Le financement de l'accession à la propriété et la responsabilité du banquier

Le contrat de construction de maison individuelle : une stipulation contre le banquier prêteur ?

Publié le 25/01/2021

Le contrat de construction de maison individuelle (CCMI) obéit à des règles d’ordre public contenues au sein du Code de la construction et de l’habitation. Dès lors que le maître de l’ouvrage a recours à un emprunt pour financer son projet, le banquier prêteur veillera à respecter certaines obligations spécifiques. La loi comme la jurisprudence lui font tenir en effet une place particulière au sein de cet ensemble contractuel constitué du CCMI et du contrat de prêt.

1. Un contrat dirigé1. Le contrat de construction de maison individuelle (CCMI) est une variété du louage d’ouvrage qui a spécifiquement pour objet « la construction d’un immeuble à usage d’habitation ou d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation ne comportant pas plus de deux logements »2. Il est encadré par le Code de la construction et de l’habitation (CCH) lequel régit au sein d’un titre troisième de son livre deux, la « construction d’une maison individuelle », depuis une loi quasi trentenaire3. Le législateur prévient, à l’article L. 230-1 du CCH que : « Les règles prévues au présent titre sont d’ordre public ». Ce régime spécial du CCMI, à propos duquel nous interrogerons la place que doit y tenir le banquier4, est donc d’ordre public. En conséquence, tout manquement à l’une de ses prescriptions sera sanctionné par la nullité5. La nullité encourue est relative, puisque l’entier régime est tourné vers un objectif de protection du maître de l’ouvrage, qui pourrait décider de ne pas l’invoquer. Il y a lieu aussi d’en déduire que toute personne qui s’engage dans un contrat ne relevant pas de ce régime impératif pourrait librement s’y soumettre. Le cas échéant, les parties seront soumises au régime dans son ensemble6.

2. Fourniture du plan. Ce titre troisième est composé de deux chapitres. Son chapitre premier est dédié au CCMI avec fourniture de plan. On le devine, un chapitre second accueille les dispositions relatives au CCMI sans fourniture de plan. L’opposition mérite d’être soulignée puisque le contenu du CCMI n’est pas le même, selon l’hypothèse retenue. Il convient d’abord d’identifier un CCMI avec fourniture de plan dès lors que le constructeur aura proposé ou fait proposer un plan au maître de l’ouvrage, ou que le plan aura été fourni par un tiers à la suite d’un démarchage à domicile ou d’une publicité faite pour le compte de ce constructeur, ou enfin lorsque ce constructeur aura réalisé une partie des travaux selon un plan qu’il aura fourni ou fait fournir7. La jurisprudence s’est rapidement chargée de rappeler que la fourniture du plan constituait l’élément substantiel du contrat de construction d’une maison individuelle8. Quant au CCMI sans fourniture de plan, ensuite, il est identifiable quand il a « au moins pour objet l’exécution des travaux de gros œuvre, de mise hors d’eau et hors d’air d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation (…) »9. Cette dichotomie des CCMI fait sens dès lors que le contenu du CCMI subit une enflure quand il est dit avec fourniture de plan. En effet, si les deux CCMI, avec ou sans fourniture de plan, doivent obligatoirement contenir des énonciations, respectivement prévues aux articles L. 231-2 et L. 232-1 du CCH, celles-ci sont plus nombreuses au cas du CCMI avec fourniture de plan. Elles sont relatives au terrain, à l’ouvrage, aux autorisations administratives, au coût des travaux et à leur financement, à l’opération de réception, ou encore aux assurances et garanties. Quoi qu’il en soit, il en résulte l’évidence formelle selon laquelle le CCMI est un contrat écrit, à peine de nullité, et que le formalisme obligatoire est accentué pour le CCMI avec fourniture de plan10.

