Recours contre une décision de l’INPI et procédure civile : modification de jurisprudence

Publié le 08/06/2021

Il résulte de l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, tel qu’interprété par la CEDH, que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même, et elles ne se concilient avec le texte précité que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

S’agissant plus particulièrement de la réglementation relative aux formes à respecter pour introduire un recours, elle vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, et la CEDH a considéré que les intéressés devaient s’attendre à ce que ces règles soient appliquées, rappelant, à cet égard, qu’il leur incombe au premier chef de faire toute diligence pour la défense de leurs intérêts.

Les dispositions de l’article R. 411-21 du Code de propriété intellectuelle, dans leur rédaction alors applicable, qui prévoient qu’à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, la déclaration de recours contre une décision rendue par le directeur de l’INPI comporte lorsque le requérant est une personne morale, les précisions de sa forme, sa dénomination, son siège social et de l’organe qui la représente légalement, sont légitimes, dès lors que, s’appliquant à un recours contre l’acte administratif individuel que constitue la délivrance d’un titre de propriété industrielle par le directeur de l’INPI (Cass. com., 31 janv. 2006, n° 04-13676), elles sont destinées à assurer le respect du principe de sécurité juridique. En effet, l’obligation pour la personne morale de mentionner l’organe la représentant permet au juge et à la partie défenderesse de s’assurer que le recours est formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale.

Énoncée clairement par le texte susvisé, cette formalité peut être aisément accomplie, dès lors que la personne morale connaît nécessairement l’identité de son représentant légal, de sorte que ce texte ne crée aucune incertitude et permet à l’auteur du recours, qui doit s’attendre à ce que ces règles soient appliquées et faire toute diligence pour la défense de ses intérêts, de se conformer aux exigences du texte.

Cependant, tandis que l’article 126 du Code de procédure civile dispose que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, il est jugé de façon constante que les dispositions de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle sont spécifiques, qu’elles excluent l’application de l’article 126 du code précité et qu’il ne peut donc être procédé à la régularisation ultérieure d’un défaut de mention (Cass. com., 7 janv. 2004, n° 02-14115).

Or la possibilité de régularisation jusqu’à ce que le juge statue n’empêcherait pas le contrôle du juge et ne porterait aucune atteinte aux intérêts légitimes de la partie défenderesse. Par ailleurs, les objectifs de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, auxquels répond l’irrecevabilité pour défaut d’une des mentions requises, ne seraient pas affectés par l’ouverture d’une telle possibilité de régularisation.

Par conséquent, l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a jusqu’à présent été interprété, n’assure pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et porte une atteinte excessive au droit d’accès au juge.

Il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 précité en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du Code de procédure civile et que, dès lors, l’irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l’INPI résultant de l’omission, dans la déclaration de recours, d’une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Cette nouvelle interprétation ne saurait toutefois être opposée à la titulaire d’une marque complexe qui formait un recours contre le rejet de l’opposition à l’enregistrement d’un signe verbal, pour lui reprocher de ne pas avoir procédé à la régularisation de la situation résultant du défaut de mention dans sa déclaration de recours de l’organe la représentant, dans la mesure où la jurisprudence antérieure excluait toute possibilité de régularisation.

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