3e commission : Numérique

Le notaire, la loi J21 et le statut international de l’individu

Publié le 08/09/2017

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite loi J21, loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 s’est invitée en droit international privé de manière directe en raison d’une disposition spécifique sur la dévolution du nom. Elle illustre ainsi la délicate question des limites entre l’état des personnes et l’état civil en droit international privé. Au-delà, d’autres évolutions du droit motivées entre autres par une modification des intervenants dans le processus – divorce sans juge, pacs par l’officier d’état civil – révèlent que toutes les incidences en droit international privé n’ont sans doute pas été totalement évaluées.

L’état d’une personne n’est pas figé. Des évènements de l’état des personnes présentent d’ailleurs de plus en plus souvent des éléments d’extranéité et le droit international privé s’invite régulièrement dans ces questions puisque la situation des sujets peut également être tributaire de leur mobilité internationale. Aussi, la pratique du droit international privé notarial a pu mettre en évidence les questions posées par des évènements de l’état civil présentant un élément d’extranéité du fait de la nationalité des personnes concernées ou du lieu de leur survenance1. L’état des personnes soulève des questions spécifiques en droit international privé. Il s’agit de considérer le statut international de l’individu. En droit des conflits de lois, la catégorie du statut personnel a peu à peu été dessinée : elle regroupe l’ensemble des problèmes dans lesquels la personne se trouve directement mise en cause. Elle contient des sous-catégories comme le nom, la capacité, le mariage, la filiation2. Il est également possible d’associer les relations personnelles de famille aux dispositions relatives au statut individuel. Les personnes n’enfermant pas leur existence dans les limites du territoire national sur lequel elles sont nées3, la gestion de cet état est devenue une question délicate puisque des impératifs d’ordre public imposent que soit assurée l’identification des personnes physiques4. Dans cette perspective, l’état civil est aussi un enjeu majeur en droit international privé puisqu’il est un instrument de gestion de l’identité civile des sujets de droit. Le problème intéresse particulièrement les notaires5 qui contrôlent régulièrement l’identité des sujets. Ainsi, c’est notamment parce qu’ils contrôlent l’identité et la capacité des personnes qu’ils assurent la sécurité des contrats ou qu’ils sont considérés comme des acteurs privilégiés de la sécurité juridique. La connaissance du statut international du sujet et la garantie de son identification sont donc essentielles.

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite loi J21, loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 concerne ces questions en prévoyant une disposition sur la dévolution du nom en droit international privé à l’occasion de la transcription d’un acte de naissance. Dans son article 57 figure un nouvel article 311-24-1 du Code civil selon lequel « En cas de naissance à l’étranger d’un enfant dont au moins l’un des parents est français, la transcription de l’acte de naissance de l’enfant doit retenir le nom de l’enfant tel qu’il résulte de l’acte de naissance étranger. Toutefois, au moment de la demande de transcription, les parents peuvent opter pour l’application de la loi française pour la détermination du nom de leur enfant, dans les conditions prévues à la présente section. »

Sur le fond, cette disposition établit de nouveau un pont entre les éléments d’identification de la personne et les procédés de son identification. Elle établit un lien entre d’une part la transcription de l’acte de naissance et le régime des actes de l’état civil et d’autre part le traitement du statut personnel de l’individu dans la sphère internationale. Elle relie la transcription de l’acte de naissance et la détermination du nom de l’enfant et annonce des associations entre des questions de procédure et des questions de fond. Elle illustre la limite des frontières entre l’état des personnes et l’état civil. Sur la forme, si l’introduction éparse de règles de droit international privé au gré des réformes législatives est une évolution marquante des sources de la matière6, le fait que la loi J21 traite de questions essentielles sur le fond du droit par le prisme de l’efficacité des acteurs impliqués et des données de procédure mérite attention. Cela permet en effet de se demander s’il y a une réelle réflexion sur les enjeux du droit international privé. Au-delà de la disposition sur le nom, il y a en effet dans cette loi J21 d’autres évolutions du droit motivées, entre autres, par une modification des intervenants dans le processus – divorce sans juge, pacs par l’officier d’état civil- qui révèlent que toutes les incidences en droit international privé n’ont sans doute pas été totalement évaluées.

