Du caractère manifestement abusif d’une clause compromissoire à l’application des règles de droit international privé : les protections procédurales du droit de la consommation

Publié le 18/05/2018

Il résulte de la directive n° 93/13/CCE du Conseil des communautés européennes du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qu’une clause compromissoire non-négociée qui exclut toute possibilité de recours aux juridictions étatiques est manifestement abusive. Dès lors, en présence d’une telle convention dans un contrat de consommation, celle-ci doit être écartée. La compétence des juridictions françaises – lorsque le consommateur a sa résidence habituelle en France – doit alors être déterminée par les règles de conflit de juridictions du règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (règlement Bruxelles I bis).

CA Versailles, 14e ch., 15 févr. 2018, no 17/03779, Sté PWC Landwell – Pricewaterhousecooper Tax & Legal Services c/ Marie-Ange L.

Le consommateur est une partie faible et bénéficie à ce titre de certains avantages procéduraux. Cet arrêt de la cour d’appel de Versailles du 15 février 2018 en donne une nouvelle illustration.

À la suite du décès de son père en Espagne, une femme a accusé son frère d’avoir dilapidé la fortune familiale alors qu’il avait une procuration générale pour administrer ou disposer des biens de son père. Afin de se faire assister dans le cadre de la procédure de succession, celle-ci a pris conseil auprès du bureau espagnol d’un cabinet d’avocats ayant une activité internationale.

Face au montant de sa part de succession qu’elle estime inférieur à ce qu’elle aurait pu espérer, elle assigne devant le tribunal de grande instance (TGI) de Pontoise, d’une part, son frère et le notaire dont la responsabilité était recherchée en raison de sa participation à la rédaction de la procuration, et, d’autre part, la société d’avocats de droit espagnol en responsabilité et à des fins indemnitaires.

Par ordonnance d’incident contradictoire rendue le 2 mai 2017, le juge de la mise en état du TGI de Pontoise a ordonné la jonction des deux instances, et a considéré la clause compromissoire contenue dans le contrat liant la demanderesse à la société d’avocats comme étant manifestement abusive, rejetant ainsi l’exception d’incompétence formée par cette dernière. Il s’est fondé sur l’absence de négociation dont cette clause a fait l’objet. La compétence du TGI de Pontoise fut alors déterminée par application du règlement (CE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (règlement Bruxelles I bis).

La société d’avocats a cependant fait appel de cette ordonnance. Elle considère que la clause compromissoire était efficace et aurait dû s’appliquer, et que seule la Cour d’arbitrage de Madrid (CIMA), désignée par la convention d’arbitrage, pouvait être saisie. De manière subsidiaire, elle indique que les juridictions françaises ne pouvaient pas se reconnaître compétentes dans la mesure où les règles protectrices du consommateur du règlement Bruxelles I bis ne pouvaient s’appliquer, le litige relevant dès lors des juridictions espagnoles en tant que juridictions du lieu du domicile du défendeur.

La cour d’appel a alors dû s’interroger afin de savoir si la clause compromissoire pouvait être écartée, et le cas échéant, si les juridictions françaises pouvaient être valablement saisies.

La quatorzième chambre de la cour d’appel de Versailles répond positivement à ces questions, déboutant ainsi les demandes de la partie appelante. Elle confirme en cela l’ordonnance en toutes ces dispositions.

Pour ce faire, les magistrats ont écarté dans un premier temps l’application de la clause compromissoire (I) avant de reconnaître dans un second temps leur propre compétence en raison des règles de conflit de juridictions applicables (II).