3. Le CCMI : une stipulation contre autrui ? Il est courant pour le maître de l’ouvrage de recourir au financement bancaire pour concrétiser son projet de construction. Le législateur a anticipé cette circonstance de fait évidente en convoquant le banquier prêteur au sein du dispositif propre au CCMI11. L’objectif de protection du maître de l’ouvrage serait en effet vidé de toute substance si le prêteur était laissé sur le bas-côté, alors même qu’il est souvent le pivot du dispositif et que le contrat est passé sous seing privé, sans l’intervention d’un professionnel du droit tel que le notaire, qui pourrait remplir cette tâche. La doctrine a parfaitement identifié le rôle du dispensateur de crédit comme celui d’une « police du contrat de construction de maisons individuelles »12. Octroyer au banquier les prérogatives d’un professionnel du droit a déjà de quoi surprendre13. D’autant que le principe de non-ingérence14 du banquier semble ici malmené15. Mais concrètement, dès lors que le maître de l’ouvrage sera partie à un CCMI avec fourniture de plan et qu’il aura recours à un financement bancaire, le banquier se trouvera contraint au respect d’obligations supplémentaires, évidemment sanctionnées et très certainement justifiées. Le CCMI créé donc pour le banquier prêteur, tiers particulier au contrat, une série d’obligations à respecter, à l’image d’une stipulation contre autrui. Ainsi, l’article L. 231-10, alinéa 1er, du CCH dispose qu’« aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s’il n’a pas communication de l’attestation de garantie de livraison ». Toujours selon la même disposition, « dans les cas de défaillance du constructeur visés au paragraphe II de l’article L. 231-6 et nonobstant l’accord du maître de l’ouvrage prévu au premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 231-7, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables d’un versement excédant le pourcentage maximum du prix total exigible aux différents stades de la construction d’après l’état d’avancement des travaux dès lors que ce versement résulte de l’exécution d’une clause irrégulière du contrat ». L’article L. 231-7, III, dudit code, indique pour sa part que : « Les paiements intervenant aux différents stades de la construction peuvent être effectués directement par le prêteur, sous réserve de l’accord écrit du maître de l’ouvrage à chaque échéance et de l’information du garant ». La même disposition indique enfin qu’« à défaut d’accord écrit du maître de l’ouvrage à chaque échéance, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables des paiements qu’il effectue aux différents stades de la construction ». Au nom d’une protection accrue du consommateur du projet immobilier, le banquier prêteur devra remplir des diligences tant dans la phase antérieure (I) que dans la phase postérieure au déblocage des fonds (II).

I – Les obligations du banquier avant le dénouement de l’opération bancaire

4. Cette opération de crédit obéit à une chronologie classique. Le banquier a d’abord des obligations avant l’émission de l’offre de prêt (A). Il a ensuite des obligations avant le déblocage effectif des fonds (B).

A – Avant l’émission de l’offre de prêt

5. Exclusion de certaines énonciations. L’article L. 231-10, alinéa 1er, du CCH dispose qu’« aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis ». Voilà la première obligation du prêteur propre au CCMI. Il s’agit d’une obligation de vérification, sans aucun doute de résultat, des mentions qui doivent figurer à l’acte. Qui doivent mais surtout qui peuvent figurer à l’acte ! En effet, le banquier ne peut vérifier que les mentions présentes sur le document « au moment où l’acte lui est transmis ». Il convient donc d’exclure logiquement les mentions qui traduisent un état de fait qui par définition, n’existe pas encore au moment où l’acte en cause est transmis au banquier. Il en va ainsi des modalités de financement, de la nature et du montant des prêts obtenus et acceptés par le maître de l’ouvrage ; également, de la référence de l’assurance de dommages souscrite par le maître de l’ouvrage, en application de l’article L. 242-1 du Code des assurances ; et enfin, des justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, ces attestations étant établies par le garant et annexées au contrat.

6. Champ de la vérification. Positivement, le banquier devra en revanche vérifier la présence de toutes les autres clauses contenues au sein de l’article L. 232-1 du CCH. Rappelons que ces clauses vont notamment de la désignation du terrain destiné à l’implantation de la construction et à la mention du titre de propriété du maître de l’ouvrage ou des droits réels permettant de construire jusqu’à l’indication de la date d’ouverture du chantier, le délai d’exécution des travaux et les pénalités prévues en cas de retard de livraison en passant par la clause relative aux modalités de règlement du prix en fonction de l’état d’avancement des travaux.

