJUE est un niveau au-dessus de celui des juges français, ces derniers semblant davantage se contenter d’une clarté formelle16.

Pour les juges de la CJUE, décrire intelligiblement le fonctionnement de la clause d’écart de change ne permet pas de mettre le consommateur en mesure de comprendre concrètement le fonctionnement des prêts en devises étrangères ni d’en mesurer les conséquences économiques. Il faut que la clause soit rédigée de sorte que le consommateur prenne conscience du risque de change, de son ampleur et des conséquences qui en résultent quant au poids de sa dette, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie de paiement17.

À vrai dire, à suivre le raisonnement de la CJUE, les juges français devraient prendre en compte trois critères pour apprécier la transparence18 :

  • l’existence de notices explicatives avec des simulations chiffrées fondées sur des données suffisantes pour que le consommateur moyen prenne réellement la mesure des risques encourus en souscrivant un prêt libellé en devises étrangères ;

  • le langage utilisé devant mettre en avant le risque inhérent à de telles opérations ;

  • l’existence d’une condamnation pour pratique déloyale.

En l’espèce, à la lecture des moyens annexés à l’arrêt, les simulations n’auraient pas porté sur des hypothèses de forte dépréciation de l’euro, et, par ailleurs, les termes « risque de change » ne figureraient dans aucun des documents fournis. Parallèlement, le demandeur au pourvoi reprochait aux juges du fond de ne pas avoir pris en compte les pièces du dossier d’instruction et l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Effectivement, il est important de souligner que, sur le plan pénal, le 26 février 2020, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu que la BNP s’était rendue coupable d’une pratique commerciale trompeuse19.

Il y a donc de fortes chances pour que le caractère clair et transparent des clauses incriminées soit sérieusement discutable ! Il appartiendra néanmoins à la banque de tenter de le démontrer20.

Dès lors, la deuxième étape du raisonnement conduit à s’interroger sur le caractère abusif desdites clauses. Autrement dit, reste à vérifier qu’elles créent au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

Là encore, la jurisprudence de la CJUE sera éclairante. Cette dernière a en effet considéré que « les clauses d’un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l’euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu’il soit plafonné, sur l’emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses »21.

En parallèle, le pourvoi invoquait un manquement de la banque à son devoir d’information pour obtenir réparation.

II – Manquement de la banque à son obligation d’information et indemnisation du préjudice

Selon toute probabilité, la cour d’appel de renvoi ne pourra que reconnaître une défaillance de la banque et la condamner à réparer mais l’indemnisation de la perte de chance sera-t-elle satisfaisante pour les plaideurs ? Ne faudrait-il pas explorer davantage les conséquences du caractère abusif des clauses d’écart de change ?

A – Manque de transparence et défaut d’information

Selon la Cour de cassation, la banque qui consent un prêt libellé en devises étrangères est tenue de fournir à l’emprunteur des informations « suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où celui-ci est domicilié et d’une hausse du taux d’intérêt étranger ».

Surtout, il est intéressant de noter que l’attendu de la Cour de cassation est la copie conforme de la conclusion de la CJUE dans son arrêt du 10 juin 2021 quant à l’exigence de transparence des clauses. Ainsi, une information qui n’est pas susceptible de mettre l’emprunteur en mesure d’apprécier les risques de change n’est pas une information suffisante.

L’obligation d’information prend ici des allures de devoir de conseil ou de mise en garde.

La motivation de la cour d’appel était particulièrement soignée pour rejeter l’argumentation des demandeurs aux pourvois. Elle avait notamment, de manière implicite, bien distingué l’information qui est neutre et descriptive de la mise en garde contre un risque d’endettement excessif, retenant à cet égard que l’on ne saurait exiger « de la banque qu’elle évalue, très précisément et de manière chiffrée, un risque d’endettement sur la base d’un cours dont elle ne contrôle pas les fluctuations ».

À cet égard, on se souvient que la Cour de cassation avait exclu tout devoir de mise en garde contre le risque de change en précisant qu’un tel devoir est limité au risque d’endettement excessif par rapport aux facultés contributives de l’emprunteur22.