Dans cette perspective, la loi J21 par cet exemple du nom, illustre tout d’abord la délicate question des limites entre l’état des personnes et l’état civil en droit international privé (I). Elle révèle ensuite en raison des procédés utilisés un risque d’oubli des raisonnements qu’appelle la présence d’un élément d’extranéité dans le dossier (II).

I – La loi J21, illustration des limites entre l’état des personnes et l’état civil en droit international privé

L’identification d’un sujet de droit ne se confond pas avec les procédés d’identification de son état. Du point de vue du droit international privé aussi, la distinction est nette. L’identification de l’état de la personne relève du conflit de lois et la catégorie du statut personnel permet d’englober l’ensemble des règles qui régissent la personne et les relations extrapatrimoniales qu’elle noue. Historiquement, la catégorie de l’état des personnes en droit international privé s’est construite autour des éléments alors indisponibles de l’identité civile7. Le facteur de rattachement à l’ordre juridique qui a alors logiquement été retenu a été celui de la loi personnelle de l’individu, entendu comme sa loi nationale au regard de l’article 3, § 3, du Code civil. Ce « point d’ancrage »8 de la loi nationale est cependant aujourd’hui fragilisé. Le droit comparé montre que d’autres systèmes juridiques retiennent un lien plus affectif entre l’individu et le corps social dans lequel il évolue pour considérer d’autres facteurs de rattachement comme le domicile. Par ailleurs, l’essor des droits fondamentaux introduit une disponibilité de l’état des personnes puisque se développe une maîtrise individuelle sur l’identité civile qui irrigue les solutions dans la matière. Le droit des conflits de lois est alors aujourd’hui écartelé entre un souci de respecter l’identité culturelle du sujet et un souci d’intégration, voire d’assimilation recherchée de plus en plus souvent par les pouvoirs publics.

À cet égard, le traitement du nom est symptomatique de ces évolutions. Elément essentiel de la détermination de l’identité civile, c’est néanmoins un élément complexe puisqu’il est à la fois considéré comme un élément déterminant de l’état de la personne et un rattachement de l’individu à une famille mais aussi comme une institution de police civile. Ainsi, en droit français, le constat a été fait de la multiplication des lois contemporaines relatives à ce sujet car si le nom a longtemps été la traduction d’une situation familiale, sa privatisation l’a transformé en un droit des parents placés dans la mesure du possible sur un pied d’égalité. L’égalité des sexes a de surcroît conduit à ce que l’on raisonne en nom de famille et non plus en nom patronymique9. Le rattachement classique en droit international privé à la loi nationale est empreint de difficultés et de nombreux arguments ont été développés pour contester cette solution. D’abord, il n’existe plus toujours d’homogénéité dans la nationalité des différents membres d’une même famille, le nombre de couples mixtes ne cessant d’augmenter. Ensuite, dès lors que l’attribution du nom se produit dans un cadre familial, il est possible de se demander si l’attribution du nom dépend de la loi nationale de l’intéressé ou si on peut se référer à un lien familial comme la loi des effets du mariage ou la loi nationale de l’adoptant10. Enfin, en tant qu’institution de police, le nom commande une application préférentielle des règles françaises relatives à l’état civil et la pratique administrative accentue la place de la loi française, en tant que lex auctoris, au détriment de la prise en considération du statut personnel et donc de la loi nationale de l’intéressé.

Ainsi, l’article 311-22 du Code civil issu de l’ordonnance du 4 juillet 2005 avait déjà montré une faveur pour l’application de la loi française à la dévolution du nom. Selon cet article, les dispositions de l’article 311-21 sont applicables à l’enfant qui devient français en application des dispositions de l’article 22-1 dans les conditions fixées par un décret pris en conseil d’État. Les règles françaises de dévolution du nom sont donc applicables à l’enfant qui devient français. Le nouvel article 311-24-1 du Code civil issu de la loi du 18 novembre 2016 accentue encore la place de la loi française. Cette disposition ouvre désormais une option de législation puisqu’au moment de la demande de transcription, les parents dont l’un au mois est français d’un enfant né à l’étranger peuvent opter pour l’application de la loi française pour la détermination du nom de leur enfant. Ce faisant, le législateur a été pour partie à l’écoute d’une certaine doctrine qui avait en effet suggéré qu’il fallait admettre un choix à la faveur de l’intéressé au regard des différentes lois présentant un lien avec la situation11. Lorsque l’enfant est né à l’étranger, le nom résultera en principe des documents établis par les autorités nationales étrangères. Aussi, lors de la demande de transcription, les parents dont l’un est Français pourront demander à ce que le nom de l’enfant soit déterminé en fonction de la loi française.