7. Limites de l’obligation. Vérifier que le contrat comporte les énonciations mentionnées à l’article L. 231-2 du CCH, qu’est-ce à dire ? Il apparaît à la lecture du texte que le banquier peut a priori se contenter d’exercer une vérification bête et méchante, à savoir comptabiliser les énonciations contenues dans la loi et les comparer à l’acte qui lui est soumis. En cas de carence du CCMI, il est invité à s’abstenir et à renvoyer son client à mieux se pourvoir. À condition pour lui d’être face à un acte clair, ce devoir de vérification ne paraît pas compliqué à être exécuté de manière convenable. La jurisprudence a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler que le banquier était tenu à un contrôle formel mais non substantiel des énonciations en cause. Le fondement est aisé : le banquier est tenu à un devoir de non-ingérence, qui limite nécessairement et légitimement ses investigations. Il pourra et devra donc se contenter des apparences. Après tout, la loi indique qu’il doit vérifier la présence des énonciations à l’acte, et non leur véracité16. Ainsi, sans être exhaustif car les exemples sont nombreux, le banquier n’a pas plus l’obligation de s’assurer de l’effectivité d’une assurance dommages-ouvrage17. De la même manière, si l’article L. 231-10 du CCH fait obligation au banquier de vérifier, avant toute offre de prêt, que le contrat qui lui est transmis comporte les énonciations visées à l’article L. 231-2, et s’il ne peut débloquer les fonds tant qu’il n’a pas reçu l’attestation de garantie de livraison, il n’a pas l’obligation de s’assurer de l’authenticité des documents produits18. De façon plus évidente encore certainement, la jurisprudence décide que le banquier n’est pas tenu de conseiller à un accédant à la propriété un cadre juridique pour réaliser son projet de construction19.

8. Le banquier, juge du contrat ? Le banquier aurait-il, à la lumière de la disposition susvisée, l’obligation de requalifier le contrat qui lui est soumis, notamment lorsqu’il ne porte pas la mention CCMI pour échapper à la réglementation d’ordre public en la matière ? Cette opération intellectuelle, qui consiste à scruter un acte pour lui donner son exacte qualification juridique de laquelle découle le régime, est courante pour le juriste. Elle ne correspond en rien, en revanche, au métier du banquier. Pourtant, un arrêt remarqué rendu par la Cour de cassation, fondé sur l’obligation de renseignement et de conseil, a décidé que « l’article L. 231-10 du Code de la construction et de l’habitation, qui ne met pas à la charge du prêteur l’obligation de requalifier le contrat qui lui est soumis, ne le dispense pas de son obligation de renseignement et de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage à qui il fait une offre de prêt ». Ainsi, « si le prêteur de deniers ne peut s’immiscer dans la convention passée entre le constructeur et le maître de l’ouvrage, le banquier n’en a pas moins, à titre de renseignement et de conseil, l’obligation de déterminer avec son client, dépourvu de connaissances juridiques, le cadre contractuel du projet qu’il accepte de financer ». En conséquence, la cour d’appel avait pu en déduire « qu’en s’abstenant de rechercher si la convention passée entre les époux X et M. Y. ne recouvrait pas en réalité un contrat de construction de maison individuelle imposant le respect des dispositions protectrices édictées par le Code de la construction et de l’habitation, le Crédit Mutuel avait commis une faute ouvrant droit à réparation »20. À la lecture de cette solution, le prêteur n’a donc pas l’obligation de requalifier le contrat qui lui est soumis, sur le fondement du droit spécial du CCMI mais il a bien « l’obligation de déterminer avec son client le cadre contractuel du projet », sur le fondement du droit commun. On pourrait soutenir, il est vrai, que le fondement du droit spécial est ici concurrencé par le droit commun mais ce serait ergoter sur des vétilles. Il en résulte surtout une véritable insécurité juridique : à quoi peut bien correspondre l’obligation de déterminer le cadre contractuel si elle n’est pas le synonyme de l’obligation de requalification du contrat ? Peut-être tout de même, en réalité, à une obligation de requalification. La jurisprudence s’est, depuis lors, montrée hésitante, oscillant entre protection du banquier21 et protection de l’emprunteur22. Un dernier arrêt relativement récent s’est positionné, et il n’est pas gage de clarté en la matière. En l’espèce, un couple avait fait construire une maison d’habitation financée par un prêt immobilier. Il avait ensuite assigné la banque en indemnisation de leur préjudice pour manquement à son devoir d’information, de conseil et de mise en garde. À hauteur d’appel, la demande est rejetée. Un pourvoi est alors formé. La Cour de cassation rejette le pourvoi et il convient de s’attacher à la motivation déployée. La haute juridiction indique en effet qu’« ayant relevé que les maîtres de l’ouvrage avaient joint à leur demande de prêt un contrat d’architecte ayant pour objet les études préliminaires, la demande de permis de construire, ainsi que deux devis, sans précision du délai d’achèvement des travaux établis par l’entreprise MPI pour les menuiseries extérieures et l’entreprise Quadra construction pour le reste de la construction, la cour d’appel a pu en déduire, au vu des pièces remises par les emprunteurs sur la base desquels le prêt avait été consenti, que la Caisse d’épargne avait pu légitimement penser que ses clients s’étaient adressés à un architecte et à deux entreprises avec lesquelles ils avaient conclu des marchés de travaux et qu’il ne s’agissait pas d’un contrat de construction de maison individuelle »23. A contrario, d’autres circonstances auraient donc pu justifier une solution différente et tant que la jurisprudence ou la loi ne se montrent pas plus claires sur l’étendue de l’obligation du banquier en la matière, ce dernier est invité à la plus grande prudence.

