F. Visnovsky : « Globalement, nous avons retrouvé le niveau d’activité d’avant-crise » !

Publié le 20/04/2022

Avec une croissance de 7 % en 2021, l’économie française a fait face à la crise sanitaire. Grâce aux dispositifs de la politique dit du « quoi qu’il en coûte », les entreprises ont bénéficié d’un afflux de trésorerie pour surmonter ce choc économique. Globalement, le niveau d’activité actuel correspond à celui de début 2020. Aujourd’hui, l’heure est à l’accompagnement de la sortie de crise pour les secteurs plus durement frappés. Les entreprises en difficultés bénéficient de solutions adaptées à leur situation. C’est le cas notamment pour celles qui ont eu recours au prêt garanti par l’État (PGE). Elles peuvent notamment restructurer leur PGE, auprès de la médiation du crédit. Le point sur la situation avec Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit à la Banque de France.

Actu-Juridique : Quel est votre sentiment sur la situation économique actuelle après la crise sanitaire ?

Frédéric Visnovsky : Du fait des décisions de confinement, la crise sanitaire avait produit une chute d’activité très importante. Le produit intérieur brut a baissé de 8 % en 2020. La politique du « quoi qu’il en coûte » a permis d’avoir un afflux de trésorerie pour les entreprises. Au total, 230 Mds€ d’aides ont été distribués, à travers différentes mesures : la prise en charge du chômage partiel ou des coûts fixes, des mécanismes de subvention avec notamment le fonds de solidarité ou encore des dispositifs de prêt comme le prêt garanti par l’État (PGE) ou les reports de charges fiscales et sociales. L’objectif était de maintenir les activités et les emplois. Les effets escomptés se sont produits. En 2021, la reprise a été très forte avec une croissance de 7 %.

Mais cette vision est globale. C’est important aussi de regarder les situations sectorielles. Les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et de l’événementiel ont subi un choc très important. Ils ont été le plus concerné par les fermetures. Pour eux, la reprise n’est pas aussi rapide que le reste de l’économie. Au-delà des secteurs, il peut aussi y avoir des différences entre les entreprises. Certaines peuvent être plus fragiles que d’autres. Dans les sociétés concernées par nos analyses, c’est-à-dire un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 €, la situation est beaucoup moins défavorable que ce qui était attendu. Les défaillances ont fortement baissé, en 2020 et cette tendance a continué en 2021.

AJ : Avec le recul aujourd’hui, à quel niveau pouvez-vous placer cette crise dans l’histoire de l’économie ?

Frédéric Visnovsky : Nous n’étions pas dans une crise économique ou financière, à la différence des crises connues auparavant. En 2007-2008, nous avons eu des dysfonctionnements financiers et économiques. Concernant 2020, pour gérer la crise sanitaire, l’État a arrêté l’économie, notamment avec le confinement. Les entreprises sont entrées dans cette crise avec une amélioration de leur marge et de leur situation financière, d’après un rapport de l’Observatoire du financement des entreprises publié fin 2019. Elles étaient en bonne santé. Face à cette situation, la politique d’afflux de trésorerie devait permettre de passer la période d’inactivité pendant la crise sanitaire. En sortie de crise, les emplois sont maintenus et la machine économique peut repartir. C’est ce qui s’est passé. Pour les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, ils ont perdu des emplois. Selon une étude de l’INSEE, plus de 200 000 emplois ont été perdus dans ces domaines. De manière générale, les secteurs d’activité ont été touchés de manière inégale.

Autre phénomène qui rend cette crise atypique. D’habitude, quand le PIB baisse, l’investissement chute deux fois plus. En 2020, l’investissement a enregistré une diminution de 8 %, similaire au PIB. Cette crise est atypique car elle n’a pas affecté les fondamentaux de l’économie. Ce côté inédit de cette crise explique aussi le rebond très rapide. Nous sommes passés de – 8 % à + 7 % de croissance. Nous avons globalement retrouvé le niveau d’activité d’avant-crise.

AJ : Deux ans après la signature des premiers prêts garantis par l’État (PGE), quel bilan dressez-vous de ce dispositif ?

Frédéric Visnovsky : C’est un dispositif inédit. La capacité dans une crise est d’apporter des réponses adaptées à la situation. C’était une crise particulière, il fallait donc inventer des dispositifs particuliers. Le prêt garanti par l’État (PGE) avait une idée très simple : privées de rentrées de trésorerie pendant le premier confinement, les entreprises peuvent bénéficier d’un prêt jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires. Ce crédit a une durée d’un an, transformable au choix de l’entreprise en crédit à six ans. Le coût total est plafonné à 2,5 % selon les engagements pris par les banques.

Au bout d’un an, la société peut choisir de rembourser si l’activité a repris ou elle peut décider d’étaler son remboursement sur cinq ans. Par rapport à la durée de la crise, les banques ont accepté aussi de repousser d’une année supplémentaire le début du premier remboursement du capital. c’est-à-dire au printemps 2022 pour les prêts octroyés en 2020. Cet afflux massif de trésorerie a donc apporté de la souplesse, qui permet aujourd’hui de tenir compte de la situation de chaque entreprise en sortie de crise, en fonction de ses perspectives.

AJ : Quelle est la situation aujourd’hui des PGE et de leur gestion par les entreprises ?

