Précisions en matière d’informations partagées en protection de l’enfance

Publié le 09/09/2021
Protection de l'enfance
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Les décisions concernant le partage d’informations entre professionnels de la protection sont rares. Aussi, cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 juin 2021 mérite une attention particulière.

Cass. crim., 8 juin 2021, no 20-86000

Dans cette affaire1, la mère d’un mineur porte plainte et se constitue partie civile du chef de violation du secret professionnel contre deux médecins. Au vu des faits, il semble que l’enfant bénéficiait déjà d’une prise en charge administrative de la part des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance2. Or à l’occasion d’une réunion de synthèse se déroulant le 19 octobre 2009 et réunissant le personnel départemental, des membres du service d’éducation spéciale et de soins à domicile, une assistance sociale de secteur, le directeur de l’école et l’institutrice spécialisée de l’enfant, les deux professionnels de santé avaient révélé des informations portant sur des éléments pouvant faire suspecter des privations, sévices ou violences sur un mineur. Le compte rendu de la réunion avait été joint à un signalement en date du 22 janvier 2010 adressé par le président du Conseil départemental au procureur de la République aux fins d’ouverture d’une mesure d’assistance éducative pour le mineur, volet judiciaire de la protection de l’enfance3. Pour la mère du mineur, la divulgation de ces informations contrevenait à l’article 226-13 du Code pénal punissant la violation du secret professionnel d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Le juge d’instruction comme la cour d’appel avaient considéré qu’il y avait un non-lieu à suivre. Pour les juges d’appel, il convenait d’écarter l’application de l’article 226-13 du Code pénal puisque l’article 226-14, 1°, du Code pénal permet la révélation du secret à celui qui y est tenu lorsqu’il s’agit d’informer « les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur (…) ». Dans cette hypothèse, il s’agit d’une option de conscience : le professionnel a le choix de lever le secret ou de conserver le silence4. La mère de l’enfant forme alors un pourvoi en cassation. Pour elle, cet article ne pouvait pas s’appliquer à la synthèse de cas, réunion au cours de laquelle les deux médecins avaient divulgué des informations confidentielles. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi mais précise que le fondement utilisé par les juges du fond était incorrect. Pour elle, il ne s’agissait pas d’une possibilité de levée du secret prévu par l’article 226-14 du Code pénal, mais de la mise en œuvre du dispositif de l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles permettant l’échange d’informations entre professionnels soumis au secret. Il est vrai qu’il n’est pas toujours évident de discerner la notion de levée du secret professionnel de celle de partage d’informations à caractère secret, c’est pourquoi il sera intéressant d’y revenir dans un premier temps (I) avant de rappeler dans un second temps les conditions légales devant être réunies pour le partage d’informations confidentielles (II).

I – La distinction entre levée du secret professionnel et partage d’informations à caractère secret