9. Proposition. Il est heureux qu’en l’espèce, il n’ait pas été reproché au banquier la non-découverte d’un CCMI bien trop lointain au vu de la multiplicité des intervenants sur le chantier et de l’absence d’un quelconque délai d’achèvement des travaux, pourtant consubstantiel au CCMI. Autrement dit, sauf évidence d’un CCMI déguisé (oserait-on dire, sauf fraude), la responsabilité du banquier devrait être écartée. La solution aurait le mérite de ne pas effacer le devoir de conseil du banquier, sans porter atteinte à son devoir de non-ingérence. La sécurité juridique en sortirait renforcée, dès lors que le banquier n’a de toute façon pas les compétences requises, sauf fraude manifeste, pour déceler que derrière le faux montage retenu par les parties (et souvent imposé au maître de l’ouvrage) se cache un vrai CCMI.

10. Les sanctions : la notion de clause irrégulière. L’article L. 231-10, alinéa 2, du CCH prévoit une sanction particulière : « Dans les cas de défaillance du constructeur visés au paragraphe II de l’article L. 231-6 et nonobstant l’accord du maître de l’ouvrage prévu au premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 231-7, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables d’un versement excédant le pourcentage maximum du prix total exigible aux différents stades de la construction d’après l’état d’avancement des travaux dès lors que ce versement résulte de l’exécution d’une clause irrégulière du contrat ». Dès la promulgation du texte, la doctrine s’est interrogée sur deux interprétations possibles du texte24. La « clause irrégulière » pourrait renvoyer aux seules clauses auxquelles l’alinéa 1er de l’article L. 231-10 du CCH fait référence, ou bien à toute clause irrégulière du contrat car il ne convient pas de distinguer là où la loi ne distingue pas.

11. Autres conditions. Quoi qu’il en soit, la présence d’une clause illégale ne suffit pas. D’autres conditions doivent être réunies pour que le banquier soit obligé de payer, à la lecture du texte de l’article L. 231-10, alinéa 2, du CCH. Le constructeur doit s’avérer défaillant25, l’échelonnement légal doit avoir été non respecté, le versement effectué doit avoir causé un préjudice au maître de l’ouvrage et il doit être la conséquence de la clause irrégulière. On retiendra donc que si une disposition prévoit bien une sanction particulière en cas de défaut de contrôle du CCMI par le banquier, elle reste largement théorique car conçue de manière très étroite.

