Chronique de jurisprudence des juridictions financières (janvier 2021 – juin 2021)
La chronique de jurisprudence des juridictions financières propose d’étudier les décisions rendues par le Conseil d’État, la Cour des comptes, les chambres régionales et territoriales des comptes ainsi que la Cour de discipline budgétaire et financière, qui ont une portée particulièrement significative pour le droit public financier. Elle est dirigée par Émilie Moysan, maître de conférences en droit public à l’université du Mans, et couvre la période de janvier à juin 2021.
Comment concilier soutien à l’activité et soutenabilité des finances publiques ? C’est la question à laquelle la Cour des comptes a ambitionné de répondre dans une communication au Premier ministre publiée en juin 20211.
Pour les magistrats de la rue Cambon, la maîtrise de la dépense publique est l’enjeu principal de sortie de crise. La Cour montre en effet que le niveau de la dépense publique est sensiblement plus élevé en France que dans les pays dont le modèle social est comparable (8,6 points d’écart avant la crise, soit en 2019), sachant que la crise sanitaire a creusé sensiblement le ratio de dette publique de la France par rapport à son PIB (100 % en 2019 et 117 % en 2021). Pour la Cour, ces éléments justifient la nécessité de limiter l’évolution des dépenses publiques, puisque l’augmentation des recettes fiscales n’est pas une hypothèse retenue par les décideurs politiques. En clair, pour limiter les effets d’une éventuelle autre crise sanitaire ou économique, il est nécessaire de concentrer l’effort d’investissement public sur des dépenses d’avenir (innovation, recherche, développement des compétences…), de soutenir la transition écologique, d’accélérer la transformation numérique et de renforcer les capacités de résilience de notre système économique.
La Cour appelle également de ses vœux un renforcement du rôle du Haut conseil des finances publiques afin que celui-ci examine plus régulièrement les hypothèses de croissance potentielle et puisse enclencher un mécanisme de pré-alerte pour identifier les risques d’écart par rapport à la trajectoire sur laquelle le gouvernement s’engage dans les textes financiers. La Cour propose aussi de remettre sur le métier la réforme des retraites pour tenir compte des évolutions démographiques et de l’allongement de la durée de la vie. Elle propose d’appliquer à nouveau une norme de dépense aux dépenses d’assurance-maladie et de renforcer la politique de prévention des maladies.
Mais plus encore, ce qui est en cause, c’est surtout la qualité de la dépense publique, qui doit être plus efficiente et de meilleure qualité dans les services rendus aux citoyens. Quatre leviers sont envisagés par la Cour :
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1. Procéder à une revue des missions des administrations.
Voilà une proposition qui ne manquera pas d’étonner par son manque d’originalité. On retrouve en effet l’idée, déjà ancienne, qui animait la révision générale des politiques publiques (RGPP), la modernisation de l’administration publique (MAP) ou plus récemment le programme action publique 2022 ; réformes qui n’ont pas atteint totalement leurs objectifs. Parfois perçues comme brutales par les agents, comme trop systématiques ou comme parcellaires, ayant conduit à la réalisation de peu d’économies budgétaires, ces réformes ont manqué de stratégie globale sur le long terme. On comprend le souci de la Cour des comptes consistant à affirmer que l’assainissement des finances publiques ne passera pas seulement par une logique budgétaire. Pour elle, il est tout aussi fondamental de se demander quel doit être le rôle de l’État pour opérer un choix entre différentes dépenses publiques. Il ne faut donc pas s’arrêter à l’intitulé de la proposition faite par la Cour des comptes. Cette dernière met le personnel politique devant une question lourde, celle de la définition et du pilotage de la stratégie de la réforme de l’État.
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2. Développer la contractualisation en contrepartie d’une plus grande liberté de gestion.
Là encore, la Cour des comptes relance une idée ancienne, celle de responsabiliser les acteurs publics en préconisant qu’ils s’engagent sur des résultats par voie contractuelle. Cette proposition, nouvelle dans sa formulation, laisse songeur d’un point de vue juridique et de sa compatibilité avec les dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Plus encore, même si le contrat devient de plus en plus la norme en droit de la fonction publique, pourra-t-on véritablement demander à des agents de s’engager contractuellement sur des résultats alors même que le statut de la fonction publique les protège de toute responsabilité sur ces mêmes résultats ? La question soulevée par la Cour est donc lourde de sens et, si les pouvoirs publics entendaient lui donner une suite, elle appellerait une réponse qui interroge l’avenir de la fonction publique telle qu’elle est conçue.