Le secret professionnel ne s’auto-attribue pas ; un texte légal doit mentionner la soumission à l’obligation de secret professionnel, notion définie par la Cour de cassation comme « tout ce que le professionnel aura appris, compris ou deviné à l’occasion de son exercice professionnel »5. Il peut s’agir d’informations à caractère médical ou à caractère personnel (social, familial, patrimonial)6. L’objectif du secret professionnel est de permettre à un individu de pouvoir se livrer sans crainte à certains « confidents nécessaires ». Les personnes soumises au secret professionnel peuvent l’être en raison de leur état (prêtres, rabbins, imams)7, de leur métier (médecins8, avocats9, assistants de service social10), ou du fait de leur mission ou fonction tels que les professionnels qui exercent dans le champ de la protection de l’enfance11, ou dans celui du revenu de solidarité active12. Dans cette dernière hypothèse, le secret professionnel s’étend à tout professionnel œuvrant dans le domaine : qu’il s’agisse de la secrétaire, de l’assistance sociale13, du fonctionnaire14 ou encore de l’éducateur spécialisé. Dans l’affaire rapportée, les professionnels concernés par le secret professionnel étaient des médecins, intervenant vraisemblablement dans le champ de la protection de l’enfance. Aussi, ils étaient soumis aux dispositions de l’article 226-13 du Code pénal et étaient dispensés de l’obligation de signalement prévue à l’article 434-3 du Code pénal qui impose à quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur, d’en informer les autorités judiciaires ou administratives. Néanmoins, afin d’éviter des drames, le législateur autorise l’ensemble des professionnels soumis au secret à délier leur langue dans certaines hypothèses où la victime d’actes graves ne paraît pas à même de se protéger en raison de sa vulnérabilité, causée notamment par sa minorité ; l’information pouvant être portée à la connaissance des autorités judiciaires, médicales ou administratives15. Concernant le médecin ou tout autre professionnel de santé, l’article 226-14, 2°, du Code pénal indique expressément qu’il lui est possible de porter à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être mentionnée à l’article L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles (dénommée CRIP), les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises, l’accord de la victime n’est pas requis dès lors que cette dernière est mineure16. Cet article laisse une marge de manœuvre aux professionnels, c’est à eux de se positionner pour savoir si la révélation de l’information est conforme à l’intérêt de l’enfant. Quelle que soit la décision, le professionnel sera protégé : ni sa responsabilité pénale, ni sa responsabilité civile, ni sa responsabilité disciplinaire ne pourront être engagées, sauf s’il n’a pas agi de bonne foi. L’idée en cas de révélation du secret est le déclenchement d’une prise en charge en protection de l’enfance ou, si le mineur en bénéficiait déjà, de faire intervenir le juge des enfants pour mettre en place, ou durcir les mesures d’assistance éducative prévues à l’article 375 du Code civil. Dans notre affaire, c’est l’article 226-14, 1°, du Code pénal qui avait été retenu par les juges du fond pour classer sans suite la plainte de la mère du mineur. Cette dernière se plaignait des dires des deux médecins lors d’une réunion de synthèse au sujet de son enfant. Or comme l’indique la Cour de cassation, si les médecins étaient libres de parler ce n’était pas en vertu de cet article mais de l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles. En effet, l’article 226-14, 1°, du Code pénal aurait pu être utilisé si les médecins s’étaient adressés directement au procureur de la République. En l’espèce, leurs propos avaient été rapportés dans le compte rendu de la réunion de synthèse, jointe au signalement envoyé ensuite par le président du Conseil départemental au procureur de la République mais ils n’étaient pas porteurs de ce signalement. En pratique, la réunion de synthèse est un outil utilisé par les établissements et services sociaux et médico-sociaux permettant d’évaluer la situation du mineur et d’évoquer l’accompagnement adéquat au fur et à mesure de son évolution et de sa prise en charge. Il s’agit d’un temps de réflexion où chaque intervenant, d’un champ professionnel différent, va apporter son point de vue sur la situation de l’enfant et faire des préconisations. Or pour que la réunion porte ses fruits, il est nécessaire pour les professionnels d’évoquer librement les informations dont ils ont connaissance concernant l’enfant. C’est pourquoi l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles les autorise à cet échange d’informations. Aussi, la Cour régulatrice a corrigé le texte justifiant l’absence de violation du secret professionnel de la part des deux médecins. Elle en a également profité pour repréciser les conditions légales de ce partage d’informations.

II – Les conditions du partage d’informations confidentielles entre professionnels