12. Droit commun. À condition pour le maître de l’ouvrage de démontrer l’existence d’une faute du banquier ainsi qu’un préjudice et un lien de causalité les unissant, rien ne s’oppose à ce que l’on puisse engager la responsabilité sur le fondement d’un éventuel défaut de son obligation de conseil. On peut imaginer par exemple la perte de chance invoquée par le maître de l’ouvrage, de ne pas conclure l’opération en cause, ou de la faire régulariser, s’il avait été informé par le banquier de la qualification réelle du contrat qu’il a signé, en méconnaissance des dispositions d’ordre public visant à le protéger. La jurisprudence s’est d’ailleurs prononcée récemment en ce sens26.

B – Avant le déblocage des fonds

13. Justification. Selon l’article L. 231-10, alinéa 1er, du CCH, le prêteur ne pourra pas débloquer les fonds au titre du crédit « s’il n’a pas communication de l’attestation de garantie de livraison ». Cette obligation de ne pas faire, mise à la charge du banquier, est des plus justifiées. L’attestation de la garantie de livraison est une condition de validité du contrat, exigée par l’article L. 232-2 k du CCH. La loi exige qu’elle soit annexée au contrat de construction. L’article L. 231-6 du même code rappelle également l’impérieuse nécessité de la garantie de livraison qui vise à couvrir le maître de l’ouvrage, « à compter de la date d’ouverture du chantier, contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus ». Plus encore, la jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer que la garantie de livraison à prix et délais convenus, qui a pour but de protéger le maître de l’ouvrage contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution de la construction telle qu’elle est prévue au contrat, provoqués par la défaillance du constructeur, constitue une garantie légale d’ordre public et autonome, qui ne s’éteint pas du seul fait de la résiliation du contrat de construction qui n’a pas d’effet rétroactif, c’est dire donc son importance27. Les sanctions pénales prévues à l’article L. 241-8 du CCH, à savoir un emprisonnement de deux ans et une amende de 300 000 €, qui s’appliqueront au constructeur qui entreprend des travaux sans avoir obtenu la garantie de livraison, achèvent de démontrer son importance. Il est heureux que sa non-présentation au banquier prêteur empêche d’aller plus en avant.

14. Portée de l’obligation. D’abord, le banquier devra savoir s’il est face à un CCMI avec ou sans fourniture de plan. Les juges du fond ont eu en effet l’occasion d’affirmer que ne commet pas de faute la banque qui ne vérifie pas la présence d’une garantie de livraison dans un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan, avant d’émettre une offre de prêt28. En dehors de cette hypothèse, lorsque le CCMI est dit avec fourniture de plan, le banquier prêteur ne semble tenu malheureusement qu’à un contrôle formel en la matière. Ainsi, la jurisprudence décide que le banquier qui accorde un prêt au vu d’une photocopie d’une garantie de livraison qui, en réalité, n’existait pas, ne commet pas de faute29. Peu après, la Cour de cassation avait pris l’exact contre-pied de cette solution30. Pourtant, la haute cour a affirmé plus tard que la banque ne commet pas de faute si elle a vérifié l’existence des documents sans s’assurer de leur véracité31. Il est alors sans doute exagéré de considérer que le banquier assure l’effectivité de la protection légale puisque s’il est dupé, il pourra se retrancher derrière les apparences. Nous regrettons fortement ces solutions plus laxistes à l’égard du banquier, qui vont à l’encontre de la lettre mais également de l’esprit du dispositif. Contre la lettre d’abord, puisque le texte prévoit que le banquier doit se voir communiquer « l’attestation de garantie de livraison ». Il n’apparaît pas dès lors déraisonnable d’obliger le maître de l’ouvrage à fournir l’original de ladite garantie au banquier prêteur. Contre l’esprit ensuite, puisque le dispositif a précisément pour objectif de protéger le maître de l’ouvrage en faisant du banquier ici le garant de la délivrance d’une telle garantie. Enfin, il n’apparaît pas matériellement insurmontable d’assurer la bonne exécution d’une telle obligation.