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3. Simplifier l’organisation des administrations et diminuer le poids des procédures et des normes.
La crise sanitaire aura peut-être eu cet impact positif d’assouplir les procédures de la prise de décision publique afin de l’accélérer. Espérons que la fin de la crise ne marque pas le retour à la rigidité administrative française. Quant au poids des normes, la Cour relève que la circulaire du Premier ministre du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail est efficace sur le stock (chute de 65 % en nombre) mais pas sur le flux (plus de 1 300 nouvelles circulaires diffusées en 2018, dont une minorité signée par les ministres). La Cour propose notamment aux administrations de procéder périodiquement à une revue du corpus des normes qu’elles produisent, d’en évaluer le coût et de proposer des simplifications. Il est envisagé de privilégier l’usage de recommandations plutôt que de normes impératives.
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4. Favoriser la transparence et développer les évaluations des politiques publiques.
La transparence renvoie aux citoyens et à leur information. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) avait poursuivi cet axe, mais nombreux sont les observateurs à estimer qu’elle a trop multiplié l’information et qu’une partie non négligeable des dépenses publiques ne sont pas évaluées, c’est le cas notamment de nombreuses dépenses fiscales. Or il est indispensable de préserver la transparence et l’information des citoyens pour la bonne santé de notre démocratie. La Cour entend devenir l’acteur majeur dans la conduite de l’évaluation des politiques publiques en France, par exemple en consacrant 20 % des ressources des juridictions financières à l’évaluation des politiques publiques, contre 5 % aujourd’hui2.
Émilie MOYSAN
C. comptes, 9 févr. 2021, DGFIP de la Nièvre : une approche renouvelée de la notion de force majeure. Incontestablement, la décision de la Cour des comptes en date du 9 février 2021 dénote, en comparaison des précédentes positions jurisprudentielles adoptées sur le sujet.
La Cour des comptes y approche la notion de force majeure sous un angle totalement nouveau, illustration d’un revirement de jurisprudence dont il faut espérer qu’il ne se limite pas à ce cas d’espèce.
Rappelons le contexte : depuis que le juge des comptes est autorisé à apprécier les circonstances de force majeure, il a élaboré une jurisprudence sévère et contestée.
Son appréciation de la notion de force majeure est apparue très restrictive, probablement trop, avec une perception étroite des critères d’irrésistibilité, d’imprévisibilité et d’extériorité.
Dans les faits, le juge des comptes retient rarement ces circonstances pour atténuer la responsabilité du comptable public3. Pour illustrer cette rigueur, l’exemple peut être donné des comptabilités contrôlées sur le territoire toulousain au moment de la catastrophe de l’usine AZF en 2001. Dans une globalité, la Cour des comptes avait constaté que cet événement était certes extérieur au comptable et imprévisible mais qu’en revanche, il ne pouvait être considéré comme irrésistible, retenant à propos de la tenue de la comptabilité d’un lycée que si les activités de l’établissement concerné avaient été réparties sur plusieurs sites à la suite de la catastrophe, cette perturbation du poste comptable n’avait pas entraîné d’interruption de son fonctionnement4.
Avec sa décision DGFIP de la Nièvre, la Cour des comptes entreprend un véritable revirement de sa jurisprudence. En particulier, devrait-on dire, sa première chambre car le point est acquis : la Cour des comptes a souvent démontré l’incohérence de positions jurisprudentielles divergentes entre ses chambres. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le premier président Moscovici, dans son programme JF 2025, à envisager la création d’une chambre du contentieux au sein de la Cour des comptes afin de mettre un terme à ces positions contraires que trop souvent le Conseil d’État, juge de cassation, a été amené à arbitrer.
C’est donc bien à la première chambre de la Cour des comptes que revient le mérite d’avoir, enfin, fait coïncider les réalités comptables avec la notion de force majeure.