Les demandeurs au pourvoi avaient d’ailleurs pris soin d’éviter toute référence à une quelconque obligation de mise en garde pour se cantonner à l’information et à son manque de transparence. Mais la conception de la transparence par la CJUE implique la mise en garde sur les conséquences d’une dépréciation importante de la monnaie de paiement par rapport à la monnaie de compte. La Cour de cassation, reprenant à son compte cette conception, pourrait bien ici avoir contribué à l’émergence d’une obligation de mise en garde particulière sur les risques financiers résultant des opérations de change.

Quoi qu’il en soit, on s’aperçoit en l’espèce que le devoir d’information (et/ou de mise en garde) et le contrôle des clauses abusives tendent au même but ; à savoir, l’équilibre des relations contractuelles entre professionnel et consommateur. Si la cour d’appel de renvoi conclut au caractère abusif des clauses incriminées, elle ne pourra que constater que la banque a failli à son obligation. Dès lors, celle-ci verra sa responsabilité engagée et il conviendra d’envisager la compensation dont elle sera redevable.

Il faudrait indemniser la perte d’une chance de ne pas avoir conclu un contrat de crédit en euros.

Cela étant, si on mène une réflexion prospective, les plaideurs n’auraient-ils pas aussi une action restitutive, conséquence de la sanction des clauses abusives ?

B – Quelle satisfaction pour les plaideurs ?

À vrai dire, dès lors que l’on admet que les clauses qui décrivent les modalités de remboursement des prêts en francs suisses sont abusives, celles-ci doivent être réputées non écrites23. Il résulte de l’article 6, paragraphe 1, de la directive relative aux clauses abusives, transposé à l’article L. 242-1 du Code de la consommation, que le consommateur ne saurait être lié par une clause abusive et que le contrat qui en est expurgé subsiste entre les parties. Néanmoins, encore faut-il que le contrat puisse subsister sans la clause. À défaut, le contrat lui-même est anéanti. S’agissant des critères permettant de déterminer si un contrat peut subsister sans la clause jugée abusive, la CJUE a rappelé dans un arrêt de 2019 que cette appréciation relève du juge national au regard des critères prévus par le droit national24.

Or les clauses décrivant le mécanisme de remboursement du prêt et les clauses d’écart de change participent à l’objet du contrat. À ce sujet, la Cour de cassation a considéré dans une affaire jugée en mars 2019 qu’un contrat de crédit ne peut pas subsister sans une clause de taux abusive25, mais elle a aussi approuvé dans cette affaire les juges du fond qui avaient substitué le taux légal. Or, cette jurisprudence n’est pas conforme à la position de la CJUE qui considère que la seule exception à la suppression pure et simple de la clause abusive concerne l’hypothèse dans laquelle le contrat ne pourrait subsister sans cette clause, mais uniquement si cette annulation globale du contrat était de nature à pénaliser le consommateur. Dans ce cas, seulement, le juge pourrait substituer à la clause, déclarée abusive, les dispositions supplétives nationales26.

En l’espèce, il n’est pas certain que l’annulation du contrat soit préjudiciable au consommateur qui devra simplement restituer le montant initial perçu et non le montant réactualisé à la suite de l’envolée du franc suisse. Rappelons en effet que la restitution consécutive à l’annulation d’un contrat de prêt n’a pour fonction que de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient préalablement à la conclusion du contrat27. Les emprunteurs devraient donc se voir restituer les sommes correspondant aux intérêts et autres sommes indûment perçues en raison de l’écart de change, en cas de déplafonnement des échéances.

Toutefois, il faut souligner que si la Cour de Luxembourg s’est opposée à ce que l’action en constatation du caractère abusif d’une clause soit soumise à un délai de prescription, il n’en va pas de même pour l’action en restitution. Cela veut-il dire que l’action sera prescrite en application de l’article 2224 du Code civil dès lors qu’elle serait intentée plus de cinq ans après l’acceptation de l’offre de prêt ? Rien n’est moins sûr. Effectivement, la CJUE a précisé qu’un tel point de départ du délai de prescription serait contraire au principe d’effectivité et irait à l’encontre des articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la directive relative aux clauses abusives28.