L’option en faveur de la loi française peut être perçue de plusieurs manières. D’abord, elle révèle le rôle toujours plus important de l’autonomie de la volonté en droit international privé et atteste du glissement de l’indisponibilité de l’état vers la disponibilité de l’état. Ensuite, elle peut aussi montrer la dimension régalienne du nom et l’importance pour l’État français de voir appliquer sa loi au titre de loi de police12. Enfin, la règle peut montrer la frontière ténue entre l’état des personnes et l’état civil. En effet, la particularité de l’état civil est qu’il constitue un élément essentiel d’identification de la personne tout en étant un service public relevant de l’autorité administrative. Les actes de l’état civil, dressés par des personnes spécialement habilitées, permettent à l’autorité publique de constater de manière officielle les principaux faits ou actes relatifs à l’état d’une personne. Les conditions matérielles dans lesquelles ils sont établis permettent d’éviter la fraude et de conserver leur trace. Dans cette perspective, ils sont les garants de l’identité du sujet et permettent de cerner son identité.

L’état civil, qui assure la tenue des registres constatant les éléments du statut personnel, n’est pas soumis en tant que tel au conflit de lois. Les officiers d’état civil interviennent conformément à la loi qui les a institués. Cette nature administrative aboutit à ce que le fonctionnement de l’état civil français ne peut être régi que par la loi française. Les règles de l’état civil s’appliquent aux évènements survenus en France ou concernant des Français. Une place est donc faite au conflit d’autorités et lorsqu’il s’agit d’un acte civil étranger, se pose alors la question de sa transcription sur les registres français. Si l’acte a été établi en la forme du pays étranger, l’adage actor régit actum conduit à admettre la compétence de cette loi mais l’autorité du pays d’accueil, en l’occurrence l’autorité française, conserve le contrôle de la force probante de cet acte. Ainsi l’article 47 du Code civil dispose que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Cependant, lorsqu’au moment de la transcription de l’acte étranger l’identité peut changer parce que le nom peut être modifié conformément aux dispositions d’une nouvelle loi, -en l’espèce selon le nouvel article 311-24-1 du Code civil conformément aux dispositions de la loi française- ce n’est plus seulement la question du procédé d’identification qui est visée mais l’élément d’identification lui-même. Il y a dans une même règle une association à la fois des questions de procédure et de fond qui peut compliquer singulièrement les activités des agents des ordres juridiques tels les officiers publics, les fonctionnaires confrontés au transfert international des informations nécessaires à l’administration du droit privé comme au suivi de l’état des personnes. Ainsi, le notaire chargé de vérifier l’identité des sujets de droit ne doit pas occulter l’évolution possible du statut international du sujet compte tenu de tels dispositifs.

Au-delà, la méthode utilisée par le législateur appelle ainsi des questions. Si l’augmentation de lois spéciales de droit international privé au gré des réformes législatives est une évolution marquante des sources de la matière, le fait que la loi J21 traite de questions essentielles sur le fond par le prisme de l’efficacité des acteurs impliqués ne permet pas de garantir qu’il y a toujours une réelle réflexion sur les enjeux du droit international privé.

II – La loi J21 illustration des limites de l’association des questions de procédure et de fond du droit face au droit international privé

La distinction entre la procédure et le fond du droit est classique en droit international privé. La distinction de la procédure et de la substance des droits est la plus ancienne que la jurisprudence et la doctrine, séparément semble-t-il aient dégagée13. Le parlement de Paris appliquait à la procédure son stylus curiae, alors que la substance du droit était soumise à des coutumes diverses, désignées par la règle de conflit. Depuis, il est considéré que les questions de procédure relèvent de la loi du for alors que les questions de fond dépendent des règles de conflit de lois. En réalité, en droit international privé, il est préférable de parler des questions de substance14 par opposition aux questions procédurales car ce vocable permet d’englober des règles de fond mais aussi des règles de forme traitées par les règles de conflit de lois. Ainsi par exemple en matière de mariage, deux règles de conflit de lois ont été prévues par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, l’une relative aux questions de fond de la validité du mariage et l’autre aux questions de forme15. Toutefois, les tribunaux et les organes étatiques auxquels on a confié des missions de service public sont liés par la loi qui les a institués. C’est pourquoi les officiers d’état civil et les notaires qui accomplissent des missions de mise en œuvre du droit privé agissent conformément à la loi qui les a instaurés16. La lex auctoris a vocation à régir la manière dont ils instrumentent.