On peut se douter que cette évolution jurisprudentielle n’a pas été facile à obtenir et que les résistances internes ont été nombreuses. Mais le résultat est là : la Cour des comptes a renouvelé son approche de la notion de force majeure à propos d’un défaut de justification d’un solde débiteur. En l’espèce, celui du compte « trop perçu sur le produit des taxes et impôts à récupérer » correspondant, pour l’essentiel, à des indus de taxes locales d’équipement. Pour s’en défendre, les agents comptables avaient justifié ce solde par la bascule des opérations comptables dans l’application Chorus et le fait que l’ensemble des opérations avait été repris sans analyse particulière des opérations préalablement enregistrées. En particulier, les agents comptables avaient demandé à plusieurs reprises, à leur administration centrale, le détail des opérations en balance d’ouverture de Chorus. Sans succès. Mieux encore, cette administration leur avait demandé de ne pas engager de diligences dans l’attente d’un traitement national de l’anomalie, traitement qui n’est jamais intervenu…
Ce sont ces éléments rassemblés qui ont conduit la Cour des comptes à revoir son approche de la notion de force majeure et, pour l’espèce commentée, à écarter la responsabilité du comptable public.
Si cet arrêt annonce la position future de la Cour des comptes à l’égard de cette notion de force majeure, il pourra être retenu comme opérant un revirement de jurisprudence.
C’est en tout cas tout le mal qu’on peut lui souhaiter.
La création d’une chambre du contentieux, qui va concentrer la totalité de l’activité juridictionnelle de la Cour des comptes, pourrait y contribuer. À la condition que ceux qui seront en charge de cette chambre partagent l’idée d’une évolution nécessaire de la jurisprudence de la Cour des comptes qui se doit d’être plus en phase avec les réalités comptables. La première chambre de la Cour des comptes l’a bien compris.
Cette évolution jurisprudentielle n’a que trop tardé. En témoigne cette ordonnance du printemps 2020 par laquelle l’exécutif a entendu lier le juge des comptes dans son approche de la notion de force majeure, en situation de crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Un texte qui est le résultat de la crainte de voir, une fois encore, le juge des comptes faire preuve de sévérité dans l’usage de cette notion en plein contexte de pandémie.
L’ordonnance n° 2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics a ainsi entendu imposer au juge des comptes sa manière de juger les circonstances de crise sanitaire dans lesquelles les comptables publics ont évolué, imposant au juge de considérer que les mesures de restriction et de confinement décidées par le gouvernement à compter du 12 mars 2020, ainsi que l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, soient considérées comme constitutives de circonstances de force majeure dans l’appréciation de la responsabilité des comptables publics. Le gouvernement a ainsi anticipé une jurisprudence financière défavorable aux comptables publics… Une démarche suffisamment symptomatique pour être relevée. Et que l’on peut même comprendre du point de vue de Bercy qui a entendu protéger ses agents d’un juge trop sévère à leur égard et ce, particulièrement dans l’appréciation des circonstances de force majeure.
C’est la conclusion à laquelle nous avions abouti à l’occasion du colloque organisé par l’université d’Aix-Marseille le 12 février dernier, quelques jours seulement après la décision commentée (actes à paraître à la revue Gestion et finances publiques), estimant que la Cour des comptes récoltait, ici, ce qu’elle avait semé : trop sévère, déconnectée des réalités comptables, la jurisprudence financière n’a jamais vraiment convaincu. Pendant trop longtemps, le juge financier s’est finalement complu dans un système dans lequel il profitait de ce filet de sécurité permettant au comptable d’obtenir remise gracieuse du débet qu’il avait prononcé. Il n’avait finalement pas à se préoccuper des incidences financières des décisions qu’il rendait sur son justiciable, le comptable. Sur ce plan également, ses décisions sont apparues peu en phase avec les situations comptables.
Indubitablement, si le juge financier avait fait preuve de plus de réalisme dans sa prise de décision et, en l’occurrence, s’il avait développé une jurisprudence plus adaptée en matière de force majeure, le gouvernement n’aurait pas éprouvé ce besoin de corseter ses interventions avec cette ordonnance visant à lui faire admettre que la pandémie de Covid-19 relève de circonstances de force majeure.
Et c’est quand même un fait majeur à souligner : il a fallu une ordonnance pour s’assurer que le juge des comptes fasse preuve de réalisme dans son jugement des comptes tenus en période de pandémie…
La décision du 9 février 2021 doit donc être saluée en ce qu’elle opère un revirement de jurisprudence indispensable, en ce qu’elle permet une meilleure adéquation des décisions rendues par le juge des comptes avec les réalités comptables et enfin, en ce qu’elle introduit une dose supplémentaire et nécessaire de subjectivisation de l’office du juge des comptes.
