Punaise de lit : à qui incombe la charge financière du traitement ?

Publié le 25/10/2023
Punaise de lit : à qui incombe la charge financière du traitement ?
Africa Studio/AdobeStock

Depuis la rentrée impossible d’éviter le sujet des punaises de lit qui auraient envahi nos transports, nos salles de cinéma et autres lieux de loisirs, voire même les écoles, collèges et lycées. De nombreux traitements plus ou moins naturels sont chaque jour détaillés dans les médias pour éradiquer cet insecte dont l’apparence était peu connue jusqu’à il y a peu. Mais ceux-ci coûtent cher. À qui donc incombe la charge financière du traitement ? Le point avec Anne-Cécile Naudin et Benjamin Naudin, avocats en droit immobilier.

Actu-Juridique : En cas de présence de punaise de lit dans son logement qui du propriétaire ou du locataire doit supporter les frais de l’intervention ?

Benjamin Naudin : Au titre de ses obligations en matière de décence du logement, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites (L. n° 89-462, 6 juill. 1989, art. 6). À ce titre, le bailleur est tenu de maintenir le logement en état de décence tout au long du bail.

La notice d’information obligatoirement annexée au bail d’habitation, qui a été actualisée par un arrêté du 16 février 2023, contient d’ailleurs un nouveau § 2-3 relatif aux obligations des parties en matière de lutte contre les nuisibles.

La jurisprudence a confirmé à de nombreuses reprises ce principe. Ainsi et par exemple la cour d’appel de Bordeaux est venue, le 9 mai 2014, apporter une précieuse réponse à cette interrogation (CA Bordeaux, 9 mai 2014, n° 12/06806).

Les faits à l’origine de cet arrêt sont classiques : un locataire se trouve confronté à une invasion massive de nuisibles dans l’ensemble du logement donné à bail (sur le sol, dans les placards, les vêtements et jusqu’à l’intérieur des éléments d’électroménager). Bien qu’avertis, les bailleurs croient bon d’adresser à leur locataire un simple courrier lui enjoignant de procéder à ses frais à la désinsectisation du logement. La locataire n’a eu alors d’autre choix, face à l’ampleur de la situation que d’indiquer aux bailleurs qu’elle devait quitter prématurément le logement. Dans le cadre de la procédure judiciaire qui s’en est suivi, les juges saisis ont prononcé la résiliation du bail aux torts exclusifs des bailleurs, au motif qu’ils avaient manqué à leur obligation d’entretenir les locaux en l’état de servir à l’usage prévu par le contrat de location et d’y faire toutes les réparations autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués, mise à leur charge par l’article 6 c) de la loi du 6 juillet 1989.

L’intérêt de cet arrêt est donc de rappeler que la mise en œuvre d’un traitement de désinsectisation incombe aux bailleurs.

Cette rigueur impose néanmoins certaines précisions.

Rappelons, tout d’abord, que les produits de désinsectisation font partie des charges récupérables, le propriétaire peut donc réclamer le remboursement de l’achat de ces produits. C’est ainsi la main-d’œuvre qui restera à sa charge exclusive.

AJ : Le propriétaire peut-il soutenir que le locataire est à l’origine de l’invasion de punaises de lit pour ne pas avoir à supporter la charge financière du traitement ?

Benjamin Naudin : Plusieurs décisions sont effectivement venues condamner le rôle actif du locataire dans l’infestation en cause.

Ainsi, par un arrêt du 28 octobre 2010, la cour d’appel de Chambéry (CA Chambéry, 28 oct. 2010, n° 10/00527) reconnaissait qu’un locataire devait supporter le coût de la désinsectisation de son appartement infesté de punaises de lit car il était apparu que la présence de ces dernières était la conséquence d’un état de saleté résultant de l’insouciance du preneur.

Enfin et allant plus en avant dans cette logique, la cour d’appel de Paris a, dans un arrêt en date du 31 janvier 2017 (CA Paris, 31 janv. 2017, n° 15/07085), estimé que « le bailleur n’était tenu de réparer les conséquences que d’un vice inhérent à l’immeuble qu’il donne en location. Les punaises de lit dont les locataires se plaignent sont véhiculées par les hommes et, dès lors, l’origine de l’infection du logement litigieux est ignorée ».

Comme il n’était pas prétendu que les autres appartements aient été infestés avant les lieux litigieux, leur arrivée dans l’appartement loué ne pouvait donc être imputée au bailleur, les locataires étant dans les lieux depuis plusieurs années (3 ans). La cour a donc estimé que « Le bailleur n’avait pas manqué à son obligation de délivrance d’un appartement en bon état d’usage qui permettait une jouissance paisible des lieux ».

 Certains locataires avaient par ailleurs tenté d’obtenir des dommages et intérêts consécutifs à l’infestation. La cour répond que « La présence des punaises dans les lieux résulte d’une cause étrangère au bailleur qui rend l’article 1719 du Code civil inapplicable en l’espèce puisqu’elle était imprévisible, extérieure à lui et irrésistible pour lui car il n’était pas en mesure de la prévenir ». Ainsi le bailleur, société d’HLM en l’espèce, avait, pour cette juridiction fait preuve de diligence pour permettre une éradication des insectes, pour éviter leur propagation dans d’autres appartements et pour trouver un relogement à ses locataires. Elle en conclut ainsi qu’« en raison de l’absence de vice inhérent à l’appartement et de l’origine ignorée des insectes, le bailleur ne saurait être tenu d’indemniser les locataires ».