15. Sanction : recours au droit commun. Alors même que la garantie de livraison est fondamentale, la loi n’a pas édicté de sanction spécifique au cas du banquier qui ne procéderait pas aux vérifications et qui, par opposition à ce que le texte commande, débloquerait les fonds sans communication préalable de ladite garantie. C’est alors le droit commun de la responsabilité civile, quand ses conditions sont réunies, qui a pris le relais. La jurisprudence a eu l’occasion de préciser récemment que le banquier qui ne refuse pas de financer un contrat de construction de maison individuelle en l’absence de souscription de garantie de livraison doit supporter l’ensemble du préjudice résultant de cette même absence32. La perte de chance peut à nouveau illustrer les préjudices que l’on peut rencontrer en la matière. Il en va ainsi pour le prêteur qui, en débloquant une partie des fonds, alors qu’il n’a pas reçu copie de l’attestation de la garantie de livraison à prix et délai convenus, prive les maîtres de l’ouvrage, qui n’étaient pas tenus de s’assurer de la délivrance de cette attestation, d’une chance d’éviter la faillite de leur projet33.

Le contrat de construction de maison individuelle : une stipulation contre le banquier prêteur ?

II – Les obligations du banquier après le déblocage des fonds en cas de paiement direct au constructeur

16. Quid des obligations du banquier postérieures au déblocage des fonds ? L’article L. 231-7, III du CCH prévoit que « les paiements intervenant aux différents stades de la construction peuvent être effectués directement par le prêteur, sous réserve de l’accord écrit du maître de l’ouvrage à chaque échéance et de l’information du garant » (A). Le texte prévoit en outre qu’« à défaut d’accord écrit du maître de l’ouvrage à chaque échéance, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables des paiements qu’il effectue aux différents stades de la construction » (B).

A – L’accord écrit du maître de l’ouvrage et l’information du garant

17. Double exigence. Le maître de l’ouvrage peut décider de déléguer au banquier la mission de payer le constructeur. Le banquier devra toutefois veiller à ce que le maître de l’ouvrage réitère systématiquement son consentement, par écrit, le plus souvent après une visite sur le chantier. Sur ce point, il est à noter que l’article L. 231-3 du CCH dispose que « dans le contrat visé à l’article L. 231-1, sont réputées non écrites les clauses ayant pour objet ou pour effet : (…) f) d’interdire au maître de l’ouvrage la possibilité de visiter le chantier, préalablement à chaque échéance des paiements et à la réception des travaux (…) ». Aussi, le banquier prêteur est dans l’obligation de délivrer, dans le même temps, une information au garant. Il est évidemment dans l’intérêt du garant, lequel pourrait être amené à mettre en demeure le constructeur de s’exécuter, de recevoir les informations relatives au paiement effectué par le prêteur, lesquels le renseignent également sur l’avancée du chantier.

B – Les sanctions

18. L’article L. 231-7, III, indique qu’« à défaut d’accord écrit du maître de l’ouvrage à chaque échéance, le prêteur est responsable des conséquences préjudiciables des paiements qu’il effectue aux différents stades de la construction ». Cela signifie concrètement qu’il devra régler les excédents de prix par rapport à l’avancement des travaux. L’obligation d’information mise à la charge du prêteur par les dispositions de l’article L. 231-7 du CCH est prévue dans l’intérêt tant du garant34 que du maître de l’ouvrage. La haute cour a eu l’occasion ainsi de déclarer que doit être tenu pour responsable du préjudice subi par le maître de l’ouvrage, résultant de l’absence de garantie de livraison, le prêteur qui n’a pas informé le garant supposé des versements effectués, démarche qui lui aurait permis de s’apercevoir de la non-souscription de la garantie35.