Une seule incertitude à ce jour : cette décision annonce-t-elle un revirement pérenne ou alors doit-on la considérer comme une tentative sans lendemain ?
Stéphanie DAMAREY
CAA Nantes, 4e ch., 8 janv. 2021, n° 19NT04628 : un service public, un budget annexe. Le droit des finances locales repose, comme à l’échelon étatique, sur un certain nombre de grands principes apparus dès la Restauration. Parmi eux, les principes d’universalité et d’unité budgétaire fondent un socle perpétuel et résilient permettant la préservation des intérêts financiers de l’État et des collectivités territoriales. Protégés par le juge constitutionnel et le juge administratif, ils veillent à ce que les représentants du peuple suivent ce cadre juridique et politique nécessaire à la bonne gestion des deniers publics. Ces principes connaissent toutefois certaines exceptions, que la doctrine qualifie le plus souvent de dérogations. Parmi elles, les principes d’universalité et d’unité partagent une dérogation commune : les budgets annexes. Concomitamment à l’adoption de leurs budgets principaux, les collectivités territoriales peuvent, lorsqu’elles créent une régie, adopter des budgets annexes afin de suivre l’exploitation directe d’un service public ou d’individualiser sa gestion. Si les collectivités peuvent user de cet aménagement, ce n’est pas sans limites comme le rappelle le juge dans l’arrêt ici commenté de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 8 janvier 2021.
Par un arrêté préfectoral du 13 décembre 2016, une communauté de communes a été créée à l’issue d’une fusion de plusieurs communautés de communes préexistantes. À la suite de cette création, la préfète a transféré par un arrêté du 12 juin 2017, au sein des compétences optionnelles exercées par la communauté de communes, les compétences relatives à la mise en œuvre et à la gestion du service public d’assainissement non collectif (SPANC). Par huit délibérations du 22 mars 2018, le conseil communautaire du nouvel établissement public de coopération intercommunale a adopté huit budgets annexes du service public d’assainissement collectif pour huit communes de la communauté de communes.
La préfète a alors saisi le tribunal administratif de déférés dirigés contre ces huit délibérations, demandant aux juges d’annuler ces délibérations créant huit budgets annexes car ceux-ci porteraient atteinte aux grands principes budgétaires. Par un jugement du 27 septembre 2019, le tribunal administratif compétent a donné droit à la demande du représentant de l’État et a annulé ces délibérations.
La communauté de communes a alors interjeté appel, demandant l’annulation du jugement, le rejet des demandes de la préfète, mais également, à titre subsidiaire, de différer la prise d’effet de la décision. Les moyens soulevés par la communauté de communes apparaissent, tout comme les budgets annexes votés, multiples. En effet, cette émancipation vis-à-vis des règles budgétaires s’expliquait d’abord par une grande disparité des modalités de gestion et des investissements réalisés sur les périmètres des différentes communes membres de la communauté de communes. À cela s’ajoutaient des disparités de modes de gestion, d’investissements et de dettes liés aux services d’assainissement collectif sur le périmètre des huit communes concernées par les délibérations qui justifiaient la division budgétaire opérée. La collectivité arguait également que la division budgétaire n’avait engendré aucune différence de tarifs manifestement disproportionnée entre les usagers et qu’ainsi elle n’avait pas méconnu le principe d’égalité de traitement des usagers du service public. Si le juge ne lui donnait pas raison à titre principal, elle avançait également qu’en cas d’annulation, ses effets devaient être modulés en raison des conséquences très lourdes s’attachant à l’annulation des huit budgets, d’autant qu’il existait un projet de modification de la loi afin de rendre facultatif ou retardant le transfert de la compétence « assainissement collectif » des communes au profit des communautés de communes.
Se posait alors la question de savoir si plusieurs budgets annexes pouvaient être adoptés pour un même service en cas de grande disparité entre les différentes communes d’une communauté de communes.