Quatre conditions sont nécessaires pour que des informations confidentielles puissent être partagées entre professionnels conformément au dispositif de l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles. La première d’entre elles est que les interlocuteurs dont il est question doivent mettre en œuvre la politique de protection de l’enfance ou lui apporter son concours et, à ce titre, être soumis au secret professionnel. En effet, seules les personnes tenues au secret sont susceptibles d’être concernées par ce texte ; à défaut, elles auraient toute latitude pour échanger entre eux de la situation du mineur. En outre, ce texte est limité aux personnes intervenant dans le champ de la protection de l’enfance : personnels de l’Aide sociale à l’enfance, de la protection maternelle et infantile, d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux, bénévoles d’associations en lien avec la protection de l’enfance… La Cour de cassation l’a rappelé : les professionnels présents à la réunion de synthèse étaient bien soumis au secret professionnel17, dont le secret médical fait partie. La deuxième condition est liée à l’objectif poursuivi : ce partage d’informations, parfois appelé malencontreusement secret partagé (le partage fait nécessairement disparaître la notion de secret), doit avoir pour finalité d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre des actions de protection et d’aide, de renforcer l’efficacité ou la continuité de l’action sociale. L’idée est de contribuer à la meilleure prise en charge du mineur possible ; pour la Cour régulatrice, là encore, la condition ne faisait pas défaut. La troisième exigence posée par le texte de l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles est que les informations échangées doivent être strictement limitées à la mission de protection. Pour le législateur, il s’agit d’apporter la meilleure réponse possible. Il s’agira donc de mesurer ce qu’il est nécessaire ou pas de divulguer. En l’espèce, il semble que les professionnels se soient cantonnés à ce qui relevait de cette mission : il s’agissait d’évoquer des faits. Enfin, avant de partager les informations, il est nécessaire d’en informer préalablement les représentants de l’enfant, sauf si l’intérêt de l’enfant commande le contraire. Attention, il ne s’agit que d’une simple information ; cela ne signifie pas qu’ils doivent consentir au partage. En l’espèce, la Cour de cassation précise que la mère de l’enfant avait été préalablement informée de la tenue de la réunion. Par conséquent, toutes les conditions posées par l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles étaient remplies, ce qui justifie le rejet du pourvoi. Cette possibilité de partage, qui n’est qu’une faculté et non une obligation, se retrouve dans d’autres textes. Ainsi, dans le domaine médical, l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, précurseur de ces échanges18, permet aux professionnels de santé un partage d’informations avec les professionnels du champ social et médico-social, sachant que si ces professionnels n’interviennent pas dans la même équipe de soins, ce n’est plus seulement l’information préalable de la personne qui est requise mais son consentement. En outre, l’article L. 121-6-2 du Code de l’action sociale et des familles prévoit également un partage d’informations entre professionnels du champ social intervenant auprès de la même personne ou de la même famille ; le coordonnateur étant informé des éléments transmis. Si cet article a le même objectif que l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles, à savoir la détermination de mesures d’action sociale nécessaires et leur mise en œuvre et que le partage doit être limité à ce qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de la mission d’action sociale, cet article, plus large quant à son champ d’application (il vise tous les professionnels de l’action sociale), ne prévoit pas l’information préalable de la personne accompagnée ou de la famille suivie. Si l’on compare les deux textes du Code de l’action sociale et des familles, datés du même jour mais pas du même texte – le premier est issu de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance19, le second provenant de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance20 et validé par le Conseil constitutionnel21 – il n’est pas aisé à première vue de savoir quel est le texte applicable, les deux textes recoupant en grande partie les mêmes personnels22. Pourtant, ils n’ont pas le même objet : le premier se cantonne à la mise en œuvre de la protection de l’enfance alors que le second vise plutôt à organiser la coordination des acteurs de l’action sociale autour d’un individu ou d’une famille. Pour terminer, il est à noter que c’est la première fois que la Cour de cassation s’appuyait sur les dispositions de l’article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles. Mais chut ! C’est un secret.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 8 juin 2021, n° 20-86000.
  • 2.
    Comme le permet CASF, art. L. 222-2.
  • 3.
    C. civ., art. 375 et s.
  • 4.
    Dans d’autres hypothèses, il y a obligation de lever le secret. Exemple : en cas de disparition d’un mineur (C. pén., art. 434-4-1).
  • 5.
    Cass. crim., 19 déc. 1885.
  • 6.
    P. Verdier, « Secret professionnel et partage des informations », JDJ 2007/9, n° 269, p. 8.
  • 7.
    Circulaire relative au secret professionnel des ministres du culte et aux perquisitions et saisies dans les lieux de culte, Bulletin officiel du ministère de la Justice, 11 août 2004.
  • 8.
    CSP, art. R. 4127-4.
  • 9.
    L. n° 71-1130, 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 66-5 : JO, 5 janv. 1972.
  • 10.
    CASF, art. L. 411-3.
  • 11.
    CASF, art. L. 221-6.
  • 12.
    CASF, art. L. 262-44.
  • 13.
    Cependant, celle-ci était déjà tenue au secret professionnel en raison de son métier.
  • 14.
    À tort, il est parfois indiqué que le fonctionnaire est tenu au secret professionnel. Cela n’est vrai que si la mission ou la fonction au sein de laquelle il exerce son activité le soumet au secret. À défaut, il ne s’agit que d’une obligation de discrétion professionnelle (L. n° 83-634, 13 juill. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 26 : JO, 14 juill. 1983).
  • 15.
    C. pén., art. 226-14.
  • 16.
    Depuis 2020, l’interlocuteur privilégié des professionnels de santé peut être la CRIP (L. n° 2020-936, 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : JO, 31 juill. 2020).
  • 17.
    Toutefois, la Cour de cassation vise l’article L. 221-6 du Code de l’action sociale et des familles et l’article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juill. 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : JO, 14 juill. 1983. Or, comme indiqué précédemment, cette loi évoque la discrétion professionnelle et non le secret professionnel. Le fonctionnaire ne sera tenu au secret que parce qu’il exerce son activité dans le champ de la protection de l’enfance. Il aurait été suffisant pour la Cour de viser uniquement l’article L. 221-6 du Code de l’action sociale et des familles.
  • 18.
    L. n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : JO, 5 mars 2002.
  • 19.
    L. n° 2007-293, 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance : JO, 6 mars 2007.
  • 20.
    L. n° 2007-297, 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : JO, 7 mars 2007.
  • 21.
    Cons. const., 3 mars 2007, n° 2007-553.
  • 22.
    Pour la distinction, v. P. Verdier, « Secret professionnel et partage des informations », JDJ 2007/9, n° 269, p. 8.
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