Dons transfrontaliers et dispositifs fiscaux de faveur

Publié le 22/06/2021
Mécénat, dons
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Le point sur la territorialité des régimes fiscaux applicables aux actions à l’international.

L’arrêt Persche (CJCE, 27 janv. 2009, n° C-318/07, Hein Persche) a permis de faire entrer les dons transfrontaliers dans le champ des dispositifs fiscaux applicables au mécénat. À l’origine, ils étaient réservés aux dons effectués à des organismes d’intérêt général établis sur le territoire national.

L’impact de l’arrêt Persche

Avec cette décision rendue à propos des règles fiscales allemandes du mécénat, la CJUE a jugé que les discriminations opérées par les États membres entre les dons effectués aux profits d’organismes sans but lucratif (OSBL) nationaux et les dons effectués au bénéfice d’organismes charitables établis dans un autre État de l’Union européenne, pour justifier le refus d’accorder un avantage fiscal, sont contraires à la liberté de mouvement des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE, lorsque les organismes non-résidents satisfont aux conditions imposées par la législation nationale pour l’octroi de cet avantage fiscal. Une telle différence de traitement est en effet susceptible de décourager les contribuables français de réaliser des dons au bénéfice d’organismes charitables qui sont établis ailleurs que sur le territoire national. Afin de se mettre en conformité avec les exigences de la CJUE, les États membres ont donc dû modifier leurs dispositifs incitatifs en matière de philanthropie.

La France a opéré ces modifications en 2009 pour les trois dispositifs concernés :

– l’article 200-1 du Code général des impôts (CGI) fixant la réduction d’impôt sur le revenu au taux de 66 % dans la limite de 20 % du revenu imposable du donateur avec faculté de report de l’éventuel excédent sur les 5 années suivantes ;

– l’article 885-0 V bis A du CGI, qui prévoyait alors une réduction d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), toujours applicable dans le cadre de l’IFI désormais, au taux de 75 % du montant du don effectué au profit de certains organismes d’intérêt général, dans la limite de 50 000 € ;

– l’article 238 bis du CGI prévoyant pour les entreprises une réduction d’impôt sur les bénéfices au taux de 60 % de la valeur des dons dans la limite annuelle de 0,5 % de leur chiffre d’affaires avec faculté de report de l’excédent sur les 5 exercices suivants.

La naissance de l’eurodonateur

L’adaptation de ces régimes a ouvert aux organismes d’intérêt général établis sur le territoire européen de nouvelles opportunités de collecte de dons à partir de la France. « Ces différents dispositifs incitatifs ont été étendus aux dons versés à un organisme situé à l’étranger dans un État de la Communauté européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale », précise Stéphane Couchoux, avocat et directeur associé au sein du cabinet Fidal. Il s’agit en pratique de l’Islande, de la Norvège et du Liechtenstein, dès lors qu’ils poursuivent des objectifs et présentent des caractéristiques similaires aux organismes français répondant aux conditions fixées par ces dispositifs. « Pour bénéficier de ces différents régimes, ces OSBL peuvent solliciter un agrément » précise l’avocat. Cette procédure permet à l’administration fiscale de vérifier que les entités gratifiées constituent bien des organismes d’intérêt général au sens de la législation fiscale française. « Lorsqu’il est accordé, l’agrément est valable trois ans. Lorsqu’il n’a pas été sollicité, le contribuable donateur français doit être en mesure de produire les pièces justificatives attestant que l’organisme gratifié remplit les conditions fixées par cette procédure d’agrément », poursuit Stéphane Couchoux.

Pour être considéré comme d’intérêt général, l’OSBL doit avoir une gestion désintéressée, ne pas exercer d’activités lucratives au sens de l’article206-1 du CGIet ne pas fonctionner au profit d’un cercle restreint de personnes. Il doit en outre exercer une activité présentant l’un des caractères énumérés par les articles 200 et 238 bis du CGI: philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.

Quid des États tiers ?