La cour administrative d’appel de Nantes répond par la négative, rejetant ainsi la demande. Les juges consacrent une nouvelle fois le principe d’unité budgétaire, principe qui s’oppose à ce que soient créés plusieurs budgets annexes pour un service unique. Ils rappellent alors les règles budgétaires, notamment celles de l’instruction budgétaire et comptable M4 applicable aux services publics industriels et commerciaux, qui, selon eux, font obstacle à la création de plusieurs budgets annexes. Si aucune disposition n’interdit directement une pluralité de budgets annexes pour un même service mis à part le principe d’unité, aucune disposition contraire ne le permet.
Les juges viennent alors une nouvelle fois user du principe d’unité budgétaire pour interdire la multiplication des budgets annexes pour un même service (I), et cela quand bien même des particularités locales pourraient la justifier et qu’elle n’entraînait aucune conséquence pour les usagers (II).
I. La multiplication des budgets annexes, une atteinte au principe d’unité budgétaire
Le principe d’unité budgétaire est pour l’État posé à l’article 6 de la LOLF, et est reconnu implicitement en droit des finances locales par différents textes propres à chaque collectivité territoriale5. Il impose que le budget soit présenté au sein d’un seul document, devant alors contenir toutes les charges et les ressources soumises à l’autorisation de l’autorité délibérante. On parle alors d’unité formelle et d’unité matérielle.
Toutefois, en pratique, ce principe connaît plusieurs dérogations conduisant alors à un démembrement budgétaire rendu nécessaire par la pratique. Tel est le cas des budgets annexes, qui viennent alors s’extraire du budget principal pour vivre leur propre existence. Il n’existe pas de définition législative des budgets annexes. Seule l’instruction budgétaire et comptable M4 vient en dessiner le périmètre. La notion se définit comme le budget d’une régie, créé en vertu des dispositions de l’article L. 2221-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales et voté par l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale, en dehors du budget principal. Ce service à comptabilité distincte permet une présentation individualisée des opérations6. La création de certains budgets annexes est obligatoire, comme pour les services de distribution d’eau potable et d’assainissement. D’autres sont facultatifs et ne peuvent être créés qu’en vertu d’un texte7.
En l’espèce, le transfert des compétences relatives à la mise en œuvre et à la gestion du service public d’assainissement non collectif à la collectivité a conduit cette dernière à devoir extraire les charges et les ressources de ce service du budget principal, et à adopter un budget annexe. Cette création était rendue obligatoire par les textes.
Toutefois, au regard du contexte particulier, la communauté de communes a souhaité individualiser davantage les finances du service pour pouvoir suivre de manière plus efficiente son exploitation directe et individualiser sa gestion à l’intérieur même de ce dernier. Elle a alors adopté huit budgets annexes pour ce même service. Ce choix vertueux semblait alors s’insérer dans la logique même des budgets annexes et rien ne semblait l’interdire.
Pourtant, les juges de la cour administrative d’appel y ont vu une atteinte au principe d’unité budgétaire et se sont opposés à cette tentative d’émancipation de la collectivité. Pour cela, les juges rappellent l’article L. 2224-2 du Code général des collectivités territoriales qui interdit qu’une commune prenne en charge sur son budget propre des dépenses au titre des services publics tels que le service public industriel et commercial d’assainissement, ainsi que l’article R. 2221-69 du même code qui dispose que les recettes et les dépenses de fonctionnement et d’investissement de chaque régie font l’objet d’un budget distinct. La combinaison de ces deux articles placés sous la houlette du principe d’unité budgétaire imposait à la communauté de communes d’établir un budget annexe pour ce même service, par dérogation au principe, en raison du transfert de la compétence relative à l’assainissement. Si les budgets annexes apparaissent comme une dérogation au principe d’unité, celle-ci est strictement limitée aux termes des dispositions qui la prévoient. Seule une dérogation imposait l’adoption d’un budget annexe pour ce service. Aucune dérogation n’autorisait la création de plusieurs budgets annexes pour un service unique d’assainissement géré par une communauté de communes. S’agissant d’une hypothétique extension découlant d’une dérogation prévue par les textes, il ne convenait pas de rechercher s’il existait une interdiction par une quelconque disposition, mais plutôt si cela était autorisé par un texte. Or, il n’en est rien. Toute initiative en dehors du champ des dérogations prévues par le législateur vient alors se heurter au principe de 1794.
Alors que les budgets annexes se posent en dérogation au principe d’unité budgétaire, leur multiplication pour un même service en devient une atteinte, et cela, quelle qu’en soit la raison.