I – L’inapplication de la clause compromissoire jugée abusive

Selon le célèbre arrêt Jaguar de la Cour de cassation, une clause compromissoire doit recevoir application en vertu de l’indépendance d’une telle clause en droit international dès lors que le contrat de consommation met en jeu les intérêts du commerce international1. Les arguments de la société d’avocats pouvaient alors sembler pertinents pour justifier l’application de la clause compromissoire, afin de contester la compétence des juridictions françaises le temps que les arbitres statuent a minima sur leur propre compétence. Pour autant, la cour d’appel de Versailles a pris soin de rappeler les dispositions du premier alinéa de l’article 1448 du Code de procédure civile. L’effet négatif du principe de compétence-compétence peut, en effet, être écarté dès lors que le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et que la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Aucune demande n’ayant été formulée à la CIMA, la Cour a dû s’intéresser au caractère « manifestement nulle ou manifestement inapplicable » de la clause compromissoire. Cette clause étant insérée dans un contrat de consommation, c’est à la lumière des dispositions de la directive n° 93/13 du Conseil des communautés européennes du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur que la validité de la convention d’arbitrage fut analysée. La Cour a ainsi rappelé l’article 3.1. de la directive précitée selon lequel une « clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». Dès lors, la Cour a mis en exergue le fait que la société ne rapportait pas la preuve – alors que, s’agissant d’une clause prérédigée, cette charge lui incombait2 – que la clause avait été individuellement négociée avec sa cliente. Au contraire, la quatorzième chambre a démontré que les éléments factuels permettaient de conforter le caractère non-négocié de la clause compromissoire afin de justifier le caractère abusif de cette dernière.

Il est cependant étonnant qu’aucun débat n’ait eu lieu afin de savoir si la clause créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. En effet, la directive ne pose aucune présomption irréfragable en la matière. Elle indique simplement que les clauses compromissoires « peuvent » – et non « doivent » – être déclarées abusives. À cet égard, et bien que certains auteurs considèrent qu’il s’agit d’une erreur matérielle du législateur3, le décret de 2009 relatif aux clauses abusives – qui reprend pour partie la rédaction de la directive – a intégré les clauses compromissoires dans la liste grise des clauses simplement présumées abusives. Il aurait donc été pertinent de procéder à cette analyse en recherchant si la clause litigieuse créait un tel déséquilibre. Cela aurait pu se manifester par l’étude d’éléments factuels, tels que les coûts qu’aurait pu entraîner le recours à la CIMA, les difficultés linguistiques que cela aurait pu poser à un consommateur français ne parlant pas la langue de la procédure, ou l’absence de voie de recours contre la sentence rendue par les arbitres. La société d’avocats aurait pu apporter la preuve que la clause compromissoire ne créait aucun déséquilibre significatif pour contester l’inapplication de celle-ci. Cela ne semble cependant pas avoir été le cas en l’espèce.

La cour d’appel a toutefois caractérisé le déséquilibre significatif, résultant du fait que la saisine de la cour arbitrale était imposée, ce qui excluait toute possibilité de recours aux juridictions étatiques. Cette solution s’inscrit donc dans la continuité de la volonté de l’ordre juridique européen – par le biais des juges nationaux – de protéger les consommateurs, considérés comme des parties faibles. L’article 6.2. de la directive n° 93/13 prévoit expressément que « [l]es États membres [doivent prendre] les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d’un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ». Or, la présence d’une clause compromissoire dans un contrat de consommation conduit à soustraire le différend de la compétence des ordres juridiques étatiques européens en faveur d’un ordre juridique tiers. Certes, il s’agit alors de l’ordre juridique arbitral – dont l’existence est reconnue par la Cour de cassation4 – et non de l’ordre juridique d’un « pays tiers », et encore moins d’un choix de loi en faveur du droit d’un État tiers. Pour autant, le recours à l’arbitrage pourrait conduire à écarter l’application de la directive. En effet, tant l’article 1511 du Code de procédure civile français que l’article 34 de la loi espagnole d’arbitrage5 – qui sont les dispositions ayant le plus de liens avec le présent litige – permettent aux arbitres de choisir, à défaut de choix de loi par les parties, les règles qu’ils estiment appropriées. Il y a donc un risque – certes minime, si l’on considère que les arbitres sélectionnent correctement les règles pertinentes – que le consommateur se voit refuser l’application de la directive. La solution adoptée permet alors à l’intimé de rester dans le cadre d’un contentieux dans lequel les dispositions de la directive s’appliqueront afin que celui-ci ne soit pas privé des protections accordées par celle-ci.

La Cour confirmant l’inapplication de la clause compromissoire dans le cadre de ce litige, il lui revenait alors de rechercher quelle serait la juridiction étatique compétente.

II – La compétence des juridictions françaises

Après avoir écarté l’application de la clause compromissoire, la Cour a reconnu la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige. Pour cela, elle rappelle les règles de conflit du règlement Bruxelles I bis, et particulièrement les dispositions relatives aux consommateurs.