19. Conclusion. Le CCMI, adossé à un financement bancaire, place définitivement le banquier dans la position d’un tiers tout à fait particulier eu égard aux obligations qui pèsent sur lui dans un tel contexte contractuel. Non partie au CCMI, il doit pourtant s’assurer de la complétude du contrat, mais également, sauf hypothèse particulière, de sa nature, en informant le maître de l’ouvrage de la réalité contractuelle, sans pour autant être un professionnel du droit. Il faut protéger le consommateur du projet immobilier et faute de mieux, le banquier doit être très vigilant et assumer cette mission, tant que le législateur n’apporte pas de précisions sur les contours de cette obligation de renseignement qui pèse sur lui en l’état du droit. Une restriction du devoir de renseignement à l’hypothèse de l’évidence d’une fraude nous paraît souhaitable, afin qu’un équilibre soit préservé. À l’opposé, le « contrôle » par le banquier de la délivrance de la garantie de livraison, véritable clé de voûte du dispositif, est insuffisant. D’autant que nous percevons mal la cohérence d’une jurisprudence qui responsabilise le banquier sur la tâche complexe de l’identification du contrat mais qui l’exonère au sujet de la vérification de l’attestation de la garantie de livraison, pourtant purement matérielle. Il serait sans doute temps que le droit évolue sur ces différents points. Quant aux sanctions étudiées, retenons qu’il est heureux de pouvoir compter le droit commun de la responsabilité civile, quand les sanctions spéciales sont d’une application si délicate qu’elles en deviennent peu mobilisables.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Josserand L., « Le contrat dirigé », DH 1933, p. 19.
  • 2.
    CCH, art. L. 231-1, al. 1.
  • 3.
    Loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d’une maison individuelle : JO, 22 déc. 1990, p. 15855 ; Gourio A., « La nouvelle réglementation de la construction de maisons individuelles », JCP N 1991, 141, n° 12 – CCH, art. L. 230-1 à CCH, art. L. 232-2.
  • 4.
    Pour une étude générale du contrat, v. Barré-Pépin M., « Contrat de construction d’une maison individuelle », Rép. Dalloz, Droit immobilier 2007.
  • 5.
    Cass. 3e civ., 7 déc. 2005, n° 04-14357 : Bull. civ. III, n° 237.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 6 oct. 2010, n° 09-66252 : Constr.-Urb. 2010, comm. 158, obs. Sizaire C. ; RDI 2010, p. 607, obs. Tomassin D.
  • 7.
    CCH, art. L. 231-1.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 10 juill. 1996, n° 05-13454 : RDI 1996, p. 589.
  • 9.
    CCH, art. L. 232-1.
  • 10.
    Encore faut-il souligner que l’article L. 241-8 du Code de la construction et de l’habitation sanctionne de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende « quiconque, tenu à la conclusion d’un contrat par application de l’article L. 231-1 ou de l’article L. 232-1, aura entrepris l’exécution des travaux sans avoir conclu un contrat écrit conforme aux dispositions des articles L. 231-1, L. 231-2, L. 231-3, L. 231-9, L. 232-1 et L. 232-2, ou sans avoir obtenu la garantie de livraison définie à l’article L. 231-6 ».
  • 11.
    Adde Saint-Alary-Houin C. et Saint-Alary B., « Le banquier face au contrat de construction de maison individuelle », RDI 1992, p. 283 ; Chomel A., « Contrat de construction de maisons individuelles. L’étendue du contrôle du prêteur de deniers », AJDI 2000, p. 116 ; Bury B., « Les garanties financières immobilières. La construction de maison individuelle, le banquier et des garanties », RD bancaire et fin. 2009, n° 1, dossier 6 ; Boccara M. et Berly J.-M., « La responsabilité du prêteur dans le financement du CCMI », RDI 2015, p. 392.
  • 12.
    Saint-Alary-Houin C. et Saint-Alary B., « Le banquier face au contrat de construction de maison individuelle », RDI 1992, p. 283, n° 12.
  • 13.