L’avenir semble donc sourire aux emprunteurs.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. Bauer, « Affaire Helvet Immo : les prêts toxiques qui ont broyé des vies », LPA 20 mai 2020, n° LPA153y7.
  • 2.
    M. Roussille, « Affaire des prêts en francs suisses : le flop ! », GPL 8 mars 2016, n° GPL259k5 ; M. Roussille, « L’affaire Helvet Immo et l’épineuse question des clauses abusives dans les prêts en devises », GPL 13 juin 2017, n° GPL297f0 ; T. Samin et S. Torck, « Les prêts Helvet Immo à l’épreuve du droit consumériste », RD bancaire et fin. 2017, comm. 144.
  • 3.
    CJUE, 10 juin 2021, n° C-609/19 : Dalloz actualité, 25 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; JCP G 2021, 689, obs. D. Berlin – CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/1 : JCP G 2021, 689, obs. D. Berlin ; RDC sept. 2021, n° RDC200f8, note G. Cattalano.
  • 4.
    En ce sens, v. not. RDC sept. 2021, n° RDC200f8, note G. Cattalano.
  • 5.
    L. n° 2013-672, 26 juill. 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires : JO, 27 juill. 2013.
  • 6.
    Ord. n° 2016-351, 25 mars 2016, sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation : JO, 26 mars 2016.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 16 mai 2018, n° 17-11337, FS-PB : DEF 14 juin 2018, n° DEF137k8.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 29 mars 2017, nos 16-13050 et 15-27231 : D. 2017, p. 1893, note C. Kleiner ; AJ contrat 2017, p. 278, obs. B. Brignon ; RTD civ. 2017, p. 383, obs. H. Barbier.
  • 9.
    CJCE, 4 juin 2009, n° C-243/08 : D. 2009, p. 2312, note G. Poissonnier ; LPA 8 déc. 2009, p. 8, note G. Pignarre, S. Pimont, O. Gout, et L. Clerc-Renaud.
  • 10.
    CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pts 28 à 38.
  • 11.
    CJCE, 16 mai 2000, n° C-78/98, Preston : Rec. CJCE, p. I-3201, pt 31 ; D. 2000, IR, p. 167.
  • 12.
    J. Mestre, « Des clauses réputées non écrites », RTD civ. 1988, p. 736.
  • 13.
    CJUE, 9 juill. 2020, nos C-698/18 et C-699/18 : AJ contrat 2020, p. 449, obs. V. Legrand.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169 : RDC sept. 2019, n° RDC116f3, note G. Cattalano ; D. 2019, p. 1033, note A. Etienney – V. aussi Cass. 1re civ., 2 févr. 2022, n° 20-10036, inédit.
  • 15.
    CJUE, 30 avr. 2014, n° C-26/13 : GPL 19 juin 2014, n° GPL182a7, note S. Piedelièvre – CJUE, 20 sept. 2017, n° C-186/16 : D. 2017, p. 2401, note J. Lasserre Capdeville.
  • 16.
    Encore récemment, v. CA Colmar, 9 mars 2022, n° 19/03060, qui se contente d’une analyse sommaire de la clarté et de l’intelligibilité grammaticale d’une clause d’écart de change.
  • 17.
    CJUE, 10 juin 2021, n° C-609/19, pts 46 et s. et CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pts 66 à 72.
  • 18.
    CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pts 73 à 76.
  • 19.
    T. corr. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010 : GPL 9 juin 2020, n° GPL379y4, note J. Morel-Maroger ; LPA 27 mai 2020, n° LPA154a7, note C. Constantin-Vallet ; v. également G. Cattalano, « Nouvel épisode dans l’affaire Helvet Immo : la banque jugée coupable de pratique commerciale trompeuse », RDC sept. 2020, n° RDC116z1.
  • 20.
    CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pt 80, qui soumet la charge de la preuve du caractère clair et transparent au professionnel.
  • 21.
    CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pt 103.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 3 mai 2018, n° 17-13593 : AJ contrat 2018, p. 284, note B. Brignon ; JCP G 2018, p. 671, note J. Lasserre-Capdeville.
  • 23.
    C. consom., art. L. 242-1.
  • 24.
    CJUE, 3 oct. 2019, n° C-260/18 : AJ contrat 2019, p. 554, note V. Legrand.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169 : RDC sept. 2019, n° RDC116f3, note G. Cattalano.
  • 26.
    CJUE, 3 mars 2020, n° C-125/18 : AJ contrat 2020, p. 242, note V. Legrand.
  • 27.
    En ce sens, v. récemment Cass. 1re civ., 25 nov. 2020, n° 19-14908 : LEDC janv. 2021, n° DCO113q6, obs. O. Robin-Sabard.
  • 28.
    CJUE, 10 juin 2021, nos C-776/19 à C-782/19, pts 45 à 48.
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