Cette compétence des juridictions françaises était pourtant contestée par la société d’avocats. Le contrat litigieux ne régissait ni une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels, ni un prêt à tempérament ou une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets. Elle considérait alors que l’article 18 du règlement ne pouvait s’appliquer que dans le cas où elle aurait dirigé ses activités vers l’État membre où le consommateur était domicilié, et que cela n’était pas le cas en l’espèce. Pour autant, la Cour a retenu différents éléments de fait pour confirmer que ces conditions étaient remplies. La société d’avocats est membre d’une autre société de droit anglais qui se présente comme le principal consultant juridique et fiscal dans le monde, les numéros de téléphone sont indiqués avec le préfixe international, et le cabinet offre le service d’avocats espagnols comme français. Dès lors, la partie demanderesse en première instance ayant son domicile en France, il lui était loisible de choisir les juridictions françaises pour connaître de son contentieux en application du règlement.

Cette solution est à approuver. Le règlement rappelle en effet dans son considérant 18 qu’il est opportun de protéger les parties les plus faibles au moyen de règles de compétence plus favorables à leurs intérêts que ne le sont les règles générales justifiant ainsi le recours aux règles protectrices des consommateurs dans la présente affaire. En outre, la Cour de justice de l’Union européenne avait admis dans des arrêts concernant le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (règlement Bruxelles I), dont la jurisprudence peut être transposable au règlement Bruxelles I bis, que ces règles protectrices pouvaient s’appliquer sans exiger ni que le contrat ait été conclu à distance6, ni l’existence d’un lien de causalité entre le moyen employé pour diriger l’activité professionnelle vers l’État membre du domicile du consommateur et la conclusion du contrat avec ce consommateur7. Le simple fait de constater – comme cela a été fait par la Cour – que la société d’avocats dirigeait son activité de manière générale vers des États membres – dont la France – a permis de reconnaître la compétence des juridictions françaises en raison de la localisation du domicile du consommateur.

La Cour précise ensuite que l’action en responsabilité contre le cabinet d’avocats était connexe à celle relative à la succession. Cela lui permit de confirmer la compétence du TGI de Pontoise dans le ressort duquel demeure un des défendeurs. Cette solution, qui s’explique par un souci de bonne administration de la justice, ne peut qu’emporter l’adhésion.

Cet arrêt du 15 février 2018 de la cour d’appel de Versailles rappelle donc les spécificités existant dans les rapports entre le droit de la consommation d’une part, et le droit international privé et l’arbitrage d’autre part. Le consommateur en tant que partie faible bénéficie de règles procédurales qui lui sont favorables. Cet avantage, justifié par l’asymétrie des relations entre consommateur et professionnel, permet tantôt d’écarter l’application d’une clause compromissoire, tantôt de privilégier les juridictions de l’État dans lequel le consommateur a son domicile.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-11429 : RTD com. 1998, p. 330, obs. Dubarry J.-C. et Loquin E. ; Rev. crit. DIP 1998, p. 87, obs. Heuzé V. ; Contrats, conc. consom. 1997, comm. 143, obs. Leveneur L. ; RJDA 10/97, n° 1286, p. 886 ; JDI 1998, p. 969, obs. Poillot-Peruzzetto S.
  • 2.
    Article 3.2 de la directive n° 93/13 du Conseil des communautés européennes du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
  • 3.
    Sauphanor-Brouillaud N., « La clause compromissoire abusive », LPA 12 févr. 2009, p. 54.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 13-25846 : D. 2015, AJ, p. 1547 ; D. 2015, p. 2241, édito Cassia P. ; D. 2015, pan., p. 2038, obs. Bollée S. ; D. 2015, pan., p. 2599, obs. Clay T. ; JCP G 2015, 1004, obs. Nourissat C. ; D. 2015, p. 1164, note Brabant T. A. et Desplats M. ; D. 2015, p. 1370, obs. Seraglini C. ; LPA 6 nov. 2015, p. 13, obs. Michou I. ; JDI 2016, n° 8, note de Vareilles-Sommières P. ; Procédures 2015. étude 9, obs. Weiller L.
  • 5.
    Citée par Loquin E., L’arbitrage du commerce international, 2015, Joly, spéc. § 424.
  • 6.
    CJUE, 6 sept. 2012, n° C-190/11, Mühlleitner : Rev. crit. DIP 2013, p. 487, note Sinay-Cytermann A.
  • 7.
    CJUE, 17 oct. 2013, n° C-218/12, Lokman Emrek : Rev. crit. DIP 2014, p. 630, note Boskovic O.
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