Frédéric Visnovsky : Aujourd’hui, 700 000 entreprises ont bénéficié d’un PGE ce qui représente un total de 143 Mds€ prêtés. Nous avons entre 15 et 16 % des entreprises qui ont intégralement remboursé leur PGE à l’issue de la première année. Puis, nous avons 35 % des sociétés bénéficiaires qui ont commencé leur remboursement en 2021. Par conséquent, il y en a la moitié qui ont commencé à rembourser à l’issue des deux années. Mais l’entreprise est maître de son choix d’étalement. Elle peut décider de rembourser jusqu’à six ans. Les 50 % des sociétés, qui n’ont pas encore commencé à rembourser, ont signé un avenant à leur contrat. Cet avenant détermine leur manière de rembourser le PGE. Elles ont demandé une deuxième année mais elles se sont engagées à commencer à rembourser en avril ou mai 2022, en fonction de la signature de leur PGE en 2020. Pour une société qui a obtenu un PGE en 2021, elle bénéficie d’un an sans remboursement et peut choisir de débuter le remboursement en 2022 ou de le repousser en 2023. Enfin, si une entreprise décide de modifier son avenant, nous en venons à la restructuration.

AJ : Justement des décisions ont été prises au mois de janvier 2022 concernant les PGE des entreprises les plus en difficultés. En quoi consiste ces décisions et quel rôle va jouer la médiation du crédit ?

Frédéric Visnovsky : 90 % des prêts garantis par l’État ont été accordés à des très petites entreprises (TPE) de moins de dix salariés. Une procédure devant le tribunal n’est donc pas nécessairement la plus appropriée pour une TPE en difficulté, qui a souscrit un PGE. Pour ces petites sociétés, qui ont contracté un PGE jusqu’à 50 000 €, un système particulier a été mis en place. Le principe est de faire une restructuration du PGE, dans le cadre de la médiation du crédit. Avec l’indépendance de la Banque de France, nous assurons une garantie d’équité et de sérieux dans le traitement, de manière équivalente à ce qu’aurait fait un juge. L’idée est d’éviter de passer par le tribunal pour ces petites entreprises pour restructurer leur PGE, dès lors qu’elles en auraient effectivement besoin. Des conditions ont été fixées, en fonction des situations de chaque société.

AJ : Concrètement, qu’est-ce que le traitement des entreprises au cas par cas dans le cadre de la sortie de crise ?

Frédéric Visnovsky : Traiter les entreprises au cas par cas, c’est l’opposé de la politique du « quoi qu’il en coûte ». Pendant la crise sanitaire, c’était un soutien massif à l’ensemble des entreprises, même s’il y avait des critères. Maintenant, le sujet, ce sont les secteurs encore fragilisés. L’État a donc maintenu un certain nombre de dispositifs notamment pour les secteurs dits S1 et S1 bis. Le « quoi qu’il en coûte » continue de s’appliquer de manière sélective.

Sinon, le principe est celui du plan d’accompagnement à la sortie de crise, lancé en juin 2021, qui permet d’accompagner les entreprises en difficulté et fragilisées. La réponse est adaptée à leur propre situation. La stratégie est de détecter ces sociétés avec un point d’entrée unique avec les conseillers départementaux à la sortie de crise. Il y en a un dans chaque département, qui dépend de la direction générale des finances publiques (DGFip). Il est chargé de regarder la situation sensible de ces entreprises et de leur proposer des solutions à partir d’une boîte à outils. Il y a le PGE maintenu jusqu’au 30 juin 2022, l’étalement des dettes fiscales et sociales, le fonds de transition de 3 mds€ pour les entreprises de taille intermédiaire et un allègement des procédures judiciaires.

AJ : Existe-t-il selon vous un risque autour de l’endettement des entreprises ?

Frédéric Visnovsky : Nous estimons qu’il n’y a pas de risque global. Si nous prenons les chiffres, nous sommes à peu près à l’équilibre. Nous avons 200 Mds€ de dette supplémentaire et 200 Mds€ d’euros de trésorerie en plus. Ce sont des chiffres globaux. En fonction des secteurs et des entreprises, la situation peut être différente. Nous avons réalisé une analyse en regardant les sociétés qui ont connu une augmentation de l’endettement et une baisse de la trésorerie. Ce sont près de 10 % des entreprises qui rencontrent cette situation. Nous faisons aussi régulièrement une analyse pour le Trésor sur le risque de perte lié aux PGE. Compte tenu de la reprise et de l’évolution de l’économie, nous sommes sur des taux de perte de 3 à 3,5 % pour l’État. Les banques sont sur un risque de défaut sur les PGE autour de 4 %.

AJ : Quelles sont les perspectives pour 2022 ?

Frédéric Visnovsky : L’un des enjeux est de réussir la sortie de crise, qui sera possible si le niveau de croissance demeure élevé alors que les prévisions de la Banque de France sont de 3,6 % en 2022 et 2,2 % en 2023 (et il faudra désormais tenir compte aussi des effets de la crise ukrainienne).

Le second enjeu, c’est la détection des entreprises en difficulté pour leur proposer des solutions avant qu’il ne soit trop tard. Il y a toujours le risque du déni du dirigeant, qui attend le dernier moment, même si c’est plus simple psychologiquement pour un entrepreneur de passer par une procédure de médiation, que d’aller au tribunal.

Enfin, il faudra surveiller les difficultés d’approvisionnement qui ont pesé dans certains secteurs en 2021. La situation semble s’améliorer dans la période récente. Face à cette situation, nous avons élargi les missions du comité de crise sur les délais de paiement qui s’est transformé en comité d’action sur l’approvisionnement et les conditions de paiement. Il y aussi les difficultés de recrutement qui restent un phénomène récurrent dans plusieurs domaines d’activité.