    Gourio A., « Le contrôle des contrats de construction d’une maison individuelle : à chacun son métier », LPA 23 avr. 1997, p. 28.
  • 14.
    Sur ce devoir, Lasserre Capdeville J., Storck M., Mignot M. et a., Droit bancaire, 2e éd., 2019, Dalloz, Précis, nos 268 et s.
  • 15.
    Attard J., « Analyse du principe de non-ingérence sous l’angle de la protection des droits fondamentaux des cocontractants du banquier », RTD com. 2017, p. 1.
  • 16.
    Cass. 3e civ., 9 nov. 2005, n° 04-17061, P : BICC 15 févr. 2006, n° 249 ; Constr.-Urb. 2005, n° 265, obs. Sizaire C.
  • 17.
    Cass. 3e civ., 12 sept. 2007, n° 06-16521, P : D. 2007, p. 2391.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 26 sept. 2007, n° 06-17081, P : D. 2007, p. 253.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 14 janv. 2009, n° 07-20416, P : D. 2009, AJ, p. 293, obs. Vincent A.
  • 20.
    Cass. 3e civ., 17 nov. 2004, n° 03-16305 : Bull. civ. III, n° 199 ; RDI 2005, p. 47, obs. Boubli B. ; Constr.-Urb. 2004, comm. 1, obs. Sizaire C. ; Defrénois 15 janv. 2006, n° 38307-24, p. 85-86, obs. Périnet-Marquet H. ; JCP N 2005, 1393, note Gourio A.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 14 janv. 2009, n° 07-20410 : Bull. civ. III, n° 10 ; D. 2009, p. 293, obs. Vincent A. ; Constr.-Urb. 2009, comm. 46, obs. Sizaire C. ; JCP E 2009, 1582, n° 29, obs. Mathey N. ; Defrénois 30 janv. 2010, n° 39060-11, p. 232-233, obs. Périnet-Marquet H. – V. déjà, Cass. com., 9 juill. 2002, n° 99-15650 : Bull. civ. IV, n° 115 ; Banque et droit 2002, p. 53, obs. Bonneau T. ; JCP G 2002, 1382, note Gourio A. ; RDI 2002, p. 412, obs. Tomassin D. ; Constr.-Urb. 2002, comm. 236, obs. Sizaire C. ; JCP E 2002, 1382, note Gourio A.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n° 10-19714 : Bull. civ. III, n° 6 ; Dalloz actualité, 26 janv. 2012, obs. Garcia F. ; RDI 2012, p. 167, obs. Noblot C. ; Constr.-Urb. 2012, comm. 55, obs. Sizaire C. ; Périnet-Marquet H., « Le banquier garant des sans garants ? », Constr.-Urb. 2012, repère 5.
  • 23.
    Cass. 3e civ., 11 juill. 2019, n° 18-10368 : Dalloz actualité, 11 sept. 2019, obs. Pelet D. ; Resp. civ. et assur. 2019, comm. 274 ; Constr.-Urb. 2019, comm. 111, obs. Sizaire C.
  • 24.
    Saint-Alary-Houin C. et Saint-Alary B., « Le banquier face au contrat de construction de maison individuelle », RDI 1992, p. 283, n° 15.
  • 25.
    Il aura, en pratique, abandonné le chantier et le maître de l’ouvrage aura généralement pris le soin de faire constater cet abandon par acte d’huissier.
  • 26.
    Cass. 3e civ., 8 déc. 2006, n° 15-16929 : Constr.-Urb. 2017, comm. 29, obs. Sizaire C.
  • 27.
    Cass. 3e civ., 22 sept. 2010, n° 09-15318.
  • 28.
    CA Toulouse, 19 mai 2003 : Constr.-Urb. 2003, n° 247, obs. Sizaire C.
  • 29.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2003, n° 01-02922, P : Constr.-Urb. 2003, n° 123, obs. Sizaire C. ; JCP 2003, 637 IV.
  • 30.
    Cass. 3e civ., 29 oct. 2003, n° 00-17533 : RDI 2004, p. 185.
  • 31.
    Cass. 3e civ., 9 nov. 2005, n° 04-17061, P : BICC 15 févr. 2006, n° 249 ; Constr.-Urb. 2005, n° 265, obs. Sizaire C.
  • 32.
    Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 12-12345 : RDI 2017, p. 193, obs. Heugas-Darraspen A.
  • 33.
    Cass. 3e civ., 14 mars 2012, n° 11-10291, P : D. 2012, p. 881 ; Dalloz actualité, 30 mars 2012, obs. Garcia F. ; RDI 2012, p. 344, obs. Tomassin D. ; RTD com. 2012, p. 383, obs. Legeais D. ; Resp. civ. et assur. 2012, p. 170, obs. Groutel H.
  • 34.
    Engage sa responsabilité le banquier qui débloque les fonds sans informer le garant, CA Rennes, 15 mars 2007, Constr.-Urb. 2007, n° 157, obs. Sizaire C.
  • 35.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2003, n° 11-12389 : Constr.-Urb. 2003, n° 123, obs. Sizaire C.
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