La distinction substance et procédure est cependant délicate notamment dans le cadre de l’action en justice et du droit de la preuve17. En outre, il ne faut pas considérer que la détermination de l’autorité compétente absorbe toutes les difficultés. Le fait que l’officier public respecte ses règles organiques n’enlève pas tout raisonnement conflictuel dès lors que se pose une question relative à la substance des droits. Ainsi, lorsque le notaire rédige un contrat de mariage parce que la loi applicable au régime matrimonial l’y autorise, il respecte à la fois une problématique de conflit de lois et les règles relatives à la manière d’instrumenter. Pourtant, la frontière peut être ignorée et participe parfois de l’absence de prise en considération des règles de droit international privé par les organes concernés. En matière de nom, il apparaît que pour la déclaration du nom d’un enfant étranger né en France, selon l’instruction générale de l’état civil, la loi française intervient en tant que lex auctoris alors pourtant que le nom relève en principe de la loi nationale de l’enfant en cause18. Or, la loi J21 en traitant de questions essentielles sur le fond par le prisme de l’efficacité des acteurs impliqués produit des effets insidieux et participe de l’absence de réflexion sur l’application des règles de droit international privé. Le nouvel article 311-24-1 ne donne pas compétence à la loi française comme lex auctoris mais désigne bien la loi française comme loi applicable à la question substantielle de la dévolution du nom de l’enfant.

Le nom n’est pas le seul exemple issu de la loi J21. Ainsi, a-t-on pu dénoncer le fait que le législateur n’ait pas directement abordé les incidences internationales de l’instauration d’un divorce par consentement mutuel par acte sous signature privé contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire à l’article 229-1 du Code civil. L’objectif de déjudiciarisation de certaines procédures et leur transfert à des officiers ministériels ou à des officiers d’état civil ne se répercutent pas seulement sur les questions d’autorités19. Il y a des questions de fond qui s’inviteront dans la pratique. Ainsi, le rôle du notaire dans le nouveau divorce par consentement mutuel a été rediscuté pour distinguer deux cas : celui où le divorce entraîne une mutation de biens soumis à publicité foncière, cas pour lequel le notaire garde un rôle assez classique au cœur des accords et des discussions et celui où le notaire serait un simple dépositaire avec une fonction instrumentale.

Pour autant, il y a déjà eu des regards critiques sur la procédure de dépôt ouvrant la voie à un contrôle substantiel de la convention20. Il est possible de considérer que s’il n’a pas l’obligation légale de contrôler le contenu de la convention au moment de la déposer au rang de minute, et ce d’autant plus que des avocats21 auront procédé à des vérifications, le notaire peut ne pas se considérer comme une simple « chambre d’enregistrement »22 et être amené à alerter les avocats sur d’éventuelles difficultés juridiques que lui aurait identifiées23, notamment au sujet de la question du contrôle du respect de l’ordre public24. Dès lors, le notaire conscient des enjeux du droit international privé pourra être à juste titre soucieux de rechercher les conséquences conflictuelles de la convention en raison de l’élément d’extranéité afin de vérifier s’il n’y aurait pas l’application d’une loi étrangère contraire aux exigences de l’ordre public international du for. La déjudiciarisation ne pose pas seulement des questions de compétence et ne sous-entend pas une absence de raisonnement internationaliste.