Une lecture croisée de ces jurisprudences nous permet de conclure que l’obligation d’éradication d’insectes nuisibles incombe au propriétaire bailleur qui peut néanmoins imputer aux charges du locataires le coût des produits de désinsectisation.

Le bailleur peut néanmoins échapper à cette obligation s’il démontre que les insectes nuisibles sont apparus par la faute, voire la négligence du preneur.

Enfin, le locataire, s’il entend obtenir des dommages et intérêts consécutifs à une infestation de nuisibles doit démontrer que cette dernière constitue un vice inhérent à l’appartement.

En tout état de cause, le locataire se doit en particulier de contacter rapidement le bailleur afin de lui demander de procéder au traitement des lieux ou s’entendre avec lui pour sa prise en charge financière. Il doit permettre l’accès aux lieux loués pour les travaux nécessaires à la désinsectisation.

AJ : Que peut faire le locataire en cas d’inaction de la part du propriétaire bailleur ?

Benjamin Naudin : En cas de désaccord ou de silence du bailleur la saisine de la Commission départementale de conciliation. Malgré cela, les contentieux persisteront entre bailleur et locataire sur le point de savoir si les punaises de lit étaient présentes dès le départ ou si elles ont été introduites postérieurement dans le logement par le locataire. C’est cependant le bailleur qui a la charge de prouver qu’il a délivré un logement décent.

AJ : L’assurance habitation ne peut-elle pas couvrir les frais d’intervention ?

Benjamin Naudin : Cela dépend des garanties prévues au contrat d’assurance. Malheureusement, la plupart des assurances multirisques habitation ne prévoient pas une telle garantie.

Notons néanmoins que certaines compagnies, assez rares, proposent une telle garantie spécifique en tant qu’extension dans le contrat d’assurance habitation.

AJ : Des écoles et des lycées ont été fermées en raison de l’exercice de leur droit de retrait par les enseignants. Le droit de retrait peut-il s’appliquer si le lieu de travail est infesté de punaises de lit ? Il en est de même pour un agent RATP ou les agents d’une entreprise publique telle une médiathèque ou un cinéma communal ?

Anne-Cécile Naudin : Au terme d’une note informative du ministère des solidarités et de la santé en date du 25 janvier 2017 il apparaît que les punaises de lit, qui se nourrissent la nuit, principalement de sang humain, sont essentiellement à l’origine de réactions dermatologiques bénignes. Il est vrai que qu’en cas d’infestation, au-delà d’une sensibilité accrue, la victime peut également souffrir de troubles psychologiques variés. Est-ce cependant suffisant pour permettre à des membres de la fonction publique d’user de leur droit de retrait ?

D’évidence, l’utilisation du droit de retrait par les fonctionnaires demeure une situation particulièrement exceptionnelle. Même si l’appréciation du danger reste subjective, seule une menace réelle, sérieuse et immédiate pour la santé physique de l’agent justifie son application. Il appartient alors au juge administratif d’exercer un contrôle sur la réalité d’une telle menace.

Notons que le juge administratif, tout en exerçant un contrôle normal dans ce domaine, n’admet que très rarement l’existence d’une menace justifiant le droit de retrait de fonctionnaires. Cela s’explique logiquement par la volonté de prévenir un usage abusif de ce droit dans la fonction publique et de ne pas perturber la continuité du service public.

Une simple lecture de la jurisprudence laisse entrevoir que l’infestation de locaux publics par des punaises de lit, bien que regrettable, ne constitue pas une situation de danger grave et immédiat justifiant le droit de retrait des fonctionnaires.

Ainsi et à titre d’exemple, il apparait que le Conseil d’État a rejeté le droit de retrait de fonctionnaires qui invoquaient un risque sanitaire lié à la présence de chauves-souris dans un établissement scolaire (CE, 18 juin 2014, n° 369531).

AJ : Quid dans les entreprises privées ?

Anne-Cécile Naudin : En application de l’article L. 4131-3 du Code du travail, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié qui a exercé légitimement son droit de retrait. Le licenciement prononcé pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié de son droit de retrait est nul.

Cependant, en matière d’infestation d’une entreprise par des punaises de lit, la situation semble identique à celle évoquée dans la fonction publique. En effet, la jurisprudence retient que l’invasion de punaises de lit, pour désagréable qu’elle soit, n’est pas de nature à caractériser un motif raisonnable présentant un danger grave et imminent pour la vie ou la santé (CA Lyon, 9 mars 2016, n° 14/09845).

Si quelques décisions récentes semblaient admettre l’application d’un tel droit de retrait en présence d’une infestation de punaises de lit, il ressort, cependant, d’une lecture attentive de ces décisions, que les personnes victimes des piqûres de punaises y étaient gravement allergiques (CA Lyon, 17 oct. 2018, n° 16/05325). Il ne s’agit donc que de décisions d’espèces.

AJ : Est-ce que le télétravail peut-exigé par le salarié en cas de présence de punaises de lit sur son lieu de travail ?

Anne-Cécile Naudin : Le télétravail, rendu populaire par la crise sanitaire liée à la Covid 19 peut être une bonne solution permettant d’éviter le contact direct entre les salariés et les insectes nuisibles. Néanmoins, en aucun cas le salarié ne peut l’imposer à son employeur.

De même, il est admis que si l’employeur peut imposer le télétravail aux salariés, ce n’est qu’en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. Sur la question de la contamination par des punaises de lit la jurisprudence n’a pas encore été tranchée.

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