Pierre Minor : « Le rapport du Haut comité vise à replacer le secret bancaire dans son temps »

Publié le 06/10/2020

Fondé sur un texte souvent imprécis, parsemé d’exceptions, d’une opposabilité à géométrie variable, le secret bancaire méritait une opération de rénovation. C’est le travail auquel s’est livré le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) dont le rapport vient d’être publié. Les explications de Pierre Minor, président du Groupe de travail du HCJP sur le secret bancaire et de Guillaume Richard, membre du groupe de travail.

Pierre Minor : "Le rapport du Haut comité vise à replacer le secret bancaire dans son temps"
Photo : ©Pictures News/Adobe

Actu-Juridique : Pour quelles raisons le HCJP a-t-il estimé nécessaire de se pencher sur le secret bancaire ?

Pierre Minor : Le secret bancaire est un principe très ancien du droit bancaire. Il constitue une protection fondamentale des intérêts et de la vie privée des personnes en relation avec un établissement de crédit. Il est, en outre, un maillon indispensable du bon fonctionnement de la Place financière. Pourtant, en dépit de son importance, le secret bancaire reste régi par des textes qui manquent souvent de clarté et qui, malgré l’avènement de l’ère du numérique, n’ont pas évolué, la dernière réforme datant de 2008. Les textes actuels, en effet, ne prennent pas en compte l’évolution de l’organisation et du fonctionnement des établissements de crédit par la filialisation ou le recours à la sous-traitance, notamment, informatique. Il convient de noter également la place croissante de la « data » dans l’activité des établissements et la nécessité de délivrer un service complet et de qualité aux clients.

C’est dans ce contexte, que le HCJP a jugé opportun de travailler sur le secret bancaire afin de préconiser des évolutions ciblées de son régime juridique pour, finalement, le « replacer dans son temps ». Le groupe de travail ne préconise pas une refonte complète du secret : son objectif a été de proposer des adaptations des textes qui peuvent constituer aujourd’hui un frein à l’activité et au fonctionnement des établissements. Je saisis l’occasion qui m’est ici donnée de remercier vivement tous les membres du Groupe de travail pour leur implication et leur soutien.

Actu-Juridique : Il semble que les exceptions au secret bancaire soient si nombreuses et diverses qu’il est très compliqué de les recenser. Est-ce exact et si oui, que proposez-vous pour y remédier ? 

Guillaume Richard : C’est tout à fait exact. C’est d’ailleurs le 1er constat formulé au sein du rapport. Le secret bancaire est pavé d’innombrables exceptions disséminées dans les textes, au profit de nombreux organismes et autorités publiques. A cette difficulté s’ajoute celle d’un unique texte fondateur, l’article L511-33 du Code monétaire et financier, dont la rédaction est tantôt muette (notamment sur l’information couverte par le secret et les personnes protégées), tantôt imprécise (notamment sur certaines exceptions prévues par ce texte) et tantôt inadaptée à la réalité actuelle de certaines opérations (en particulier de M&A bancaire).

 Au final, cela pénalise les établissements et les personnes redevables du secret. Rappelons effectivement que, même si les sanctions sont rares dans la jurisprudence, la violation du secret est pénalement et personnellement sanctionnée : c’est ce qui justifie la préoccupation constante des acteurs financiers en la matière.

Actu-Juridique :  L’une des difficultés du secret bancaire c’est qu’il entre en conflit avec le droit de la preuve, en quoi cela pénalise-t-il les établissements ? 

Pierre Minor : Effectivement le droit de la preuve a fait l’objet d’une évolution significative récemment. Deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 04/07/2018 et 15/05/2019 en ont modifié le régime. Désormais, il appartient à l’établissement concerné d’apprécier si la production dans un procès des éléments couverts par le secret bancaire est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et d’apprécier si cette production est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret due à son bénéficiaire.

 Cette double appréciation est très difficile à réaliser pour le banquier : c’est la raison pour laquelle le groupe de travail recommande de le délier du secret bancaire pour le dispenser d’avoir à prouver le caractère indispensable de la preuve proposée et de réaliser le contrôle de proportionnalité des intérêts en présence.

Actu-Juridique : Le sort du secret bancaire ne semble pas complètement harmonisé à l’égard des différentes autorités publiques susceptibles d’en demander la levée, qu’en est-il exactement? 

Guillaume Richard : En effet. L’une des difficultés du secret réside dans des règles particulières prévues pour chaque autorité à laquelle le secret peut ou ne peut pas lui être opposé. Ce régime « au cas par cas » nécessite pour les établissements d’analyser chaque demande qui est formulée par ces autorités. Cela mobilise quotidiennement les équipes, en particulier les juristes.

A titre d’exemple, le groupe de travail a étudié le cas de l’Agence Française Anticorruption (AFA) pour laquelle les textes n’ont pas explicitement prévu d’exception au secret bancaire. Le rapport préconise en conséquence la création d’une exception au profit de cette autorité.

Actu-Juridique : Quels sont les principaux changements préconisés par le rapport et pensez-vous obtenir satisfaction ? 

 Pierre Minor : Le rapport préconise trois séries de mesures :

*Un travail doctrinal (la création d’un ouvrage de référence par exemple) rassemblant l’entièreté du régime ; solution qui a semblé bien plus efficace qu’une codification législative ou réglementaire ;

*Des modifications aux exceptions existantes dans un sens de clarification de l’article L511-33 du Code monétaire et financier ;

*La création de nouvelles exceptions nécessaires aux modalités de fonctionnement actuel des établissements de crédit.

 Nous avons essayé d’avoir une approche pragmatique et les demandes formulées nous paraissent cohérentes et raisonnables. Elles devraient donc recevoir une écoute favorable et nous espérons une transposition prochaine de nos recommandations dans la réglementation.

 

Le rapport est à télécharger ici.

 

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