Dans la même perspective, il est possible de se demander si le transfert de compétence de l’enregistrement du pacte civil de solidarité du greffe du tribunal d’instance vers l’officier d’état civil à compter du 1er novembre 201725 ne ravive pas le débat sur l’association des questions de procédure et de fond. De prime abord, il ne s’agit que d’un changement d’interlocuteur et il n’y a pas de grandes différences à ce que l’enregistrement du partenariat soit effectué par le greffe ou l’officier d’état civil. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle ne prévoit aucune formalité particulière quant à la mission d’enregistrement et ne précise pas les contours de la mission de l’officier26. Certes, dans le cadre de l’enregistrement l’officier devra tout comme le notaire lorsqu’il y a un pacte notarié procéder à des vérifications27. La loi J21 a transféré au service central de l’état civil le registre relatif au pacs des étrangers nés à l’étranger jusqu’alors tenu par le greffe du tribunal d’instance de Paris. Par ailleurs, le décret n° 2017-889 du 6 mai 201728 relatif au transfert aux officiers d’état civil de l’enregistrement des déclarations, des modifications et des dissolutions des pactes civils de solidarité a modifié les dispositions réglementaires relatives au pacs et au service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères afin que soit facilitée la procédure de vérification sécurisée des données à caractère personnel contenues dans les actes de l’état civil des partenaires par voie dématérialisée par les notaires conformément à l’article 101-1 du Code civil29 issu de la loi J21. Le notaire instrumentaire, tout comme l’officier d’état civil, pourra utiliser le dispositif Comedec, communication électronique des données d’état civil30 qui lui facilitera le contrôle de certaines données substantielles.

Le pacs emporte cependant des conséquences juridiques et lorsqu’il y a un élément d’extranéité s’ajoutent d’autres problématiques spécifiques liées au droit international privé que les sujets peuvent ignorer ou chercher à éviter, le pacte de complaisance n’étant pas exclu. Certes, s’agissant des partenariats enregistrés, la règle de conflit de lois de l’article 515-7-1 du Code civil31 spécialement adoptée par le législateur pour traiter les partenariats avec éléments d’extranéité désigne les dispositions matérielles de l’État de l’autorité qui a procédé à son enregistrement tant pour les conditions de formation, les effets du partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution. Contrairement au mariage, il y a une globalité de traitement du partenariat et une règle de conflit unique couvre l’ensemble du régime du partenariat enregistré. S’agissant des conditions de formation, le pacs enregistré par l’officier d’état civil tout comme le pacte notarié est soumis à la loi française tant pour les conditions de fond que pour les conditions de forme. « Formidable simplicité, si on songe au morcellement qui caractérise la réglementation du mariage en droit international privé français. »32 Ainsi, l’application de la loi de l’autorité qui a enregistré le partenariat à ses conditions de validité ne conduit plus à interroger, contrairement au mariage, la loi personnelle pour vérifier la capacité d’un partenaire ou la loi applicable à la filiation pour identifier des empêchements à conclusion du partenariat33. Le décret de 2006 n’exigeait des greffes que la production des pièces d’état civil « attestant l’absence d’empêchement au regard des articles 515-1 et 515-2, pour le partenaire de nationalité étrangère né à l’étranger, du certificat délivré par le service central d’état civil du ministère des affaires étrangères précisant qu’il n’est pas déjà lié à une autre personne par un pacte civil de solidarité ainsi que de la production le cas échéant des pièces permettant la vérification du respect des dispositions prévues aux articles 461 et 462 du Code civil »34. Il en sera de même des officiers d’état civil.

Toutefois, cette référence à la loi du lieu d’enregistrement n’élude pas toute difficulté de droit international privé puisqu’il existe indéniablement des liens avec d’autres catégories et des conflits de systèmes peuvent exister dès lors que la loi nationale du futur partenaire est prohibitive ou plus restrictive. En ce qui concerne les effets, l’entrée en vigueur du règlement européen n° 2016/1104 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés à compter du 29 janvier 2019 ne permettra plus un traitement global des effets puisque différentes règles de conflit de lois traiteront des effets personnels et les effets patrimoniaux35.