II. Une atteinte injustifiable inféodée au contexte
Face aux arguments de la préfète, la collectivité justifiait le choix opéré de multiplier les budgets annexes pour ce même service par des particularités locales. Toutefois, pour les juges, aucune justification ne permettait de sortir du cadre de la dérogation, quand bien même l’intention de la collectivité apparaissait louable et que cela n’ait eu aucune conséquence pour les usagers.
En l’espèce, de grandes disparités entre les communes pouvaient compliquer l’exploitation et la gestion de ce service. Il existait d’abord une grande disparité des modalités de gestion et des investissements réalisés sur les périmètres des différentes communes, ainsi que des disparités de modes de gestion, d’investissements et de dettes liés aux services d’assainissement collectif sur le périmètre des huit communes concernées. Pour toutes ces raisons, l’intérêt de multiplier les budgets annexes était réel, car un budget annexe sert justement à suivre l’exploitation directe d’un service public et à individualiser sa gestion. Cela aurait donc permis une meilleure exploitation et gestion du service.
Pourtant, les juges n’ont pas accueilli favorablement cet argument. Non pas parce que l’opération semblait injustifiée, mais uniquement parce qu’elle n’est pas autorisée par les textes. Dès lors, la communauté de communes ne pouvait créer plusieurs budgets annexes pour un même service, et l’existence de disparité de gestion et de situation du service au sein des différentes communes ne pouvait convaincre les juges.
Il en a été de même concernant l’absence d’atteinte au principe d’égalité entre usagers de ce service8. La collectivité avançait que l’adoption de ces huit budgets annexes n’avait eu aucune conséquence sur les usagers, car elle n’avait pas engendré de différences de tarifs manifestement disproportionnées. Il est vrai que le risque premier pour les usagers du service public résidait dans le fait que cette multiplication des budgets annexes puisse avoir une influence sur les tarifs appliqués.
Pourtant, là encore, peu importent les conséquences, le fait qu’aucune disposition ne prévoit une telle dérogation au principe d’unité budgétaire impose l’annulation pure et simple de ces huit délibérations.
Enfin, le couperet tombe pour la collectivité, les juges ne diffèrent pas non plus la prise d’effet de la décision. S’il leur appartient, au regard des conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et des inconvénients qui en découleraient au regard du principe de légalité et du droit des justiciables, d’adapter les effets de la décision, les juges considèrent que celle-ci n’entraînera pas en l’espèce de conséquence manifestement excessive.
Par cette jurisprudence, les juges rappellent une nouvelle fois l’importance des grands principes budgétaires dans l’élaboration des budgets locaux. Seules les dérogations limitativement énumérées par les textes permettent de s’en écarter. Cette solution, sévère pour la collectivité territoriale, est pour autant prudente et souhaitable tant les risques d’atteintes aux principes du droit budgétaire sont de plus en plus grands.
Julien DEFLINE
Notes de bas de pages
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1.
Cour des comptes, Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, Communication au Premier ministre, juin 2021, 208 p.
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2.
C. comptes, « JF 2025. Construire ensemble l’avenir des juridictions financières », févr. 2021, p. 26.
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3.
M. Abdulghani, « Le juge des comptes, juge de la force majeure », GFP 2013, n° 1, p. 52.
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4.
C. comptes, 23 janv. 2009, n° 5331, Lycée technique Déodat de Severac de Toulouse : GFP 2010, p. 289, chron. M. Lascombe et X. Vandendriessche.
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5.
Le principe d’unité est une « règle fondamentale », probablement à valeur constitutionnelle (Cons. const., 29 déc. 1994, n° 94-351 DC).
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6.
Les budgets annexes ne sont toutefois pas indépendants du budget général de la collectivité territoriale (CE, 25 févr. 1998, n° 168726, Préfet de la Haute-Corse). Les produits et les charges des services concernés sont repris dans deux articles, l’un pour les recettes, l’autre pour les dépenses (CGCT, art. L. 2221-11).
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7.
CE, 10 juill. 1987, n° 58874, Conseil régional d’Île-de-France.
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8.
Ce principe, qui veut que les situations identiques soient traitées de manière identique, a été reconnu comme un PGD (CE, 9 mars 1951, n° 92004, Sté des concerts du conservatoire).
Référence : AJU001e2