Le législateur n’a ouvert les dispositifs incitatifs qu’aux seuls État de la Communauté européenne ou de l’EEE ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscales. Les donateurs qui souhaiteraient gratifier des OSBL implantés dans des États tiers ne peuvent donc pas en principe bénéficier des dispositifs incitatifs français. En pratique, cette règle souffre des exceptions. « Cette tolérance de Bercy vise les projets humanitaires (actions d’urgence et d’aide à une population dans la misère ou en détresse), environnementaux, scientifiques ou destinés à faire rayonner l’exception culturelle à l’étranger », explique Stéphane Couchoux. En outre, pour qu’un don effectué pour un programme dans un état tiers soit éligible au régime fiscal de faveur, l’organisme bénéficiaire des dons ou des versements doit être établi sur le territoire français et opérer le programme à partir de la France. « L’OSBL doit définir et maîtriser le programme à partir de la France. Il doit financer directement les actions entreprises. Et il doit être en mesure de justifier des dépenses qu’il a exposées pour remplir sa mission », précise Stéphane Couchoux. Ces deux dernières conditions supposent que les fonds perçus soient versés sur des comptes bancaires propres à l’organisme français concerné et qu’en conséquence, l’utilisation des fonds soit contrôlable à tout moment au moyen de sa propre comptabilité par l’administration fiscale française. « L’entité redistributrice implantée en France, généralement une fondation d’utilité publique ou un fonds de dotation peut reverser les sommes à l’OSBL installé dans l’État tiers où va s’opérer le programme, mais il doit mettre en place avec cet OSBL, un accord de coopération, c’est-à-dire une convention cadre qui lui permet de démontrer qu’il remplit la totalité de ces conditions », explique Stéphane Couchoux.

Des différences de traitement

Si on prend l’exemple d’un projet de création d’un OSBL en France destiné à soutenir au Maroc, tout à la fois la création d’une résidence d’artistes plasticiens et un programme de sensibilisation à l’art dans les écoles primaires, on s’aperçoit donc que ce type de projet n’est pas éligible aux dispositifs d’incitation fiscale. Bercy limite l’éligibilité aux régimes fiscaux de faveur aux dons transnationaux effectués dans le cadre de programmes concourant à la diffusion de la culture, de la langue ou des connaissances scientifiques françaises ou à des programmes humanitaires d’aide en faveur des populations en détresse dans le monde. « Au cas présent, les projets visés n’entrent pas dans cette définition. Il en irait autrement s’il s’agissait par exemple d’un programme destiné à mettre en place un atelier d’écriture ou de théâtre en langue française », commente l’avocat.

L’OSBL finance également le développement économique local de la région de l’Ourika, via un accompagnement de l’artisanat local, en mettant en place un partenariat entre la résidence d’artistes plasticiens et les femmes de la vallée de l’Ourika qui confectionnent des tapis. « À première vue, ce dernier projet paraît se situer dans les clous », explique Stéphane Couchoux. « En effet, en l’absence d’OSBL relais au Maroc il est évidemment initié et dirigé de France. La notion de développement économique local paraît également en accord avec l’exception humanitaire développée par Bercy. Mais en réalité, l’administration fiscale se montre assez subtile sur ce point. Les actions de développement économique locales doivent venir en appui d’un projet plus global lui-même reconnu comme éligible. Ce n’est pas le cas ici », conclut l’avocat. A contrario, si on prend un projet de création d’OSBL en France destiné à soutenir une fondation installée au Liban gérant un hôpital qui dispense des soins gratuits et un programme d’aide aux médicaments à des familles locales démunies ainsi qu’à des réfugiés syriens, on est bien dans le cadre de l’exception humanitaire. « Nous sommes tout à la fois dans le cadre d’une action d’urgence : des faits de guerre pour la population syrienne, une catastrophe technologique pour la population libanaise et dans le cadre d’une action en vue de satisfaire les besoins indispensables d’une population en état de détresse et de misère (soins et médicaments) », explique Stéphane Couchoux. « Pour sécuriser ce projet, l’OSBL, vraisemblablement un fonds de dotation créé en France, et la fondation étrangère prendront soin de rédiger un accord de coopération ad hoc », conclut l’avocat.