Face aux greffes, ces difficultés avaient accentué le rôle de conseil du notaire et encouragé la conclusion de convention de pacte civil de solidarité par acte notarié36 pour à tout le moins que les sujets puissent comprendre les enjeux juridiques de la démarche dans un contexte international. Persistantes dans la loi J21, elles ouvrent de surcroît la voie à une réflexion sur les conséquences de l’enregistrement par l’officier d’état civil. Peut-on réellement considérer que ce n’est qu’une question de transfert de charges des tribunaux d’instance vers les officiers d’état civil37 ? Si l’officier d’état civil est l’interface du sujet de droit pour les actes de l’état civil, il peut exister un risque de confusion de la part des déclarants sur la portée des données ainsi enregistrées et sur l’absence des modalités de leur conservation. De même que se posent des questions sur la place du notaire dans le cadre du divorce sans juge, l’enregistrement du pacs par l’officier d’état civil ne génère pas un acte de l’état civil. Certes, il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire38 et l’existence de conventions modificatives est soumise à la même publicité. Le droit des actes de l’état civil n’est pourtant pas modifié en ce que la loi J21 ne remet pas en cause le triptyque des registres municipaux, actes de naissance, actes de mariage et de décès puisqu’il n’y a pas un nouvel acte de l’état civil. Toutefois, l’on peut désormais se demander si la déclaration de pacs, telle que constatée par l’officier public, est réellement déniée de toute authenticité39. Il y a dans l’intervention de l’officier d’état civil chargé de procéder à l’enregistrement et de réaliser les formalités de publicité du partenariat un rôle nouveau par rapport à celui qui est d’établir les actes de l’état civil sous le contrôle du procureur de la république40. Si l’un des objectifs de la loi J21, notamment en confiant l’enregistrement du pacs aux officiers d’état civil, est de simplifier le traitement des demandes des citoyens41, l’intervention de l’officier peut entretenir l’idée qu’il y a un évènement ayant une incidence sur l’état de la personne traité globalement y compris dans un contexte international et que l’enregistrement est opéré dans le cadre des missions fondamentales de l’officier d’état civil. L’officier d’état civil étant de surcroît un acteur essentiel du mariage, la modification des intervenants portée par la loi J21 dans le cadre du pacs est sans aucun doute plus complexe que le législateur a bien voulu le laisser entendre.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Revillard M., « Les travaux de la commission internationale de l’état civil en lien avec la pratique de l’état civil », Defrénois 30 sept. 2009, n° 38991, p. 1675.
  • 2.
    Mayer P. et Heuzé V., Droit international privé, 11e éd., 2014, LGDJ, Domat, Paris, spéc. n° 529.
  • 3.
    Ancel B., « Le transfert international des informations nécessaires à l’administration du droit privé », in L’internationalisation du droit, Mélanges en l’honneur d’Yvon Loussouarn, 1994, Dalloz, Paris, p. 1et s., spéc. p. 10.
  • 4.
    Teyssié B., Droit civil les personnes, 18e éd., 2016, Lexisnexis, Paris, n° 308.
  • 5.
    « L’état civil est un enjeu majeur pour les notaires », 3 questions à Marie-France Zampiero Bouquemont, JCP N 2016, p. 1024.
  • 6.
    Dans le Code civil, la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation a introduit les articles 311-14 et s., la loi du 11 juillet 1975 sur le divorce l’article 09 du Code civil devenu l’article 310, la loi du 28 octobre 1997 sur le droit des régimes matrimoniaux les articles 1397-2 et s., la loi du 6 février 2001 sur l’adoption internationale les articles 370-3 et s., la loi du 17 juin 2008 en matière de prescription l’article 2221, la loi du 12 mai 2009 relative aux partenariats enregistrés l’article 515-7-7, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe les articles 202-1 et s.
  • 7.
    Bureau D. et Muir Watt H., Droit international privé, t. 2, 3e éd., 2014, Thémis, Puf, n° 622.
  • 8.
    Ibid.
  • 9.
    Batteur A., Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, 8e éd., 2015, LGDJ, Manuel, Paris, spéc. n° 62.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-16933 : D. 1999, p. 229, note Massip J. ; Rev. crit. DIP 1998, p. 72, note Hammje P.
  • 11.
    Scherer M., Le nom en droit international privé, étude de droit comparé français et allemand, 2004, LGDJ, Paris, préf. Lagarde P.
  • 12.
    Dans une réponse ministérielle (Rép. min. n° 09522 : JO Sénat, 3 juill. 2014 ; AJ fam. 2014, p. 397), le garde des Sceaux a rappelé que si l’enfant est issu d’au moins un parent français, la loi française est applicable devant l’officier d’état civil français. Le nom dévolu à l’enfant correspond à celui qui figure sur les extraits d’acte de l’état civil du parent étranger qui lui transmet son nom sans modification. Les noms étrangers consistant en une reprise du nom des parents puis d’un suffixe différent selon le sexe de l’enfant en fonction ou composé du prénom du père suivi de l’indication dans la langue étrangère de « garçon » ou « fille » ne peuvent être adaptés par l’officier d’état civil français en fonction du sexe de l’enfant. Il faut faire une procédure de changement de nom selon la loi française. Si l’enfant né en France est de nationalité étrangère, l’officier d’état civil peut appliquer la loi étrangère à la demande des parents sous réserve que ces derniers apportent la preuve de la nationalité étrangère de l’enfant et du contenu de la loi personnelle au moyen d’un certificat de coutume indiquant le nom sous lequel l’enfant doit être enregistré à l’état civil. À défaut, la loi française doit être appliquée.
  • 13.
    Mayer P. et Heuzé V., op. cit., n° 514.
  • 14.
    Le vocabulaire règle de fond doit ainsi être utilisé dans un sens précis, ibid.
  • 15.
    C. civ., art. 202-1 et 202-2, disposant d’une part que les qualités et conditions requises pour contracter le mariage sont régies pour chacun des époux par sa loi personnelle et d’autre part que le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu.
  • 16.
    V. not. Callé P., « Le notaire, les actes notariés et le droit international privé », in Le droit entre tradition et modernité, mélanges à la mémoire de Patrick Courbe, 2012, Dalloz, Paris, p. 75, spéc. p. 85.
  • 17.
    Mayer P. et Heuzé V., op. cit., n° 515.
  • 18.
    Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999, n° 530.
  • 19.
    Ainsi la doctrine s’oppose sur les conséquences d’un divorce sans juridictions. En effet, les règles traditionnelles de compétence en matière matrimoniale, en matière de responsabilité parentale, en matière d’obligations alimentaires visent les juridictions. Sauf à balayer d’un revers de la main la difficulté en invoquant un principe d’équivalence fonctionnelle (Boulanger D., « Divorce extrajudiciaire et extraterritorialité : faut-il s’inquiéter ? », JCP N 2017, p. 263, spéc. p. 13), les notaires et les avocats ne sont pas des juridictions et la portée extraterritoriale de ces divorces est compromise (v. en ce sens not., Devers A., « Le divorce sans juge en droit international privé », Dr. famille 2017, dossier 5).
  • 20.
    V. not. David S. et Brunet R., « Le rôle du notaire dans le nouveau divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2017, p. 31, spéc. p. 38 ; contra Ferré-André S., « Nouveau regard sur le divorce après la loi du 18 novembre 2016, le divorce sans juge entre évolution et régression », Defrénois 30 janv. 2017, n° 125k6, p. 125, spéc. p. 128.
  • 21.
    Lienhard C., « Nouveaux enjeux et nouvelle philosophie du rôle de l’avocat », AJ fam. 2017, p. 40 ; Couzigou-Suhas N., « Réflexions pratiques sur le divorce sans juge », Defrénois 30 janv. 2017, n° 125m5, p. 131.
  • 22.
    Ferré-André S., « Nouveau regard sur le divorce après la loi du 18 novembre 2016 », Defrénois 30 janv. 2017, n° 125k6, p. 125, spéc. p. 128.
  • 23.
    David S. et Brunet R., « Le rôle du notaire dans le nouveau divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2017, p. 31, spéc. p. 38 ; Fulchiron H., « Le divorce par acte sous signature privée contresigné par avocat et enregistré par notaire », Defrénois 30 mai 2017, n° 126q5, p. 613, spéc. p. 618 ; contra Couzigou-Suhas N., « Réflexions pratiques sur le divorce sans juge », Defrénois 30 janv. 2017, n° 125m5, p. 131, spéc. p. 136.
  • 24.
    Dupuis-Bernard R., « Divorce par consentement mutuel, le nouvel acte de dépôt, rôle et mission du notaire », Defrénois 30 mai 2017, n° 126r0, p. 626, spéc. p. 630.
  • 25.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, article 48.
  • 26.
    Poure V., « Le transfert du pacte civil de solidarité à l’officier d’état civil : entre compétences nouvelles et naturelles », Dr. famille 2017, comm. 6.
  • 27.
    Le décret n° 2017-889 du 6 mai 2017 a modifié le décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 relatif à la déclaration, la modification, la dissolution et la dissolution du pacs. Selon l’article 1er du décret, les partenaires produisent l’original de la convention, les pièces d’état civil attestant l’absence d’empêchement au regard des articles 515-1 et 515-2 et pour le partenaire de nationalité étrangère né à l’étranger, le certificat délivré par le service central d’état civil du ministère des Affaires étrangères attestant qu’il n’est pas déjà lié à une autre personne par un pacte civil de solidarité. Les partenaires produisent, le cas échéant, les pièces permettant la vérification du respect des dispositions prévues aux articles 461 et 462 du Code civil. Toutefois, les partenaires sont dispensés de la production de l’extrait avec indication de la filiation de leur acte de naissance lorsque l’officier de l’état civil peut obtenir, par voie dématérialisée, communication des données à caractère personnel contenues dans ces actes de l’état civil auprès de leur dépositaire dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 101-1 du Code civil. L’officier de l’état civil en informe les intéressés. Les partenaires justifient de leur identité par un document officiel délivré par une administration publique comportant leur nom, leur prénom, leur date et leur lieu de naissance, leur photographie et leur signature ainsi que l’identification de l’autorité qui a délivré le document, la date et le lieu de délivrance. L’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration conjointe de conclusion d’un pacte civil de solidarité vise et date l’original de la convention qu’il restitue aux partenaires. Il leur remet un récépissé d’enregistrement. Lorsqu’il constate que les conditions d’enregistrement de la déclaration ne sont pas remplies, il prend une décision motivée d’irrecevabilité. Cette décision fait l’objet d’un enregistrement. Les contestations portant sur l’enregistrement ou le refus d’enregistrement d’un pacte civil de solidarité, de sa modification ou de sa dissolution sont soumises au président du tribunal de grande instance, ou à son délégué, statuant en la forme des référés. Les contestations relatives aux décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire sont portées devant le président du tribunal de grande instance du lieu d’établissement du service central d’état civil du ministère des affaires étrangère ou son délégué statuant en la forme des référés.
  • 28.
    JO, 10 mai 2017.
  • 29.
    C. civ., art. 101-1, al. 3, selon lequel : « La procédure de vérification sécurisée des données à caractère personnel contenues dans les actes de l’état civil peut être mise en œuvre aux fins de suppléer à la délivrance des copies intégrales et des extraits, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Lorsque la procédure de vérification peut être mise en œuvre par voie dématérialisée, notamment par les notaires, elle se substitue à toute autre forme de délivrance de copie intégrale ou d’extrait mentionnée aux articles précédents. »
  • 30.
    D. n° 2011-167, 10 févr. 2011.
  • 31.
    L. n° 2009-526, 12 mai 2009.
  • 32.
    Hammje P., « Réflexions sur l’article 515-7-1 du Code civil », Rev. crit. DIP 2009, p. 483, spéc. p. 484.
  • 33.
    V. ibid., p. 487 ; Callé P., « Introduction en droit français d’une règle de conflit propre aux partenaires enregistrés », Defrénois 30 sept. 2009, n° 38989, p. 1662, spéc. p. 1664.
  • 34.
    D. n° 2006-1806, 23 déc. 2006, art. 1er, modifié par D. n° 2017-889, 6 mai 2017, art. 2.
  • 35.
    V. not. Péroz H., « Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés : le règlement du 24 juin 2016 », JCP N 2016, act. 949.
  • 36.
    La convention de pacs peut également être rédigée par acte d’avocat : créé par la L. n° 2011-331, 28 mars 2011, l’acte contresigné par avocat constitue une variété d’acte sous seing privé doté d’une force probante légèrement supérieure à l’acte sous seing privé ordinaire. V. Flour J., Aubert J.-L. et Savaux E., Droit civil, les obligations, régime de l’obligation, t. 3, 2015, Sirey, Paris, n° 26. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a consacré l’acte sous signature privée contresigné par avocat au nouvel article 1374 du Code civil.
  • 37.
    C. civ., art. 515-3.
  • 38.
    C. civ., art. 515-1.
  • 39.
    Poure V., « Le transfert du pacte civil de solidarité à l’officier d’état civil : entre compétences nouvelles et naturelles », art. préc., spéc. p. 26.
  • 40.
    C. civ., art. 34-1.
  • 41.
    Compte rendu du Conseil des ministres du 31 juillet 2015.
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